29 Novembre 2022
« Je le reconnaîtrais rien qu'au toucher, ou à son odeur, je le reconnaîtrais si j'étais aveugle, aux seuls bruits de sa respiration et de ses pas martelant le sol. Je le reconnaîtrais dans la mort, à la fin du monde. »
Publié en 2011 aux Etats-Unis
En 2019 en France (pour la présente édition)
Titre original : The Song of Achilles
Éditions Pocket
468 pages
Résumé :
Ce ne sont encore que des enfants : Patrocle est aussi chétif et maladroit qu'Achille est solaire, puissant, promis à la gloire des immortels. Mais, grandissant côte à côte, un lien se tisse entre ces deux êtres si dissemblables.
Quand, à l'appel du roi Agamemnon, les jeunes princes se joignent au siège de Troie, la sagesse de l'un et la colère de l'autre pourraient bien faire dévier le cours de la guerre... Au risque de faire mentir l'Olympe et ses oracles.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Depuis quelques années, les romans ayant pour thème la mythologie grecque ont le vent en poupe : Pat Barker avec sa saga sur les femmes de Troie (notamment Briséis), initiée avec Le silence des vaincues, qui a rencontré un beau succès. On peut aussi penser à L’obscure clarté de l’air de David Vann, mettant en scène Médée, femme bafouée et meurtrière de ses enfants.
Et puis, il y a Madeline Miller : autrice américaine née à la fin des années 1970, elle a suivi des études d’art, de latin et de grec, qui l’ont menée naturellement vers la mythologie grecque. En 2011, sort aux États-Unis son roman le plus célèbre, Le chant d’Achille, suivi par Circé, réécriture quasi-féministe et très contemporaine du mythe de la sorcière solitaire, qui transforma les compagnons d’Ulysse en pourceaux dans L’Odyssée.
Dans Le Chant d’Achille, la romancière reprend à son compte un autre épisode raconté par Homère, cette fois dans L’Iliade : c’est la guerre de Troie, qui oppose d’un côté la cité du roi Priam, dont le fils puîné, le beau mais vain Pâris, s’est rendu coupable de rapt sur la personne de la reine de Sparte, la belle Hélène et de l’autre, les armées achéennes, autrement dit, grecques. Parmi eux, une figure se démarque : il n’est pas le plus célèbre, ni le plus expérimenté et pourtant, il parvient à se hisser au-dessus de chacun, même le rusé Ulysse, même le courageux Ajax. Achille a pour lui son essence divine et le soutien sans faille de sa mère, la néréide Thétis. Fils du roi de Phtie, destiné depuis son plus jeune âge à devenir un guerrier et le meilleur des Grecs (« Aristos Achaion »), Achille connaît pourtant la prophétie funeste le concernant, énoncée par les Dieux. Et si la guerre de Troie va être le moyen pour lui de forger sa légende, elle est aussi le début de la fin.
Dans l’ombre d’Achille évolue un personnage en apparence plus terne : moins guerrier, moins talentueux, moins charismatique. Et pourtant, c’est lui que Madeline Miller va choisir comme figure centrale de son roman ; certes, il s’intitule Le chant d’Achille mais l’ascension de ce dernier est racontée par le fidèle compagnon, Patrocle. Patrocle, dont la mort sur le champ de bataille de Troie entraînera le chagrin incommensurable d’Achille et la mort d’Hector. Fils de Ménétios le roi d’Oponte, Patrocle est envoyé très jeune auprès du roi de Phtie, Pélée, le père d’Achille. Là-bas, le jeune garçon, timide et peu sûr de lui, marqué par l’exil de sa terre natale, se lie d’amitié avec le fils du roi, qui a le même âge que lui mais est déjà doté d’une aura digne d’une divinité. Formés conjointement par le sage centaure Chiron, de plus en plus proches, Achille et Patrocle vont développer une relation étroite d’amitié amoureuse – dans L’Iliade, ils sont d’ailleurs présentés par Homère comme amants, ce que Madeline Miller reprend à son compte.
Achille chez Lycomède (bas-relief ornant un sarcophage athénien, IIIème siècle de notre ère)
C’est donc une très belle histoire de fraternité mais aussi d’amour qui est racontée dans ce roman. La relation forte de deux personnages totalement éloignés l’un de l’autre mais qui se complètent, s’aiment et se soutiennent jusqu’au bout, dans les bons comme dans les pires moments.
Étrangement, alors que Le Chant d’Achille est plus orienté vers les humains que Circé (malgré, évidemment, une dose de fantastique et de mythologie bien présente), j’ai été plus emballée par ce dernier. Mon esprit cartésien avait pas mal souffert au début de cette lecture mais j’avais fini par me laisser emporter totalement et le personnage de Circé, dont l’humanité souvent, supplantait la divinité et dont l’autrice avait su donner avec brio et subtilité un aspect féministe plutôt réussi, m’avait beaucoup plu.
J’ai aussi beaucoup aimé Le Chant d’Achille mais j’ai trouvé qu’il y avait plus de longueurs, des moments de temps morts peut-être plus présents. Pour autant, c’est toujours aussi bien écrit, toujours aussi maîtrisé, avec une plume subtile et une grande originalité. Madeline Miller réussit la prouesse de redonner une voix et une véritable densité à des personnages qui n’ont jamais existé autrement que dans l’un des textes fondateurs de la littérature et de la civilisation occidentales mais qui n’ont jamais paru plus humains et plus palpables.
Achille et Patrocle forment un duo intéressant et il était tout aussi intéressant de donner une voix à celui que l’on n’attend pas : alors qu’Achille capte la lumière, les honneurs et l’admiration, Patrocle semble plus terne au premier abord, traînant après lui un passé peu glorieux, un exil de sa terre natale qui lui pèse, une inaptitude à la guerre ce qui, dans la société des Grecs, est plus qu’une tare ; c’est irréparable. Et pourtant, Patrocle est l’incarnation même de la fidélité, du soutien indéfectible, de l’amour le plus puissant, qui peut pousser à toutes les audaces et à repousser toutes les limites.
Tout au long du roman, on a le sentiment de voir les héros courir à leur perte : parce que, si on connaît un minimum l’histoire de la guerre de Troie, on sait qu’elle se terminera mal pour tous les deux. Achille assistera sur le champ de bataille à la mort de son ami et amant, Patrocle, qu’il va venger en assassinant sauvagement le valeureux Hector, traînant son cadavre derrière son char jeté au galop. Provoquant la colère du dieu Apollon, protecteur de la cité troyenne, celui-ci orientera une flèche de Pâris afin qu’elle atteigne mortellement Achille, accomplissant alors la prophétie de la propre mère du héros, Thétis. Les belles années d’apprentissage de l’adolescence, passée dans le cocon protecteur du mont Pélion, laissent bientôt place à une période trouble et belliqueuse, où l’âge adulte se forge dans la douleur, l’incertitude et, en même temps, la terrible – et humaine – envie de croire que tout n’est pas écrit et que même les prophéties divines peuvent se tromper.
Ce roman confirme le talent de Madeline Miller et sa bonne connaissance du sujet, qui donne ainsi à ses récits une solidité toute académique, mais pas conventionnelle pour autant. C’est équilibré, dense sans être lourd, certes un peu longuet par moments comme je l’ai souligné plus haut mais pas rédhibitoire non plus. Bref, c’était une lecture très agréable et qui me donne maintenant envie de lire les autres romans de l’autrice, à commencer par Galatée, qui est sorti récemment aux États-Unis, mais il faudra prendre un peu son mal en patience avant de le voir traduit en VF.
Scène du gobelet d'Oltos, représentant la mort de Patrocle (vers 510 av. J-C)
En Bref :
Les + : la description de la guerre de Troie m'a donné l'impression d'être dans un véritable péplum, avec des personnages pleins de consistance.
Les - : quelques longueurs qui cassent un peu le rythme en milieu de roman.
LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle