23 Août 2018
« La vie était une épreuve d'endurance face à laquelle tout le monde finissait par échouer. »
Publié en 2013 en Angleterre ; en 2015 en France (pour la présente édition)
Titre original : Longbourn
Editions Le Livre de Poche
453 pages
Résumé :
Sur le domaine de Longbourn résident les Bennet et leur cinq filles, en âge de se marier. A l'étage inférieur veillent les domestiques. Personnages fantomatiques dans l'oeuvre de Jane Austen Orgueil et Préjugés, ils deviennent ici les protagonistes du roman. Mrs Hill, l'intendante, orchestre la petite troupe -son époux, la juvénile Polly, Sarah, une jeune idéaliste qui rêve de s'extraire de sa condition, et le dernier arrivé, James- d'une main de fer. Tous vivent au rythme des exigences et des aventures de leurs patrons bien-aimés. Une fois dans la cuisine, les histoires qui leur sont propres émergent et c'est tout un microcosme qui s'anime, pendant qu'Elizabeth et Darcy tombent amoureux au-dessus.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Il y'a quelques années, quand les premiers romans inspirés de l’œuvre de Jane Austen sont apparus et ont eu beaucoup de succès, j'ai ostensiblement passé mon chemin en détournant mes yeux de lectrice outrée que l'on puisse s'attaquer au monumental univers d'une auteure classique que l'on ne présente plus... d'autant plus que, très souvent, ces réécritures étaient des romances et cela me poussait encore plus à prendre mes jambes à mon cou !
J'étais persuadée et je le suis toujours d'ailleurs, qu'une adaptation, si bonne soit-elle, n'égalera jamais l'original. Mais en découvrant Une Saison à Longbourn, je dois dire qu'il est possible de rendre un bel hommage à une œuvre puisque c'est exactement ce que fait Jo Baker dans son roman. J'ai beaucoup aimé la postface où l'auteure nous explique comment elle a découvert l’œuvre de Jane Austen et notamment Orgueil et Préjugés, qui reste son roman favori. De là son envie de lui rendre hommage en écrivant Longbourn (qui est donc devenu Une Saison à Longbourn en français).
Dans son roman, Jo Baker se place du côté des domestiques et non plus du côté des maîtres : si toute l'intrigue se déroule chez la famille Bennet, ce n'est plus elle qui est au centre du récit mais les domestiques qui les servent, Mr. et Mrs. Hill, majordome et gouvernante de Longbourn, Sarah et Polly, les femmes de chambre et James, le valet. Dans l’œuvre originale, les domestiques n'apparaissent que de façon sporadique et pourtant, leur présence est nécessaire pour qu'une demeure comme Longbourn tourne comme un mécanisme bien huilé.
En se plaçant auprès des domestiques des Bennet et en leur rendant la voix dont ils avaient été privés par Jane Austen dans Orgueil et Préjugés, c'est aussi une vision sociétale et historique que Jo Baker nous donne : dans Une Saison à Longbourn, elle nous représente quelles sont les conditions de vie des domestiques à l'époque géorgienne, dans une maison de la gentry rurale comme il y'en avait tant à l'époque. L'auteure décrit aussi très bien les hiérarchies tacites qui peuvent s'instaurer entre valets d'une même maison ou avec ceux des autres et comment, parfois, ce sont même des liens familiaux et affectueux qui peuvent se tisser entre eux. Et, tandis qu'à l'étage, la fougueuse Lizzie succombe au charme ténébreux de Mr. Darcy et que Jane et Mr. Bingley tombent amoureux à leur tour et alors que l'inconstante Lydia se jette à la tête du déplaisant Wickham, la touchante Sarah, femme de chambre des filles Bennet pourrait bien à son tour découvrir l'amour...
Une Saison à Longbourn est une tranche de vie, un roman doux où il ne se passe peut-être pas grand chose mais qui est un beau portrait du début du XIXème siècle britannique. On voit Longbourn traverser les saisons, les filles participer à des bals et autres réceptions puis se marier, prestigieusement ou non. Mais tous ces événements bien connus des lecteurs d'Orgueil et Préjugés, sont abordés ici du point de vue des domestiques et donc, de manière bien différente que dans l'oeuvre originale.
Lire Une Saison à Longbourn, c'est comme regarder un paysage bien connu dans un miroir : c'est la même chose mais subtilement changée tout de même... C'est vraiment le sentiment que j'ai eu en lisant ce roman mais, surtout, son gros point fort c'est que j'y ai retrouvé l'ambiance d'Orgueil et Préjugés et je n'ai pas été dépaysée. Certes, Jo Baker ne fait pas du Jane Austen mais je ne suis pas certaine que c'était au final ce que j'attendais d'elle... Que le roman soit moderne, avec un style qui l'est tout autant et abordant des sujets que Jane Austen, en son temps, n'aurait sûrement pas abordés ou du moins pas aussi frontalement, ne m'a pas gênée, au contraire ! Je crois que Jo Baker a surtout écrit un roman historique sur la période géorgienne en se basant sur un univers déjà existant et auquel elle rend très bien hommage, c'est indéniable.
Tous les grands événements et même les plus petits, sont soigneusement reportés d'Orgueil et Préjugés à Une Saison à Longbourn : les repas préparés dans le second sont dégustés dans le premier. Quand James, le valet, attend les jeunes filles de la famille durant une réception, on les voit, apprêtées et dansant avec de jeunes hommes qu'elles tentent de séduire dans le roman de Jane Austen. On retrouve ces personnages qui ont fait d'Orgueil et Préjugés un classique incontournable pour bon nombre de lecteurs : Elizabeth, Darcy, lady Catherine de Burgh, les Collins, les Bennet, les Bingley ... Et ces lieux aussi, ces propriétés anglaises aux charmes surannés : Longbourn, Pemberley, Netherfield...
S'il y'a bien une chose que l'on peut porter au crédit de l'auteure, c'est qu'elle ne dénature absolument pas l’œuvre d'origine ! En écrivant Une Saison à Longbourn, Jo Baker a réussi ce qu'elle voulait : montrer son amour pour l’œuvre de Jane Austen, qui l'a ouverte, alors qu'elle était toute jeune, à une littérature plus adulte et, surtout, qui a augmenté et entretenu son goût de la lecture... La démarche est louable mais elle aurait pu être ratée ! Ceci dit, ce n'est pas le cas et en plus de se replonger avec délice dans l'atmosphère d'un classique marquant, on découvre le propre univers d'une auteure très talentueuse. J'ai aimé sa manière de raconter et ses parti-pris, entre fidélité à l'oeuvre d'origine et imagination propre. J'ai aimé ses personnages et surtout la jeune Sarah, qui a eu un passé pas facile avant d'arriver à Longbourn mais a surtout beaucoup de rêves et d'espoir. On s'attache peut-être moins aux Bennet ici que dans l'oeuvre originale peut-être parce que même si Jane Austen ne les ménage pas et ne leur épargne pas son ironie légendaire, elle reste relativement indulgente envers ses personnages principaux. Ici, jaugés par l’œil acéré des domestiques, ils apparaissent comme beaucoup de maîtres : sans être tyranniques, les Bennet, du haut de leur petite position, ne se rendent pas compte du quotidien de leurs domestiques, de la condescendance qui, parfois, pointe dans la plus anodine des paroles.
En plus d'avoir produit une réécriture intelligente et fidèle à son modèle, Jo Baker signe aussi un bon roman historique.
Amoureux de Jane Austen, n'hésitez plus ! Vous avez là peut-être la plus belle adaptation contemporaine de son univers si plaisant !
En Bref :
Les + : une réécriture sensée et intéressant de l'un des grands classiques britanniques, des personnages attachants et un style qui n'a, certes, rien à voir avec celui de Jane Austen, mais est tout de même de qualité.
Les - : Aucun. J'ai beaucoup aimé ce roman.