3 Septembre 2017
« Comment savoir quelle est la meilleure solution si nous ignorons la vérité ? Il vaut toujours mieux connaître la vérité, qu'on choisisse de l'occulter, de la cacher ou de l'oublier carrément. Si nous ne savons pas la vérité en premier lieu, nous risquons de commettre de regrettables erreurs. »
Publié en 1980 en Angleterre ; en 2012 en France (pour la présente édition)
Titre original : Callander Square
Editions 10/18 (collection Grands détectives)
383 pages
Deuxième tome de la série Charlotte et Thomas Pitt
Résumé :
Cette enquête semblait élémentaire : quelle femme de chambre indélicate du très chic Callander Square a enterré ses nourrissons adultérins dans le parc ? Mais la vérité est loin d'être aussi simple, et le gentleman inspecteur Thomas Pitt n'est pas au bout de ses surprises, dans cette haute société victorienne où les faux-semblants sont rois.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Si vous vous souvenez, je me suis plongée dans la grande série d'Anne Perry, Charlotte et Thomas Pitt, en février dernier. Un peu après tout le monde, soit dit en passant mais... mieux vaut tard que jamais ! J'ai beaucoup aimé L’Étrangleur de Cater Street, son ambiance, la manière dont l'auteure a choisi de raconter son histoire et, par- dessus tout, les personnages de Charlotte et Thomas, que, je le savais, je retrouverai dans les autres tomes. Et me voilà donc embarquée, quelques mois plus tard, dans la lecture du Mystère de Callander Square. C'est avec plaisir et curiosité que je m'y suis plongée et le résumé en plus était prometteur, même si le sujet traité est assez sordide. En même temps -c'est malheureux mais c'est comme ça-, il est aussi un reflet de l'époque. Nous sommes dans les années 1880, Charlotte Ellison a épousé Thomas Pitt -je ne pense pas vous révéler un scoop en vous disant cela- et vivent modestement à Londres quand éclate l'affaire de Callander Square. Deux cadavres de bébés sont retrouvés dans le parc et Pitt est chargé de l'enquête. Serait - ce une des femmes de chambre des maisons entourant le square ? Une servante malencontreusement séduite qui a cherché à faire disparaître le fruit de ses égarements ? Les enfants étaient-ils morts-nés ? Ou, finalement, l'affaire est-elle bien plus compliquée qu'il n'y paraît ? Pitt va alors enquêter au sein même des demeures huppées de Callander Square et y découvrir parfois des choses effarantes et bien laides, cachées sous le vernis de la bienséance et des convenances.
Dans cette deuxième enquête, j'ai retrouvé tout ce qui m'avait plu dans la première, L’Étrangleur de Cater Street : le charisme de l'enquêteur, Thomas Pitt, le caractère déterminé et volontaire de Charlotte, mais aussi l'époque -l'ère victorienne est définitivement passionnante- et la manière dont l'auteure aborde ses enquêtes. Anne Perry, plutôt que de se concentrer uniquement sur le point de vue de la police, privilégie d'abord ceux que le crime touche directement : ceux qui l'ont, éventuellement, découvert, les suspects, les témoins. Comme dans le premier tome, l'auteure décrit assez bien la psychose et la tension qui naissent dans un milieu, à la suite d'un découverte d'un crime, la peur instinctive de la police, la gêne que provoquent ses questions. Dans le cénacle assez fermé de Callander Square, Thomas Pitt se trouve confronté à une loi du silence presque machinale et à la condescendance des habitants, tant envers lui-même qu'envers les domestiques. La société est alors encore fortement fragmentée, les liens sociaux très codifiés et les préjugés ont la vie dure. Aidé par l'enquête subtile de Charlotte, Thomas va cependant réussir à lever le voile sur cette affaire qui semble avoir bien des ramifications et surtout, qui n'aura pas le résultat, un peu trop facile, qu'on attendait dès le départ. Et si les cadavres de ces deux bébés n'avaient pas été abandonné par une femme de chambre ou une servante séduite malgré elle ? Et si la vérité était plus complexe. Quand, à cela, s'ajoutent en plus quelques nouvelles grossesses étranges,
des amours ancillaires et bien des secrets, difficile alors pour l'inspecteur, qu'on aide en plus de mauvaise grâce, de démêler le vrai du faux.
Encore une fois, Anne Perry nous brosse un portrait cynique, sans concession mais qui semble étonnamment vraisemblable, de l'époque victorienne. Epoque paradoxale s'il en est, entre industrialisation bondissante et misère noire, violente à bien des égards. Désabusée, aussi : c'est bien pour cela que, malheureusement, si le crime commis sur deux nouveaux-nés est certes révoltant et choquant, il n'en surprend pas pour autant et Pitt est même le premier à reconnaître que si c'est une servante qui en est arrivée à cette extrémité, elle n'est pas la première et ne sera pas non plus la dernière. L'époque est cruelle, tant pour les plus petits que pour les femmes, réduites à la portion congrue. Les réflexions des personnages sont parfois extrêmement surprenantes voire assez révulsants pour nous, lecteurs du XXIème siècle, dont la société est moins codifiée, dans laquelle les femmes sont intégrées. Certes, notre propre époque n'est pas dénuée de ses aspects les plus sales et les plus indignes mais il est vrai que l'époque victorienne cache bien son jeu, sous un vernis de bienséance, de codes fortement respectés et de conventions derrière lesquelles on s'abrite frileusement.
Le Mystère de Callander Square est encore une fois une bonne enquête, qui me donne envie de poursuivre ma découverte de cette série très importante, comptant à ce jour pas moins de trente-deux tomes ! J'ai retrouvé avec plaisir Charlotte et Thomas, jeunes mariés, qui m'ont rappelé les deux personnages d'Ann Granger -qu'ils ont sans aucun doute inspirés-, Lizzie et Ben Ross. Si j'ai parfois ressenti quelques longueurs, l'envie de savoir enfin le dénouement a été cependant la plus forte. Dénouement qui arrive peut-être un peu rapidement mais qui m'a surprise. Pas complètement, mais suffisamment pour que je ressorte de cette lecture satisfaite : non, je n'avais pas pensé à tout et j'aime beaucoup quand un roman policier arrive à me surprendre réellement, quand le dénouement démonte totalement mes suppositions premières ! J'ai parfois eu la sensation, pas forcément très agréable quoique pas extraordinairement dérangeante non plus, que les chapitres se ressemblaient beaucoup, que l'enquête n'était finalement rien de plus qu'une succession de chapitres sans de véritables liens entre eux : les personnages se reçoivent mutuellement, se font part de leurs doutes, de leurs soupçons à mots couverts, de leurs peurs. Peut- être certains sont-ils superflus. J'ai aussi regretté de ne pas avoir vu autant Charlotte que dans le premier tome et j'espère la retrouver un peu plus dans les tomes suivants.
A part ça, j'ai pris un grand plaisir à lire cette enquête. Malgré les quelques petits défauts soulevés précédemment, j'ai aimé cette lecture, je m'y suis plongée avec curiosité et je ne peux vraiment pas dire que j'ai été déçue. J'aime beaucoup Anne Perry et mon intérêt pour son oeuvre se confirme avec la lecture de ce deuxième opus de son incontournable saga victorienne. A conseiller à tous les amateurs de romans policiers historiques.
En Bref :
Les + : incontestablement, les personnages, l'époque, l'ambiance et la manière dont l'auteure oriente ses enquêtes, en ne se focalisant pas uniquement sur le point de vue de la police.
Les - : quelques répétitions, des chapitres qui parfois se ressemblent sensiblement dans leur forme, peut-être un petit manque de dynamisme.