8 Février 2017
« Nombre de gens gardent les informations pour eux. Un meurtre, ils trouvent ça scabreux et pensent que le simple fait de savoir quelque chose fait rejaillir le scandale sur eux. Ils se sentent coupables par association. »
Publié en 1979 en Angleterre ; en 2012 en France (pour la présente édition)
Titre original : The Cater Street Hangman
Editions 10/18 (Collection Grands Détectives)
382 pages
Premier tome de la série Charlotte et Thomas Pitt
Résumé :
Suffragette avant l'heure, la téméraire Charlotte Ellison n'aime ni l'étiquette ni le badinage des jeunes filles bien nées. Dévorant en cachette les faits divers des journaux, sa curiosité la mêlera à une affaire des plus périlleuses, aux côtés du séduisant inspecteur Pitt de Scotland Yard. Dans le Londres des années 1880, le danger guette et les femmes en sont souvent la proie...
Sherlock Holmes en jupons, la divine Charlotte dénoue son premier crime et inaugure une longue série d'enquêtes haletantes, dévoilant une Angleterre victorienne pleine de secrets.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Enfin ! Après des années à avoir vu des chroniques sur les blogs et laissé dormir le premier volume de cette longue série sur les rayonnages de ma bibliothèque, je me suis enfin lancée dans la découverte des fameuses enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt. D'Anne Perry, je ne connaissais que Du Sang sur la Soie, un roman policier médiéval situé dans la Byzance du XIIIème siècle et porté par une héroïne charismatique qui m'avait plu. Ce roman avait été une découverte enthousiasmante pour moi, alors même que je ne lisais pas de polars. Il n'y avait donc aucune raison pour que cette saga victorienne, découverte alors que je connais bien maintenant les codes du policier historique, ne me plaise pas.
En 1881, la jeune Charlotte Ellison, qui habite Londres, est une belle jeune femme de vingt-trois ans, aux folles boucles auburn et aux yeux gris. Tandis que sa sœur aînée, Sarah, a fait un mariage convenable, la cadette désespère ses parents : en effet, à cause de son franc-parler et de son honnêteté qui frôle parfois l'impertinence, Charlotte heurte cette société petite-bourgeoise de l'époque victorienne, bien-pensante et compassée.
La jeune femme essaie tant bien que mal de s'émanciper de ses codes et d'échapper à ses lois trop patriarcales, qui enferment les femmes dans des carcans de bonne conduite un peu faux et chacun dans une hypocrisie portée au rang de vertu afin de respecter les convenances, hypocrisie parfois entretenues par les pasteurs aux idées étriquées et surannées.
Mais voilà que, très vite, le petit monde des Ellison et de leurs voisins va être endeuillé par une série de meurtres perpétrés non loin de chez eux, dans Cater Street. C'est d'abord une jeune fille de leur connaissance qui est retrouvée sans vie, puis l'assassin s'attaque aux jeunes servantes du quartier. Sa méthode est toujours la même : il étrangle ses victimes avec un fil de fer et les abandonne dans la rue.
Parce que cette sordide affaire va les toucher de près, Charlotte se retrouve, d'abord un peu malgré elle, puis avec de plus en plus d'intérêt, au cœur même de l'enquête de l’agaçant et débraillé mais non moins attirant inspecteur de Scotland Yard, Thomas Pitt.
L'enquête ne s'annonce pas de tout repos pour Thomas Pitt, confronté au mépris des habitants de Cater Street qui le prennent de haut parce qu'il n'est pas de leur milieu ou à leurs phrases péremptoires de petit-bourgeois suffisants qui insinuent que les victimes étaient immorales et, en cela, ont payé leur péché.
Je m'attendais à une vraie enquête policière et au final, ce n'est pas ce que j'ai eu. Alors oui, j'ai été étonnée bien sûr, mais une fois passée la première surprise, je dois dire que je n'ai pas été déçue. Anne Perry prend justement le contre-pied d'une enquête lambda, avec ses codes et ses déroulements et rebondissements toujours à peu près semblables. Là, l' héroïne est une jeune femme de la gentry londonienne, à mille lieues bien sûr, de résoudre des enquêtes criminelles. Et le roman est essentiellement raconté à travers le regard de Charlotte, donc à travers celui que portent les civils en général sur une enquête. Et quand ces civils vivent dans une époque aussi guindée et codifiée que les années 1880 en Angleterre, cela donne lieu alors à des situations ou très drôles ou tellement étonnantes qu'elles nous font, à nous lecteurs du XXIème, ouvrir de grands yeux !
L'intrigue se resserre donc autour de la famille Ellison : Charlotte, ses deux sœurs, ses parents, son beau-frère, sa grand-mère et les domestiques mais on peut supposer avec raison que le climat est le même pour toutes les familles de Cater Street, un climat qui devient de plus en plus insupportable à mesure que les meurtres sr multiplient sans que la police parvienne à mettre la main sur l'assassin. Et c'est une spirale infernale qui se met en place : la peur, la psychose, l'impuissance, l'inquiétude pour soi-même et pour ses proches, le quotidien bouleversé et la suspicion, qui pousse à soupçonner sa famille, ses voisins, ses amis, suspicion qui s'installe insidieusement chez les Ellison en amenant dans ses bagages une atmosphère délétère.
Cette enquête sera aussi pour Charlotte l'occasion de se rendre compte que le monde dans lequel elle vit est bien petit et qu'à sa porte, un autre univers gravite sans même qu'elle le voie. Ses conversations avec Pitt vont également lui faire comprendre que le crime n'est pas inhérent à la pauvreté et apporter à la jeune femme un autre éclairage sur la société dans laquelle elle vit.
S'il y'a bien une époque où les inégalités furent les plus flagrantes c'est justement pendant cette époque d'industrialisation intensive et de croissance positive. Certains s'enrichirent et d'autres restèrent sur le pavé, dans une misère noire et endémique. Ce ne fut pas propre à l'Angleterre victorienne puisque toute l'Europe, à cette époque, connut une paupérisation à divers degrés. Mais parce que le Royaume-Uni était très industrialisé, peut-être les inégalités y étaient plus visibles, comme elles le seront plus en France dans le bassin houiller du Nord que dans les campagnes.
Charlotte, en contact avec Pitt, issu d'un milieu modeste et qui côtoie la misère au travers de son métier, va ouvrir les yeux et se rendre compte que la société dans laquelle elle vit, faite de codes et de convenances qu'on ne doit pas outrepasser est vaine et très en dehors des réalités, ce qui ne sera pas, bien sûr, pour refréner ses désirs d'émancipation et de mettre les siens, avec une franchise un peu brutale, devant leurs contradictions en faisant sauter leurs préjugés et leurs idées reçues. En cela, Charlotte m'a beaucoup plu et j'ai aussi apprécié le personnage de Pitt.
Quant au dénouement il est vraiment mené d'une main de maître par l'auteure parce que lorsque l'identité de l'assassin est enfin dévoilée, on ne s'y attend pas et on tombe des nues ! Le suspense est vraiment ménagé jusque dans les dernières pages.
Ce premier tome des enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt m'a bien plu. J'ai aimé l'approche de l'auteure et même si le style m'a peut-être un peu moins accrochée que dans Du Sang sur la Soie, certains dialogues font mouche. Cette saga démarre doucement, avec une enquête somme toute pas exceptionnelle ni très romanesque parce qu'elle tourne autour d'un schéma vu et revu, celui du tueur en série, mais ça marche bien quand même. Le fait que l'auteure se place du côté de ceux qui assistent, impuissants, aux meurtres commis dans leur rue sans qu'ils puissent rien faire ni savoir d'où vient le danger, est intéressant parce que le lecteur peut mieux s'identifier et comprendre les personnages. On a nos préférences cependant et certains sont même carrément antipathiques, tellement imbuvables qu'on aurait envie de leur mettre des baffes !
Je ressors de cette lecture satisfaite et avec une grande curiosité pour la suite !
En Bref :
Les + : une enquête intéressante, vue plutôt au travers des yeux des civils, des personnages intéressants, une atmosphère qui est, sans doute, l'un des atouts majeurs du roman.
Les - : peut-être quelques longueurs au début...rien de grave toutefois.