5 Janvier 2017
« Rien n'est plus dangereux qu'un homme qui n'a plus rien à perdre. L'énergie du désespoir décuple ses forces et il se transforme en monstre. »
Publié en 2008 au Canada ; en 2013 en France (pour la présente édition)
Editions Pocket
793 pages
Premier tome de la saga Le Maître des Peines
Résumé :
Paris, 1340. Décharné, trop grand pour son âge, le jeune Louis Ruest vit sous le joug tyrannique d'un père alcoolique et violent. Ses seules ambitions : redorer l'honneur de la famille en épousant la profession de ses ancêtres -maître boulanger-, gagner l'amour d'une jeune femme et être un homme honorable.
Mais dans une capitale prête à s'embraser, écrasée par le fanatisme religieux, la guerre, et la peste qui s'annonce, Louis va devoir accepter un tout autre destin. Et devenir le bourreau le plus redouté du royaume...
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Dans les années 1340, le jeune Louis vit sous la férule terrible d'un père violent et alcoolique qui le traite comme un moins que rien. Et pourtant, l'enfant n'a qu'un souhait : être un boulanger renommé comme a pu l' être son père à une certaine période de sa vie. Le rêve de Louis est tout simplement d'être ce qu'ont été ses ancêtres avant lui.
Mais rien ne sera comme il l'espère parce que son père le harcèle et le considère comme responsable de la stérilité de sa mère, qui n'a pu lui donner d'autres enfants que lui. Ce que ne sait pas le boulanger Firmin, c'est qu'en martyrisant cet enfant, il est en train de préparer une main étonnamment sûre et qui fomente doucement sa vengeance et la destruction de son bourreau.
Le destin de Louis l’amènera loin de son milieu d'origine puisqu'il va devenir l'un des bourreaux les plus redoutés du XIVe siècle pour tenter de s'émanciper de sa jeunesse misérable et humiliée sans pour autant l'oublier puisque toute sa vie se nourrit justement de cette vengeance qu'il n'aura de cesse de poursuivre.
Le roman de Marie Bourassa prend corps dans un contexte historique riche et intéressant. Nous sommes au début des années 1340, la Guerre de Cent Ans est commencée depuis peu, guerre de succession entre l'Angleterre et la France pour le trône des Lys.
Et surtout, le royaume de France et l'Europe toute entière s'acheminent doucement vers ce qui sera sûrement la plus grande pandémie de tous les temps : la Grande Peste de 1348 qui fera par la suite des retours sporadiques et tuera une bonne partie de la population.
L'auteure a mis dix ans pour achever ce roman, entre les recherches et le travail de rédaction. Marie Bourassa est Canadienne qui plus est, ce qui signifie qu'elle travaille là sur une Histoire qui n'est pas la sienne alors on peut saluer la précision des informations qui sont nombreuses : car il a fallu, au delà même du contexte historique qui passe en second plan à bien des moments, que l'auteure se renseigne sur le monde de la boulangerie médiévale. Si le métier n'est pas forcément bien différent de ce qui se fait aujourd'hui puisque la finalité en est la même, le système des corporations de nos jours, n'existe plus et l'organisation même de l'artisanat en a été changé. Depuis le XIIème siècle qui plus est, le métier de boulanger -ou de talemelier comme on disait à l'époque-, connaît une évolution importante, avec par exemple, l'autorisation qui leur est conférée par le roi de posséder des fours privés, ce qui concurrence donc le système du ban seigneurial. Un officier royal, le Grand Panetier, chargé également de gérer le service de bouche du roi, était le responsable des boulangers parisiens et leur accordait le droit de posséder la balance qui leur permettait ensuite de peser leur pâte et de confectionner des pains en conformité avec les édits royaux.
Il a fallu également à l'auteure se renseigner sur le mouvement dit des Pénitents ou des Flagellants, mouvement à caractère sectaire qui apparaît avec la Grande Peste et hurle par les chemins que la fin du monde approche et que le repentir est exigé de Dieu.
Puis, dans la seconde partie du livre nous faisons connaissance avec un personnage qui aujourd'hui nous paraît bien surprenant mais qui, à l'époque est un rouage essentiel du monde judiciaire. Personnellement c'est un univers que j'avais découvert dans une saga d'Andrea H. Japp qui ne m'a donc pas surprise mais que je ne peux m'empêcher de trouver original ! Il y'a tout de même peu de romans qui ont un bourreau pour personnage principal et on découvre que cet élément charnière du système judiciaire médiéval n'en est pas moins marginal, au point que de vraies dynasties bourrelières -du mot ancien bourrel, synonyme de bourreau-, se sont mises en place : la preuve, au XVIIIème siècle par exemple, l'exécution de la haute justice à Paris fut confiée pendant plusieurs décennies à la même famille, les Sanson. Le fils aîné du bourreau hérite de la charge de son père, le cadet le remplace, le cas échéant. Un apprentissage est assuré par le père afin que son héritier soit rodé le moment venu. Car plusieurs attributions sont celles du bourreau qui ne se charge pas d'exécuter uniquement les sentences de mort. Il peut être habilité à appliquer la Question, donc à torturer mais aussi à débarrasser les villes des animaux errants ce qui valait à certains bourreaux le surnom de Tue-Chien. Ils avaient aussi la tâche ingrate de l'équarrissage. En contrepartie, le bourreau avait un droit exclusif, celui qu'on appelle de havage et qui signifie que son titulaire a, sur un marché, le droit de prendre sur les étals la quantité de marchandises que peut contenir la paume d'une main.
Au travers du personnage de Louis, nous découvrons donc un métier qui peut nous faire froid dans le dos aujourd'hui mais qui était essentiel à l'époque, tout en suscitant tout de même un certain ostracisme instinctif de la part de la population.
Cette première lecture de l'année 2017 aura été intense et c'est le genre de livres dont on ne sort pas indemne et qui remue vraiment, par toute la violence qu'il contient, tangible ou pas. Certaines scènes sont dures, insoutenables, assez difficiles à lire mais en même temps fascinantes à lire parce que très bien maîtrisées par l'auteure. D'autres, émouvantes, font monter les larmes ou sourire tristement. Ce premier tome de la saga Le Maître des Peines est plus qu'un roman historique car il traite malheureusement d'un sujet qui sera d'actualité tant que la race humaine existera... c'est la destruction d'un être, destruction méthodique par autrui mais aussi par lui-même qui nous apparaît dans ce roman. Dans Le Maître des Peines c'est une vengeance dans toute sa cruauté mais aussi, en quelque sorte, dans toute sa légitimité qui nous apparaît... instinctivement, on ne cautionne pas la violence même si nous en avons certainement tous une petite part en nous, parce qu'elle fait peur et qu'on ne peut pas vraiment la dominer. Et pourtant dans ce roman on comprend celle de Louis, enfant bafoué, renié, dont on a occulté jusqu'à l'essence même. Le personnage est extrêmement fascinant surtout lorsqu'il revêt son costume de bourreau dans la seconde partie du roman. J'ai retrouvé le même charisme, quoiqu'un peu plus torturé, que chez Hardouin cadet-Venelle, le fameux personnage de bourreau d'Andrea H. Japp.
Après un début un peu laborieux, j'ai été prise par l'intrigue ! J'ai trouvé que le travail de l'auteure était extrêmement précis, tant en ce qui concerne la qualité narrative que celle du contexte historique choisi. Ce n'est pas tout d'écrire des romans historiques, encore faut-il qu'ils soient vraisemblables ! Ici, cette seconde moitié du XIVeme siècle, écartelée entre des épidémies, des famines, des guerres intestines, est très bien restituée, malgré deux trois petits mots dans les parties narratives que j'ai trouvé un peu anachroniques -l'utilisation du mot thé par exemple.
Le seul bémol que je soulèverais concerne plutôt la forme : les glossaires et notes complémentaires se trouvent en fin de volume, ce qui n'est vraiment pas pratique ! J'ai trouvé dommage qu'au moins les notes ne se situent pas en bas de page parce qu'elles sont nombreuses -presque deux cents occurrences sur 700 pages c'est pas mal-, intéressantes mais il faut sans cesse revenir en fin de volume et cela entrecoupe désagréablement la lecture.
À part ça, cette première lecture de l'année aura su me convaincre au-delà même de ce que j'avais pressenti ! Cette saga ne me laissera certainement pas indemne et risque de me marquer durablement, je sens.
En Bref :
Les + : une intrigue historique prenante et une trame vraiment bien menée, des personnages étonnants.
Les - : les notes complémentaires en fin de volume ! !