11 Mars 2020
« Avec l'âge je suis devenue de plus en plus militante de leur cause. Paradoxalement peut être, là aussi, je m'y sens d'autant plus portée que ce que j'ai obtenu dans la vie, je l'ai souvent obtenu précisément parce que j'étais une femme. »
Publié en 2009
Editions Le Livre de Poche
283 pages
Résumé :
Personnage au destin exceptionnel, elle était la femme politique dont la légitimité était la moins contestée, en France et à l'étranger.
Dans son autobiographie, elle se montre telle qu'elle est : libre, véhémente, sereine.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Une Vie : un titre emprunté à Maupassant, un auteur qu'elle aimait beaucoup. Un titre tout en simplicité mais qui résume bien à lui seul ce que fut l'existence de Simone Veil, une vie longue et fertile mais pas exempte de ses épreuves, et quelles épreuves.
Si on se souvient surtout aujourd'hui de Simone Veil, décédée il y'a presque trois ans, comme de la ministre de la Santé de Valéry Giscard d'Estaing qui fit passer la loi de légalisation de l'IVG en 1974, elle a aussi connu dans sa jeunesse l'horreur de la guerre et des camps de concentration, où elle perdit plusieurs des siens.
Du soleil nicois de son enfance aux ors de la République en passant par la boue des camps polonais, Simone Veil, née Jacob, reste une figure marquante du XXème siècle, une figure politique qui transcende les partis et les clivages.
Née en 1927, Simone est une enfant de l'époque comme une autre : elle grandit au milieu d'une famille de quatre enfants, entourée par des parents présents mais près d'une mère dont elle ressent très tôt le malaise de devoir dépendre d'un mari pour vivre, sentiment qui influera sur sa propre conception de sa vie de femme par la suite.
Quand la Seconde guerre mondiale éclate, Simone est adolescente et ne sera pas tout de suite confrontée à ses horreurs. À Nice, les premières années de la guerre se passent relativement bien et les enfants Jacob continuent d'étudier et de vivre normalement. Mais les Jacob sont juifs et même si la famille n'est pas pratiquante ni fermement attachée à sa judéité, elle va la payer chèrement. Arrêtée, toute la famille sera envoyée dans des camps en Pologne, notamment à Auschwitz, où Simone, sa mère et sa sœur resteront du printemps 1944 au début de l'année 1945. Les deux sœurs rentreront seules, après la libération du camp, leur mère y ayant contracté le typhus. Leur père et leur frère ne rentreront pas non plus.
Après la guerre, Simone rencontre par l'intermédiaire d'un ami de faculté Antoine Veil, qui deviendra son époux. Ils fonderont une belle famille mais Simone refusera toujours de remettre en question sa carrière. Diplômée en droit et en études politiques, magistrate de formation, elle entre cependant très vite en politique et ne la quittera plus, faisant d'elle un témoin privilégié des mandats du général de Gaulle, de Pompidou, de Giscard, de Mitterrand ou encore de Chirac. Un témoin aussi de cette seconde moitié du XXème siècle, toute en demi-teinte, d'abord marqué au sortir de la guerre par le plein emploi et l'essor de la société de consommation, mais aussi les conflits de décolonisation, les tensions est-ouest, puis par la récession découlant du choc pétrolier des années 1970 et l'incertitude dans laquelle s'enfonce l'Occident petit à petit.
Photo de classe de Simone Jacob au lycée Albert-Calmette de Nice, année 1941-1942
Dans les années 1970, nommée ministre de la Santé, Simone Veil fait de la légalisation de l'avortement son cheval de bataille. Pas par militantisme -du moins ne l'ai-je pas compris comme ça- mais par souci sanitaire : il ne faut pas oublier qu'il y'a encore moins de cinquante ans, de nombreuses femmes mourraient après avoir subi des avortements clandestins, ou bien restaient stériles à vie. D'autres encore choisissaient de partir en Angleterre ou aux Pays-Bas, où l'avortement était légal. Enfin, les femmes convaincues d'avoir subi ou pratiqué des avortements étaient condamnées, souvent à de la prison. En faisant passer son texte de loi, Simone Veil a donné à toutes les Françaises la possibilité de choisir leur maternité et de ne plus la subir, de pouvoir dire : un enfant si je veux, quand je veux. Elle nous a donné cette possibilité à nous toutes aujourd'hui qui en bénéficions de pouvoir dire non au patriarcat et au contrôle des hommes sur le corps des femmes.
Pour moi, son action a été certainement bien plus efficace que le militantisme véhément qui confine parfois à l'extrémisme et dans lequel je ne me reconnais pas, malgré mes fermes convictions féministes. Simone Veil n'était pas contre les hommes mais bien pour les femmes et elle a mené son combat avec fermeté mais lucidité.
Certains lecteurs ont déploré que cette autobiographie soit essentiellement voire trop centrée sur la politique mais en ce qui me concerne, cela ne m'a pas gênée.
Je ne dis pas que j'ai été toujours été captivée, n'étant pas spécialement intéressée par l'Histoire de la seconde moitié du XXème siècle et à plus forte raison par l'Histoire républicaine mais j'ai trouvé complètement justifié que l'auteure fasse la part belle à sa carrière, qui lui permet aussi d'analyser, parce qu'elle est aux premières loges, les événements. Si on reproche aujourd'hui souvent et certainement à juste titre pour la plupart d'entre eux, que nos politiques sont déconnectés de la réalité, je pense que ce n'est pas le cas de Simone Veil qui a su garder un regard lucide et critique sur le monde et la société. Et si je ne partage pas toutes ses idées, force est de constater cependant qu'elle a une vision sans concession mais claire de la société dans laquelle on vit et dans laquelle elle-même a vécu il y'a plusieurs décennies. De la politique, aussi. Rejetant les extrémismes et les intégrismes religieux comme politiques, Simone Veil brosse un portrait vivant, critique parfois, du paysage politique français depuis les années 1960 et au final, sans être passionnée, j'ai trouvé ça plutôt intéressant, de découvrir la manière dont la politique de notre pays est menée à travers les yeux de l'une de ses anciennes exécutantes.
Je crois que ce livre est à lire si vous vous intéressez à la cause des femmes mais aussi à l'Histoire récente de notre pays. Simone Veil partage avec nous un pan de sa vie qui n'est pas des plus simples et que certains ont fermement refusé de raconter -ce qui peut se comprendre : l'enfer de la déportation et cette lecture m'a confortée dans l'idée qu'un pays qui ne connaît pas son Histoire ne sait pas où il va, qu'un pays qui la minimise, également, va droit dans le mur : lorsque certaines personnes dont on ne citera pas le nom se permettent de nier aujourd'hui l'existence historique de la Shoah et des camps de concentration, on a, au mieux, envie de gerber, au pire, une haine terrible au cœur, à plus forte raison quand on lit un livre comme celui-ci, où l'auteure, rescapée elle-même de cette horreur, raconte son expérience sans misérabilisme ni apitoiement mais au contraire avec dignité, pour laisser une trace et faire en sorte que les générations futures n'oublient pas : tâchons de rendre hommage à ces gens en ne remettant jamais en question ce qu'ils ont pu vivre et tâchons surtout de ne pas donner de crédit à ceux qui prouvent le contraire.
Pour moi, ce livre est une lecture salutaire et presque nécessaire. J'ai parfois eu les larmes aux yeux ou alors, j'ai été révoltée, mais j'en suis ressortie avec la conviction forte qu'être féministe en 2020 veut encore dire quelque chose, que le combat n'est pas gagné mais qu'il a été facilité et qu'il faut s'y accrocher coûte que coûte ; j'en suis ressortie aussi avec la conviction que rien n'est perdu et que nous avons encore la possibilité d'inverser la courbe de l'Histoire si nous le souhaitons et de ne pas donner plus de pouvoir aux extrêmes si nous ne voulons pas aller droit dans le mur.
Simone Veil est une femme, une ancienne déportée, une ancienne politicienne. Elle a eu une longue vie, pas exempte d'embûches mais elle l'a portée à bout de bras à une époque où être une femme qui travaille, une mère et à plus forte raison une politicienne, ne va pas de soi. Prenons donc exemple sur une femme qui a su rester discrète, mener à bien ses missions avec efficacité mais qui est malgré tout devenue une égérie. Pas besoin d'être une pasionaria pour devenir un modèle : Simone Veil en est un bon exemple et sa place au Panthéon est amplement méritée à mon sens. Cette femme ne cessera jamais d'avoir ma plus grande admiration et je dirais même, ma gratitude.
En 1974, elle défend son texte pour la légalisation de l'IVG à l'Assemblée Nationale
En Bref :
Les + : avec pudeur et dignité, sans vantardise ni orgueil, Simone Veil se raconte, analyse sa carrière, la politique et la société françaises. Une lecture éclairante.
Les - : si la seconde partie du livre, essentiellement politique, m'a moins captivée, malgré tout je n'ai aucun point négatif à soulever.