5 Août 2024
« Oui, j'en conviens, Julia était très ambitieuse. Comme l'étaient nombre de ceux qui l'entouraient. Simplement, il y avait une différence évidente entre eux et elle. Où plutôt, deux différences. D'abord, Julia était une femme. Et ensuite, elle était beaucoup plus intelligente. »
Publié en 2018 en Espagne
En 2023 en France (pour la présente édition)
Titre original : Yo, Julia
Éditions Pocket
944 pages
Premier tome de la saga Moi, Julia
Résumé :
Sur l'échiquier du pouvoir, il y a les pions. Et il y a la reine...
Rome, 192 apr. J-C : le fou vient de tomber. Assassiné par un esclave, le cruel et sanguinaire Commode laisse l'Empire sans héritier. C'est l'heure des loups - ce demi-jour instable où tous les prétendants rôdent à l'ombre du Sénat. Intrigues, complots, poisons, batailles...Les hommes ont leurs manières...Et Julia a la sienne. La belle et redoutable Syrienne ne compte pas seulement installer son mari, le gouverneur Septime Sévère, au pouvoir suprême : elle en veut sa part. Et, cinq coups d'avance en tête, construire bien plus haut, bien plus grand, une dynastie...
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Au début des années 190 de notre ère, Rome est gouvernée par un empereur fou et décadent : Commode, le fils de Marc-Aurèle. Celui-ci règne par une terreur qui écrase ses subordonnés et ses proches et préfère massacrer animaux sauvages et gladiateurs dans l'arène plutôt que d'exercer réellement le pouvoir sur son immense Empire.
Quand l'empereur est finalement assassiné par un esclave du palais, une période de troubles politiques s'ouvre à Rome : le Sénat manœuvre en sous-main pour placer ses pions et, aux frontières, les trois puissants gouverneurs de Bretagne, Pannonie supérieure et Orient sont à l'affût. Septime Sévère est le gouverneur très aimé par ses troupes de la région du Danube (la Pannonie). Il parvient à rassembler suffisamment de soutiens pour s'autoproclamer empereur. Dans l'ombre du gouverneur, veille probablement le plus constant de ses soutiens : sa femme Julia Domna, aussi ambitieuse qu'intelligente. Véritable animal politique, la Syrienne s'est fait une promesse : son mari accèdera au pouvoir suprême et pour cela, elle l'y aidera, peu importe ce qu'il leur en coûtera.
Batailles épiques, intrigues de couloir, assassinats sommaires...Moi, Julia est un véritable péplum, très dense historiquement et qui met en scène autant les intrigues de palais que celles de l'héroïne qui a donné son nom au roman et qui va hisser son mari, de son statut de gouverneur estimé, à celui d'empereur incontesté, premier représentant d'une nouvelle dynastie : les Sévères.
Septime Sévère comme Julia ont tous les deux existé. Mais, si mes connaissances de la Rome du Haut-Empire remontaient à de lointains cours d'Histoire Ancienne et que le nom de Septime Sévère ne m'était pas inconnu, j'avoue que celui de Julia, en revanche, ne me disait absolument rien. Qui était l'épouse de l'empereur Sévère et la mère de Caracalla ? Avant de lire ce roman, j'aurais été bien en peine de répondre à cette question. Manifestement, l’intelligente et charismatique épouse de Septime Sévère est tombée dans les limbes de l’Histoire, de moins en moins mentionnée dans les sources ou de manière franchement négative - ainsi, comme c’est souvent le cas pour les femmes, on affligea l’impératrice d’une réputation sulfureuse, l’accusant de vie dissolue et d’adultère. Comme le signale avec raison l’auteur dans sa postface, Julia souffrit probablement de cette vision peu flatteuse car elle était une femme et qu’elle n’est pas restée « à sa place » de femme, autrement dit, dans l’ombre. Autre handicap pour elle : sa condition d’étrangère et qui plus est, d’orientale, qui renforce cette vision biaisée des contemporains, la faisant apparaître aussitôt comme une émule de Cléopâtre ou encore de Bérénice, la concubine orientale de l’empereur Titus.
Le tondo severiano, une rare peinture sur bois de la Rome antique, daté d'environ 200 et qui représente la famille impériale : Sévère, Julia et leur fils, le futur Caracalla. Le visage martelé est celui de leur fils cadet Geta, frappé d'une damnatio memoriae par son aîné, qui ordonna probablement la disparition de son visage sur le tondo
Dans son roman, l’auteur espagnol Santiago Posteguillo redonne une voix à cette jeune femme, qui a une vingtaine d’années lorsque s’ouvre le roman. A ce moment-là, Julia n’a pas vraiment de pouvoir, comme les autres elle est soumise aux caprices de plus en plus sadiques de l’empereur Commode mais elle attend son heure. L’assassinat de l’empereur puis les troubles de succession qui s’ensuivent lui donnent alors l’occasion de montrer à tous son vrai visage : Julia n’est pas une simple matrone qui se contente d’être cantonnée à la vie domestique et à l’éducation des enfants. Elle est une vraie politique, une jeune femme consciente de son propre rang – elle descend d’une famille éminente d’Émèse, l’actuelle Homs en Syrie – et surtout, elle voit loin : ce qu’elle veut, c’est un empire, ni plus ni moins, mais surtout l’émergence d’une nouvelle dynastie dont Sévère serait le père et elle, la mère.
Ce roman suit donc Julia et Sévère dans les derniers mois de règne de Commode, durant les périodes chaotiques où les empereurs se succèdent et disparaissent à leur tour violemment sans avoir réellement eu le temps de marquer l’Histoire de leur empreinte (Pertinax, assassiné par les prétoriens après environ trois mois de règne, Julianus, à son tour tué sur les marches du trône quelques mois plus tard) puis quand les trois gouverneurs prétendant au trône de Rome – Albinus en Bretagne, Sévère en Pannonie et Niger en Orient – se heurtent dans une guerre sans merci et de laquelle ne pourra ressortir qu’un seul vainqueur. Et Julia s’est bien promis que le seul qui tirerait son épingle du jeu serait son époux. Elle va tenir parole.
J’ai passé un excellent moment avec ce roman. Il est très dense mais bien documenté : en fin de volume, vous trouverez un glossaire expliquant notamment les citations latines qui émaillent le texte, des arbres généalogiques permettant de remonter aux sources des familles respectives de Sévère, à Leptis Magna (actuelle Afrique du Nord) et de Julia, en actuelle Syrie ou bien encore, des cartes des différentes batailles décisives menées par Sévère (à Issos contre Niger, à Lyon contre Albinus) et qui participeront à asseoir son pouvoir. Un pouvoir stable, puisque l’empereur mourra en 211, sans avoir été déposé.
Il s’en est fallu de peu que j’aie un coup de cœur pour ce roman, mais il y a eu malheureusement des longueurs en milieu de volume qui m’ont fait passer à côté. Pour autant, je me suis vraiment régalée. J’ai apprécié que le roman ne mette pas en scène uniquement Julia mais aussi de nombreux autres protagonistes importants, nous faisant voyager aux confins de l’Empire (de la lointaine Bretagne jusqu’aux déserts d’Orient, en passant évidemment par les rues sinueuses et les domus cossues de Rome), comme pourrait le faire une série, par exemple.
Certes, les personnages ne sont pas particulièrement attachants : le côté calculateur de Julia peut la rendre un peu froide. Mais cela ne m’a pas dérangée du tout, au contraire, j’ai aimé suivre cette jeune femme, que l’on voit gagner en maturité et perdre en impulsivité, à mesure qu’elle se frotte à l’exercice périlleux du pouvoir et qu’elle vieillit - même si elle n’a guère plus de 25 ans quand se termine se premier volume. En tout cas, la Julia dépeinte ici par Posteguillo force l’admiration. On est captivé et on reste suspendu à ses pas, tout au long de ces presque mille pages qui nous baladent dans les arcanes obscurs, mais ô combien passionnants, du pouvoir romain sur lequel on a tant fait couler d’encre.
Un buste de Julia, conservé au musée de Cologne en Allemagne
En Bref :
Les + : un péplum vivant et retors, dense et richement documenté.
Les - : quelques longueurs en milieu de volume.
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