• #38 [SPECIAL HALLOWEEN] Histoire de la chasse aux sorcières

    #38 [SPECIAL HALLOWEEN] Histoire de la chasse aux sorcières

    Aujourd'hui passée dans le langage courant, la chasse aux sorcières peut désigner de manière imagée toute forme de répression d'une idée, d'un groupe ou d'un individu. Ainsi, dans l'Amérique des années 1950 on appela parfois chasse aux sorcières le mouvement du « maccarthysme », fortement anticommuniste et homophobe. Se diffusant de 1950, date à laquelle le député conservateur Joseph McCarthy fait son apparition sur la scène politique et jusqu'en 1954, la commission présidée par McCarthy traqua d'éventuels agents, militants ou sympathisants communistes aux États-Unis. De fait, durant ces années, plusieurs millions d'Américains se verront soumis à des enquêtes policières et judicaires arbitraires. La condamnation en 1950, des époux Rosenberg, Julius et Ethel, partisans communistes, est l'un des événements marquants de cette époque sombre pour les Etats-Unis.
    Il n'est pas rare de nos jours de lire ou d'entendre dans les médias cette expression, oubliant parfois qu'elle fait référence à des événements historiques authentiques, qui eurent lieu essentiellement entre le Moyen Âge tardif et la Renaissance mais se diffusèrent aussi aux XVIIème et XVIIIème siècles. On peut ainsi songer aux célèbres procès de Salem (Massachussetts), qui eurent lieu dans les années 1690 et conduisirent à la condamnation de plusieurs hommes et femmes.
    Si l'on songe souvent aux chasses aux sorcières pratiquées dans le monde chrétien, historiquement ces pratiques se rencontrent à des époques et dans des cultures diverses. Si les chasses aux sorcières n'existent plus en Europe ni même en Amérique, la chasse aux enfants sorciers perdure dans certaines régions d'Afrique.

    Dans le monde chrétien paradoxalement, ce n'est pas le Haut Moyen Âge qui est marqué par ces chasses aux sorcières mais plutôt le Moyen Âge tardif puis la Renaissance. En Europe, dans un contexte de persécution des Juifs et des lépreux mais aussi d'expansion de l'Inquisition, notamment en Espagne sous le règne des Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon, une condamnation de la sorcellerie apparaît en parallèle, théorisée par des intellectuels et des théologiens dont les idées peuvent être massivement relayées et largement diffusées par l'imprimerie naissante. La papauté elle-même fulmine une série de bulles destinées à établir la légitimité des poursuites juridiques pour instruire les procès et des manuscrits puis des livres imprimés, véritables manuels à destination de l'Inquisiteur, sont diffusés. Ainsi du Malleus Maleficarum (le Marteau des Sorcières) publié à Strasbourg en 1486 par deux dominicains, Heinrich Kramer Institoris et Jacob Sprenger. En cette fin de Moyen Âge se fixe donc l'image de la sorcière qui perdurera dès lors dans l'imaginaire collectif et participera, dans les siècles suivants, à fonder une véritable iconographie des sorcières telles que l'on peut les voir dans l'art et la culture occidentale par la suite.
    Néanmoins, on suppose que les premières chasses aux sorcières apparaissent dès les années 1430 dans la région des Alpes. Le mouvement connaîtra son apogée entre le milieu du XVIème siècle (années 1560-1580) et jusqu'au milieu du XVIIème siècle (1620-1630) avant de commencer à décroître, sous le poids de plus en plus lourd de la remise en cause de ces pratiques. On estime le nombre de sorcières et sorciers condamnés jusqu'à 60 000 personnes : la plupart des victimes de ces chasses et des procès qui en découlent sont des femmes.

    Cela dit, il ne faut pas imaginer la chasse aux sorcières comme un phénomène culturel occidental et intrinsèquement lié à l'époque moderne. En effet, on les retrouve par la suite dans les sociétés dans lesquelles la croyance dans la pratique de la magie prévaut. Ainsi, des occurrences sont rapportées en Afrique subsaharienne, dans l'Inde rurale du Nord mais aussi en Asie du sud-est comme en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Quelques pays disposent encore d'une législation contre les pratiques de sorcellerie et la sorcellerie est encore punie de la peine de mort dans un seul pays : l'Arabie Saoudite. La chasse aux sorcières est même une réalité contemporaine pour plusieurs pays africains, notamment le Nigéria, souvent alimentée par une Eglise puissante spirituellement et qui tire de ces croyances qu'elle entretient un véritable revenu financier, notamment par le biais des exorcismes.

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    Les trois Sorciers de Füssli (1783)


    I. Les racines médiévales d'un mouvement moderne

    La croyance en la sorcellerie n'est pas nouvelle lorsqu'on s'avise de la réprimer à plus grande échelle et par le biais de l'Inquisition. Ainsi, on retrouve la figure de la sorcière dès l'Antiquité, à travers des personnages comme Circé, fille d'Hélios et qui transformera les compagnons d'Ulysse en pourceaux dans un célèbre épisode de l'Odyssée. Elle fera du célèbre commandant grec errant après son départ de Troie son amant et lui donnera un fils, Télégonos. Dans l'art, Circé est souvent représentée comme une femme sachant manipuler les poisons : ainsi dans le tableau du peintre John William Waterhouse, Circe Invidiosa. Elle est aussi associée au datura, une plante particulièrement toxique. On associe aussi la déesse Hécate, déesse de la lune et de la magie, à la sorcellerie et aux enchantements.

    Si les premiers siècles du Moyen Âge ne sont pas marqués par une lutte aussi vaste et organisée qu'à partir du XVème siècle, les lois limitant les pratiques de sorcellerie et les punissant ne sont pas absentes pour autant. Ainsi, le roi mérovingien Clovis promulgue la Lex Salica, qui condamne les sorciers à payer de fortes amendes. Le code de Charlemagne quant à lui prévoit des emprisonnements pour les personnes convaincues de pratiques magiques et ensorcellements. Mais, bien souvent au Moyen Âge, les sorciers ou assimilés comme tels sont surtout les victimes de leurs propres communautés, sans qu'aucun procès n'ait lieu. Comme on peut parfois accuser les Juifs d'empoisonner les puits lors de périodes d'épidémies, comme durant la Grande Peste, les populations médiévales ont le réflexe de chercher un coupable lorsqu'un fléau s'abat sur eux. Ainsi, la sage-femme ayant assisté une femme qui meurt en couches peut se trouver accusée de pratiques magiques et d'avoir tué sa patiente. Une grange qui brûle, des troupeaux qui meurent subitement ou se trouvent tout soudainement affligés d'un mal mystérieux et l'on cherche un bouc-émissaire, souvent la personne qui vit en marge de la communauté, solitaire. Si des hommes sont parfois condamnés, il apparaît que ce sont souvent des femmes, notamment des femmes ayant choisi une vie marginale et peu en accord avec ce que l'on attend d'elles à l'époque. Si en plus cette dernière manipule les plantes, il n'en faut pas plus pour l'accuser d'envoûtement et de commerce avec le diable. Le condamné est souvent violenté ou lynché. On le soumet à une ordalie (Jugement de Dieu) puis on le tue sommairement par bastonnade, noyade ou bien encore par pendaison. Il apparaît que l'on a peu souvent recours au bûcher. Mais ces répressions ponctuelles et sporadiques concernent diverses communautés à un moment donné, sans qu'elles soient véritablement instutionnalisées et malgré les condamnations régulières des pratiques magiques, tant par le pouvoir séculier que religieux, tout au long du Moyen Âge.

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    Gravure représentant des sorcières jetant un maléfice (début du XVIIème siècle)

     

    La sorcellerie est également un sujet dont s'empare la papauté, relativement tôt dans le Moyen Âge. De 1233, avec la première bulle fulminée par le pape Grégoire IX (Vox in Rama) jusqu'en 1484, avec la bulle Summis desiderantes affectibus d'Innocent VIII qui consacre par conséquent la féminisation de la sorcellerie, ce ne sont pas moins d'une dizaine de bulles promulguées par les papes tout au long de l'époque médiévale. Ainsi, la bulle Vox in Rama théorise en quelque sorte la sorcellerie et le culte magique, le pape demandant à son inquisiteur Conrad de Marbourg d'y décrire le déroulement du sabbat des sorciers et leur culte du diable. Une trentaine d'années plus tard, dans les années 1260 le pape Alexandre IV ordonne à ses inquisiteurs de s'intéresser plus particulièrement « sortilèges et divinations ayant saveur d’hérésie » autant qu'aux hérétiques, déjà férocement poursuivis par l'Eglise. Ces bulles papales font de la sorcellerie un crime important contre la foi : la base idéologique de la proscription de la sorcellerie se met alors en place dans le tournant du XIIIème siècle.
    En 1317, le pape Jean XXII est victime, ainsi que ses neveux, d'une tentative d'empoisonnement perpétrée par l'évêque Hugues Géraud. A la suite de cette affaire, le pape rédige une bulle en 1318, destinée à élargir les prérogatives des inquisiteurs pour intenter des procès aux sorciers. Mais Jean XXII ne s'arrête pas là : en 1320, il consulte des spécialistes afin de déterminer le caractère potentiellement maléfique de la magie savante dont est friand à l'époque et notamment dans les cours d'Europe. En ce début de XIVème siècle, la société est profondément bouleversée (contestation du pouvoir royal en Angleterre, fin du miracle capétien en France) tant politiquement que religieusement (début du Grand Schisme d'Occident) et il semblerait que l'on associe l'instabilité sociale à un pouvoir diabolique grandissant que l'Eglise se met en devoir de juguler, notamment en se montrant plus ferme quant à la répression des pratiques magiques. La bulle définit la pratique de la magie et des sorts d'invocation comme dérivant directement de l'invocation des démons, ce qui permet d'en faire un crime de foi, et donc d'inculper et poursuivre dans le cadre d'un procès les personnes ayant recours à ces pratiques d'apostasie, d'hérésie et d'idolâtrie.
    Le premier procès pour sorcellerie mené par le Parlement de Paris a lieu à la fin du XIVème siècle : en 1390 à Paris est jugée Jeanne de Brigue, dite La Cordelière, paysanne originaire de la Brie et connue pour ses dons de voyance et de guérison. Jugée en octobre 1390, elle sera brûlée vive le 19 août suivant.

    La bulle de 1484 institutionnalise complètement la chasse aux sorcières et organise la lutte des agents religieux. Deux ans plus tard est publié le Malleus Maleficarum (Marteau des sorcières), considéré aujourd'hui comme le manuel d'usage des Inquisiteurs, qui leur permit de pourfendre les sorciers et autres mages dans les siècles qui suivirent.

                                              Fleur de belladone.  undefined  Description de cette image, également commentée ci-après

     Belladone, jusquiame, mandragore...le sorcier ou la sorcière sont réputés pour leur connaissance des plantes et de leur usage, soit curateur soit toxique

     

    II. Le Malleus Maleficarum (1486)

    Image illustrative de l’article Malleus Maleficarum

    Edition lyonnaise du Malleus Maleficarum (1669)

    Rédigé par deux dominicains allemands et profitant de l'essor de l'imprimerie pour connaître une large diffusion en cette fin de XVème siècle, le Malleus maleficarum fait suite à la bulle du pape Innocent VIII fulminée en 1484 et qui mettait en garde contre la sorcellerie et ses dangers. Ce document officiel confortait également les Inquisiteurs dans leur mission puisqu'elle les légitimait.
    L'un des auteurs, Henri Institoris avait d'ailleurs tenté sans succès de mener des procès en sorcellerie, notamment à Innsbruck contre Helena Scheuberin en 1485 : accusée d'avoir causé la mort d'un chevalier par ses pratiques d'envoûtement. Le procès avait finalement conclu à l'innocence de l'accusée et à son acquittement par un évêque du diocèse de Brixen, George Golser. Insatisfait de cette issue, Henrich Kramer (Henri Institoris) avait commencé la rédaction de son manuel.
    Bien que condamné rapidement par l'Eglise et mise à l'Index, le livre connaîtra un grand succès et une large diffusion, sera réédité de nombreuses fois dès les années 1490 et sera bien accueilli tant chez les catholiques que les protestants de l'époque moderne qui en feront un outil majeur dans leur combat contre la sorcellerie.

    Le Malleus Maleficarum est en grande partie une codification de croyances déjà existantes, souvent tirées de textes plus anciens comme le Directorium Inquisitorum de Nicolas Eyremich, datant de 1376 ou encore le Formicarius de Johannes Nider, publié en 1435. Bénéficiant de l'arrivée en Europe de l'imprimerie, le livre d'Henri Institoris et Jacob Sprenger connaît une large diffusion et sera largement utilisé, malgré son interdiction en 1490.
    La première partie du livre est consacrée à une description de la nature de la sorcellerie. Ainsi, on y affirme que les femmes seraient par nature prédisposées à céder aux tentations de Satan, à cause de leur faiblesse et leur intelligence inférieure par rapport à celle des hommes. Dans la lignée de la bulle pontificale de 1484 qui sous-entendait la féminisation des pratiques magiques et démoniaques, le Malleus Maleficarum induit donc que la femme a plus de risques de se laisser séduire par le Diable et de devenir une sorcière. Cette affirmation semble conforter les pratiques dont les siècles suivants seront les témoins, qui verront certes des hommes condamnés lors des procès, mais en nombre bien inférieur par rapport aux femmes.
    Si le Malleus Maleficarum rejette certaines affirmations, comme celle qui veut que les sorcières puissent se transformer en animaux ou en monstres, les auteurs considérant cela comme illusions suscitées par le Diable, en revanche, il considère que leur capacité de voler lors du sabbat ou de détruire les récoltes par leurs sortilèges est parfaitement possible. Les auteurs insistent en outre de façon morbide sur l’aspect licencieux des rapports sexuels que les sorcières auraient avec les démons, qui deviendra une constante dans la condamnation des sorcières, sexualité débridée et sortilèges finissant par se mêler étroitement dans l'imaginaire collectif, associant les sabbats à des manifestations orgiaques où se perpètrent les pires forfaits : ainsi, on affirmera par exemple que les messes noires sont dites sur le corps nu d'une femme et que celle-ci peut se livrer à des pratiques licencieuses avec l'officiant, comme pendant l'Affaire des Poisons en France au XVIIème siècle.
    La seconde partie du manuel explique comment procéder à la capture des supposées sorcières puis à l'instruction de leur procès. En effet, il faut pouvoir organiser de façon claire la détention puis l'élimination des sorcières. Cette partie du livre traite également de la confiance que l'on peut accorder, ou non, aux différents témoignages qui ne manqueront pas et qui peuvent parfois être motivés par un désir de vengeance ou par jalousie. Cependant, la preuve formelle n'est pas nécessaire pour conduire à une condamnation : les auteurs affirment en effet que les indiscrétions et la rumeur publique sont preuves suffisantes pour conduire un accusé devant les tribunaux et que la défense trop véhémente d'un avocat prouve que celui-ci est ensorcelé. Enfin, le manuel donne des indications sur la manière d’éviter aux autorités d’être sujettes à la sorcellerie et s'emploie à rassurer le lecteur sur le fait que les juges, en tant que représentants de Dieu, sont automatiquement immunisés contre le pouvoir des sorcières et ne peuvent ainsi être manipulés par elles. Par conséquent, le jugement rendu par eux est forcément le bon puisque induit par Dieu lui-même et donc, indiscutable.
    Enfin, le Malleus Maleficarum aborde l’illustration des signes qui permettent de déterminer la sorcellerie chez un accusé. En effet, on estime que des signes ou marques physiques peuvent aider à déterminer si l'accusé est bien un sorcier ou non : ainsi de la glossolalie, la voyance et la psychokinèse et les « marques du diable » (pattes de crapaud au blanc de l'œil, taches sur la peau, grains de beauté, zones insensibles, maigreur…). Une personne aux cheveux roux ou les gauchers ont longtemps été considérés eux aussi comme des suppôts de Satan et prédisposés à la sorcellerie. Elle est consacrée aussi aux techniques d’extorsion des confessions, des preuves (notamment la pesée et l'ordalie par l'eau glacée) et à la pratique de la torture durant les interrogatoires : il est en particulier recommandé d’utiliser le fer rougi au feu pour le rasage du corps en son entier des accusées, afin de trouver la fameuse « marque du Diable », qui prouverait leur supposée culpabilité.

    Ce texte servira de source d'inspirations pour des écrits ultérieurs comme le De Lamiis et Phitonicis Mulieribus (À propos des démons et des sorcières), écrit par Ulrich Molitor et dont Dürer lui-même s'inspirera pour certains de ses tableaux par la suite. Ce livre est imprimé à Constance en 1488 et inclut des illustrations, souvent en pleines pages, ce qui est relativement exceptionnel pour l'époque. Dans son livre, Molitor rend hommage à ses précédesseurs, les deux rédacteurs du Malleus Maleficarum, les qualifiant «comme les plus illustres docteurs». Pour autant, les conceptions de Molitor sont considérées comme plus modérées que celles de Sprenger et Institoris : ainsi il estime que les sorcières n'ont pas la capacité physique de changer leur apparence en se transformant en animal ni même de voler pour se rendre au sabbat. C'est en fait l'oeuvre du Diable, qui le leur fait croire.

    III. Les persécutions et les procès

     

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    Examen d'une sorcière lors d'un procès (tableau de Tompkins Harrison Matteson, 1853)

    Comme nous avons pu le voir plus haut, la chasse aux sorcières qui émerge à partir de la fin du Moyen Âge et prend son essor au cours des siècles suivants n'est pas une nouveauté et les premiers siècles ont connu également des persécutions contre des populations que l'on jugeait coupables de commerce avec le Diable. Mais le XVème siècle est une époque d'incertitudes : après la peste noire qui a ravagé l'Europe au siècle précédent et décimé une bonne part de sa population, les nombreuses guerres, les troubles politiques et religieux, la mort est omniprésente et fait peur. Le Diable devient l'incarnation du Mal et ses fidèles des cibles à abattre. L'incertitude des temps, le contexte compliqué, seront des terreaux fertiles à la théorisation d'une véritable lutte contre les sorciers et autres magiciens - et principalement, les femmes même si des chercheurs à l'heure actuelle nuancent la vision de procès condamnant essentiellement des victimes féminines. 
    On considère souvent que les procès qui ont lieu dans le Valais dès le XVème siècle (1428) marquent les prémices d'un mouvement de répression beaucoup plus massif et systématique même s'il y en eut auparavant (comme dans les Pyrénées françaises vers 1408) mais qui sont plus difficilement rattachables à une chasse aux sorcières car les chefs d'accusation ne sont pas exactement les mêmes. Si les premiers procès sont signalés en Suisse, en Allemagne et en France, ils se diffusent par la suite, jusqu'en Italie, en Angleterre et même en Espagne. Après l'installation des Européens en Amérique et notamment en Nouvelle-Angleterre, où les colonies commencent à s'organiser en petites communautés dès le début du XVIIème siècle, la pratique traverse l'Atlantique : ainsi, l'un des plus célèbres procès pour sorcellerie aura lieu dans les années 1690 dans la ville de Salem (Massachussetts).
    Ces procès émergent en parallèle d'une autre affaire : celle de la répression des hérétiques Vaudois de Fribourg, entre 1399 et 1430. Petit à petit, le basculement entre hérésie et sorcellerie s'opère autour de la figure maléfique du Diable, qui devient centrale dans les accusations. Ainsi, on commence à assimiler les doctrines sectaires et contestataires des Vaudois comme des doctrines démonolâtres (adoratrices du démon).
    On constate aussi que ces procès émergent dans une région qui est alors touchée par un contexte politique complexe et trouble : de 1415 à 1420, le Valais est confronté à la révolte de Rarogne, qui affaiblit le pouvoir épiscopal. Dans le même temps, ce dernier doit faire face aux ambitions et aux appétits de son voisin, le duché de Savoie. Les rebelles au pouvoir en place se multiplient, d'autant plus que le nouvel évêque, Andrei di Gualdo, a été choisi arbitrairement par Rome, sans l'assentiment des notables locaux, ceci dans le but de mettre fin définitivement aux troubles qui secouent cette région stratégique pour le passage des Alpes. Pour maintenir son autorité, le nouvel évêque se rapproche de la Savoie et applique une justice plus forte et plus sévère. En 1428, les premiers procès ont lieu en territoire savoyard. Ainsi, on retrouve dans les minutes de notaires savoyards l'histoire de Martin Bertod, originaire du val d'Hérens et qui, après s'être rétracté à deux reprises, est finalement condamné au bûcher le 31 janvier 1428. Il sera brûlé sur le Grand-Pont, à Sion, devant une foule de 500 personnes. Ses biens sont vendus à ses héritiers, soit sa femme Anthonia de Zermatt et ses deux enfants, Jaqueta et Johannes. Le prix fixé pour la vente est de cent quinze livres, obligeant les enfants à emprunter de l'argent et à contracter une dette envers deux débiteurs : Hensilinus Thoso et Yanno Thonuzen Zer Loubon. Ne pouvant rembourser leur dette, les enfants seront contraint de leurs céder des biens situés à Zermatt l'année suivante. Ce cas, parmi tant d'autres est intéressant car il démontre l'utilité pour le pouvoir en place d'utiliser l'incrimination pour sorcellerie - qui implique une confiscation totale des biens - pour obtenir des territoires en inféodant des héritiers.
    En septembre 1428, c'est Etienne Albi, de Salvan, qui est condamné par l'inquisiteur Ulric de Torrenté pour "désobéissance à l'Eglise" et "crime de lèse-majesté divine". Nous ne connaissons malheureusement pas les détails de cette affaire, mais nous savons que l'accusé est décédé sur le chemin qui devait l'amener à l'Abbaye de Saint-Maurice où il devait être supplicié. Le lieutenant de l'Abbaye condamnera malgré tout son corps à être brûlé et ses cendres dispersées.
    Une première enquête est menée à Sion, incriminant Jeannette Porterii-Reymot de Grimisuat et Jeannette Armeyn de Savièse, qui sont finalement blanchies de toutes les accusations portées contre elles. D'autres n'auront pas cette chance, et au moins une dizaine d'individus seront condamnés à mort au cours de l'année 1428 dans le Valais et en Savoie. Les événements se poursuivent dans le val d'Anniviers, le val d'Hérens ainsi que la région de Lens. La même année, la chasse aux sorcières se répand dans le Bas-Valais et ensuite dans le Haut-Valais germanophone. Dès l'été 1428, la totalité du Valais actuel est touchée par le phénomène. Les procès se poursuivent au moins jusqu'en 1436.

    Cette première vague dure environ jusqu’en 1520. Puis une nouvelle vague apparaît de 1560 à 1650. Les tribunaux des régions catholiques mais surtout des régions protestantes envoient les sorcières au bûcher. On estime le nombre de procès à 100 000 et le nombre d'exécutions à environ 50 000 à 60 000. Brian Levack évalue le nombre des exécutions à 60 000  environ mais ces chiffres sont sans cesse révisés, à la hausse comme à la baisse, par les historiens. Il est en réalité très difficile de se faire une idée du nombre de victimes de ces procès. 

    IV. Que reprochait-on exactement aux sorciers et magiciens ?

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    Le sabbat des sorcières par Franciso de Goya (1798)

    A une époque de forte religiosité, la sexualité supposément débridée des sorciers et plus particulièrement des sorcières, était le reproche principal qu'on leur faisait. Ainsi, on imagine les sabbats comme de véritables orgies sexuelles où les sorcières se donnent au Diable ou au démon. Le Malleus Maleficarum affirme d'ailleurs que les sorcières sont insatiables sexuellement. A la figure de la sorcière s'agrège celle de Lilith, que la tradition juive présente comme la première épouse d'Adam et comme une femme dangereuse. Forgée par Dieu égale à l'homme, Lilith abandonne finalement Adam car il refusait de se livrer aux jeux de l'amour. On confond aussi les sabbats avec les anciennes fêtes païennes, dont on a pu voir des résurgences au Moyen Âge comme à la Renaissance : ces dernières, qui célébraient le passage du temps et l'opulence de la nature sont associées à la fécondité, notamment la fête de Beltaine, qui a lieu au printemps et est précédée de la nuit de Walpurgis, qui serait l'un des plus grands sabbats de l'année. On voit le sabbat comme un lieu de réunion des sorciers et sorcières. Le mot sabbat apparaît en 1446 dans un procès au parlement de Paris où une sorcière confesse se rendre au sabbat, qui serait une célébration nocturne où se retrouvent les sorciers, les démons et le Diable.

    Lorsqu'on lit certains comptes rendus de prétendues relations sexuelles avec le Diable dans certaines maisons ou dans la nature, il est tout à fait probable que des hommes déguisés abusaient de la naïveté de certaines femmes en se faisant passer pour le Diable, avec ou sans complicités. L'autre aspect de cette focalisation sur la sexualité et probablement l'une des plus grandes peurs, est l'accusation de rendre les hommes impuissants (ainsi au XIIème siècle, le roi Philippe Auguste accusa sa toute nouvelle épouse, la princesse de Danemark de lui avoir « noué l'aiguillette », c'est-à-dire, l'avoir rendu impuissant avec des sortilèges ou des maléfices) ainsi que la terre et les animaux infertiles. Ainsi, Institoris va jusqu'à raconter dans Le Marteau des sorcières que les sorcières volent les sexes masculins et les cachent dans des nids. Ces croyances sont immémoriales et se confondent les unes dans les autres, avec une dose de fantasmes sexuels masculins, pour devenir des armes de condamnation des sorciers et, plus particulièrement, des sorcières.

    Autre accusation contre les sorciers et qui est peut-être la plus évidente : le satanisme. Si les populations païennes marginalisent ou parfois lynchent un "jeteur de sorts", elles admettent cependant les transes et les états de possession (et c'est toujours le cas de nos jours, dans les cultes Vaudous et les diverses formes de chamanisme). Le judéo-christianisme, lui, considère qu'il s'agit d'une attaque du démon et les condamne donc fermement. Ainsi, dans la Bible, Jésus donne l'exemple en délivrant les possédés et l’Église emploie pour ce faire des prêtres exorcistes, dont la mission est de délivrer les âmes qui ont été possédées par un démon contre leur gré. Mais, dans les cas rares où c'est la personne elle-même qui a recherché l'état de transe, on pouvait l'accuser d'avoir basculé du côté du Mal, de la sorcellerie. Les sorcières sont censées être en relation avec le diable, d'où la recherche du « signe du diable » ou sceau du diable repéré sur le corps dénudé et rasé de la sorcière par une aiguille chirurgicale car il doit être insensible et non hémorragique et d'autres signes encore comme la voyance bien sûr, la glossolalie (le fait de parler ou prier dans une langue ayant l'apparence d'une langue étrangère ou une suite de syllabes inintelligibles), la psychokinèse (télékinésie par la pensée) et les « marques du diable » (pattes de crapaud au blanc de l'œil, taches sur la peau ou grains de beauté, zones insensibles, maigreur…), d'utilisation de dagydes autrement dit de poupées d'envoûtement que l'on retrouve souvent au Moyen Âge et encore de nos jours dans certains cultes comme le Vaudou, de potions magiques ou de sortilèges.
    Au XIVème siècle, on pense aussi que sorcières et sorciers peuvent posséder des démons familiers. C'est lors du procès posthume du pape Boniface VIII en 1310 qu'apparait pour la première fois ce type d'accusation. Ainsi, l’article d’accusation contre Boniface VIII dit : "il y a un démon privé, dont il prend en tout point conseil en toute matière". Puis, cette accusation de posséder un démon privé réapparaît au début du Grand Schisme en 1379 : cette fois, c'est le cardinal Jean de La Grange est accusé par l’entourage du dauphin futur Charles VI de posséder un démon privé. Lors de son procès au concile de Pise en 1409 Benoit XIII est suspecté de tenir deux esprits enfermés dans une hostie et d’être assisté par sept démons familiers.


    V. Mutation du phénomène et récupération contemporaine

    Au XVIIème siècle, on asssiste en Europe au développement et au renforcement de l'État royal centralisé, notamment en France et en Espagne. Ainsi, le pouvoir accroît son contrôle et met au pas les mouvements populaires, dont les chasses aux sorcières sont un aspect. À partir des années 1620, le Parlement de Paris interdit aux juridictions provinciales de les pratiquer et des magistrats et des policiers sont condamnés à mort, sous Louis XIII, pour avoir fait brûler un sorcier. Les procès en sorcellerie continuent seulement dans les régions d'Europe où l'État est encore faible, comme l'Allemagne. En France, l'une des dernières chasses aux sorcières a lieu dans le Labourd (Pays Basque) aux alentours de 1609, menée par un magistrat du Parlement de Bordeaux, Pierre de Lancre. En Angleterre, on peut songer au procès des Sorcières de Pendle Hill en 1612, qui eut lieu au tout début du XVIIème siècle (1612) dans un contexte religieux et politique complexe et troublé.
    En 1634, éclate l’affaire des possédées de Loudun et cette dernière marque une étape. Dans un couvent d’ursulines à Loudun, les sœurs affirment avoir été ensorcelées par un prêtre, Urbain Grandier. À la suite d'un procès en sorcellerie demandé par Richelieu, le curé sera brûlé. Mais ce n'est qu'un cas spectaculaire d'un phénomène qui tend à disparaître. En Norvège dans les années 1660 on peut citer les procès de Vardø (1662-1663). 
    L'Église Catholique en pleine réforme, et d'autres mouvements chrétiens, remettent de plus en plus en cause ces croyances archaïques ; en parallèle le développement de l'esprit critique tend de plus en plus à condamner cette pratique et, si les masses populaires croient toujours volontiers à la sorcellerie qui est peut-être un moyen pour elles d'expliquer l'inexplicable ou de légitimer ses peurs, les élites ne veulent plus en entendre parler et imposent son exclusion du champ judiciaire. La sorcellerie est de plus en plus considérée comme un symptôme d'obscurantisme, à l'époque du progrès, de l'ordre et de la raison. À la fin du XVIIème en France, on condamne les gens qui se font passer pour sorciers sont condamnés pour escroquerie ou empoisonnement et non plus pour leurs relations supposées avec le diable. La dernière grande résurgence de ces procès sous le règne de Louis XIV est l'Affaire des Poisons qui éclabousse jusqu'à la maîtresse en titre du Roi-Soleil, Françoise-Athénaïs de Montespan, soupçonnée d'avoir fait appel à des sorcières parisiennes (parmi elles la plus connue, la Voisin) et autres envoûteurs pour s'attacher durablement le roi et d'avoir assisté à des messes noires. Les débuts de cette affaire ont lieu en 1676, au moment de la condamnation pour empoisonnements de la marquise Marie-Madeleine de Brinvilliers, convaincue d'avoir assassiné son père et tenté de faire disparaître ses frères.

    L'une des dernières affaires de sorcellerie, et probablement la plus connue de toutes, est celle qui secoue une petite communauté de Nouvelle-Angleterre, le procès des sorciers et sorcières de Salem au début des années 1690.

     

    Bibia Pavard : "Dans les années 70, le projet féministe est révolutionnaire  : il vise à saper les fondements de la société capitaliste et patriarcale"  : épisode • 1/9 du podcast La

    A partir des années 1970, les mouvements féministes s'emparent de la figure de la sorcière en faisant ainsi une figure de proue de la lutte pour les droits des femmes

    Aujourd'hui, on assiste à une récupération contemporaine et le plus souvent féministe du mythe et de l'image et de la sorcière : ainsi, on associe volontiers aujourd'hui la figure de la sorcière aux luttes féministes. Tandis qu'au XIXème siècle, Michelet s'empare de la sorcière probablement pour servir son propos anti-catholique et anti-clérical, aujourd'hui la sorcière et son oppression au cours des siècles sont vues comme le symbole du combat féministe contre l'oppression masculine, faisant de la sorcière une incarnation historique de la femme insubordonnée par excellence. Peu à peu se confondent également la notion de sorcières, sorcellerie et féminin sacré (la croyance que chaque femme possède en elle un pouvoir surnaturel particulier, activable grâce à une initiation occulte), lié à des mouvances religieuses comme le Wicca, par exemple ou bien le néo-paganisme ou le néo-druidisme qui rencontrent aujourd'hui beaucoup de succès et d'intérêt dans nos sociétés.
    Si on peut considérer que la chasse aux sorcières fut en effet essentiellement féminine, il ne faut pas oublier pour autant que des hommes furent également condamnés au cours de ces procès, comme lors de ceux qui eurent lieu à Salem à la fin du XVIIème siècle. Et si on peut assez facilement et volontiers considérer certaines de ces femmes, affranchies des normes et injonctions de leur société (refus du mariage ou de la maternité, par exemple, manipulation de plantes et remèdes qui leur conféraient des connaissances sinon médicales du moins curatives que toutes ne possédaient pas) comme des féministes avant l'heure, il est important de replacer cet épisode dans son contexte et de ne pas tenter de le confondre avec les propres problèmes de notre époque et sociétés contemporaines.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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