• La Reine oubliée, tome 3, L'homme de Césarée ; Françoise Chandernagor

    « C'est pourquoi la roue de la Fortune dont parlaient les poètes, cette roue qui n'était jamais qu'une vulgaire loterie, offrait ceci de particulier que les numéros n'y étaient pas tous perdants : la vraie chance - richesse, amour ou gloire - y sortait aussi fréquemment, et sans plus de raisons, que le désastre et la ruine. »

     

     

     Publié en 2021

     Éditions Albin Michel

     432 pages

     Troisième tome de la saga La Reine oubliée

     

     

     

     

    Résumé :

    Un port qui ressemble à celui d'Alexandrie, un phare bâti sur le modèle de Pharos, et, au premier plan, un palais royal aux colonnades de marbre grec : Séléné, la fille de Cléopâtre, peut se croire revenue chez elle, dans cette Égypte dont les Romains l'ont arrachée à l'âge de dix ans. Mais Césarée, où elle vient d'aborder, n'est pas Alexandrie, et si Auguste a libéré sa prisonnière, c'est pour s'en débarrasser en la mariant au prince barbare qui gouverne la Maurétanie, immense pays formé par le Maroc et l'Algérie d'aujourd'hui.
    A la surprise de Séléné, ce roi berbère se révèle aussi beau et cultivé qu'il est riche et puissant. Mais pour la fille des Pharaons, traumatisée par son passé, la nuit de noces tourne au cauchemar...avant que les jeunes époux, tous deux orphelins et issus de lignées détruites par Rome, ne parviennent peu à peu à s'apprivoiser, à faire de leur capitale un haut lieu de la culture grecque, et à tenter de fonder ensemble une dynastie capable de venger un jour leurs familles. Mais peut-on renouer la chaîne des temps ?

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

     La petite Cléopâtre-Séléné naît dans les ors des palais alexandrins dans les années 40 avant notre ère. Elle a un frère aîné : Césarion, né des amours de sa mère avec Jules César, un jumeau, le petit Alexandre-Hélios et un jeune frère, Ptolémée-Philadelphe. Tous trois sont les enfants de la reine d’Egypte et de Marc-Antoine. Par ses deux parents, Séléné est apparentée aux meilleures familles de l’époque : son père fait partie de la « gens » Antonii, il est aux premières loges à Rome, politiquement et militairement. Sa mère, d’origine grecque, est la reine Cléopâtre VII Philopator, la dernière reine d’Egypte et dernière représentante de la dynastie des Lagides.
    Les dix premières années de la vie de la petite princesse se passent dans l’opulence, la richesse et la facilité. Certes, ses parents sont peu présents et l’enfant grandit surtout entourée de nourrices et de précepteurs, mais sa vie est facile : n’est-elle pas promise à un mariage avec son demi-frère et au trône d’Égypte ?
    Mais rien ne va se passer comme cela : Séléné a une dizaine d’années quand ses parents sont battus lors de la bataille d’Actium, par le nouvel homme fort de Rome, Octavien, le futur empereur Auguste. Afin de ne pas être pris vivants, Cléopâtre et Marc-Antoine se suicident à Alexandrie. Et leurs trois enfants, Séléné et ses deux frères, vont vivre une expérience tragique : ce sont eux qui, faits prisonniers, vont être exposés lors du Triomphe d’Octavien à Rome. Les trois enfants vont payer pour eux : terrible expérience que de devoir vivre à la place de ses parents un châtiment pour des fautes que l’on n’a pas commises.
    A Rome, le plus jeune des enfants, Ptolémée-Philadelphe, meurt assez rapidement après le Triomphe, probablement de maladie. Alexandre-Hélios disparaît également peu de temps après : on ne sait pas s’il s’agit d’une mort naturelle ou si le futur Auguste le fait disparaître. Séléné reste la seule survivante d’une famille dorée mais désormais déchue et totalement décimée : son demi-frère et fiancé depuis l’enfance, a été assassiné en Égypte, l’un de ses demi-frères romains également. Morts aussi, les deux parents, puis les deux frères…A dix ans, Séléné est seule au monde, dans une ville étrangère, dont elle ne connaît pas les codes ni la culture. Elle sera élevée dans la maison d’Octavie, la sœur d’Octavien et seconde épouse de son père Marc-Antoine. Là, Séléné se recrée une famille de bric et de broc, découvre des demi-sœurs et des demi-frères, des cousins…mais il manquera toujours quelque chose à la jeune fille qui, après une fin d’enfance et une adolescence mouvementée, fragile, découvre qu’on se prépare à lui faire épouser un jeune roi client de Rome : Juba II, roi de Maurétanie.

    Juba II de Maurétanie, l'époux de Séléné


    La Maurétanie est un grand empire d’Afrique du Nord, correspondant à peu près au Maroc et à l’Algérie d’aujourd’hui. Le roi Juba II est issu de la dynastie numide, c’est un descendant de Jugurtha et Massinissa, deux célèbres rois de Numidie des IIIème et IIème siècles av. J-C. Lui-même a connu une enfance heurtée, chahutée : comme les parents de Séléné, le père de Juba a fait un mauvais choix – celui de Pompée – qui lui a coûté la vie. Le petit prince Juba a été lui aussi emmené à Rome, présenté lors du Triomphe du César puis a été élevé dans la maison de ce dernier. Pétri d’une culture éclectique, romaine, grecque, numide et carthaginoise, Juba est un jeune homme érudit, instruit, qui écrit et fait œuvre d’historien.
    C’est dans sa modeste capitale de Césarée – l’actuelle Cherchell en Algérie – que Séléné débarque : a-t-elle rencontré Juba à Rome, où ils auraient pu se côtoyer au milieu de tous ces petits princes barbares et otages qui grandissent dans la grande capitale de l’Empire ? Ou bien fait-elle sa connaissance lorsqu’elle arrive dans son nouveau royaume ? Nous ne le saurons jamais.
    Mais le mariage de la jeune Égyptienne est un fiasco : le soir de sa nuit de noces, des peurs enfouies depuis l’enfance ressurgissent dans le noir de ce palais inconnu. Il faudra beaucoup de patience et de prudence à Juba pour apprivoiser Séléné.
    Car Séléné souffre probablement de ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui un stress post-traumatique. Comment supporter et affronter l’effondrement de son monde, la mort des siens, le déracinement ? Comment vivre avec le souvenir de la violence vécue, subie, avec la peur aussi qui sera celle de Séléné à Rome ? Et pourtant, peu à peu, la jeune reine de Maurétanie s’habitue à sa nouvelle vie, s’attache à son beau mari et n’aspire plus qu’à une chose : lui donner des enfants, des enfants dans le sang desquels coulerait celui des Lagides, ce sang égyptien que Séléné n’a jamais pu oublier et qu’elle veut venger.
    Ce troisième tome amorce un tournant dans la saga : après l’Égypte et Rome, nous voici dans un nouvel endroit, la Maurétanie, terre numide et berbère où Séléné va devoir faire sa vie d’adulte. Mais comment se construire, devenir une femme équilibrée, une épouse aimante et une mère dévouée quand l’on est cassée de l’intérieur, aussi fragilisée qu’elle ?
    Séléné est fuyante, étrange, déroutante par moments. Secrète et silencieuse, mais aussi pleine de colère, même si elle semble un peu plus apaisée dans ce tome, où elle expérimente une vie plus libre, moins angoissante, dans un État certes client de Rome, mais relativement autonome. Séléné n’est plus sous la tutelle du vainqueur de ses parents, l’empereur Auguste. Elle est désormais une reine – peut-être même régente lors des absences du roi, même si nous n’en avons aucune certitude –, une femme mariée, elle devient une mère. Elle peut s’émanciper, regarder enfin sereinement vers l’avenir mais les horreurs vécues dans son passé sont mal réglées. Aujourd’hui, Séléné serait prise en charge médicalement, probablement suivie par un psychiatre…mais à cette époque-là, on doit vivre avec ses traumatismes, avec ses peurs, avec son passé et on doit tenter de se construire comme on peut. Pas étonnant dans ce cas, que la jeune femme nous paraisse parfois si surprenante.
    Non, Séléné n’est pas des plus attachantes. Pour autant, on prend plaisir à mettre nos pas dans ceux de Françoise Chandernagor et de partir à sa rencontre. On a presque envie de tendre la main vers elle, comme vers un petit animal tremblant et mal apprivoisé.
    Dans ce troisième tome, le voile se déchire un peu. Séléné nous apparaît plus proche et on la découvre dans ses premiers pas de femme adulte puis de femme mâture, épouse et mère. La jeune femme est encore confrontée à des peines, des déceptions et des deuils, mais le bonheur aussi refait surface. Avec sa famille romaine, les relations sont apaisées : la jeune femme s’entend bien avec ses deux sœurs, elle les fréquente avec plaisir lorsqu’elle revient à Rome, se mêle à la bonne société dorée de la ville, à Césarée il lui prend des envies d’architecte et de mécène. Elle embellit la ville, la modernise, demande la construction d’un temple d’Isis, la divinité égyptienne et féminine la plus importante, auprès de laquelle Séléné trouve réconfort et apaisement.
    Je sais que la saga La reine oubliée n’a pas récolté que de bons avis. La forme notamment, a pu gêner certains lecteurs : il est vrai que nous ne sommes pas dans un roman historique classique ici et que cette série est bien différente de L’allée du roi, le roman magistral où Françoise Chandernagor était allée jusqu’à écrire comme au XVIIème siècle pour donner encore plus de véracité à son récit. Pour autant, il m’est difficile de ne pas vous la recommander : c’est bien simple, pour moi cette série rend vivante l’Antiquité. Et nous la rend peut-être plus accessible aussi, même si les mœurs et les façons de penser sont bien différentes entre notre époque et ces siècles lointains. Cette saga m’a fait penser à un péplum qui serait débarrassé de tous ses clichés et où l’autrice, faisant preuve de transparence, nous explique toujours quand la romancière surpasse l’historienne, venant combler les trous que les textes et les sources ont laissés.
    Comme lors de ma lecture, puis de ma relecture des Enfants d’Alexandrie et des Dames de Rome, je me suis régalée avec L’homme de Césarée, j’ai vraiment passé un excellent moment et je sais d’ores et déjà que je vais laisser derrière moi Séléné avec un pincement au cœur à l’issue de ma lecture du quatrième tome…Séléné, aussi mystérieuse et insaisissable que saisissante.

    Monnaies émises par le royaume de Maurétanie, représentant le roi Juba II et la reine Cléopâtre Séléné

     

    En Bref :

    Les + : toujours aussi passionnant, je me suis régalée avec ce troisième tome qui nous transporte de Rome jusque dans l'ancien royaume de Maurétanie,
    Les - : Aucun.


    La Reine oubliée, tome 3, L'homme de Césarée ; Françoise Chandernagor

     Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle  

     

    • Pour découvrir mon avis sur les deux premiers tomes, c'est par ici :

    - Les enfants d'Alexandrie

    - Les dames de Rome

     


    Tags Tags : , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :