15 Octobre 2021
« Qu'est-ce qui fait qu'on est sorcière, alors, si ce n'est la divinité ? »

Publié en 2018 aux Etats-Unis
En 2019 en France (pour la présente édition)
Titre original : Circe
Editions Pocket
549 pages
Résumé :
Fruit des amours d'un dieu et d'une mortelle, Circé la nymphe grandit parmi les divinités de l'Olympe. Mais son caractère étonne. Détonne. On la dit sorcière, parce qu'elle aime changer les choses. Plus humaine que céleste, parce qu'elle est sensible. En l'exilant sur une île déserte, comme le fut jadis Prométhée pour avoir trop aimé les hommes, ses pairs ne lui ont-ils pas plutôt rendu service ? Là, l'immortelle peut choisir qui elle est. Demi-déesse, certes, mais femme avant tout. Puissante, libre, amoureuse...
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Fille d’Hélios et d’une nymphe, l’hautaine Persé, Circé n’est pas n’importe qui. Mais, dans l’immense famille des dieux grecs et des Titans, elle n’est qu’une parmi d’autres : pas la plus jolie, ni la plus puissante, ni la plus estimée, au contraire même. Sa mère lui préfère sa sœur Pasiphaé (future reine de Crète) et son frère Persès. Quant à son père Hélios, qu’elle admire, il est au mieux indifférent. Circé ne trouvera un peu d’affection qu’auprès de son jeune frère Aetès, avant que celui-ci ne parte à son tour vers son destin (devenu maître de Colchide, il sera le père de Médée). Immortelle mais portant en elle une autre essence que la divinité pure, Circé ne se sent pas à sa place au milieu des nymphes, naïades, dryades et autres océanides qui peuplent les profondeurs. Comme Prométhée qui, en son temps, fut puni pour avoir donné le feu aux Hommes, Circé se sent irrémédiablement attirée par eux et, paradoxalement, par leur mortalité.
Et puis, un jour, elle découvre la puissance des plantes et des sorts : Circé découvre qu’elle possède en elle un héritage, qui sera aussi celui de ses frères et de sa sœur. Elle est une sorcière, pouvant user de charmes et de sortilèges pour arriver à ses fins.
Par amour pour un dieu et par jalousie envers une autre nymphe, elle scelle son destin : transformant sa rivale, Scylla, en un horrible dieu marin, Circé doit être punie. Son père Hélios décide alors de l’exiler sur une petite île où elle vivra isolée des hommes comme des dieux. C’est Eéa, l’île où, un jour, un bateau accostera avec à son bord un marin à la ruse inépuisable : Ulysse. Ulysse errant en Méditerranée depuis son départ de Troie et dont les hommes seront transformés en pourceaux par Circé. D’Ulysse, la sorcière d’Eéa serait tombée amoureuse et de leur amour, naîtront plusieurs enfants (un unique fils, Télégonos, futur fondateur des cités de Préneste et de Tusculum, est mentionné dans le roman de Madeline Miller).
Circé, présentée dans les textes anciens comme une magicienne ou une sorcière, a été popularisée par des auteurs comme Ovide, Hésiode, Virgile mais c’est surtout Homère qui l’a fait connaître, en la faisant apparaître dans le chant X de L’Odyssée. Par la suite, les artistes s’empareront aussi du personnage : ainsi John William Waterhouse la représentera en jolie nymphe portant une tunique vaporeuse et offrant une coupe ou bien en sorcière vénéneuse versant une un poison vert translucide dans de l’eau, au milieu d'un univers sinistre et noirâtre, symbolisant sûrement sa dangerosité.
L’auteure Madeline Miller s'empare du personnage et en fait un symbole résolument moderne et, je crois qu'on peut le dire, féministe. Circé devient un personnage émancipé, certes puni au départ mais qui saura retourner la situation en sa faveur et fera d’Eéa un havre, dans lequel elle développera son pouvoir de sorcière, ou de « magicienne », s’entourant d’animaux et de plantes (Circé reste d’ailleurs associée à des plantes comme le datura ou le perce-neige). Abusée par les hommes, elle s’en vengera de la plus violente des manières : transformer des hommes en porcs, n’est-ce pas une image assez éloquente ? Mais elle saura aussi reconnaître leur valeur, quand ils en ont et elle tombera amoureuse fermement, éperdument, de l’un d’entre eux, le beau et rusé Ulysse, qui lui donnera des enfants.
Circé est une incarnation de l’indépendance et de la compétence des femmes. Parce qu’on peut se retrouver en elle, toutes, d’une manière ou d’une autre, on ressent rapidement une proximité avec le personnage. Personnellement, cela m’a aidée à apprécier l’œuvre et à m’y immerger parce que ce n’était pas gagné au départ.
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Circé, par John William Waterhouse (Circé offrant la coupe de drogue à Ulysse, 1891)
Quand j’ai commencé ce roman, j’ai eu l’impression d’être propulsée dans Xénia la guerrière ou dans La Colère des Titans, au choix ! L’ambiance est évidemment très fantastique, fantasmagorique. Circé vit ses jeunes années (si tant est que l’on puisse parler de jeunes années pour une nymphe au sang divin promise à l’immortalité) dans les palais d’Océan, au fin fond de la mer. Sa grand-mère est la divine Thétys, ses oncles des dieux marins recouverts d’algues, elle est la nièce de la Lune et la fille du Soleil, rien que ça. J’avoue que les premiers chapitres ont été assez laborieux et j’ai eu peur que mon côté cartésien ne me freine et ne m’empêche d’aimer ce roman à qui j’avais envie de laisser une chance, même s’il se trouve à des années-lumière de ma zone de confort.
Fut un temps, j'ai aimé la mythologie mais cet intérêt s'est ensuite dissipé au profit de l'Histoire, évidemment plus cartésienne. Et d'ailleurs, ce n'est pas vraiment pour l'aspect mythologique du roman que je l'ai choisi mais plus, finalement, pour la symbolique moderne que lui donne l'auteure, l'hommage aux femmes aussi.
Circé, comme les sorcières du Moyen Âge, comme celles de Salem au XVIIème siècle, n'est-elle pas l'incarnation d'une grande peur ancestrale et masculine ? La sorcière, femme émancipée et mystérieuse, souvent isolée du monde et qui renonce volontairement à ce que l'on croit être l'essence de la femme, c'est-à-dire le mariage et la maternité ? Une femme qui s'est libérée des carcans sociaux et qui acquiert une puissance en manipulant plantes, végétaux et, on le croit, des sorts et des charmes. Ce n'est finalement pas si étonnant que cela si la sorcière aujourd'hui se retrouve un peu comme une figure tutélaire des mouvements féministes.
Après son exil, Circé prend sa vie en mains. Cela ne se fait pas sans mal, elle devra faire des choix, parfois des concessions et elle connaîtra des renoncements (mais n'est-ce pas le cas de tout un chacun ?). Jamais les dieux de l'Olympe n'ont été si humains que dans ce roman, à commencer par elle. Jamais divinités n'ont été représentées avec autant de qualités (générosité, bonté, abnégation) que de travers (mauvaise ambition, jalousie, concupiscence, vanité) éminemment humains. Peut-être est-ce pour cela aussi que l'identification qui, au départ, peut sembler malaisée dans un tel roman, se fait assez facilement (pour moi, pas dès le début, je dois l'avouer, mais au final, j'ai eu rapidement envie de rester avec Circé le plus longtemps possible et de ne pas la quitter). Et parce que ce roman, comme je le souligne un peu plus haut, ne peut aussi faire qu'écho à notre actualité, notamment à l'heure où les revendications féministes n'ont jamais été aussi fortes.
Et puis au-delà de cet aspect très féminin du roman, j'ai trouvé que Circé abordait pléthore de sujets tous très intéressants et sur lesquels l'auteure livre une très fine analyse : la féminité justement, la maternité, les liens familiaux et notamment les liens parents-enfants ou frère-sœur, l'amour, les choix auxquels on est confrontés au cours d'une vie, l'amitié, la solitude...bref, une multitude de sujets qui forment vraiment la richesse de ce roman.
Si comme moi l'aspect fantastique du roman vous fait peur, je crois pouvoir vous rassurer en vous disant que, certes il est très présent, mais n'empêche pas pour autant de ressentir les qualités du livre et n'occulte pas ce qui fait toute la richesse du propos. Déjà, il est très bien écrit et c'est un bon point. Il est aussi très riche et très dense, ce n'est pas un roman anecdotique qui prendrait pour personnages principaux des dieux de l'Olympe. L'humanité de Circé finit aussi par estomper sa divinité et on l'oublierait presque si, soudain, Hermès ne se matérialisait soudainement sous nos yeux ou si Circé ne jetait pas un charme quelconque. Je ne regrette pas, pour une fois, d'être sortie de ma zone de confort. Oui, parfois mon esprit cartésien a un peu souffert, c'est vrai, mais heureusement la globalité du roman a su me plaire et la symbolique contenue m'a plu, évidemment. Un roman un peu hors normes mais qui peut plaire et à un public relativement large, voilà sa force. C'est maintenant avec curiosité que je lirai Le Chant d'Achille.
En Bref :
Les + : indéniablement, le personnage de Circé, la proximité qui s'établit avec elle au fil du récit très dense et l'écriture de l'auteure, également.
Les - : pour moi les premiers chapitres un peu trop fantasmagoriques mais c'est évidemment un ressenti très subjectif, dû probablement au fait que je ne suis pas une adepte de ce type de romans en temps normal.
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