24 Janvier 2023
« Les hommes sont prompts à pardonner aux femmes d'avoir le cœur trop tendre. »
Publié en 2018 aux États-Unis
En 2021 en France
Titre original : The Sea Queen
Éditions Pocket
720 pages
Deuxième tome de la saga La Saga des Vikings
Résumé :
Tous ont tué, pillé, trahi. Tous sillonnent les flots, encore et toujours. Tous n'aspirent qu'à une chose : le repos de la terre et la paix des familles. Depuis qu'elle s'est unie à Solvi, l'ennemi juré de son frère, la farouche Svanhild mène une vie de rapines, de paria des mers. Tout l'inverse de Ragnvald de Møre, son frère, qui, fidèle au roi Harald, mène pour lui une guerre sans fin...Où s'arrête l'honneur ? Où commence le sacrifice ? Quel poids ont les serments quand le destin exige de faire couler le sang des siens ?
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Entre la fin du IXème siècle et le début du Xème, un jeune roi charismatique et ambitieux ne souhaite qu’une chose : réunir toute la Norvège sous sa seule égide. Ce roi, c’est Harald à la Belle Chevelure (qui règne de 872 à 930 sur la Norvège), souverain scandinave dont la destinée a été racontée dans les sagas et par les premiers historiens du monde viking…
Ragnvald, héros du premier tome, est ici un conseiller écouté de Harald, on pourrait même dire un ami, si tant est que les rois en aient. Et l’influence qu’il exerce sur le jeune souverain lui apporte autant de loyautés que d’inimitiés.
Pour Ragnvald, le plus important est surtout d’avoir pu obtenir réparation après avoir été injustement spolié de ses terres familiales et d’avoir reçu du roi des terres à exploiter et à faire fructifier, où il a pu installer son épouse et ses enfants.
Au même moment, sa sœur Svanhild, qui a fait le choix du camp opposé, sillonne les mers sur les navires de son époux, Solvi, ennemi juré de Ragnvald et de Harald.
Dans ce roman, tout est vrai et tout est faux. Linnea Hartsuyker, romancière américaine d’origine norvégienne, a pris comme base de départs les écrits de l’historien scandinave Saxo Grammaticus mais aussi la saga d’Harald, la Heimskringla.
Nous sommes ici au tout début de l’histoire viking : une centaine d’années plus tôt, les premiers raids vikings ont fondu sur l’île de Lindisfarne, au large de l’Écosse. Les historiens ont coutume de prendre cet événement, survenu en 793, comme le début de l’ère viking, qui décroît ensuite au Moyen Âge central, quand les royaumes scandinaves commencent à s’unifier puis à se christianiser. Encore aujourd’hui, Harald à la Belle Chevelure reste l’un des rois vikings les plus connus, notamment pour cette première unification de la Norvège qui se fait dans la douleur car il faut alors imaginer des territoires morcelés, entre les mains de jarls et de rois, dont les activités principales sont souvent le commerce ou l’agriculture. Pour autant certains, comme le roi du Halogaland, Hakon, ne sont pas prêts à voir la Norvège s’unir entre les mains d’un seul homme. Vous vous en doutez, la vie en Norvège à cette époque-là n’est pas de tout repos et recèle bien des pièges et des chausse-trappes : Ragnvald va encore en faire l’expérience dans ce tome, mais il va aussi avoir la chance de voir lui revenir sa jeune sœur, Svanhild, la fameuse « reine des mers » qui, après un événement tragique, décide de fausser compagnie à son époux. Et la belle intrépide est loin de laisser Harald indifférent (d’ailleurs, si vous faites quelques recherches ici ou là sur Harald, vous trouverez dans la liste de ses épouses et concubines une certaine Svanhild Oysteindatter, qui est probablement l’inspiration de la Svanhild du roman).
Représentation du roi Harald Ier de Norvège, datant du XIVème siècle et issue du manuscrit Flateyjarbók
Jeux de pouvoir et d’influence, ambitions personnelles, batailles épiques : comme le premier tome, ce deuxième volume nous offre une belle fresque historique comme on les aime. Si vous avez vu la série Vikings, on est un peu dans cet univers-là : d’ailleurs je crois que le personnage de Harald apparaît aussi dans la série, qui réunit plusieurs grands événements fondateurs de la civilisation viking et des personnages emblématiques voire légendaires.
Le gros point fort du roman, c’est de ne pas sombrer dans l’écueil du mythe et de la légende : on le sait, le monde viking est très à la mode ces dernières années et il est vrai qu’il y a chez eux quelque chose de fascinant. Pour autant, les Vikings ne sont pas que ces guerriers sanguinaires et violents écumant les mers, remontant les fleuves et raflant tout sur leur passage, à commencer par les richesses religieuses des monastères et des églises. Les Scandinaves du Haut Moyen Âge sont aussi, et avant tout, d’excellents navigateurs, constructeurs hors-pair de navires efficaces et sophistiqués, conçus pour la haute mer ce qui leur permet de sillonner les mers du monde connu et même au-delà, allant de Constantinople jusqu’aux rivages de l’actuelle Amérique (on sait aujourd’hui que les premiers Européens à avoir posé le pieds sur l’actuel sol américain ne sont pas les hommes de Christophe Colomb mais ceux d’Erik le Rouge). Ils sont aussi des terriens, exploitant leurs terres et vivant de l’agriculture et de l’élevage (principalement des moutons, qui paissent l’herbe grasse des fjords). Société hiérarchisée, la société viking est régie par des lois et des règles strictes et possède même sa propre forme de justice, sous la forme du ting, une assemblée annuelle où l’on peut aller demander réparation en cas de querelle avec un tiers. Enfin, aussi surprenant que cela puisse paraître, le divorce est accepté et même assez largement pratiqué, tant par les hommes que par les femmes et ces dernières, si elles sont le plus souvent cantonnées à la vie de la communauté, à la gestion domestique et à l’éducation des enfants, peuvent aussi parfois guerroyer auprès des hommes sur les drakkars (pour autant et j’ai apprécié cette modération, l’autrice ne tombe dans le cliché inverse, faisant de toutes les femmes vikings des guerrières au bouclier : certaines vont certes se distinguer, mais sans constituer la norme toutefois).
Si la civilisation scandinave médiévale vous intéresse, comme c’est mon cas, je pense que vous pourrez aimer cette saga. Il est vrai qu’on ne peut nier que les Vikings ont vraiment quelque chose de fascinant, pour tout un tas de raisons et je crois qu’on est tous un peu malgré nous habités par des clichés et des légendes qui ont la vie dure (les drakkars, les casques à cornes, tout ça…) et qu’il peut être intéressant de découvrir une vérité plus nuancée. Ici, les Vikings de Linnea Hartsuyker n’ont pas grand-chose de plus ou de moins que les autres rois européens de la même époque… ils ne sont probablement ni plus violents, ni plus avides que pouvaient l’être les souverains francs ou germaniques de la fin du IXème siècle.
J’ai donc retrouvé ici ce que j’avais aimé dans le premier tome. Mais, à l’inverse, les réserves que j’avais pu formuler après ma lecture de Ragnvald et le Loup d’or sont les mêmes ici : j’ai eu l’impression de me perdre au milieu de la trop grande profusion de personnages (heureusement, quelques indications en fin de volume permettent de nous y retrouver mais, justement, n’aurait-on pas eu meilleur compte de le placer en tête de volume, ce lexique ? Personnellement, je ne l’ai découvert qu’assez tardivement mais m’y suis pas mal référée et cela m’a permis, le cas échéant, de faire quelques recherches pour en apprendre un peu plus sur un tel ou un tel) et certains chapitres m’ont paru quelque peu confus, voire brouillons et j’ai trouvé que cela avait enlevé un peu de rythme au roman.
Je retiendrai de cette lecture l’habileté de l’autrice à mêler vérités historiques (quoique celles-ci soient lacunaire pour une histoire aussi ancienne et encore partiellement connue) et histoire totalement romanesque mais bien conçue. La reine des mers est une bonne fiction historique et qui a le mérite de nous faire voyager dans les paysages spectaculaires de l’Europe du Nord, des fjords norvégiens et suédois jusqu’à l’Irlande, en passant par les îles Féroé et l’Islande. J’ai passé un agréable moment en compagnie de Svanhild, une jeune femme déchirée par des choix difficiles à faire mais qui trace son chemin, dans une époque périlleuse ou rien n’est simple et où la mort et la violence sont omniprésentes.
Malgré des défauts, La saga des Vikings est à découvrir, pour peu que vous aimiez le Moyen Âge et les grandes fresques historiques.
A l'instar de la guerrière viking dont la tombe fut exhumée à Birka en Suède, Svanhild a toute sa place sur les bateaux guerriers de son époux Solvi (tableau illustrant la mort d'Hervor, soeur du roi Heidrekr, par Peter Nicolai Arbo)
En Bref :
Les + : une description fine et nuancée d'une civilisation fascinante, sans tomber dans l'écueil du mythe ou de la légende. C'est une société viking cohérente et probablement proche de la vérité que nous montre ici l'autrice.
Les - : je regrette des longueurs et des passages parfois un peu confus, brouillons...
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Retrouvez juste ici mon avis sur le premier tome de La saga des Vikings, Ragnvald et le Loup d'Or