19 Mars 2025
« Que les Vikings aient attribué autant de pouvoir aux valkyries et à Freyja, principales figures féminines de leur mythologie, est à interpréter comme la conséquence et le reflet d'une société dans laquelle l'apport des femmes, leur travail et leur sagesse, jouèrent un rôle essentiel. »
Publié en en Islande
En 2020 en France (pour la présente édition)
Titre original : Valkyrie : the Women of the Viking world
Éditions Autrement
351 pages
Résumé :
Qui étaient les femmes vikings ?
Il n’y a guère d’imaginaire plus viril que celui des Vikings : barbares pillards à la barbe hirsute, grands explorateurs naviguant sur les mers de Scandinavie tandis que, quelque part entre Asgard et le Valhalla, Týr et Odin ourdissent de grands combats. Mais que faisaient les femmes vikings pendant ce temps ?
À la croisée des sources historiques, archéologiques et des sagas islandaises, cet ouvrage propose une relecture de la civilisation viking selon un prisme féminin. De la figure de la valkyrie qui décide du sort des guerriers au combat à la fière Guðrún qui venge l’honneur des siens, on découvre une femme viking qui, loin d’être cantonnée aux tâches domestiques, explore, décide, écrit, combat parfois. Chemin faisant, l’imaginaire que nous nous faisons de cette culture s’en trouve profondément modifié. Preuve, s’il en était besoin, que l’histoire ne se fait jamais sans les femmes.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Qui étaient les femmes vikings ? Voilà une vaste question à laquelle l’autrice islandaise Jóhanna Katrín Friðriksdóttir se propose de répondre, dans un essai intéressant d’un peu plus de trois cents pages et qui suit, chronologiquement, les âges de la vie d’une femme scandinave du Haut Moyen Âge.
S’il y a bien un peuple sur lequel les clichés ont la vie dure, ce sont les Vikings. Et d’ailleurs, les Vikings ne sont pas réellement un peuple, mais on les assimile bien souvent aux Scandinaves des premiers siècles du Moyen Âge alors qu’ils n’en forment finalement qu’une petite partie. Bien souvent, quand on pense aux Vikings on imagine une société violente d’hommes hirsutes venus piller les abbayes et les châteaux d’Europe de l’Ouest à bord de leurs sinistres drakkars.
Mais qu’en est-il des femmes qui peuplaient le Danemark, la Suède, la Norvège ou même l’Islande ou le Groenland à cette époque ? Là aussi, elles souffrent d’une image bien souvent très éloignée de leur réalité : si les femmes vikings – et pas que – ont souvent souffert des préjugés des premiers archéologues et historiens, aujourd’hui, l’image que peuvent donner la littérature, le cinéma ou la télévision est tout aussi biaisée : ainsi, la femme effacée et complètement soumise n’a pas plus de réalité historique et archéologique que l’intrépide guerrière au bouclier, comme Lagertha dans Vikings. En réalité, la femme viking, car nous utiliserons le terme comme le fait l’autrice et parce que c’est plus simple, se situe dans un prudent entre-deux.
Il est indéniable que les femmes vikings vivaient dans une société très patriarcale où elles n’avaient pas forcément leur mot à dire : la femme reste toute sa vie ou presque sous le contrôle des hommes et ne s’en affranchit bien souvent qu’au moment du veuvage. Sinon, elle reste sous la coupe de son père, de ses frères puis de son mari. Mais la femme scandinave n’est pas dénuée de toute influence domestique et elle exerce aussi une activité, souvent le tissage, nécessaire pour vêtir la communauté mais aussi tisser les voiles, indispensables pour prendre la mer. Et les Vikings, qui explorèrent les mers et les cours d’eau, de la Russie en passant par le bassin méditerranéen, les îles britanniques, l’Islande et même le nord-est de l’Amérique, en avaient besoin, c’est le moins que l’on puisse dire. Le travail des femmes revêtait donc une importance capitale pour tous.
Quelques destins féminins, notamment de reines, sortent quelque peu de l’ordinaire : ainsi, le destin d’une reine de Norvège, épouse du roi Knut le Grand au XIe siècle, plus ou moins bien documenté. Des tombes surprenantes continuent de faire s’interroger les archéologues et les historiens, comme le bateau-tombe d’Oseberg, découvert en Norvège et qui contenait deux squelettes de femmes, probablement influentes en leur temps ou encore, la tombe de la « guerrière » de Birka, découverte au XIXe siècle et qui est bien le reflet de ce que je disais plus haut : alors qu’au XIXe siècle, les préjugés machistes du temps excluaient que les scientifiques puissent considérer cette tombe riche et contenant des armes comme celle d’une femme, de nos jours, à l’issue d’une analyse ostéologique qui a permis d’identifier le corps comme celui d’une femme, on a peut-être trop rapidement conclu à l’existence des guerrières au bouclier, ces femmes valeureuses et guerrières que l’on retrouve dans les sagas, alors qu’à l’exception de la tombe de Birka, rien ne permet aujourd’hui d’assurer avec certitude, que ces femmes avaient une quelconque existence ailleurs que dans la littérature…mais on ne peut pas nier pour autant que des femmes, peut-être poussées par la force des choses, ont possiblement pris les armes comme des hommes au gré des siècles de l’ère viking.
Si les chercheurs n'excluent pas l'existence de femmes guerrières (poussées à prendre les armes peut-être par la force des choses), aucune preuve archéologique n'est venue aujourd'hui confirmer qu'elles ont bien existé, comme on peut le voir au cinéma ou dans les séries télévisées (image : Katheryn Winnick qui interprète la guerrière au bouclier Lagertha dans la série Vikings)
Après une rapide présentation, l’autrice a décidé de découper son propos en quatre grands moments, qui suivent au plus près les grandes étapes de la vie d’une femme scandinave de l’époque viking : l’enfance, la prime jeunesse et l’adolescence, la vie d’adulte marquée par le mariage, les grossesses, la maternité (et tous les risques que cela comporte à l’époque) puis la vieillesse, jusqu’à la fin de la vie.
J’ai trouvé ce découpage habile et cohérent car il nous fait suivre l’évolution de la femme, non seulement dans sa propre vie mais aussi dans la société, car en prenant de l’âge, elle change de statut : on se rend compte qu’une femme sans enfants n’aura pas la même réalité qu’une autre, épouse et mère accomplie d’une nombreuse nichée. Une veuve âgée n’aura pas la même vie qu’une femme plus jeune et encore mariée : la première aura peut-être plus de liberté que la seconde. Enfin, l’influence d’une future femme, enfant ou adolescente, dans la société n’est évidemment en rien comparable à celle de ses aînées. Une femme en milieu urbain n’aura pas non plus la même vie qu’une consœur vivant quant à elle en milieu rural.
Jóhanna Katrín Friðriksdóttir nous donne un aperçu riche et vaste du monde viking, bien loin des idées reçues. On se rend compte que la société scandinave de l’époque, comme beaucoup d’autres d’ailleurs plus au sud en Europe ou plus à l’est, est essentiellement agraire et commerçante : on vit de la production agricole mais aussi des échanges commerciaux qui se centralisent dans des cités dynamiques comme Hedeby ou Birka où la vie est essentiellement urbaine. Les femmes dominent la vie domestique, elles sont les gardiennes du foyer et ce sont bien sûr à elles que reviennent les soins à la famille, aux enfants. Elles font aussi partie des colonies vikings que l’on retrouve jusqu’en Amérique du Nord : les fouilles archéologiques effectuées à l’Anse aux Meadows, au Canada, montrent bien que la colonie viking du Vinland était composée d’hommes, d’explorateurs et navigateurs mais aussi de femmes. On les retrouve aussi dans les îles britanniques ou en Irlande.
Aujourd’hui, la trace des femmes vikings se perd dans le temps. Les sagas restent des sources exploitables mais avec précaution car ce sont avant tout des textes littéraires et poétiques, parfois fantastiques, où les femmes sont surtout abordées par le prisme de divinités ou personnages légendaires, comme les Valkyries ou la déesse Freyja. Il est bien sûr difficile d’établir un portrait vraiment circonstancié, mais grâce aux découvertes archéologiques, à leur étude, on en apprend toujours, et de plus en plus.
La femme viking, bien ancrée dans son époque, est bien souvent une épouse et une mère. Mais, lorsqu’elle se fait colon, elle explore, au même titre que les hommes. Lorsqu’elle est reine, elle peut décider et se voir investie d’un véritable pouvoir. D’autres écrivent et deviennent scaldes tandis que d’autres deviendront des guerrières. L’image que nous nous faisons alors de la société viking change : sans être ni démocratique, ni totalement égalitaire, on constate en son sein une organisation qui n’est pas hostile aux femmes.
Malgré des redites, des passages de sagas ou de légendes plusieurs fois cités (comme la légende de Guðrún, surnommée parfois la Médée scandinave) ce qui peut apporter un sentiment de redondance à la longue, ou les noms scandinaves parfois un peu laborieux à lire pour nous, lecteurs occidentaux, on se laisse porter, on voyage, on découvre, on explore avec un intérêt sans cesse renouvelé pour ces peuples sur lesquels on croit savoir beaucoup de choses et qu’on connait finalement si peu, ou si mal.
Les valkyries sont des personnages féminins particulièrement importants dans la mythologie scandinave : ce sont elles notamment qui escortent les guerriers morts sur le champ de bataille vers le Valhalla
En Bref :
Les + : l'autrice s'attaque à un sujet particulièrement vaste et marqué de nombreux clichés et idées reçues. On en ressort avec des connaissances plus nuancées et actualisées.
Les - : des redites, ce qui rend le livre un peu redondant par moments.
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