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Le salon des précieuses

Le Sang des Mirabelles ; Camille de Peretti

« Platon, le philosophe antique, explique que nous ne pouvons savoir ce que nous ignorons, seule la frontière de nos connaissances nous permet de mesurer l'étendue de notre nescience. Plus nous appréhendons de choses, plus nous découvrons le puits sans fond de notre ignorance. »

  • Informations complémentaires :

Publié en 2021

Éditions Le Livre de Poche

355 pages

Résumé :

« Depuis deux saisons déjà, le vieux Hibou lui avait ouvert les portes de son officine et l’avait laissée feuilleter les pages de ses livres. Elle s’y était plongée avec délice, elle avait tout dévoré. Quelques mois et tout avait changé ; la jeune fille savait désormais que le monde ne se réduisait pas à une bobine de fil et à une aiguille. »


Au cœur du Moyen Âge, deux sœurs, Éléonore et Adélaïde, se bâtissent un destin singulier. Bravant les conventions, l’une découvre le véritable amour tandis que l’autre s’adonne en secret à sa passion pour la médecine. Mais cette quête d’émancipation n’est pas sans danger à une époque vouant les femmes au silence.

Ma Note : ★★★★★★★★★

Mon Avis :

Qu'ai-je lu ? Si je devais décrire ce roman, je serais bien en peine de le faire car il est inclassable. Brillant sans aucun doute, mais surtout inclassable. Roman contemporain ? Roman historique ? Conte onirique et médiéval ? Peut-être un petit peu des trois...
Le roman s'ouvre comme n'importe quel roman historique : nous sommes au Moyen Âge et deux jeunes écuyers, liés par une amitié indéfectible, Guillaume et Tancrède s'entraînent à la quintaine. Comme tous les jeunes hommes de la noblesse à l'époque, l'avenir de Guillaume et Tancrède est tout tracé : ils seront seigneurs et chevaliers. 
Mais Guillaume et Tancrède sont-ils nos héros ? Rien n'est moins sûr. On tourne la page et nous sommes une quinzaine d'années plus tard : Guillaume et Tancrède ne sont plus de jeunes garçons mais des hommes d'une trentaine d'années, qui se sont éloignés mais continuent d'éprouver une estime mutuelle. Guillaume, surnommé l'Ours, est le seigneur d'un vaste et riche territoire et il se marie : il épouse la fille, plus jeune que lui, d'un seigneur voisin. Eléonore, aux yeux d'or, est surnommée la Salamandre. Elle en a la froideur et l'immobilité tandis que sa jeune sœur Adélaïde, venue vivre avec elle chez l'Ours, est surnommée l'Abeille : elle en a la chaleur, la beauté et l'impulsivité
Placée sous la tutelle de la sœur de Guillaume (l'Araignée), Adélaïde fait connaissance par hasard d'un apothicaire juif qui fournit des remèdes à sa duègne revêche et toujours malade. Avec lui (le Hibou) la jeune fille découvre un champ sans fin de connaissances et de richesses et Adélaïde se passionne pour la médecine et les plantes médicinales tandis qu'au château de l'Ours, Eléonore fait l'expérience de la vie monotone d'une femme de seigneur, qui doit soigneusement dissimuler son cœur qui bat, surtout quand c'est pour un autre que son mari
Roman déroutant mais formidablement bien écrit, Le sang des Mirabelles met donc en scène un duo féminin : Eléonore et Adélaïde, dissemblables mais liées par leur sororité filiale mais aussi une sororité plus large, celle de deux femmes qui ne veulent pas se contenter de ce que la vie, à l'époque, peut offrir aux femmes et qui est finalement bien peu de choses. Muselée par la religion et le patriarcat, la société médiévale n'est pas favorable aux femmes, à plus forte raison à celles qui ne veulent pas rester à leur place (mais ne veut-on pas à tout prix faire tenir à leur place ceux dont on a peur ?). L'émancipation et le désir de liberté d'Eléonore et de sa cadette ne se manifesteront pas de la même manière pour l'une et pour l'autre mais les feront définitivement sortir de la place qui leur a été assignée par la société, l'Eglise, les hommes mais aussi les autres femmes, celles qui se sont coulées dans le moule et ne peuvent - ne veulent - plus en sortir. 
Et dans la société médiévale qui est la leur, s'intéresser à la médecine comme aimer l'homme qu'il ne faut pas peut s'avérer tout aussi dangereux. La quête de liberté de la Salamandre et de l'Abeille ne sera pas sans danger, dans un monde fait par et pour les hommes, où guerres et complots sont légion. 
Le sang des Mirabelles est un roman surprenant, aussi réaliste qu'onirique : nous naviguons sans cesse d'un monde à un autre. J'aurais pu lire un roman de fantasy ou bien un roman se passant en Asie. Pourtant, certaines indications nous font penser que nous sommes en Europe, plus précisément en France, mais à quelle époque précisément ? Sommes-nous au XIIe siècle, au XIIIe siècle ou plus tard
Tancrède, surnommé le Dragon, est au service du roi Neuf qui, par son nom, pourrait rappeler saint Louis (Louis IX) : tous deux partent en effet en croisade au cours de leur règne. Mais la croisade qui se prépare dans le roman est organisée comme un pèlerinage expiatoire pour le roi qui, au cours d'un conflit avec un vassal rebelle, s'est rendu coupable d'un terrible sacrilège : il a ordonné que soit brûlée l'église du village du seigneur des Mirabelles, le vassal félon. Or, dans cette église, la population civile avait trouvé refuge...cet événement n'est pas sans rappeler le drame de Vitry-en-Perthois, sous le règne de Louis VII et qui conditionna la croisade de la fin des années 1140. Sommes-nous donc à l'époque de Louis IX ou de son ancêtre Louis VII, premier époux de la célèbre Aliénor d'Aquitaine ?
Tout au long du roman on navigue ainsi entre personnages fictifs et événements qui peuvent en rappeler d'authentiques historiquement : le mariage d'un vassal du roi avec l'héritière d'un royaume voisin, faisant du couple les seigneurs d'un si vaste territoire qu'on pourrait presque le qualifier d'empire est-il celui d'Aliénor d'Aquitaine et Henri Plantagenêt en 1152 ou celui du puissant duc de Bourgogne avec Margaret d'York au XVe siècle ? Et ces seigneurs, qui portent tous des surnoms d'animaux ou de plantes, ne sont-ils pas inspirés de ces grands nobles qui ont marqué le Moyen Âge central, faisant et défaisant les alliances ? 
J'ai aimé me laisser porter par le roman même si j'ai été déroutée...dès lors que j'ai accepté de l'être, finalement, je me suis plongée dans cette histoire où le Moyen Âge est de nouveau vivant, rêvé mais pas forcément idéalisé pour autant, où les personnages sont complexes, triviaux, violents
Comme dans son roman La Casati, Camille de Peretti met en scène deux héroïnes non conformistes, dont la vie est marquée par la passion, le secret, la transgression...
C'est un roman étrange et particulier, qui nous fait nous questionner. On l'aimera ou non : je ne pense pas que Le sang des Mirabelles fasse partie de ses romans que l'on peut apprécier, sans plus. On l'aimera, beaucoup ou ne l'aimera pas du tout. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne laissera pas indifférent. 

En Bref :

Les + : Un roman brillant, assez atypique et surprenant. En un mot, inclassable. J'ai terminé ma lecture avec quelques questions restées en suspens mais j'ai malgré tout beaucoup aimé cette plongée dans un Moyen Âge onirique mais aussi cruellement vrai.
Les - : pas vraiment de point négatif à soulever. J'ai frôlé le coup de cœur. 

Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

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L
Je suis assez intriguée par ce roman que tu dis inclassable et par l'histoire de ces deux femmes. Je ne suis pas particulièrement fan du Moyen Âge à la base mais j'avais lu pas mal de romans pour préparer un cours d'histoire sur cette période (que je n'avais finalement pas eu) donc j'aimerais bien réitérer "l'expérience" :-)
Répondre
A
Ne te laisse pas décourager par l'aspect médiéval du roman car même s'il est présent, le roman est assez onirique pour le faire un peu oublier. Je pense qu'il pourrait te plaire, il vaut mieux se laisser porter comme si on lisait un conte et ne pas se focaliser sur ce qui pourrait être gênant : le Moyen Âge pour toi, le manque de repères chronologiques pour moi, par exemple...et ça passe. 😄