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Le salon des précieuses

Les Dernières Heures ; Minette Walters

« Nos esprits sont libres, monsieur. Personne n'a encore inventé de loi pour nous interdire de penser. »

Couverture Les dernières heures, tome 1

 

 

     Publié en 2017 en Angleterre

  En 2021 en France (pour la présente édition)

  Titre original : The Last Hours

  Éditions Pocket 

  752 pages 

  Premier tome de la saga Les Dernières Heures 

 

 

 

 

Résumé :

Mois de juin de l'an 1348 : une terrible épidémie s'abat sur le Dorset et décime peu à peu les habitants. Nobles et serfs meurent par milliers. Quand la Mort Noire frappe Develish, Lady Anne a l'audace de nommer un esclave comme régisseur. Ensemble, ils décident de mettre le domaine en quarantaine pour le protéger. Tous les serfs viennent s'établir sur les terres situées à l'intérieur des douves.
Bientôt, les stocks de  vivres s'amenuisent et des tensions montent car l'isolement s'éternise. Les villageois craignent pour leur sécurité lorsqu'un événement terrible menace cet équilibre fragile. Les gens de Develish sont en vie, mais pour combien de temps encore ? Et que découvriront-ils quand le temps sera venu pour eux de passer les douves ?

Ma Note : ★★★★★★★★

Mon Avis :

Au début de l’été 1348, un mal étrange se répand depuis les ports britanniques dans les terres, décimant les villes et les campagnes. De mémoire d’homme, jamais une maladie aussi violente ne s’est jamais vue et elle sème la désolation au sein des populations : en cette fin de Moyen Âge, on ne connaît pas encore bien le processus de contagion et une maladie aussi virulente est vue comme un châtiment divin.
A Develish, petit village du Dorseteshire la châtelaine, lady Anne, en l’absence de son époux Sir Richard, prend la décision de confiner la population de serfs pour la protéger de la maladie. Et, tandis que les villages alentour sont décimés, jeunes, vieux, bébés mourant sans distinction ni d’âge ni de rang, les serfs de Develish continuent de bien se porter.
Mais la promiscuité parfois, surtout quand toutes les bases d’une société semblent s’effondrer d’un coup, est pire que le mal et lady Anne va devoir se confronter à bien des vicissitudes, dans un domaine complètement isolé du reste du monde, où l’on doit quelque part, même si ce n’est pas contre le mal noir, se battre pour continuer à vivre.
L’épidémie de peste noire, qui apparaît brutalement en juin 1348 en Europe occidentale reste un événement tragique mais fascinant de notre Histoire et participe, au même titre que les guerres ou les troubles religieux, à plonger les 150 ans dernières années du Moyen Âge dans une crise sociale prononcée.
Environ 25 millions de victimes sont à dénombrer, de l’apparition de la maladie à 1352 : cela représente entre 30 et 60% de la population européenne. Cette pandémie va durer plusieurs siècles et réapparaître au gré de vagues sporadiques et plus ou moins violentes et meurtrières. La maladie se manifeste par une grande et soudaine fatigue, de la fièvre, des maux de tête et des bubons douloureux qui apparaissent dans le cou, sous les aisselles et à l’aine. A la mort du malade, son sang semble noircir sous sa peau, donnant donc son nom à la maladie, que l’on appelle aussi « pestilence ».
Le Moyen Âge ne sait pas se protéger d’une telle maladie, comme tous les siècles suivants d’ailleurs. Il faudra attendre les travaux d’Alexandre Yersin, médecin et bactériologiste franco-suisse pour découvrir le bacille de la peste dans les années 1890.
Alors que les populations sont peu instruites, sous la coupe d’une Eglise toute puissante, la peur se répand dans le sillage du mal : quel châtiment Dieu leur fait-il payer pour leur envoyer une mort aussi violente et horrible ?
A Develish, les serfs travaillant pour lady Anne et son époux ont la grande chance d’être épaulés par la châtelaine qui, loin de les considérer avec mépris, est soucieuse de leur confort et de leur santé. Surtout, les serfs de Develish sont instruits et font preuve d’un esprit critique peu commun à l’époque.

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L'enterrement des victimes de la peste à Tournai (Flandres) dans les Annales de Gilles Le Muisit (XIVème siècle)


Ce roman, écrit en 2017, fait aussi de manière assez prémonitoire écho à ce que nous allions vivre trois ans plus tard avec le confinement planétaire décrété début 2020 pour lutter contre l’épidémie de Covid naissante : alors bien évidemment, on ne peut pas comparer l’épidémie de peste noire du XIVème siècle et le Covid, qui continue d’ailleurs d’être actif aujourd’hui, près de quatre ans après son apparition en Chine, en décembre 2019. Malgré tout, ce que raconte Minette Walters ici n’est plus ni moins, à l’échelle de Develish, ce que les autorités de la plupart des pays prendront comme mesure au printemps 2020 : le confinement de la population, pour lutter par l’isolement contre une maladie qui se propage rapidement et contre laquelle on n’a pas (ou pas encore) de remède.
Le Covid reste pour nous un événement brutal et traumatique, qui a fait vaciller notre société sur ses bases et a profondément modifié aussi notre manière de voir les choses (notamment dans le monde du travail). Alors imaginez au Moyen Âge, dans une époque où les maladies ne sont pas expliquées par les sciences ni contenues, la terreur des populations qui soudainement voient ce mal se répandre et causer des morts nombreuses et violentes, décimant parfois des villages entiers en quelques heures. C’est presque une apocalypse où, du moins, l’antichambre de l’enfer pour les hommes et les femmes du Moyen Âge, qui se trouvent démunis pour se prémunir d’un tel fléau. On comprend alors que l’apparition de la peste en 1347/1348 ait si durablement marqué l’Histoire – et pourtant, ce n’était pas la première épidémie de peste, mais peut-être la plus inédite dans sa violence, sa diffusion et le nombre de morts qui en résulte.
En toute honnêteté, je m’attendais à ce que la peste soit plus présente dans le roman mais cela n’est pas gênant non plus, car finalement l’apparition de la maladie est le prétexte pour explorer autre chose : les relations étranges entre lady Anne et ses serfs, considérées presque contre-nature dans une société féodale, les rivalités qui ne peuvent manque d’apparaître lorsqu’une grande communauté doit cohabiter, loin de ses habitudes, dans une trop grande promiscuité…en appliquant habilement les codes du roman policier et du polar, dont elle est coutumière, au roman historique, Minette Walters propose un roman intéressant par sa forme, qui pourrait tourner en rond mais finalement, non. Le huis-clos est assez oppressant sans l’être trop non plus et nous décortiquons en même temps que l’autrice le quotidien de cette communauté qui, très soudainement, vacille sur ses bases. L’Europe de 1348 semble sombrer dans un enfer sans fin qui pourrait presque évoquer, pour nous, les univers post-apocalyptiques dont le cinéma est assez friand.
On se rend compte finalement que les peurs ancestrales sont très ancrées et que les hommes et femmes du Moyen Âge ne sont pas très différents de ceux du XXIème siècle. Comment affronter sereinement un tel bouleversement sereinement ? C’est quasiment impossible et on peut aisément imaginer la crise sociale qui découlera des longues années de pandémie qui endeuillent la fin des années 1340 et le début des années 1350, faisant autant de victimes parmi les paysans, les serfs, que les bourgeois ou les aristocrates.
Je pense que le roman aurait pu être un peu plus court, dans la mesure où il s’essouffle un peu en milieu de volume. Mais globalement, c’était une bonne lecture, assez originale de part sa manière de traiter l’époque et son côté très moderne, induit notamment par l’esprit ouvert de lady Anne et l’instruction des serfs de Develish - instruction aussi peu comprise dans les sphères dirigeantes que celle des femmes, d'ailleurs. Jamais le Bien et le Mal ne se sont livré une bataille aussi tenace que dans ce roman où lady Anne et les habitants de Develish doivent faire face à un ennemi de l’intérieur, bien décidé à saper leur entente et le ciment social que ce confinement involontaire est venu renforcer, dans une société d’ordres très marqués où la normalité n’est pas de se mêler au commun des mortels quand on est châtelain ou religieux et inversement.
Je suis assez curieuse de voir ce que le deuxième volume va donner et s’il va compléter habilement ce premier tome qui, somme toute, est bien maîtrisé, plutôt bien ficelé et plaisant à lire.

En Bref :

Les + : un bon roman historique, complet et efficace qui fait sinistrement écho à une actualité pas si lointaine. Minette Walters, qui écrit des polars, transpose habilement les codes de ce genre à celui du roman historique, donnant aux Dernières heures une ambiance tendue et pleine de suspense.
Les - : dommage que des longueurs en milieu de volume fassent perdre un peu de rythme au roman.


Les Dernières Heures ; Minette Walters

  Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

 

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