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Le salon des précieuses

La Couleur du Lait ; Nell Leyshon

« je savais que j'avais des rêves mais je ne savais pas lesquels. »

La Couleur du Lait ; Nell Leyshon

Publié en 2012 en Angleterre ; en 2015 en France (pour la présente édition)

Titre original : The Colour of the Milk

Editions 10/18 (collection Domaine Etranger)

186 pages

Résumé :

1831. Mary, une jeune fille de quinze ans, mène une vie de misère dans la campagne anglaise du Dorset. Simple et franche, mais lucide et entêtée, elle raconte comment, un été, sa vie a basculé lorsqu'on l'a envoyée chez le pasteur Graham pour servir et tenir compagnie à son épouse, une femme fragile et pleine de douceur. Avec elle, elle apprend la bienveillance. Avec lui, elle découvre les richesses de la lecture et de l'écriture...mais aussi obéissance, avilissement et humiliation. Un apprentissage qui lui servira à coucher noir sur blanc le récit tragique de sa destinée. Et son implacable confession. Nell Leyshon réalise un travail d'orfèvre avec ce portrait inoubliable, où vibre la voix lucide et magnifique de son héroïne. 

Ma Note : ★★★★★★★★★ 

Mon Avis :

En 1831, la jeune Mary, seize ans, prend la plume pour nous raconter sa toute jeune vie. Pour quelle raison ? Cela, nous ne le saurons qu'à la toute fin, quand tout se démêle enfin et que la vérité se fait jour, dans sa plus criante cruauté.
Nous sommes donc en Angleterre, au début des années 1830. Une fois n'est pas coutume, l'auteure a situé son intrigue à la charnière des époques géorgienne et victorienne :la première s'achève doucement, la seconde se profile déjà à l'horizon. J'ai souvent l'habitude de lire des romans anglais qui se passent sous le règne de Victoria. Et, généralement, ils se passent en ville. Là, c'est un portrait de l'Angleterre rurale des premières décennies du XIXème siècle que nous raconte Nell Leyshon.
L'intrigue démarre dans le Dorset, à la ferme familiale, où vivent quatre filles, dont Mary, notre héroïne, est la benjamine, leurs parents et le grand-père impotent, confident de la jeune Mary. La vie y est rude, le père aussi, qui n'hésite pas à distribuer des taloches à la pelle et fait payer à ses filles sa déception de n'avoir pas eu de fils. La mère reste relativement indifférente et trime de son côté, pour abattre un maximum d'ouvrage.
C'est une vie compliquée, fatigante et répétitive que mènent les habitants de la ferme, pour survivre et faire vivre leur exploitation, loin des préoccupations des autres couches sociales, plus aisées.
Justement, la vie de Mary est sur le point de basculer puisque le pasteur du village l'embauche comme bonne et dame de compagnie auprès de son épouse malade. Là-bas, au presbytère, Mary va se heurter à un mode de vie qu'elle ne connaissait pas : elle en retirera du positif comme du négatif. Si le pasteur va lui apprendre les rudiments de l'écriture et de la lecture, ce qui va lui permettre par la suite de nous raconter sa courte -mais tragique- histoire, la jeune Mary va aussi se rendre compte que c'est parfois aussi entre les murs des maisons de ces gens aisés et instruits qu'il se passe parfois les choses les moins belles.
Comme beaucoup de lecteurs, en démarrant La Couleur du Lait, j'ai été un peu déroutée par la graphie assez particulière du roman et sa syntaxe très personnelle : le fait de voir un livre sans majuscules, sans ponctuation, sans guillemets pour signaler les dialogues est surprenant pour tout lecteur d'aujourd'hui, qui est habitué à un tout autre ordonnancement. Est-ce que cela m'a gênée ? Oui et non. Parfois j'avais du mal à me repérer, mais j'ai trouvé l' idée de l'auteure excellente : quel meilleur moyen de donner de l'authenticité à son roman qu'en l'écrivant comme Mary, certainement, l'aurait fait ? Bien sûr, La Couleur du Lait est un objet contemporain, un livre imprimé, sur du papier qui n'a pas vécu. Certes. Mais justement, donner cet aspect au récit, c'est aussi le rapprocher du manuscrit, c'est nous permettre de mieux imaginer Mary assise devant sa table de travail, noircissant des feuilles de papier jaunies d'une écriture malhabile et trempant une vieille plume d'oie dans un peu d'encre
Alors oui, on peut être gêné par les répétitions, les fautes de grammaire mais il ne faut pas perdre de vue que nous lisons là le récit d'une jeune fille de quinze à seize ans, qui n'a pas eu la chance d'être instruite et ne possède que quelques rudiments. Autre chose à ne pas oublier et que Mary nous répète à plusieurs reprises, d'ailleurs : c'est qu'elle n'a pas le temps. Pourquoi ? Cela, on ne l'apprend que dans toutes les dernières pages, mais Mary n'a pas de temps devant elle, pas de temps pour choisir ses mots, s'appliquer. Il lui faut parler et se confesser...Voilà d'ailleurs un mot qui conviendrait bien pour décrire ce roman : Nell Leyshon a écrit une longue confession. 
C'est ça aussi qui m'a plu dans La Couleur du Lait : la vérité cruelle, un portrait criant de véracité de la paysannerie au XIXème. Profession encore extrêmement dure, sans mécanisation ou presque, on pourrait presque la comparer à un sacerdoce.
Mary et ses sœurs en sont un bon exemple : sacrifiées, soumises aux humeurs de leur père, mal considérées, elles ne sont que des bras, jaugées selon leur capacité à travailler et à produire du rendement. Si l'époque était difficile pour les hommes comme pour les femmes, il ne faut cependant pas oublier que celles-ci naissaient déjà avec une longueur de retard. Le XIXème siecle est peut-être une période de grands bouleversements sociaux, il n'en reste pas moins une époque extrêmement dure pour les femmes, soumises aux pères, aux frères, aux maris, confinées dans leur rôle de travailleuses, de mères et de maîtresses de maison.
J'ai aimé cet aspect du roman. S'il ne faut pas généraliser, je suis quand même bien sûre que, si Mary sa mère et ses soeurs sont des personnages de fiction, des femmes, en leur temps, ont eu à souffrir des mêmes choses qu'elles.
Nell Leyshon nous brosse un portrait sans concession mais juste de ce milieu rural plein d'adversité et qui n'est pas propre à l'Angleterre. Ce qu'elle décrit dans son roman est révoltant mais malheureusement, assez universel.
La Couleur du Lait n'est pas ce que l'on pourrait appeler un roman évident : du moins ne l'a-t-il pas été pour moi. J'ai soulevé plus haut cette graphie très particulière qui, si elle donne de l'authenticité au propos, n'en reste pas moins perturbante.
Autre chose, j'ai personnellement eu du mal à m'attacher à Mary au départ. L'intérêt n'est venu que bien après, quand j'ai entrevu la raison pour laquelle la jeune fille nous raconte son histoire et que j'ai pris la mesure de tout son courage. Dans les premiers chapitres, je l'ai trouvée un peu trop forte tête, j'avais du mal à me faire à sa gouaille un peu tapageuse. Par la suite, sans pour autant m'identifier à elle parce que Mary fait partie de ces héros de roman vraiment pas gâtés par la vie, je me suis sentie un peu plus proche d'elle, j'ai ressenti toute l'injustice de son sort et beaucoup de pitié envers elle. Mary est une héroïne à part, pas seulement une héroïne au sens de personnage principal d'un roman. Elle a quelque chose d'héroïque, dans sa lucidité terrible, dans sa détermination, malgré toute absence d'espoir. Au final, j'ai apprécié sa lucidité et son langage sans concession.
La Couleur du Lait est un roman percutant. Il est court alors il est difficile de raccrocher les wagons si le début ne nous transcende pas : j'y suis cependant arrivée et j'en suis ravie parce que je n'avais pas envie de passer à côté de ce roman, dont je pressentais dès les premières pages toute la force dramatique et le potentiel.
J'ai été émue parfois, révoltée bien souvent et j'ai pris la mesure de toute la force latente de ce roman, qui est un portrait absolument exhaustif d'une époque finalement pas aussi éloignée de nous qu'on pourrait le croire. Le XXIème siècle est le produit du XIXème siècle, sans aucun doute, alors il est intéressant de voir que les évolutions sociales, acquises de nos jours, ne l'étaient pas encore il y'a cent-quatre-vingt ans et que la misère noire sévissait encore de manière bien moins sporadique qu'on n'aimerait le croire.
Vous l'aurez sûrement compris, ce roman m'a beaucoup plu, malgré un début qui m'a fait un peu peur. Je sais que bon nombre de lecteurs ont eu un coup de cœur pour ce roman : ce ne sera pas mon cas, mais cela ne m'empêche pas de ranger ce livre dans la catégorie des bonnes lectures, fortes, incisives, puissantes et percutantes. Nell Leyshon signe un roman très personnel et abouti : j'ai été heureuse de découvrir cette auteure talentueuse par le biais de ce roman. 

En Bref :

Les + : une belle histoire, dramatique mais bien maîtrisée ; une héroïne déterminée, courageuse et admirable sinon attachante. 
Les - :
un début pas très évident. 

 

La Couleur du Lait ; Nell Leyshon

Bingo littéraire du printemps

 

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C
Je viens de le terminer et comme toi je l'ai beaucoup aimé ! Le manque de ponctuation et les répétitions de Mary m'ont gênées au début, j'ai trouvé le début laborieux puis je m'y suis faite et j'avais surtout très envie de découvrir l'histoire ! Que j'ai trouvée très dure à bien des égards, toi qui l'a lue, tu sais pourquoi. Mais en même temps, j'ai été estomaquée par le travail de l'auteure parce qu'en peu de pages, elle fait "entrer" tellement de choses et tellement de thèmes dans son roman ! Encore une preuve que ce n'est pas utile d'en faire trois tonnes :D <br /> Par contre, contrairement à toi j'ai apprécié le personnage immédiatement, j'ai justement aimé sa gouaille, son sens de la répartie !
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L
La calligraphie ne va pas me plaire et risque fort de me gêner, mais comme tu le soulignes, cela donne aussi plus d'authenticité au récit. L'histoire me tente beaucoup, même si le patriarcat m'est insupportable !
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P
Ce roman a l'air magnifique mais je ne suis pas vraiment tentée par sa lecture. 
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