2 Novembre 2022
« Les suppôts du mal parvenaient toujours à leurs fins, semblait-il. Peut-être en irait-il toujours ainsi en ce bas monde. »
Publié en 2020 en Angleterre
En 2022 en France (pour la présente édition)
Titre original : The Evening and the Morning
Éditions Pocket
1024 pages
Résumé :
997. Les Anglais font face à des attaques de Vikings qui menacent d'envahir le pays. En l'absence d'un État de droit, c'est le règne du chaos.
Le jeune Edgar, constructeur de bateaux, voit son existence basculer quand sa maison est détruite au cours d'un raid viking.
Ragna, jeune noble normande insoumise, épouse par amour un Anglais, mais sa désillusion sera grande face aux mœurs et aux mentalités d’outre-Manche.
Aldred, moine idéaliste, rêve de transformer sa modeste abbaye en un centre d'érudition de renommée mondiale.
Tous trois devront s’opposer à leurs risques et périls à l'évêque Wynstan, prêt à tout pour accroître sa richesse et renforcer sa domination.
Dans cette extraordinaire épopée où se mêlent vie et mort, amour et ambition, violence, héroïsme et trahisons, Ken Follett revient à Kingsbridge et nous conduit aux portes des Piliers de la Terre.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
997, quelque part dans le sud-ouest de l’Angleterre. Le jour du solstice d’été, le jeune Edgar, fils d’un modeste charpentier de marine, a projeté de quitter discrètement sa ville de Combe avec la jeune femme qu’il aime, pour recommencer ailleurs une nouvelle vie.
Mais à l’aube, Combe est victime d’une violente attaque des Vikings qui écument la Manche : la ville est incendiée et rasée et de nombreux habitants sont tués ou capturés pour devenir esclaves. La vie d’Edgar bascule et, avec les siens, doit trouver un nouveau logis. Sa mère, ses frères et lui vont alors se faire fermiers, dans un petit hameau non loin de Combe, Dreng’s Ferry.
Au même moment en Normandie, Ragnhild de Cherbourg, la fille du seigneur local, que tout le monde appelle Ragna, s’apprête à contracter un mariage avec le fils du comte de Reims, Guillaume, qu’elle n’a jamais vu. Mais une rencontre inattendue bouleverse sa vie et c’est finalement outre-Manche que Ragna va élire domicile avec l’homme qu’elle a épousé par amour… mais la jeune femme va vite comprendre qu’un mariage d’amour ne garantit pas une union heureuse ni une vie calme et tranquille et va au-devant de bien des désillusions.
En parallèle, nous suivons aussi le frère Aldred, prieur à l’abbaye de Shiring et esprit fort, dont l’ambition n’est rien de moins que de fonder un centre monastique de premier ordre dont l’érudition et le savoir rayonneraient dans toute la chrétienté.
Ces trois personnages que rien, au départ, ne semble unir ni même rapprocher, vont se rencontrer, parfois s’unir et se séparer, dans une époque où l’Angleterre médiévale se défait peu à peu des limbes des Âges des Ténèbres (où Âges obscurs) pour tourner le regard vers la lumière du Moyen Âge central, marqué par un essor culturel, économique et bâtisseur sans pareil et qui fait suite à une longue période intermédiaire, suivant l’effondrement de l’Empire romain et marquée par une régression culturelle et économique (que les historiens tendent cependant à minorer depuis quelques temps mais qui caractérise néanmoins l’Antiquité tardive et les premiers siècles du Moyen Âge).
Ragna, Edgar et Aldred, sont les « ancêtres » en quelque sorte des personnages que l’on a rencontrés dans Les Piliers de la Terre : ainsi chez Ragna, on retrouve la noble Aliena de Shiring, Edgar est en quelque sorte l’alter ego de Tom le bâtisseur mais surtout de Jack, élève de Tom le bâtisseur à Kingsbridge, exalté et porté par ses rêves. Aldred évoque le prieur Philipp et chez Wynstan, évêque bien peu préoccupé de religion mais beaucoup de pouvoir, d’argent et de femmes, j’ai retrouvé le personnage sournois de Waleran Bigod.
Chez Ken Follett rien ne finit trop mal mais pour atteindre le bonheur, les personnages vont passer par des tas de turpitudes et d’aventures, certaines heureuses et d’autres particulièrement désagréables. C’est finalement l’expérience de la vie que chacun fait, ici au sein d’une communauté ici en mutation, reflet de l’Angleterre aux tournants des Xème et XIème siècles. Ainsi, on découvre les origines de Kingsbridge, au départ petit hameau perdu mais qui va prospérer grâce à l’octroi d’une charte par le roi Ethelred et qui devient la ville florissante et en passe de se doter d’une cathédrale, dans Les Piliers de la Terre…
Le crépuscule et l’aube, c’est Les Piliers sans être Les Piliers…évidemment, si vous avez lu le roman culte de Follett avant de vous tourner vers sa genèse, vous retrouverez des similitudes, l’impression de renouer avec un univers connu, familier, mais qui a un peu changé. Ici, tout est encore à faire et j’ai pris plaisir à rencontrer les prédécesseurs de ces personnages qui ont pu tant me marquer (Tom, Ellen, Jack, Aliena) à la lecture des Piliers de la terre.
Pour autant – et de toute façon, il est difficile d’égaler Les Piliers de la terre, même pour Follett lui-même je pense -, Le crépuscule et l’aube m’a parfois moins captivée, j’y ai trouvé plus de longueurs. Alors, attention, ça reste passionnant et si vous aimez les romans historiques, vous aimerez sans nul doute celui-ci (et si vous aimez l’univers médiéval de Ken Follett, je pense que vous ne serez pas déçus par Le crépuscule et l’aube). Au moyen de la fiction, l’auteur dresse un portrait fidèle et bien documenté de la société médiévale en Angleterre et en Normandie : corruption des religieux, condition de la femme, esclavage, polygamie, la puissance de la noblesse qui est en train de s’installer durablement sur les territoires, à l’aube de l’époque féodale, prémices aussi de l’exaltation bâtisseuse qui caractérise le Moyen Âge central avec l’apparition du roman et du gothique… tout y est. Le Moyen Âge revit sous la plume alerte de Follett et s’incarne dans la multitude des personnages que l’on croise, de Wynstan l’évêque ambitieux et cupide, aux artisans et paysans en passant par les commerçants prospères, les bâtisseurs éclairés comme Edgar, les jeunes femmes soumises aux caprices et volontés des hommes, qu’elles soient nobles comme Ragna, de condition modeste comme Leaf et Ethel les deux épouses du batelier de Dreng’s Ferry ou esclaves comme la jeune galloise Blod, devenue servante et objet sexuel pour son maître, dont elle est la propriété exclusive.
Un autre lecteur a fait une remarque assez juste à propos du roman : chez Follett, les gentils sont de vrais gentils et les méchants font le mal avec un plaisir non dissimulé et déploient des trésors d’imagination pour parvenir à leurs fins…malveillantes, évidemment. C’est vrai qu’il y a un certain manichéisme qu’on ne peut pas nier, un bien et un mal clairement définis s’affrontant tout au long du roman. Et, sans rien vous divulguer de véritablement important, on s’attend forcément à un happy end, c’est vrai. Mais si le bien triomphe de tout (alors c’est un peu convenu, je vous l’accorde), il n’en est pas moins souvent mis à l’épreuve et ce qui, au départ, pourrait être franchement cliché, ne l’est peut-être plus tout à fait à la fin…
Je ressors donc de cette lecture bien moins exaltée que je ne pensais l’être en l’entamant : malgré mon intérêt pour le récit et son déroulement, je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir des longueurs et mon rythme de lecture s’en est ressenti. Je sais que de nombreux lecteurs ont été déçus par Le crépuscule et l’aube car ils n’y ont pas retrouvé ce qu’ils avaient tant aimé dans Les piliers de la terre…certes, je peux le comprendre. Personnellement, même si effectivement le roman ne m’a pas offert exactement ce que j’attendais en en démarrant la lecture, j’ai aimé suivre Ragna, Aldred et Edgar, nos trois personnages principaux auxquels je me suis vraiment attachée – et c’est très important pour moi, ça : mon intérêt pour un roman passe souvent par l’attachement que j’ai pu ressentir pour les personnages. J’ai frémi pour eux, j’ai souri, j’ai espéré qu’ils arrivent à leurs fins parce qu’au fond, même si on trouve souvent ennuyeux que les plus vertueux triomphent, on apprécie malgré tout que leurs ennemis soient châtiés – comme une sorte de parabole divine, qui viendrait punir ceux qui ont fait de la malveillance et de la violence leur fer de lance.
Le crépuscule et l’aube est donc un roman historique cohérent et efficace, qui a les défauts de ses qualités : un roman aussi dense ne peut pas ne pas avoir quelques longueurs par moments et présente donc quelques inégalités. Il est malgré tout prenant et captivant et repartir à Kingsbridge (avant Kingsbridge) est forcément émouvant quand, comme moi, on a beaucoup aimé Les Piliers de la terre.
En Bref :
Les + : c'est une genèse agréable et réussie, une belle fresque médiévale et historique qui rappelle Vikings ou The Last Kingdom.
Les - : un peu moins captivant que Les piliers de la terre ou Un monde sans fin...quelques longueurs.
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