20 Mai 2024
« Le jour de la mort de Polyxène, devant le tumulus funéraire d'Achille, je m'étais raconté que l'histoire d'Achille avait pris fin sur sa tombe, et que ma propre histoire allait commencer. La vérité ? L'histoire d'Achille ne se termine jamais : chaque fois que des hommes se battent et meurent, on trouve Achille. Quant à moi, mon histoire était inextricablement liée à la sienne. »
Publié en 2021 en Angleterre
En 2023 en France (pour la présente édition)
Titre original : The Women of Troy
Éditions J'ai Lu
445 pages
Deuxième tome de la saga Les femmes de Troie
Résumé :
Troie est tombée. Les Grecs ont remporté leur guerre acharnée. Ils peuvent rentrer chez eux en vainqueurs avec leurs trophées : or, armes, femmes. Mais les dieux, offensés, les empêchent de partir, les contraignant à rester dans l’ombre de la ville qu’ils ont détruite.
Pendant ce temps, les femmes arrachées à leur foyer patientent elles aussi, promises à un avenir incertain. Briséis, qui porte l’enfant d’Achille, s’efforce de forger des alliances – avec la jeune et naïve Amina, avec Hécube, la reine qui a tout perdu, ou encore Calchus, le prêtre déchu – et peu à peu se dessine la possibilité d’une vengeance.
Briséis a survécu à la guerre de Troie, mais les temps de paix pourraient s’avérer encore plus dangereux…
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Grâce à la ruse d’Ulysse, Troie est tombée après dix ans de guerre. Mais, alors que les Grecs s’apprêtent à rentrer chez eux, des vents contraires les bloquent dans la baie au large de la ville ruinée. Dans le camp où s’entassent maintenant les soldats et les commandants, il y a toujours les femmes, ces femmes vaincues réduites en esclavage et devenues des trophées pour les rois ou les commandants grecs les plus éminents.
C’est le cas de Briséis, la reine déchue de Lyrnessos, et héroïne du roman, qui a vu ses frères et son époux tués par Achille avant de devenir sa captive. Le grand héros grec est mort mais Briséis, enceinte, a été confiée par lui à l’un de ses affidés, Alcimos, l’extirpant ainsi de sa condition d’esclave. Pourtant, la jeune femme n’en reste pas moins une captive, une déracinée, qui sait qu’elle ne pourra jamais retourner en arrière et qui porte en elle l’enfant de l’ennemi.
Les exilées de Troie est la suite du Silence des vaincues et commence là où le précédent s’arrête. Les combats sont terminés et l’attente commence : pour les Grecs, la perspective est de rentrer enfin chez eux, après toutes ces années de guerre indécise. Pour les femmes, un avenir des plus incertains se prépare…elles savent qu’elles vont devoir suivre un homme qu’elles n’ont pas choisi, qui les a peut-être épousées ou bien qui les garde en esclavage. La plupart ont perdu leur ancien statut social, comme la reine Hécube, affaiblie par les chocs et la tristesse, qui a vu mourir plusieurs de ses enfants et le roi Priam, qui est restée à la tête de Troie jusqu’au bout. Briséis quant à elle doit, à vingt ans, supporter d’être enceinte d’un homme qui l’a considérée comme un trophée et peu importe que ce dernier soit considéré par les Grecs comme un héros et, par conséquent, lui conférant un respect infini du fait de sa grossesse…Briséis n’en reste pas moins une victime, une victime de guerre. Certes, le personnage, comme celui d’Hécube, comme celui de Cassandre, comme celui de Polyxène, est fictif. Et pourtant, ces femmes deviennent les symboles de toutes les victimes silencieuses et féminines des conflits qui ont émaillé l’histoire de l’humanité quasiment depuis ses débuts. Elles sont lointaines et proches de nous à la fois : comment ne pas ressentir une certaine sororité avec ces femmes, comment ne pas s’imaginer à leur place et ne pas ressentir de la compassion pour elles ? Toutes ces femmes mises en scène par Euripide ou par Sénèque reçoivent ici un magnifique hommage d'une femme à d'autres femmes et même si elles sont fictives, on ne peut que ressentir une certaine affection pour elles car, au fond, il y a toujours une part de vérité dans la fiction.
Le petit Astyanax arraché aux bras de sa mère Andromaque et sacrifié par les Grecs (gravure issue d'une édition des Troyennes d'Euripide)
Pour moi, le gros point fort de ce roman, comme du précédent d’ailleurs, c’est justement d’avoir mis l’humain au premier plan, ce qui lui confère une dimension assez universelle : contrairement aux romans de Madeline Miller où le surnaturel est très présent, ça n’est pas du tout le cas ici. Certes, les dieux sont mentionnés, mais pas véritablement présents dans l’intrigue…ce sont vraiment les femmes, ces vaincues, ces silencieuses, qui sont au centre du récit. Et c’est vraiment ce qui m’avait plu, dès ma lecture du Silence des vaincues, l’an dernier. On peut s’identifier beaucoup plus.
Alors certes, il se passe peut-être un peu moins de choses dans ce roman-là, c’est en fait surtout le quotidien du camp grec, dans l’attente, qui est décrit. L’autrice aborde un peu la sourde rivalité de Ménélas et d’Agamemnon, car le premier a repris auprès de lui Hélène, considérée comme la cause de cette guerre traumatisante qui a fait autant de victimes dans les deux camps.
Même si j’ai eu l’impression que ce roman était un peu moins dynamique, un peu moins rythmé, je l’ai apprécié et je l’ai trouvé très fluide à lire, très plaisant. Encore une fois, j’étais ravie de retrouver Briséis, qui a changé depuis le premier roman. Elle a certes acquis une certaine confiance qu’elle n’avait pas dans Le silence des vaincues, mais le traumatisme est toujours bien présent chez elle, on sent toujours sa fragilité, ses failles, ravivées notamment par sa grossesse. Si son mariage avec un compagnon d’Achille lui a permis de sortir de sa condition d’esclave et de trophée de guerre, pourtant elle n’est plus libre et ne le sera plus jamais vraiment, puisqu’elle devra suivre son mari jusqu’en Grèce, sans espoir de retrouver ses racines, son ancienne ville, ruinée comme Troie. Et Briséis devra, comme toutes les autres Troyennes, vivre avec le traumatisme d’un conflit pendant lequel elles ont connu des deuils terribles, des traumatismes affreux, souvent dans leur chair, car à l'époque comme aujourd'hui, le viol est une arme de guerre…Le roman se termine sur une fin ouverte, là où commencerait L’odyssée…Y aura-t-il une suite ? Si c’est le cas, je la lirai avec plaisir car encore une fois, j’ai passé un excellent moment en compagnie de ces femmes de Troie, si fragiles et si fortes à la fois.
L'enlèvement de Briséis sur l'une des faces d'un skyphos attique à figures rouges daté du Vème siècle av. J-C
En Bref :
Les + : dans ce roman, comme dans le précédent d'ailleurs, j'ai apprécié la version humanisée des mythes grecs, sans présence divine extraordinaire et écrasante. Il est très agréable à lire, très fluide.
Les - : peut-être le roman est-il un peu plus plat que le précédent, mais il reste malgré tout très plaisant à lire.
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- Circé