22 Septembre 2024
« Ne riez pas de la course des astres...Ils sont patients et, à la mesure de notre temps, ils ont pour eux l'éternité. »
Publié en 2021
Éditions Pocket
346 pages
Cinquième tome de la saga Mémoire Froissée
Résumé :
« L'an prochain, en France... »
Ce voeu prononcé naguère par Maître Soliman n'a jamais paru plus incertain. Ni les tamariniers en fleur, plus trompeurs. Clara et les siens le savent : leur sécurité n'est plus garantie. Il faut fuir Tombouctou. Comment, dès lors que les routes du Nord sont coupées ?
Comment, sinon à travers les herbes hautes de la savane de Gao, la Nubie et jusqu'au Nil ? Mille périls menacent leur caravane. Clara, dont le ventre s'arrondit, noircit son papyrus - pour mémoire...
Que lui réserve encore le cours des astres ?
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Erudite et avide de connaissances, Clara Chauverson a quitté la France, déchirée par la Guerre de Cent Ans pour découvrir les feux finissants de l'Al-Andalus musulman puis a traversé le détroit de Gibraltar. Là, sillonnant les terres de l'actuel Maroc, elle est ensuite descendue jusqu'à Tombouctou, la célèbre ville universitaire qui, en ce milieu de XVe siècle, connaît son âge d'or. A cette époque est construite la mosquée de Sankoré, qui comprend une medersa (autrement dit, une école coranique) et rivalise avec la Kaaba de La Mecque. La ville possède alors une université islamiqu d'une très grande renommée et qui accueillera jusqu'à 25 000 étudiants. Mais le contexte géopolitique est complexe et Clara, qui est parvenue à pénétrer dans la ville qui est pourtant interdite aux non-musulmans, comprend vite qu'elle n'est plus en sécurité en Afrique de l'ouest. Pour elle, le temps du retour a sonné...mais le voyage qui va la ramener vers Troyes, sa ville natale, ne sera pas de tout repos. Traversant l'Afrique d'ouest en est, Clara et sa suite vont connaître encore bien des dangers et bien des embûches mais découvrir aussi des civilisations insoupçonnées sur les bords du Niger et jusqu'au cœur du Soudan, où la jeune Française découvre avec étonnement les vestiges de la civilisation kouchite puis, en Egypte, les ruines de temples et bâtiments pharaoniques qui ne laissent pas de l'impressionner.
Mais bientôt, la Méditerranée s'offre à elle...l'Occident est à portée de main. Accompagnée du chevalier Robert de Remiremont, pour lequel elle nourrit un doux sentiment, Clara va boucler la boucle : après avoir traversé un monde inimaginable pour la plupart de ses contemporains, il est temps pour elle de rentrer au bercail. Mais que va-t-elle y trouver et surtout, comment se réadapter à une vie que l'on a quittée depuis si longtemps ?
Mémoire du Nil est le dernier tome de la saga historique et féminine Mémoire froissée, de Christine Machureau. Le premier tome commençait à la fin du XIVe siècle, avec une autre héroïne : Anne est une jeune tourangelle dont la mère manipule les plantes et les herbes. Mais un jour, l'enfant voit sa mère arrêtée, accusée de sorcellerie. En grandissant, Anne se fait gardienne des savoirs maternels, en devenant à son tour apothicaire et guérisseuse. Un jour, partant sur les traces de vieux livres, ce qui doit l'amener jusqu'aux Pays-Bas, elle entame un long voyage sur les routes peu sûres de la France dévorée par la guerre. Mais le destin lui réserve autre chose : c'est à Troyes qu'Anne va échouer, avant d'y prendre racine. Là, elle rencontre son époux, un libraire qui se pique d'alchimie. Ils auront ensemble un fils, Rémy, qui deviendra lui-même le père de Clara, digne émule de sa grand-mère puisque la jeune fille, érudite et savante, se passionne pour l'astrologie. L'astrologie qui la pousse à sillonner les routes, comme sa grand-mère avant et l'emmènera même encore plus loin, en plein cœur de cette Afrique noire que l'on ne connaît pas et dont Clara reviendra changée, chargée peut-être de la fatalité du destin.
Le premier tome ne m'avait qu'à moitié convaincue, notamment parce que j'avais trouvé la chronologie un peu confuse et cela m'avait un peu gênée car je ne parvenais pas à me situer dans l'intrigue. Je me souviens que j'avais été obligée de faire plusieurs retours en arrière parce que j'étais perdue et cela m'avait agacée. Mais j'avais aussi aimé l'histoire d'Anne et le style d'écriture de l'autrice, pas totalement d'époque mais suffisamment suranné pour être cohérent et ne pas détoner.
Tombouctou, aujourd'hui au Mali, était un centre religieux et de savoir important au XVe siècle : la grande mosquée de Sankoré s'accompagnait ainsi d'une medersa à l'enseignement réputé et qui rayonnait dans toute l'Afrique de l'ouest
Peu à peu, la saga s'est étoffée, a gagné en relief. Lorsque j'ai lu le quatrième volume l'an dernier, j'avoue avoir eu peur, un moment, que ce soit le tome de trop. L'autrice avait-elle eu raison de poursuivre sa saga après la mort d'Anne, qui avait été notre première héroïne, celle avec laquelle on s'était familiarisé à cet univers si particulier ? J'avoue que Clara ne m'a pas particulièrement plu dans Mémoire de sable et de vent et que je craignais un peu de la retrouver dans Mémoire du Nil. Finalement, sans m'attacher plus à elle - ce à quoi je m'attendais - je l'ai trouvée un peu plus humble, même si certaines de ses réactions m'ont un peu agacée, parce que je l'ai trouvée un peu ingrate ou enfant gâtée. Il n'y a finalement qu'après son retour en France que je l'ai un peu plus appréciée, en gros, dans les derniers chapitres. Mais cela ne m'a pas empêchée de prendre grand plaisir à découvrir ce roman qui sort de l'ordinaire et nous emmène en plein cœur d'un continent alors complètement méconnu des Occidentaux. Ce que l'on appelle alors Affrica negra est une contrée lointaine et presque onirique : on perçoit l'étonnement, le dépaysement de Clara dans ces paysages qui changent tellement de ce qu'elle a connu jusqu'ici...en Afrique, on traverse des savanes où poussent d'immenses arbres sacrés pour les populations - les baobabs - on découvre des animaux aussi étonnants que dangereux (des serpents venimeux aux crocodiles qui infestent le Niger et n'hésitent pas, bien souvent, à se nourrir de chair humaine, quand ce ne sont pas directement les populations qui sacrifient les leurs à l'animal), puis on sillonne des terres désertiques et torride où l'eau devient une denrée rare et chère. On y boit le kawa, une boisson noire et concentrée issue d'une baie qui pousse sur les hauts plateaux de l'Abyssinie : c'est le café, appelé à une célébrité et une popularisation internationale à l'époque moderne...puis, dans la vallée du Nil, qui serpente au cœur du Soudan et de l'Egypte actuels comme une énorme artère transportant un fluide vital, Clara et les siens posent leurs yeux sur des civilisations alors méconnues, dont on ne déchiffrera la langue et l'écriture qu'au XIXe siècle, soit quatre cents ans plus tard... ce roman est non seulement très dépaysant mais aussi érudit. L'autrice s'est appuyée sur de nombreux textes et nous gratifie d'intéressantes notes de bas de page, qui apportent un vrai plus au récit romancé.
Certains esprits chagrins s'indigneront peut-être de voir le terme de nègre utilisé parfois : il n'est cependant, à mon sens, que la transcription littérale du mot latin « negra » et n'a pas, au XVe siècle, la connotation raciste qu'on lui connaît aujourd'hui et qui est issu d'une colonisation plus récente. Au contraire même, c'est un bel hommage à une terre dont on parle peu et dont l'Histoire reste encore aujourd'hui largement méconnue, alors que l'Afrique connut des civilisations florissantes et riches, ainsi qu'une culture de premier plan, personnifiée notamment par ses universités réputés, mais qui ont fini par sombrer dans l'oubli. Sortir de notre vision un peu trop ethnocentrée parfois n'est pas dommage et même si c'est par le biais d'un roman, c'est déjà un petit pas.
Je ne pourrais donc que vous conseiller cette saga, malgré quelques défauts et inégalités, elle vaut le coup. Si vous aimez les romans historiques comme c'est mon cas, vous ne serez probablement pas déçu.
En Bref :
Les + : Clap de fin sur une saga originale, surprenante, un peu irréelle...l'autrice fait planer le doute : cette histoire familiale et féminine en pleine XVe siècle est-elle bien une histoire vraie ? Ce dernier tome était agréable et dépaysant, j'ai beaucoup aimé.
Les - : je n'ai toujours pas réussi à m'attacher au personnage de Clara.
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