20 Octobre 2018
« Survivre, ma belle, il n'y a rien d'autre à faire, endurer et survivre, et si tu y parviens, alors le temps t'accordera ta vengeance. »
Publié en 2011 ; en 2015 en France (pour la présente édition)
Titre original : The Gallows Curse
Editions Pocket
765 pages
Résumé :
Angleterre, 1208. Le roi Jean refusant de se soumettre à l'autorité du pape, églises et cimetières demeurent fermés. Les enfants ne sont plus baptisés et l'on craint de mourir sans avoir pu expier ses péchés. Mais en ces temps de sorcellerie, il existe plusieurs façons de sauver une âme. Pour libérer celle de son fils, décédé d'une étrange maladie, Lady Anne est prête à tout. Elle découvre un rituel permettant de transmettre les péchés après la mort. Encore faut-il trouver une conscience prête à les accepter. La jeune Elena, servante au château, n'aura pas le choix...
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
En 1210, sous le règne de Jean sans Terre, l'Angleterre est plongée depuis deux ans dans le chaos de l'Interdit. L'Interdit ? C'est quand plus aucun sacrement n'est administré : on ne se marie plus, les enfants ne sont plus baptisés, les morts ne sont plus enterrés en terre consacrée et ne peuvent se confesser ni recevoir l'extrême-onction. Dans tout le pays, les églises sont fermées et les prêtres en fuite, fuyant la colère royale.
A Gastmere, village du Norfolk, lady Anne, châtelaine du lieu, ne peut se résoudre à laisser inhumer son fils unique alors qu'il n'a pu recevoir l'absolution avant sa mort. Elle est prête à tout pour qu'il ne parte pas avec les lourds péchés qui l'encombraient. Même à avoir recours à la coutume du mangeur de péché, c'est-à-dire charger les épaules d'une personne du fardeau des fautes de quelqu'un d'autre. Et son choix va se porter sur une jeune serve de Gastmere, Elena. Elena dont la vie, à partir de là, va se transformer en un cauchemar sans fin, car c'est pire qu'un venin mortel qui lui a été inoculé.
Si le résumé était très alléchant et que j'ai, malgré tout, passé un bon moment, j'ai trouvé ce roman un peu en dessous des autres récits de Karen Maitland. Découverte en 2016, l'auteure m'a accompagnée depuis. J'ai beaucoup aimé Les Âges Sombres et par la suite, j'ai aussi fait une très agréable découverte avec La Compagnie des Menteurs, son roman le plus connu en France. Étrangement, moi qui ne suis pas fan de tout ce qui est gore ou flippant, j'avais aimé l'ambiance très noire et angoissante de ces deux romans. Karen Maitland a su, en quelques romans, créer de toutes pièces un univers unique qu'on ne trouvera nulle part. C'est vraiment ça qui m'a plu chez elle et qui a réussi à m'accrocher, au-delà du fait que toutes ses intrigues, du moins celles qui ont été traduites en France, se passent au Moyen Âge. C'est une époque qui m'a toujours plu ! Elle est énorme, non ? Au propre comme au figuré... Dix siècles, ce n'est quand même pas rien. Il y'a toujours quelque chose d'intéressant dans cette longue période et l'Europe médiévale est un sujet passionnant à elle toute seule !
Cela dit, dans mes deux premières lectures, j'avais justement trouvé le contexte politique et historique peu présent et plus qu'à l'Histoire avec un grand H c'était plus aux petites histoires, aux déshérités, aux malheureux que s'intéressait Karen Maitland -les vagabonds, les malades, le petit peuple- . Finalement, l'époque servait plus de prétexte mais s'y prêtait bien.
Là, c'est en se basant sur un contexte historique bien précis que l'auteure tisse ensuite la trame de son intrigue. Certes, dans La Compagnie des Menteurs, c'est la Grande Peste de 1349, un fait avéré, qui sert de toile de fond. Mais ici, dans La Malédiction de Norfolk, j'ai eu l'impression que l'auteure se servait bien plus du contexte de l'époque -le règne chaotique de Jean sans Terre, l'Interdit jeté sur l'Angleterre suite au conflit entre la papauté et le roi concernant la nomination de l'archevêque de Canterbury-. Finalement, toute l'intrigue découle de ça : l'absence de réconfort religieux suite à une crise politique et théologique plutôt violente. Finalement, le sentiment que j'ai eu à la lecture de ce livre, c'est de lire un roman historique traditionnel ou disons, plus traditionnel que les deux précédents. Et ce n'est pas mal du tout, bien au contraire mais je m'attendais, quelque chose de peut-être plus torturé, avec des manifestations surnaturelles ou autres et en fait je n'ai rien eu de tout ça. Si une certaine tension est présente, je n'ai jamais eu la gorge serrée ou le cœur qui s'emballe comme dans Les Âges Sombres ou La Compagnie des Menteurs ! !
Je crois que mon erreur, c'est d'avoir lu ce roman en dernier. Si je l'avais lu en premier, je l'aurais apprécié sans être tentée de le comparer aux deux autres. Là, immanquablement, je ne pouvais pas faire autrement. Mais, attention, malgré cette petite déconvenue quant à l'ambiance du roman, je suis loin de l'avoir détesté et j'ai au contraire passé un bon moment. Karen Maitland a réussi à signer un roman historique fiable et cohérent, en utilisant, comme elle le fait toujours très bien, l'aspect religieux et superstitieux inhérent à l'époque médiévale. En fait, on ne peut pas dire que l'angoisse est absente mais disons qu'elle est subtilement distillée et c'est notre capacité à se mettre à la place de quelqu'un d'autre qui l'instaure. On se met à la place d'Elena et on imagine vivre ce qu'elle vit et c'est finalement l'aspect le plus terrorisant du roman car pour rien au monde on ne voudrait connaître ce qu'Elena, pendant quelques mois, va vivre, basculant dangereusement au bord de la folie.
Au-delà de ça, le personnage d'Elena est intéressant aussi pour une autre de ses facettes. Elle est une serve, comme ses parents et comme la plupart des habitants du village de Gastmere, d'ailleurs ce qui signifie qu'elle ne s'appartient pas mais est la propriété du seigneur des lieux, en l'occurrence lady Anne, qui pourra en faire ce qu'elle veut, comme par exemple lui faire porter le fardeau des péchés inavouables de son fils défunt. Et même si l'auteure force peut-être un peu le trait, c'est aussi par ce biais qu'elle pointe du doigt le servage, comme elle avait pu montrer, dans Les Âges Sombres ou La Compagnie des Menteurs, les limites et les paradoxes d'une Église toute-puissante mais corrompue et gangrénée. C'est affreux finalement de se dire que cette jeune fille n'a aucun droit, à part celui de servir ceux qui veulent bien lui assurer d'avoir de quoi manger et un toit sous lequel dormir. Elle n'a le choix de rien et sûrement pas celui de dire non ou de se soustraire à ce qu'on veut l'obliger à faire. Elena fait partie de ces déshérités, de ces pauvres du Moyen Âge qui formaient la majeure partie de la société et la faisaient vivre.
La Malédiction de Norfolk est donc un roman historique qui tient la route et s'avère être efficace. Je crois au final que ma légère déconvenue ne vient que des attentes que j'avais pu former concernant cette lecture ; il est vrai que j'en attendais beaucoup et que je n'ai peut-être pas retrouvé dans cette lecture tout ce que j'en escomptais. Mais l'essentiel est d'avoir passé un bon moment et ça a été le cas ! Entre Histoire, superstitions ancestrales, croisades et secrets inavouables, Karen Maitland nous livre là encore un roman où le Moyen Âge se révèle grandiose et extrême, jusque dans ses aspects les plus négatifs.
En Bref :
Les + : un roman historique et médiéval bien mené, très bien écrit et maîtrisé.
Les - : peut-être un univers un peu moins angoissant dans ce roman...j'avoue avoir été un peu déçue de ne pas retrouver la tension instaurée dans La Compagnie des Menteurs ou Les Âges Sombres.
Thème d'octobre, « Jack O'Lantern », 10/12