13 Juin 2017
« L'amour, la haine, vous n'avez qu'à choisir, tout couche sous le même toit ; et vous pouvez, doublant votre existence, caresser d'une main et frapper de l'autre. »
Publié en 2008
Date de parution originale : 1782
Editions Folio (collection Plus Classiques)
478 pages
Résumé :
La jeune Cécile Volanges quitte son couvent pour faire l’apprentissage du monde et épouser le comte de Gercourt, mais une de ses parentes, la marquise de Merteuil, entend profiter de ce projet de mariage pour se venger d’une infidélité que lui a faite autrefois Gercourt. Elle charge donc son complice, le vicomte de Valmont, de pervertir Cécile avant ses noces. Mais loin de Paris, dans le château de sa vieille tante, Valmont s’est de son côté mis en tête de séduire la dévote présidente de Tourvel, et une idylle bientôt se noue entre la « petite Volanges » et le jeune Danceny.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Les Liaisons Dangereuses est un monument de notre paysage littéraire français. C'est indéniable et je pense que cette lecture est presque incontournable pour tout amoureux de littérature.
En ce qui concerne ma rencontre avec ce grand classique, je dois dire qu'elle fut des plus houleuses et des plus conflictuelles.
Pour cela, il faut remonter en 2008. Je suis alors en Terminale L et Les Liaisons Dangereuses sont au programme du BAC... et me voici donc entamant courageusement la lecture de ce grand classique, du haut de mes dix-sept ans... certes je n'étais pas une lectrice novice mais il est clair que mon rythme de lecture n'était pas le même à cette date qu'il ne l'est aujourd'hui. Et surtout, même si j'aimais déjà ce genre, les classiques étaient surtout pour moi, et avant tout, des lectures scolaires.
J'ai bien fait cependant de donner une deuxième chance à ce roman. Non seulement parce qu'il en vaut la peine mais aussi parce que je me suis rendu compte combien la sensibilité chez une même personne peut changer du tout au tout en quelques années. Il est sûr que je n'ai absolument pas abordé cette lecture cette année comme je l'avais abordée en 2008. Déjà, la notion de lecture plaisir était totalement absente lors de ma première lecture. La notion d'obligation, elle par contre, était bien présente. Aujourd'hui, c'est parce que j'en avais envie que j'ai repris cette lecture et parce que je savais qu'après une rencontre chaotique, j'aimerais ce livre, parce qu'il ne pouvait en être autrement... si, il y'a neuf ans, le XVIIIème siècle était pour moi une époque comme une autre ou une epoque parmi d'autres, tout a changé depuis : est-il possible de mesurer l'amour inconditionnel et la passion excessive que je porte à ce siècle ? Aurais-je pu le deviner à l'époque ? Certainement pas, comme je n'aurais pas pu deviner non plus que le tableau qui illustre mon édition faisait partie de l'oeuvre d'un peintre dont je tomberais amoureuse au cours de mes études...
Bref... si tout était réuni, la première fois, pour que cette lecture ne soit pas transcendante, tout cette fois, était assurément réuni pour qu'au contraire cette lecture me ravisse de bout en bout...
Est-il besoin de présenter Les Liaisons et ses personnages qui, aujourd'hui, sont entrés dans l'Histoire ? Qui n'a jamais entendu parler de la subtile mais peu vertueuse Marquise de Merteuil, du roué Vicomte de Valmont, de l'innocent Chevalier Danceny, de la dévote Présidente de Tourvel et de la naïve Cécile de Volanges ?
Tout est réuni pour qu'un drame se noue entre nos différents personnages, un drame qui changera à jamais leurs existences à tous et en perdra certains, irrémédiablement. Et tout ça, pour une sombre histoire de vengeance qui finira par se retourner brutalement contre ses instigateurs.
Assurément, les personnages sont pour beaucoup dans l'intérêt que l'on peut avoir pour le livre. Ils ne font pas tout mais sont prépondérants et représentent tous leur siècle, à leur manière. Les libertins Valmont et Merteuil sont les émules de ce siècle des Lumières qui s’émancipe tandis que la présidente de Tourvel, confite en dévotion et la petite Volanges, naïve adolescente fraîchement tirée du couvent par une mère qui ne souhaite la voir entrer dans le monde que pour la marier représentent l'autre face d'une époque tellement complexe et paradoxale et considérée justement comme obscurantiste par les intellectuels, à commencer par les philosophes des Lumières, bien souvent cités par Laclos (cette phrase de Madame de Mertueil, libertine de corps, mais aussi d'esprit, est révélatrice : « Ma tête seule fermentait ; je ne désirais pas de jouir, je voulais savoir ; le désir de m'instruire m'en suggéra les moyens. » ). Quel siècle en effet, mieux que le XVIIIème siècle, est tout et son contraire ? Epoque d'émulation culturelle et scientifique et, en même temps, époque de crispation religieuse ? Époque libertine ou l'on revendique tout autant la connaissance que la jouissance du corps et, en même temps, où la vertu, surtout féminine, est portée aux nues ?
Les Liaisons Dangereuses représente tout ça et le roman est servi par un style certes ardu mais si plaisant pour toute personne qui, comme moi, porte un intérêt à l'époque. Certes, il n'est pas aussi facile à aborder qu'un style contemporain mais c'est justement ce qui fait toute sa force. Lors de ma première lecture, c'est très certainement l'un des aspects du roman qui m'avait posé problème : la difficulté du style m'avait gênée et m'avait fait perdre tout intérêt pour le reste de l'intrigue, même si j'étais consciente de sa grande qualité littéraire.
Aujourd'hui, c'est avec volupté que je me suis plongée dans la lecture de ce texte. Un grand texte. Tous les ingrédients sont réunis pour que l'histoire soit intéressante, bien qu'assez difficile. Le côté épistolaire peut rebuter un peu au premier abord et instaurer une certaine distance entre le lecteur et les personnages. On ne peut certes pas dire que l'on s'y attache réellement mais ils ont tous un intérêt singulier, même ceux qui peuvent paraître les plus insipides. La rouerie de Merteuil et Valmont est sidérante à souhait, la naïveté de Cécile et de Danceny, exaspérante jusque ce qu'il faut !!
C'est la prise de pouvoir du vice contre la vertu et, en même temps, le vice qui, lentement est en train de se retourner contre lui-même. Cela dit, si les plus coupables se retrouvent cruellement punis, les innocents manipulés n'en payent pas moins le prix et parfois, tout aussi chèrement que ceux qui avaient le plus à se reprocher. Laclos n'épargne aucun de ses personnages et la coupe sera bue jusqu'à la lie.
La tension dramatique monte crescendo et le lecteur se sent alors partie prenante d'une intrigue qui pourtant, par ses codes, par son langage, ne peut lui être qu'on-ne-peut-plus étrangère -je parle des lecteurs contemporains, bien sûr, il n'en allait sûrement pas de même pour les lecteurs du XVIIIeme siècle. Assurément que cet aspect du roman est sa grande force. La correspondance n'aurait certainement aucun intérêt si elle finissait autrement.
Le fait que cette correspondance soit de plus présentée -et adroitement- comme une correspondance authentique, récupérée par l'auteur et mise en forme par lui, si on sait pourtant que c'est faux, n'en force pas moins l'allure du récit et fait aussi partie intégrante de son intérêt, à mon avis. J'ai aimé cet aspect du récit qui le fait passer pour un échange réel et nous fait louvoyer entre doutes et certitudes -même si les notes de bas de page nous détrompe au cas où l'on conserverait longtemps un reste de doute.
Cette lecture, froide, cynique et en même temps éminemment complexe, personnifie assurément bien toutes les facettes de son siècle. Les Liaisons Dangereuses est un roman peut-être un peu difficile de prime abord, qui se mérite mais se donne ensuite, à ce qui sait l'apprécier à sa juste valeur.
Voilà un exemple de relecture qui a porté ses fruits et me conforte dans l'idée qu'il y'a un temps pour un tout et assurément aussi, un temps bien défini pour découvrir tel ou tel livre. Je suis passée devant cette lecture sans forcément m'y attarder la première fois mais c'était pour mieux l'embrasser la seconde fois.
Je ressors de cette lecture absolument ravie et encore plus amoureuse du XVIIIème siècle, si tant est que cela soit possible... parce qu'au train où je vais, cela va finir par friser l'obsession !!!
En Bref :
Les + : une histoire d'un cynisme rare, des personnages ciselés, la complexité d'une époque saisie avec finesse : assurément un grand texte.
Les - : un style peut-être un peu ardu au premier abord.
Bingo littéraire du printemps