22 Avril 2021
« C'était le destin des philosophes que d'être pendus puis célébrés le moment suivant, avant d'être pendus de nouveau, peut-être, le lendemain. Cet ensemble d'effets et de causes avait de quoi les pousser à chercher la sécurité au coeur du péril, à se constituer des rentes pour l'avenir, et à prendre la vie avec la sérénité qu'apporte la pratique de la raison. »
Publié en 2016
Editions Le Livre de Poche
288 pages
Quatrième tome de la saga Voltaire mène l'Enquête
Résumé :
En pleine révolution culinaire, Voltaire enquête sur les traces d'un assassin qui sème derrière lui tartes au cyanure et ragoûts à l'arsenic. L'aide de la brillante marquise du Châtelet, experte en recherches scientifiques, et de l'abbé Linant, fin gourmet, ne sera pas de trop pour l'appétit aux gastronomes !
Après La baronne meurt à cinq heures (prix Historia, prix Arsène-Lupin et prix du Zinc de Montmorillon), Meurtre dans le boudoir et Le diable s'habille en Voltaire, une nouvelle aventure du philosophe truffée d'humour.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Ce quatrième tome de notre cher ami Voltaire démarre en 1734, alors que l’ombre de la Bastille n’a jamais été aussi menaçante au-dessus de l’auteur des Lettres philosophiques… Voltaire a quarante ans mais ne s’est pas assagi pour autant. Sa plume de philosophe continue d’irriter le pouvoir et la police parisienne, qui le tient à l’œil. Alors, le jour où on lui propose de résoudre une énigme, contre sa liberté, difficile de refuser sa requête à Hérault, le lieutenant de police. Donnant, donnant : Voltaire enquête discrètement et en échange se voit lâcher un peu la bride sur le cou par les séides du politiquement correct. D’autant plus que le philosophe à perruque Régence s’est lancé dans un fructueux commerce quelque peu illicite et qui pourrait fort fâcher l’Espagne de Philippe V si l’on venait à apprendre qu’un écrivain français quelque peu contestataire marche sur les plates-bandes des commerçants espagnols : autrement dit, le commerce avec la riche Amérique.
Voilà donc Voltaire, toujours flanqué de sa marquise du Châtelet (Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet a réellement existé ; mathématicienne et physicienne de talent, elle est connue pour avoir été la traductrice, en France, des travaux de Newton) et de son inénarrable abbé Linant (lui aussi est un personnage authentique) qui enquête sur la disparition de bijoux de la princesse de Lixen… Régalé par elle d’un banquet digne de Lucullus ou de Gargantua, Voltaire n’est pourtant pas au bout de ses peines et son enquête risque de prendre un tour aussi inattendu qu’indigeste.
De la couverture au titre du roman, tout nous indique rapidement le contenu du livre : on va parler nourriture, eh oui. Mais ne salivez pas trop : au XVIIIème siècle, la haute cuisine n’est pas celle que l’on connaît et si cette époque nous a donné les bouchées à la reine ou encore les madeleines de Commercy, il ne faut pas oublier que l’on y mange encore des plats aux saveurs plutôt surprenantes. Alors que le peuple crève souvent de faim, dans les hautes sphères on se repaît de repas particulièrement longs, où les plats se suivent sans se ressembler. On mange du sucré, du salé, parfois les deux ensemble. La viande est évidemment un mets très recherché et l’estomac fragile de notre héros, qui ne s’accommode jamais mieux que d’un bon plat de lentilles, va être mis à rude épreuve lors de cette enquête qui va l’emmener de Paris en Bourgogne, en passant par Cirey en Lorraine et même jusqu’au champ de bataille de Philipsburg en Allemagne.
Dans ce quatrième tome, l’enquête policière, qui sert toujours de trame aux aventures de notre cher philosophe emperruqué, se déroule de manière si subtile qu’on ne la distingue presque pas. Pour utiliser une métaphore culinaire (on est dans le thème), on peut imaginer un ingrédient mélangé à d’autres, qui semble disparaître mais ressort subtilement lorsque l’on goûte le plat et libère alors sa saveur. Il s’en passe, des choses, dans ce tome-ci, depuis que Voltaire reçoit sur la tête, dans le parc des Lixen, un pigeonnier qui semble avoir été légèrement poussé pour tomber droit sur la tête des philosophes un peu fouineurs ! Notre ami quitte ainsi son cher Paris pour aller assister en Bourgogne aux noces de son ancien camarade de collège le duc de Richelieu qui, en 1734, épouse Elisabeth Sophie de Lorraine. Entre-temps, la parution inopinée de ses Lettres philosophiques, qui donnent des envies de meurtre au lieutenant de police, le pousse à aller se réfugier au fin fond de la campagne de Lorraine, au château de Cirey…propriété du marquis du Châtelet, autrement dit le mari d’Emilie, sa coéquipière et surtout, sa maîtresse depuis 1733 ! Enfin, parce que Voltaire a eu vent d’un complot familial qui vise la personne de Richelieu, le voilà qui n’écoutant que son courage (et son intérêt) galope jusqu’aux tranchées inhospitalières de la guerre de Succession de Pologne pour sauver le duc.
Le déjeuner d'huîtres deFrançois de Troy (XVIIIème siècle)
Dans Crimes et Condiments, Voltaire voyage et nous avec. Voltaire mange et parfois un peu trop richement car il finit par souffrir d’indigestion… et nous avec ! Ah non, pardon. Là, pour le coup, ce n’est pas le cas. Léger et aérien comme une crème chantilly, Crimes et Condiments se déguste comme un bonbon. On ouvre parfois de grands yeux devant les recettes qui étaient prisées au XVIIIème siècle, on se dit que celle-ci ne devait pas être trop mal tout compte fait, tandis que celle-ci dégoûte carrément les palais très XXIème que nous sommes ! Mais surtout, qu’est-ce qu’on rit ! Quand je parle de bonbon, c’est vraiment cela que je veux dire : on lit une petite merveille de roman historique acidulé et tendre à souhait. A dessein, je ne parle pas vraiment de roman policier ici : de toute façon, si vous aimez les bons polars ou les thrillers, il vaut mieux que vous passiez votre chemin. Ce n’est pas cela que vous trouverez ici, l’enquête policière étant finalement assez anecdotique. Mais la forme ne cesse de me séduire : une lectrice a écrit que l’univers de Frédéric Lenormand est inclassable et c’est bien vrai. C’est un savant mélange de diverses influences et je pense que c’est ça qui me plaît, dans cette saga comme dans Au service secret de Marie-Antoinette, sa saga de cosy mystery que j’ai découverte en janvier dernier. Les romans de Lenormand sont légers, très drôles, bourrés de références et parfois même d’anachronismes qui nous font sourire quand on tient la référence et qui donnent ainsi à ses romans ce je-ne-sais-quoi qui a quand même un bon petit goût de reviens-y.
Surtout, il ne faut pas oublier que derrière des romans que l’on pourrait qualifier de « faciles » au premier abord, se cachent les solides connaissances d’un auteur qui maîtrise son sujet à la perfection et ne manque pas de pointer tous les petits travers de cette époque si passionnante à bien des égards : on pourrait presque considérer que le XVIIIème siècle est une époque qui se cherche, une époque dont les deux bras sont tirés à gauche et à droite par, d’un côté le XVIIème siècle flamboyant de Louis XIV et de l’autre, par un XIXème qui annonce notre propre époque. Le XVIIIème siècle est une époque double, une époque de libertinage physique et intellectuel mais aussi de raidissement religieux, de recherche de la connaissance mais aussi de crainte face à elle, qui se manifeste alors par la censure des œuvres philosophiques. Alors que l’on croit moins, que pour certains les loges de la franc-maçonnerie remplacent la religion, l’Eglise n’a pourtant jamais été aussi puissante ni aussi corrompue et pétrie de paradoxes (elle qui prêche la continence voire l’abstinence et cache des cochonnailles dans ses placards en pleine période maigre par exemple). Le pouvoir royal, quant à lui est, en ces années 1730, un pouvoir presque fantoche, abandonné entre les mains d’un ex-mentor de jeunesse devenu principal ministre, l’abbé de Fleury. C’est subtil mais la dénonciation est là : évidemment, dans l’article, je force le trait mais pour peu que l’on connaisse assez bien l’époque, on percevra ce que l’auteur veut discrètement pointer du doigt. Travers d’une époque certes mais aussi travers humains qui, eux, ne changent pas vraiment en 250 ans. Voilà pourquoi Voltaire mène l’enquête n’est pas (ou n’est pas que) une saga de feel-good historique qui fait juste rire. Le propos va quand même un peu plus loin.
Cela dit, il est vrai que je retrouve cette saga toujours avec plaisir parce que je sais que je vais passer un bon moment et que la plume incisive de l’auteur va toujours faire mouche : je sais que je vais forcément rire en lisant une enquête de Voltaire et cela tient autant au style, vraiment très agréable à lire, qu’aux personnages et surtout Voltaire, dont les défauts sont poussés à l’extrême ! Si le vrai Voltaire était comme cela, on comprend que ses contemporains aient voulu s’en débarrasser en le flanquant de temps en temps à la Bastille, ne serait-ce que pour respirer un peu ! Hypocondriaque, parfois légèrement hystérique, sans aucun goût pour la mode ni la bonne chère (ce qui en fait un OVNI dans ces cercles où le paraître et la bonne bouffe sont deux piliers essentiels), mourant au moins dix fois par an (voire plus), sans-gêne, il est un concentré des défauts humains mais tournés en ridicule, ce qui les rend finalement assez attachants. On a de l’indulgence pour ce Voltaire de théâtre, de vaudeville, qui nous ravit à chaque fois. On a de l’indulgence pour ses tours pendables.
Ce quatrième tome était à l’image des précédents. J’imagine que les suivants seront à son image…est-ce que je m’en lasse ? Absolument pas, c’est bien trop jubilatoire.
En Bref :
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