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Romans Historiques
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Par ALittleBit le 25 Novembre 2024 à 11:17
« Il y avait cependant une chose que j'ignorais : la méchanceté est un don reçu en naissant. Il ne s'acquiert pas. Ceux d'entre nous qui ne sont pas venus au monde, armés d'ergots et de crocs, partent perdants dans tous les combats. »
Publié en 1988
Éditions Folio
288 pages
Résumé :
Fille de l'esclave Abena violée par un marin anglais à bord d'un vaisseau négrier, Tituba, née à la Barbade, est initiée aux pouvoirs surnaturels par Man Yaya, guérisseuse et faiseuse de sorts. Son mariage avec John Indien l'entraîne à Boston, puis au village de Salem au service du pasteur Parris. C'est dans l'atmosphère hystérique de cette petite communauté puritaine qu'a lieu le célèbre procès des sorcières de Salem en 1692. Tituba est arrêtée, oubliée dans sa prison jusqu'à l'amnistie générale qui survient deux ans plus tard. Là s'arrête l'histoire. Maryse Condé la réhabilite, l'arrache à cet oubli auquel elle avait été condamnée et, pour finir, la ramène à son pays natal, la Barbade, au temps des Nègres marrons et des premières révoltes d'esclaves.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Avant même de commencer, la vie de Tituba est une tragédie. Prisonnière et réduite en esclavage, sa mère, Abena, est violée sur le bateau négrier qui l'emmène vers les colonies d'Amérique. Arrivée à la Barbade, elle devient la propriété d'un riche planteur d'origine anglaise mais, lorsque ce dernier s'aperçoit qu'Abena est enceinte, il la retire du service de sa jeune épouse - au grand dam des deux jeunes femmes, seules et isolées, qui avaient créé des liens.
Mariée arbitrairement à Yao, un autre esclave de la plantation, Abena trouve auprès de lui un peu de réconfort et de chaleur. Yao sera aussi la figure importante de l'enfance de la petite Tituba qui, née d'un viol, rappelle sans cesse à sa mère son traumatisme. Abena, trop jeune et brisée, ne parvient pas à aimer cette enfant.
A l'adolescence, Tituba apprend auprès de Man Yaya les arcanes des pouvoirs surnaturels : elle s'initie au dialogues avec l'au-delà et devient guérisseuse, sachant manier les plantes et les remèdes que la nature offre. Sa rencontre avec le charismatique John Indien change son destin à jamais : esclave d'une femme riche de Bridgetown, John Indien est un homme fantasque, qui fait brûler Tituba de désir. Mais, déjà, la jeune femme suscite la méfiance. La maîtresse de John Indien se méfie d'elle et, lorsqu'elle tombe malade, elle n'hésite pas à accuser Tituba de l'avoir ensorcelée...sorcière...le mot ne la lâchera plus.
Suivant John Indien jusqu'aux Amériques, Tituba s'installe à Salem, un petit village du Massachusetts. Les colonies britanniques, en cette fin du XVIIe siècle, sont concentrées sur la côte est de ce qui sera un jour les Etats-Unis. Ce sont de petites communautés, souvent rurales et puritaines, qui vivent dans l'ombre de cités un peu plus grandes, comme Boston ou New-York. A Salem, Tituba et John Indien se retrouvent au service de Samuel Parris, un pasteur rigoriste, de sa jeune épouse à la santé fragile, de la fille du couple, la jeune Betsey et de leur nièce, la mystérieuse Abigail.
Se languissant de son île, menant une vie morne, Tituba ne trouve de réconfort qu'auprès de John Indien et des enfants de la communauté, qui viennent rencontrer Betsey et Abigail. Mais, lorsque la petite Betsey tombe malade, puis Abigail, très vite, on parle de sorcellerie et de possession...et Tituba est en première ligne : alors que l'épidémie semble se répandre comme une traînée de poudre à Salem, contaminant les enfants et semant sur son passage un torrents d'accusations plus ou moins farfelues, elle est accusée, ainsi que d'autres femmes de Salem, d'avoir procédé à des envoûtements sur Betsey Parris, sa cousine Abigail et d'autres jeunes femmes de Salem. Emprisonnée plusieurs mois, elle connaîtra cependant un sort plus enviable que certains autres accusés des procès de Salem : dix-neuf personnes furent pendues et plusieurs autres moururent en prison.Les procès de Salem, qui commencent en 1692 ont pour point de départ les délires hallucinés de jeunes filles dont les premières accuseront Tituba, avant qu'une cascade d'accusations ne viennent éclabousser d'autres membres de la communauté - surtout des femmes.
A l'issue des procès de Salem, qui ont révélé une vaste supercherie, alimentée par les accusations fantaisistes de jeunes filles conditionnées par une obsession du châtiment et la lecture rigoriste et extrémiste de la religion, on perd la trace de Tituba. Femme et esclave, pour elle, c'est la double-peine : elle est aussitôt vouée aux limbes de l'Histoire, à l'oubli, dont les textes ne la sortent que brièvement, pour parler d'une « esclave barbadienne initiée au hodoo », pratiquant donc une forme de sorcellerie étrange, organique, étrangère à la rationnalité d'un christianisme puritain et rigoureux - dans le roman, les esprits, ces croyances ancestrales notamment venues d'Afrique, sont omniprésentes, entre médecine traditionnelle et magie. Tituba réunit toutes les conditions pour être reléguée dans l'oubli collectif. Mais c'est sans compter des autrices, comme Maryse Condé ou la romancière américaine Anne Petry, qui ont redonné une voix, une consistance au personnage. Si, pour Anne Petry est probablement achetée par un tisserand de Boston, où elle finira ses jours, Maryse Condé lui imagine un autre destin, une autre fin et surtout, lui fait retrouver son île.
Qu'est-ce qui est vrai et qu'est-ce qui est faux ? Nous sommes bien en peine de le dire et, finalement, peu importe. Ce roman n'est pas là pour raconter précisément la destinée de Tituba sur laquelle par ailleurs subsistent de nombreuses zones d'ombre. Ce roman, c'est autre chose et surtout, bien plus qu'une biographie romancée.
Le roman date de 1986 mais il est très actuel. Je ne peux évidemment m'empêcher de classer Moi, Tituba sorcière... dans la catégorie des romans historiques, car il en a effectivement la plupart des caractéristiques. On ne peut cependant lui enlever le caractère engagé voire militant que l'on ne retrouve justement pas systématiquement dans ce type de romans : Maryse Condé a rendu hommage à une des figures peut-être les plus marginalisées des procès de Salem, celle sur laquelle, de préférence, les historiens ne se sont pas penchés pendant des siècles. On remarquera d'ailleurs que les deux personnes qui, dans le monde des lettres ont pris le temps de s'intéresser à elle sont deux femmes, Maryse Condé, donc, d'origine guadeloupéenne et dont les origines mêmes, l'histoire sont marquées par l'esclavage et Anne Petry, cette romancière américaine qui a fait des recherches sur Tituba, participant ainsi à la sortir de l'oubli, de l'obscurité dans laquelle il était confortable, peut-être, de la voir plongée. Le roman fait écho aussi à ce que nous connaissons aujourd'hui : la prise de parole, de position, des minorités, parmi lesquelles les femmes et surtout, les femmes racisées. En donnant la parole à l'une de ces femmes, une femme noire, dans un contexte, une époque où l'on ne les considère que comme des biens meubles, avec un mépris, une détestation innée que l'on ne peut évidemment plus cautionner aujourd'hui, Maryse Condé rend un bel hommage à ces femmes courageuses, à leurs ancêtres. C'est aussi un bel hommage aux femmes en général qu'elle fait dans ce roman, montrant toute la ressource que peut contenir non seulement un cœur humain, mais surtout un coeur de femme. On ressort de cette lecture infiniment proche de Tituba et révoltée par ce qu'elle a connu et ce qu'elle a vu.
Ce roman est d'une force incroyable et je dois dire que je ne regrette pas une seconde ma lecture. Moi qui voulais découvrir Maryse Condé, c'est chose faite : je regrette seulement de l'avoir fait alors que l'autrice n'est plus en vie. Cela ne change pas grand chose, me direz-vous, mais j'avoue que je regretterai presque de ne pas l'avoir découverte plus tôt. Je pense que cette femme, à l'engagement fort, était une grande dame, infiniment respectable et, en plus de ça, c'était une grande romancière. J'ai vraiment beaucoup aimé sa plume et j'ai très envie désormais de continuer à explorer son oeuvre. Il est clair que son écriture est d'une grande beauté et d'une puissance folle.
Moi, Tituba sorcière... nous permet aussi de nous plonger dans une histoire que nous connaissons bien, qui ferait presque penser aujourd'hui à une légende, alors qu'il n'en est rien. Les procès des Sorcières de Salem eurent bien lieu. Une ville porte encore ce nom-là aux Etats-Unis, alors que le petit village de Salem, où les événements eurent lieu, se nomme aujourd'hui Danvers. Avec ce roman, nous entrons au cœur d'une communauté isolée, aux repères brouillés, dans un territoire qui n'est pas le sien et qui se replie sur ce qu'elle connaît, ce qu'elle maîtrise. Si on réduit les Noirs et les Indiens à l'esclavage avec violence, les femmes blanches et les enfants comptent peu dans une société extrêmement patriarcale et dominée par les hommes et notamment, par les hommes de religion, les pasteurs comme Samuel Parris, dont la croyance exaltée, presque hallucinée, s'accompagne d'une intransigeance violente et sans concession mais aussi d'une hypocrisie sans nom. Nous entrons au coeur d'un procès du XVIIe siècle, où souci de justice et d'équité n'entre pas en ligne de compte.
Un roman passionnant et révoltant, car parfois assez dur. On ne pourra cependant pas en ressortir sans une infinie sympathie pour le personnage de Tituba, admirable pour son courage et sa détermination. Et, à l'heure où l'Histoire parfois semble réécrire avec un malin plaisir ses pages les plus sombres, prions pour ne plus jamais connaître une époque où un être humain pouvait être considéré comme une propriété et où la sorcellerie était un moyen facile et admis de se débarrasser de ceux qui gênaient, à commencer par les femmes.L'esclave Tituba, parfois considérée comme d'origine indienne, parfois d'origine africaine, est le personnage à l'origine de l'épisode des sorcières de Salem, puisqu'elle fut la première accusée
En Bref :
Les + : Un récit puissant, servi par une plume magnifique. Je ne connaissais pas Maryse Condé, c'est chose faite et je ne regrette absolument pas ma lecture !
Les - : pas particulièrement de points négatifs à soulever, au contraire.
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Par ALittleBit le 16 Novembre 2024 à 15:43
« Il faut vivre chaque journée comme elle vient, et refuser tant les regrets que les inquiétudes pour l'avenir. »
Publié en 1998 aux Etats-Unis
En 2018 en France (pour la présente édition)
Titre original : One Thousand White Women
Editions Pocket
494 pages
Premier tome de la saga Mille femmes blanches
Résumé :
En 1874, à Washington, le président Grant accepte la proposition incroyable du chef indien Little Wolf : troquer mille femmes blanches contre chevaux et bisons pour favoriser l'intégration du peuple indien. Si quelques femmes se portent volontaires, la plupart viennent des pénitenciers et des asiles... L'une d'elles, May Dodd, apprend sa nouvelle vie de squaw et les rites des Indiens. Mariée à un puissant guerrier, elle découvre les combats violents entre tribus et les ravages provoqués par l'alcool. Aux côtés de femmes de toutes origines, elle assiste à l'agonie de son peuple d'adoption...
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
En 1874 à Washington, le président des Etats-Unis, Ulysses S. Grant reçoit le chef cheyenne Little Wolf. Les deux hommes scellent un pacte des plus surprenants : contre mille chevaux cédés par les Amérindiens aux « Blancs », ces derniers enverront mille femmes blanches chez les Cheyennes, dans le but d’accroître la natalité de ce peuple indien mais aussi, de commencer l’insertion dans le monde « civilisés » des peuples Natifs.
Le programme BFI (« Brides for Indians ») est donc mis en place dans le plus grand secret : sur la base du volontariat, plusieurs femmes, au printemps 1875, prennent le chemin de l’ouest américain, où elles vont épouser des Indiens cheyennes et s’insérer dans leur communauté. Mais, officieusement, elles sont là pour servir le gouvernement américain et tenter d’amener leurs maris à se soumettre aux volontés de Washington : au 1er février 1876, tous les peuples indiens devront avoir rejoint les Agences (doux euphémisme pour ne pas parler de « réserves ») où seront mis à leur disposition un territoire, des maisons et la perspective d’une éducation à l’américaine pour leurs enfants, notamment ceux nés des femmes blanches et destinés à créer un véritable trait d’union entre leurs deux cultures.
Parmi ces volontaires, May Dodd, une jeune femme originaire de Chicago. La jeune femme voit dans ce programme gouvernemental la possibilité de recouvrer la liberté, après avoir été enfermée arbitrairement par sa famille bourgeoise à l’asile, sous prétexte que May avait choisi une voie non-conventionnelle et eu des enfants hors mariage, avec un homme qui n’était pas issu de son milieu. Sans hésiter, mais non sans appréhension, May prend donc le chemin du sud-ouest des Etats-Unis, le pays des Grandes Plaines, encore sauvage et où vivent les Indiens. May sera choisie comme épouse par Little Wolf, le chef des Cheyennes du Nord.
A ses côtés, des femmes de milieux et d’horizons différents : Gretchen, une jeune Suissesse dont les parents fermiers avaient émigré aux Etats-Unis et qui est habituée à une vie campagnarde et rude, Meggie et Suzie Kelly, deux petites frappes irlandaises originaires de Chicago et qui ont trempé dans des affaires louches, Ada Ware, qui a connu l’asile comme May, Martha, timide mais déterminée à trouver une vie meilleure ailleurs, Daisy, une jeune femme du Sud pleine de préjugés mais qui tombera bien vite le masque, Helen Flight, une jeune Anglaise excentrique et avide d’aventures…en tout, c’est une quarantaine de femmes qui rejoint la tribu de Little Wolf et découvre la vie des Amérindiens, si différente de celle qu’elles ont connue jusque-là.
Au XIXe siècle, l’assimilation des peuples Amérindiens n’en est qu’à ses débuts. Ceux-ci continuent de vivre de manière ancestrale, dans les grands territoires qui ont toujours été les leurs. Chasseurs et cueilleurs, les Cheyennes sont nomades et se déplacent tout au long de l’année au gré de la circulation des bisons, qu’ils chassent pour leurs peaux et pour leurs viandes.
Pour May et ses compagnes, le dépaysement est total. Tout d’abord, les nouvelles épouses sont confrontées aux rites et coutumes d’un peuple qui, parfois, se heurtent à leurs propres valeurs ou à leur manière de pensée. Par exemple, May n’est pas l’unique épouse de Little Wolf : elle doit ainsi partager sa « loge » avec deux autres femmes et les enfants de ces dernières. Si la première épouse se montre d’ailleurs assez hostile, May finit par nouer des liens d’amitié avec la plus jeune, Feather on Head.
Peu à peu, les femmes Blanches s’intègrent à cette nouvelle vie…et pourtant, le compte à rebours commence et les rares liens conservés avec la civilisation blanche, notamment par le biais des campements militaires basés dans le Wyoming ou le Nebraska, ne sont pas sans le leur rappeler : l’hiver prochain, les Indiens devront avoir rejoint les Agences mises à leur disposition. Sinon, ils seront considérés comme hostiles et les Américains leur déclareront la guerre. Enceintes, la plupart des épouses se retrouvent donc écartelées entre leur pays d’origine, pour lequel elle se sont engagées dans cette mission, et leur peuple d’adoption qui, s’il continue de les choquer par certains aspects de sa culture, a su aussi les intégrer et leur faire une place.
Nous découvrons cette histoire à travers les journaux et les lettres de May Dodd, désireuse de laisser sur papier la trace de son aventure indienne. Peu à peu, la jeune femme se dévoile et nous la suivons dans son nouveau quotidien indien, dépouillé de toutes les fioritures de la civilisation, plus simple, plus proche de la nature et de ses cycles. Les jeunes Américaines découvrent une population à la société parfois plus égalitaire que celle qu’elles ont pu connaître chez les « Blancs » : ainsi, la principale conseillère de Little Wolf est une femme, une sorte de chamane…
Surtout, elles se rendent vite compte que le gouvernement de Grant les a totalement abandonnées : le programme BFI n’ira jamais à son terme et les milles femmes blanches promises ne viendront jamais, à l’exception des quarantaines déjà « livrées », pour parler trivialement. Dès lors, que faire ? Prendre fait et cause pour les Indiens ou tenter malgré tout et malgré la répulsion qu’elles peuvent éprouver pour la mission qu’on leur a assignée, de mener celle-ci à bien ? N’est-ce pas d’ores et déjà voué à l’échec ?Photographie d'Amérindiens, au XIXe siècle : leur société est alors encore préservée et très ancestrale.
Si des programmes assez similaires à celui du BFI ont réellement existé (les Filles du Roi, en France qui, au XVIIe siècle, étaient envoyées dans les colonies ; les Britanniques envoyées au XIXe siècle en Australie et en Nouvelle-Zélande pour y contracter des mariages et peupler ces nouvelles terres), ce dernier est totalement fictionnel et implique des mariages mixtes, ce qui n'était pas le cas pour les Filles du Roi, qui partaient dans les colonies épouser des compatriotes, tout comme les jeunes Britanniques recrutées pour aller se marier en Océanie. Toutefois, l’auteur s’est appuyé sur des faits historiques authentiques : on sait par exemple que le président Grant eut un entretien à Washington avec Little Wolf, le chef des Cheyennes du Nord, en 1874. On ne sait pas cependant ce qu’ils ont pu se dire à cette occasion. Toujours est-il que c’est à cette même époque que sont développées les réserves, promises à un triste mais pérenne avenir, puisqu’elles existent encore aujourd’hui. Partant de là, Jim Fergus a imaginé un cynique échange et un moyen machiavélique des Américains pour circonvenir les Indiens en leur donnant des femmes blanches et, de fait, de futurs enfants métis qui doivent devenir les porte-paroles, comme leurs mères, de nouvelles manières de vivre.
Ce roman a été beaucoup vu, beaucoup lu. J’hésitais donc depuis longtemps à me lancer à mon tour et c’est donc après maintes tergiversations que je me suis enfin lancée dans Mille femmes blanches. Au cours de ma lecture, j’ai lu par curiosité quelques critiques d’autres lecteurs et j’en suis arrivée à la conclusion que Mille femmes blanches est assez clivant. Fascinant et excellent pour certains, il est aussi l’objet d’avis bien plus réservés voire négatifs. Si je ne partage pas l’avis catégorique de certains lecteurs qui parlent d’un roman raciste et misogyne (peut-être Mille femmes blanches véhicule-t-il des idées qui peuvent aujourd’hui nous choquer, mais il ne faut pas oublier que son intrigue se passe 150 ans en arrière, dans un contexte qui n’est plus du tout le nôtre – et en aucun cas je n’ai eu l’impression que Jim Fergus diffusait ici ses propres idées), je ne ferai pas non plus partie des lecteurs complètement conquis par ce roman. Je m’explique…
Avant de le lire, j’ai eu l’impression que ce roman rencontrait un succès fou et fascinait beaucoup. Il est vrai qu’il aborde des sujets intéressants et qui font réfléchir : des « Blancs » ou des Amérindiens, qui est véritablement le sauvage ? Le volontariat des femmes blanches – et donc, par là même, leur consentement – est-il véritablement une réalité ou une pure mystification ? Le roman confronte aussi une civilisation occidentale déjà tentaculaire à ses propres limites.
Pour autant, je n’ai pas du tout eu l’impression que Mille femmes blanches était un roman vraiment révolutionnaire ou extraordinaire, dans le sens littéral du terme. J’ai eu l’impression de lire un roman qui, certes, aborde des sujets percutants (consentement, féminisme, colonisation) mais qui est un roman historique assez traditionnel dans sa forme et qui ne m’a pas plus surprise ni plus bousculée que ça. Ai-je eu le grand roman que j’attendais ? Non, peut-être pas. Cependant, j’ai vraiment beaucoup aimé les descriptions des paysages, de cette nature encore préservée et grandiose, l’immersion dans le quotidien des Amérindiens, loin de tous les clichés éculés que l’on peut lire sur eux : je sais que certains lecteurs ont reproché à Fergus une vision perçue comme offensante des Indiens d’Amérique. Pour ma part, j’ai eu l’impression qu’au contraire, l’auteur livre une vision assez nuancée, sans tomber dans la complaisance mais sans faire siens pour autant les arguments racistes qui voulaient que les Indiens soient des « barbares » ou des « sauvages » qu’il fallait sauver par la civilisation – car après tout, qu’est-ce que la civilisation ? Vaste sujet. Et si, au départ, les jeunes femmes blanches peuvent encore réfléchir de cette manière, imprégnées qu’elles sont par leur culture d’origine, elles finissent aussi par changer peu à peu d’opinion, au contact de ces hommes et de ces femmes, somme toute pas si différents, qui ne vivent certes pas comme elles mais connaissent les mêmes sentiments, les mêmes joies ou les mêmes peines – c’est seulement la manière de les exprimer qui est différente. J’ai eu l’impression que le roman célébrait aussi l’universalité des sentiments humains et la communauté que nous pourrions trouver avec l’autre, si nous parvenions à nous dépouiller entièrement de tous nos préjugés ou idées préconçues.
Enfin, même si cela n’est pas directement imputable au romancier, je soulèverais un petit bémol : la façon dont ce roman est présenté laisse entendre que ce qui est raconté dans le roman est une histoire vraie, ce qui est entièrement faux. Certes, l’auteur s’est inspiré de personnages historiques (Ulysses S. Grant est bien président des Etats-Unis à cette époque, le chef cheyenne Little Wolf a existé également même si Fergus en fait ici un personnage romancé) et d’événements (batailles, traités) authentiques mais je trouve dommage qu’aucun avertissement véritable clair ne soit pas présenté au début du roman, afin d’éclairer le lecteur sur ce qu’il va y trouver. Alors bien sûr, on peut se douter qu’un tel échange (des femmes contre des chevaux) est particulièrement cynique, mais quand il s’agit d’arriver à leurs fins, les politiques sont capables de faire preuve d’une imagination débordante, alors, pourquoi pas ?
Pour conclure, je dirais que, malgré quelques réserves, je ressors de cette lecture convaincue. Je craignais de ne pas aimer et finalement, ce ne fut pas le cas, même si je n’ai pas particulièrement adhéré aux personnages, notamment à May Dodd, ce qui est dommage puisqu’elle est la narratrice. Je regrette aussi que la charge émotionnelle des derniers chapitres n’ait pas été plus présente dans le reste du roman. Peut-être peut-on reprocher quelque peu sa froideur, par moments, à Mille femmes blanches. Pour autant, c’est avec plaisir et curiosité que je lirai la suite et je ne peux évidemment que vous recommander de le lire si vous aussi, vous êtes intrigués.En Bref :
Les + : un roman historique qui a le mérite de mettre en avant une histoire assez méconnue et traumatique, celle des Amérindiens que l'on va confiner dans des réserves au nom d'une prétendue mission civilisatrice.
Les - : un manque cruel d'empathie pour les personnages, c'est dommage.
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Par ALittleBit le 2 Novembre 2024 à 10:32
« Je rends tous les jours grâce à Dieu des liens d'affection qui nous ont soudés et nous ont permis de franchir l'écueil de la pestilence. Être aimés et honorés pour ce que nous sommes, et non pour ce que notre rang représente, telle est sûrement la leçon qu'Il a voulu nous donner quand Il nous a envoyé Son fils sous les traits d'un charpentier et non d'un roi. »
Publié en 2018 en Angleterre
En 2022 en France (pour la présente édition)
Titre original : The turn of midnight
Éditions Pocket
574 pages
Deuxième tome de la saga Les Dernières Heures
Résumé :
Dorset, automne 1348. Après des mois de confinement, les heures sombres sont enfin loin derrière. Sous l'influence de Lady Anne, le domaine de Develish a su se préserver de la peste noire qui ravagea l'Angleterre. Mais qu'en est-il de l'autre côté des douves ? Sont-ils les derniers survivants ? Pour le savoir, et ravitailler le domaine par la même occasion, le serf Thaddeus Thurkell monte une expédition. Il laisse derrière lui un domaine plus que jamais menacé par les luttes intestines, les vengeances personnelles et les profiteurs de guerre...Son rêve d'un monde d'après, d'un monde plus libre, survivra-t-il au tournant de minuit ?
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Automne 1348 : à Develish, les habitants sont toujours confinés derrière les douves du domaine pour se protéger de la pestilence, cette maladie violente et particulièrement mortelle qui se diffuse en Angleterre depuis le début de l'été. Mais pour continuer d'approvisionner le domaine et nourrir ses habitants, dont aucun n'a eu à souffrir de l'épidémie, grâce aux mesures prises par la châtelaine, Lady Anne, le serf Thaddeus Thurkell et certains jeunes hommes de Develish ont bravé la menace de la maladie pour s'aventurer au dehors et rapporter des vivres. Ils ne s'attendaient pas à voir ce qu'ils ont vu : des villages entièrement décimés et déserts, des paysans et des serfs livrés à eux-mêmes après la fuite éperdue de leurs seigneurs, les plus bas instincts humains, fouettés par la peur, reprenant leur droits...mais Thaddeus est déterminé...et, parce qu'il a l'oreille et la confiance de la châtelaine - au grand dam du régisseur de Develish, Hugh de Courtesmain, ulcéré de voir un serf prendre tant d'importance -, le jeune homme n'a qu'un objectif : mener à bien sa mission et sauver Develish.
Mais à l'automne, la première vague, particulièrement meurtrière et terrifiante, semble être passée. Ce que ne savent pas encore les habitants, c'est que la peste reviendra régulièrement, par vagues, avant de disparaître tout aussi subitement, tout au long de la fin du Moyen Âge et de l'époque moderne. En France, par exemple, la dernière épidémie de peste décime Marseille en 1720, après l'arrivée d'un bateau dans le port dont l'équipage était contaminé. Mais, en attendant, l'espoir revient : dans certaines villes, Thaddeus et ses compagnons rencontrent enfin des vivants, hommes et femmes qui, malgré la peur, ressortent et reprennent leurs activités. Mais le monde tel qu'ils le connaissaient n'existe plus. Les morts sont innombrables et les activités paysannes et commerciales s'en ressentent, car il y a moins de bras pour travailler et moins d'acheteurs... une nouvelle vie est possible et Thaddeus entrevoit, pour lui comme pour les habitants de Develish, un avenir différent de celui qu'ils avaient envisagé jusque là...peut-être la pestilence, pour horrible et terrifiante qu'elle est, aura-t-elle quelques avantages...le jeune serf, intelligent et rusé, compte bien se servir de ce nouvel état de fait pour tirer son épingle du jeu. Mais y arrivera-t-il ? Et Lady Anne, aux idées progressistes, parviendra-t-elle de son côté à libérer enfin les gens de Develish des liens de servilité qui les retiennent encore ?
Vous l'aurez compris, Au tournant de minuit, comme son prédécesseur Les dernières heures, est le roman de la Peste Noire, cette maladie qui apparait en Europe de l'ouest autour de 1347, peut-être diffusée depuis les régions de la mère Caspienne jusque dans les ports d'Italie, de France, puis d'Angleterre. Violente, la maladie se diffuse particulièrement vite, notamment par le biais des rats qui en sont les vecteurs, ce que les hommes du Moyen Âge ne savent pas - ou ne comprennent pas. Il faudra attendre le XIXe siècle et les travaux du médecin Alexandre Yersin pour que soit isolé le bacille de la peste. Au XVIe siècle, la médecine est impuissante à guérir et les populations terrorisées se tournent vers Dieu et la prière. Mais à Develish, les habitant doivent leur salut à une châtelaine instruite qui comprend vite qu'en s'isolant, on a des chances de survie : sans forcément avoir compris les mécanismes de la contagion, Lady Anne comme Thaddeus en sont arrivés à la conclusion que se maintenir loin des foyers de maladie, isoler les malades et faire preuve d'une hygiène rigoureuse pouvait prémunir de la maladie, sans l'éradiquer cependant. Et leurs mesures, sanitaires pourrait-on dire, portent leurs fruits, puisqu'aucun habitant du domaine ne tombe malade.
Cette saga ne peut que nous évoquer une période récente : les confinements dus au Covid, en 2020 et 2021. Certes, on ne peut comparer les deux maladies et pourtant, certaines analogies sont troublantes. Evidemment, nous avons aujourd'hui plus de moyens, notamment les vaccins, pour combattre les maladies, toujours est-il que le monde contemporain n'est pas à l'abri d'épidémies nouvelles et se diffusant rapidement : tout au plus avons-nous une capacité de réponse plus efficace qu'à l'époque médiévale et des connaissances médicales plus avancées. Toujours est-il que ce qui se produit à Develish n'est pas sans nous rappeler les mesures sanitaires mises en place tout au long de l'épidémie de Covid, à commencer par l'isolement et l'hygiène.
Dans ce deuxième tome, le changement qui se produit après la première vague de la maladie peut aussi nous rappeler les bouleversements que nous avons connus : nous ne voyons plus le monde ni même notre vie de la même manière (nous avons pu constater par exemple de profondes mutations dans le monde du travail à l'issue de la crise sanitaire) et c'est aussi le cas pour les survivants de la pestilence qui se rendent compte soudain des limites de leur monde et de leurs croyances, à commencer par l'influence des prêtres.
J'ai aimé aussi le message véhiculé par ce roman : l'instruction combattra toujours l'obscurantisme (notamment ici, celui de l'Eglise et des prêtres moralisateurs) et l'intelligence n'est sûrement pas un privilège de classe - bien au contraire.
Seul bémol, j'ai trouvé ce deuxième tome trop romanesque par rapport au premier...j'ai eu l'impression que l'autrice utilisait peut-être des ficelles un peu trop grosses et pas forcément toujous crédibles pour arriver à ses fins, ce qui est dommage...d'un autre côté, j'ai trouvé que certains aspects du roman auraient peut-être pu être plus travaillés, comme le changement de Lady Eleanor. J'aurais aimé que l'autrice s'y attarde peut-être un peu plus. Nous sommes moins à Develish dans ce volume et c'est dommage car c'est une communauté intéressante et attachante.
Bref, Les Dernières heures aurait peut-être pu se suffire à lui-même. Au tournant de minuit n'était pas désagréable à lire, mais peut-être pas indispensable...l'autrice aurait pu mélanger les deux intrigues et en faire un seul volume sans aucun problème à mon avis. Je ne le relirai probablement pas cette série mais si vous aimez les romans historiques et le Moyen Âge, pourquoi pas ?En Bref :
Les + : les sujets abordés sont intéressants et intemporels comme la supériorité de l'intelligence et l'importance de l'instruction pour vaincre l'obscurantisme.
Les - : un tome moins intéressant que le premier, peut-être pas forcément nécessaire...je l'ai trouvé parfois un peu trop romanesque et, de fait, moins crédible. Dommage.
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- Découvrez mon avis sur le premier tome juste ici.
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Par ALittleBit le 24 Octobre 2024 à 11:18
« Ai-je eu raison ? Ai-je eu raison de rester sur mes positions pour défendre ce qui me semblait juste, même s'il en est résulté de nombreux maux ? Je me suis souvent posé cette question ces derniers temps et j'aimerais être en paix avec ma conscience. »
Publié en 2016 en Angleterre
En 2023 en France (pour la présente édition)
Titre original : Six Tudor Queens, book 1, Katherine of Aragon: The True Queen
Éditions Hauteville
893 pages
Premier tome de la saga Les Reines Maudites
Résumé :
Dieu avait enfin exaucé ses prières. Ce magnifique jeune homme voulait faire d'elle son épouse et la mère de ses héritiers. Ceux qui l'avaient méprisée, humiliée, devraient désormais s'incliner devant elle. Elle essaya de ne pas se réjouir à cette idée, mais elle n'était pas une sainte. Ses années de misère étaient définitivement révolues, elle serait bientôt la femme du roi le plus riche qui ait jamais régné en Angleterre.
Catherine d'Aragon n'a que seize ans lorsqu'elle quitte à tout jamais son Espagne natale. Promise au prince Arthur, son destin est tout tracé : elle sera reine d'Angleterre. Lorsque la mort réclame prématurément son nouvel époux, cette belle destinée vole en éclats. Délaissée, trahie par ceux qui étaient censés la protéger, Catherine ne doit sa survie qu'à sa foi et sa détermination. Sa témérité est récompensée lorsqu'elle monte enfin sur le trône en épousant le beau Henri VIII, le jeune frère d'Arthur.
Mais au fil des années, leur bonheur se délite peu à peu. Quand leur union, et la nation tout entière, sont menacées, Catherine décide qu'elle ne se laissera pas remplacer sans livrer bataille.Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
En 1501, la jeune Catalina d’Aragon (on la connaîtra bientôt sous le nom de Catherine d’Aragon) quitte non sans appréhension son Espagne natale pour la lointaine Angleterre : son mariage avec l’héritier du roi Henri VII Tudor, le prince Arthur, doit concrétiser l’alliance entre l’Angleterre des Tudors et l’Espagne des Rois-Catholiques.
En Angleterre, la jeune princesse découvre un mode de vie radicalement différent de ce qu’elle a connu jusqu’ici : élevée dans le confort et la beauté grandiose des anciens palais maures, Catherine doit s’habituer au froid, à la pluie, à une nourriture différente mais aussi à une nouvelle famille. Son mariage avec le prince Arthur n’est qu’un simulacre : les deux jeunes gens ne se connaissent pas et aucun sentiment ne naît entre eux. Surtout, Arthur est bien trop malade pour consommer leur mariage et meurt avant d’y être parvenu. A seize ans, Catherine se retrouve veuve et sans aucune perspective. Elle connaît quelques années d’indigence et d’incertitude, pion entre les mains de son beau-père Henri VII Tudor, qui se sert d’elle pour forcer l’Espagne à verser sa dot et pour faire pression sur le roi Ferdinand, le père de Catherine. Réduite à la pauvreté, éloignée de la Cour, Catherine boit le calice jusqu’à la lie. Mais la mort d’Henri VII en 1509 ouvre une nouvelle ère pour l’Angleterre et pour la malheureuse princesse espagnole : le nouveau roi est le fils cadet d’Henri VII, le prince Henri. Bien différent d’Arthur, athlétique et plein de santé, le nouveau roi est jeune et ambitieux. Surtout, il a décidé de faire de Catherine sa reine. Alors, après avoir épousé le premier fils du premier roi Tudor, Catherine d’Aragon en épouse le second et devient enfin reine. Son destin est en marche.
Les premières années de mariage avec Henri VIII sont harmonieuses. Le couple s’entend bien et Catherine tombe très vite enceinte. Le jeune roi est bien sûr désireux de consolider sa dynastie et attend avec impatience des fils…mais les espérances du roi et de la reine seront bientôt réduites à néant. Toutes les grossesses de Catherine se solderont par une fausse-couche ou pour la naissance d’un bébé mort-né, sauf une en 1516, quand la reine met au monde la princesse Marie. Le couple s’attache à cette petite princesse mais pour le roi la déception est cruelle car, les années passant, Catherine, plus âgée que lui, ne peut bientôt plus procréer. Pour Henri VIII s’ouvre alors un avenir bien sombre et, bientôt, l’idée d’avoir un héritier mâle devient obsessionnelle…Un jour, le roi s’avise qu’un passage du Lévitique pourrait fort bien le concerner : un homme épousant la veuve de son frère verrait son mariage maudit. La punition se traduirait par l’absence d’enfants.Portrait posthume de la reine Catherine d'Aragon (1485 - 1536), première épouse d'Henri VIII et mère de la reine Marie Ière Tudor
Pour Henri, rien ne va alors devenir plus important que de se séparer de cette reine qu’il a pourtant tant aimée. Ce qu’on appellera bientôt « la Grande Affaire du Roi » commence à la fin des années 1520 quand Henri VIII lance une procédure d’annulation afin d’épouser une autre femme et d’en avoir des héritiers. Pour Catherine, le choc est rude. Mais la princesse, en fière Espagnole et digne fille d’Isabelle de Castille, ne se laisse pas faire et tient tête au roi, qui ne lui épargnera alors aucune humiliation, jusqu’à la faire cohabiter avec la nouvelle dame de ses pensées, la charmeuse et sournoise Anne Boleyn, prête à tout pour prendre la place de Catherine et poussée par un clan ambitieux.
Les conséquences de cette « Grande Affaire » sont bien connues aujourd’hui : non seulement le roi Henri VIII divorce de la reine Catherine mais aussi de l’Eglise de Rome, le pape ayant refusé d’annuler son mariage. C’est le début de la religion anglicane, toujours observée de nos jours au Royaume-Uni. Et si le souverain d’Angleterre est aujourd’hui le chef de son Eglise, il le doit à son lointain prédécesseur, le roi Henri VIII.
Éloignée de la cour, vivant de château en château selon le bon vouloir du roi auquel elle reste soumise, Catherine est séparée des siens, à commencer de sa fille, la princesse Marie, privée de ses droits dynastiques. Malgré les épreuves, la reine ne baissera pourtant jamais les bras et ne cessera jamais de se revendiquer comme la seule et unique épouse légitime du roi. Usée cependant par les épreuves, elle meurt en janvier 1536 à l’âge de cinquante ans, sans jamais n’avoir revu ni le roi, ni sa fille.
Catherine d’Aragon est l’exemple parfait qu’une haute naissance ne garantit pas un illustre destin : princesse malheureuse entre toutes, elle verra son destin semé d’embûches jusque dans les derniers mois de sa vie. Pion malléable entre les mains de son père et de son beau-père, elle connaît une jeunesse triste et pauvre, loin de son pays qui lui manque, avant qu’Henri VIII n’en fasse sa reine adulée. Mais bientôt, les épreuves répétées de fausse-couches minent sa santé. Le roi se montrera cruel avec elle, pourtant jamais Catherine ne pliera, sans pour autant se montrer déloyale envers Henri. Quelle force d’âme, quel caractère. Mais aussi, quel malheur…
Catherine d’Aragon ouvre le bal – sûrement s’en serait-elle bien passé – des reines maudites : elle est la première des six épouses d’Henri VIII qui connaîtront toutes, sauf une, un destin funeste. Celle qui croit triompher de Catherine, l’ambitieuse Anne Boleyn ne sait pas que, lorsque Catherine meurt à Kimbolton en janvier 1536, le triomphe pour elle ne sera qu’éphémère et que, déjà, ses jours sont comptés : cinq mois plus tard, déchue, disgraciée, Anne Boleyn monte à l’échafaud. La troisième épouse du roi, la douce Jane Seymour, meurt prématurément d’une fièvre puerpérale, après avoir donné à Henri VIII le cadeau tant désiré, le fils qu’il espérait depuis vingt ans. La quatrième, la princesse Anne de Clèves, est répudiée au bout de quelques mois de mariage, tandis que la cinquième, la jeune Catherine Howard, connaît le même destin funeste que sa cousine Anne Boleyn, convaincue de trahison et d’adultère. Seule la dernière des épouses, Catherine Parr, survit à Henri VIII, non sans avoir craint pour sa vie.
En restant au plus près des faits historiques, tout en prenant quelques libertés, Alison Weir nous propose ici un roman profond, vibrant, dans lequel une princesse pleine de caractère et de courage tient le premier rôle. La Catherine d’Aragon d’Alison Weir est touchante, déterminée et force l’admiration. Je me suis amusée à comparer ce roman avec La Princesse d’Aragon, la biographie romancée consacrée à Catherine par l’autrice Philippa Gregory…si les deux romancières ont parfois un point de vue différent, elles se rejoignent au mois sur un point : Catherine d’Aragon, malgré les épreuves, se révèle la digne fille de sa mère, la reine Isabelle la Catholique.
Malgré quelques longueurs en milieu du roman, j’ai apprécié cette lecture et cette plongée dans la Renaissance anglaise, qui est passionnante. Ce premier tome est prometteur, je lirai avec plaisir et intérêt la suite.Les dernières années de Catherine d'Aragon sont marquées par la Grande Affaire du Roi et par le procès en annulation de son mariage : jusqu'au bout, elle refusera qu'on l'appelle autrement que reine d'Angleterre
En Bref :
Les + : l'histoire mouvementée d'une femme déterminée et faisant face avec courage à l'adversité. Bien écrit, bien documenté, le roman se lit avec plaisir.
Les - : quelques longueurs en milieu de volume...peut-être le livre aurait-il pu être élagué de quelques chapitres sans qu'il n'en pâtisse.
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- Découvrez mon billet sur la biographie romancée de Catherine d'Aragon par Philippa Gregory juste ici.
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Par ALittleBit le 25 Septembre 2024 à 15:19
« À cinq heures du matin, le jour anormalement doux peine à se lever en ce mois de février. Trente-quatre exécutions annoncées par l’aboyeur public, mais les spectateurs se sont déplacés pour n’en contempler qu’une ; ils piaffent d’impatience de voir crever Maman. Accusée d’ivrognerie et de sorcellerie, elle va leur fournir avec son supplice le divertissement à ne pas manquer. Ce sera sa dernière représentation, et ses adorateurs s’appliquent à masquer leur trouble au milieu de la foule épouvantée. »
Publié en 2024
Éditions Pocket
448 pages
Résumé :
Ce jour de février 1680, on brûle en place de Grève. Trente-six condamnés sont menés au bûcher, mais la foule n'a d'yeux que pour une seule : la Voisin. Accusée de diablerie, l'empoisonneuse préférée de la Cour expie là l'affaire des poisons, qui fit trembler jusqu'au Roi-Soleil. « Allez tous vous faire foutre ! » sera son dernier mot, hurlé entre les flammes...
Combien de secrets emporte-t-elle ? Seule sa fille, Marie-Marguerite, pourrait les révéler pour sauver sa tête. Des philtres d'amour, des sortilèges et des messes noires, elle a tout vu, tout su - à commencer par les noms de ses très nobles clients. Mais qui l'écoutera ?Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Février 1680 : Marie-Marguerite Monvoisin, vingt-et-un ans, est tirée de sa cellule de Vincennes pour assister à l'exécution à Paris des derniers accusés de l'Affaire des Poisons. Parmi eux, on brûle sa mère, Catherine Monvoisin, dite la Voisin, envoûteuse, devineresse, sorcière, qui a notamment vendu des poudres et des philtres à la favorite de Louis XIV, Madame de Montespan. Avec son compère l'abbé défroqué Guibourg, elle avait également pratiqué des messes noires pour le compte de l'ambitieuse marquise qui, après sa disgrâce, avait eu comme projet de faire mourir son ancien et royal amant.
Pendant plus de dix ans, la Voisin a tenu le haut du pavé des empoisonneuses et autres sorcières parisiennes, chez lesquelles se bousculaient des membres éminents de la Cour : le duc de Luxembourg, la duchesse de Bouillon, la comtesse de Soissons, la marquise de Montespan... Jusqu'à son arrestation au début de l'année 1679, la Voisin a fait la pluie et le beau temps dans le monde souterrain des sciences occultes. Mais la mère de Marie-Marguerite ne s'était pas contentée de duper ses riches et vindicatives clientes, grâce à des tours dignes de la prestidigitation : peu à peu, la Voisin a versé dans le crime pur, se muant en avorteuse et en criminelle, tuant de sang-froid de jeunes enfants dont elle se servait des corps pour ses philtres et autres potions, avant d'en enterrer les petits cadavres devenus inutiles dans le jardin de sa maison de la rue de Beauregard.
Née en 1669 (du moins c'est ce que l'on peut en conclure au vu des informations dispensées par Marie-Marguerite elle-même), Marie-Marguerite Monvoisin est l'unique fille de Catherine Deshayes et d'Antoine Monvoisin. On parle aujourd'hui beaucoup de familles dysfonctionnelles et de parents toxiques mais le moins que l'on puisse dire, c'est que cela existait aussi au XVIIe siècle : l'enfant grandit auprès d'un couple parental peu conventionnel. La mère s'occupe de faire bouillir la marmite et de nourrir la famille, tandis que le père est un ivrogne patenté - mais qui est peut-être le seul à avoir un sentiment d'affection à peu près sincère pour la petite, qu'il surnomme sa « Guiguite ». L'enfant est très tôt témoin des disputes et affrontements de ses parents. Sa mère, qui n'a pas sa langue dans sa poche, n'hésite pas à traiter son mari de tous les noms et même, lorsqu'elle considère qu'il est allé trop loin, à payer des sbires pour le faire bastonner.
Marie-Marguerite grandit au plus près du commerce de sa mère, qui permet à la famille de vivre relativement bien : d'abord préposée à l'ouverture de la porte aux clientes de Catherine, Marie-Marguerite ne comprend pas exactement quelles sont les activités maternelles et ce qu'elles recèlent de duplicité et de crime.Une messe noire dite par l'abbé Guibourg sur le corps nu de la marquise de Montespan
Arrêtée peu après sa mère, Marie-Marguerite sauve sa tête, notamment grâce à la confession écrite qu'elle rédige à l'intention du lieutenant de police de Paris, La Reynie. La jeune femme participe ainsi directement à l'arrestation du sinistre abbé Guibourg, personnage central de ce que l'Histoire a retenu comme l'Affaire des Poisons, la dernière affaire de sorcellerie du royaume de France. Elle communique également les noms des clientes de sa mère et parmi elles, on retrouve de nombreuses femmes de la Cour, notamment des proches du roi comme les soeurs Mancini (Olympe Mancini, comtesse de Soissons, qui fut un temps sa maîtresse, sa soeur Marie-Anne, duchesse de Bouillon) ou encore la mère de ses enfants légitimés, Athénaïs de Montespan qui, ne supportant pas de se voir supplantée dans le coeur du roi, projette en 1679 de le faire mourir, ainsi que sa nouvelle amante, la jeune Marie-Angélique de Scorailles, future marquise de Fontanges.
La coopération de Marie-Marguerite va lui permettre de rester en vie mais à quel prix ? D'abord incarcérée à Vincennes où elle doit subir la curiosité malsaine de ses geôliers, elle est finalement déportée à Belle-Île-en-Mer avec d'autres accusées, où elle doit supporter des conditions de vie particulièrement pénibles. Nous ne savons pas quand Marie-Marguerite Monvoisin, fille de la plus célèbre empoisonneuse de Paris, est morte : les textes mentionnent que cinq détenues sur douze sont encore en vie en 1706 mais sans autre précision. La jeune femme a disparu dans les limbes de l'Histoire.
Elle est l'une des narratrices de ce récit, qui alterne entre la confession écrite de la jeune femme et des chapitres racontés par un narrateur extérieur, qui nous font découvrir le Paris des années 1670, où une véritable pègre des devineresses, des avorteuses, des envoûteuses, se met en place. Si la Voisin est encore aujourd'hui la plus connue de tous les protagonistes de l'Affaire des Poisons, elle n'est pas la seule. On peut ainsi mentionner Marie Bosse, la Filastre, la Vigoureux, l'abbé Guibourg, Adam Lesage, acolyte de la Voisin, Romani, celui de Marie Bosse...tout ce petit monde se cotoie, s'entraide ou rivalise selon les circonstances.
Au milieu, Marie-Marguerite semble le dernier îlot d'innocence et en même temps, la jeune fille, qui n'est pas sotte, est parfaitement au fait des activités de sa mère. Est-elle coupable ? Certes, elle n'a jamais dénoncé le réseau, alors qu'elle savait parfaitement que les poudres vendues par la Voisin étaient bien souvent destinées à se débarrasser d'un mari devenu gênant ou d'un parent qui ne mourrait pas assez vite et dont on avait besoin de l'héritage. Et, en même temps, sans sa mère, Marie-Marguerite est seule au monde. Pourtant, elle sera broyée malgré tout par l'instruction judiciaire et paiera au centuple les crimes de sa mère, qu'elle n'avait pas dénoncés et dont on lui fera porter la charge, après la mort de la Voisin en février 1680.
On m'avait beaucoup vanté ce roman d'Isabelle Duquesnoy. Certes, il est très bien écrit, parfaitement documenté mais ça reste un bon roman historique comme j'ai déjà pu en lire. Pour moi, ce roman ne se distingue pas particulièrement, or c'est vraiment ce que les différents avis que j'ai pu lire ici ou là me laissaient entendre. Pour autant, j'ai apprécié cette plongée dans un Paris sombre, sale, interlope, sous le règne de Louis XIV, que l'on considère souvent comme flamboyant mais qui n'en eut pas moins ses zones d'ombre. L'Affaire des Poisons et les crimes dont se rendirent coupables les très nombreux accusés, en sont la preuve. Le langage est souvent cru, certaines images peuvent susciter le dégoût du lecteur. Même si les textes mentionnent effectivement le langage fleuri et le comportement peu bienséant de la Voisin - qui savait pourtant faire preuve d'un véritable raffinement commercial face à ses clientes de la noblesse -, peut-être était-ce parfois un peu trop trivial, un peu trop grossier et pas forcément nécessaire...et je me rends compte que, moi qui n'ai jamais adhéré à l'univers de Jean Teulé par exemple, je n'y adhère toujours pas plus aujourd'hui. Par chance, la confession écrite de Marie-Marguerite vient un peu contrebalançer cet aspect du roman, avec un langage un peu plus agréable à l'oeil.
Si je devais comparer ce roman à un autre que j'ai lu, il y'a presque quatre ans et qui s'intitulait Une sorcière à la cour, je pense que ma préférence irait à ce dernier. J'avais aimé notamment la vision de l'auteur, qui nous amenait à nous interroger sur le prisme déformant par lequel une société patriarcale et relativement misogyne regardait une affaire criminelle comme celle-ci, où les coupables sont principalement des femmes, qu'elles soient envoûteuses et sorcières ou clientes. Car finalement, l'Affaire des Poisons n'est-elle pas aussi, en quelque sorte, un procès d'intentions basé sur un déterminisme biaisé ?
Cela dit, La chambre des diablesses se lit bien, ça reste une lecture sympathique et si vous aimez les romans historiques, pourquoi pas ? Mais il est clair qu'il ne plaira pas à tout le monde. Pour ma part, j'en ressors cependant assez agréablement surprise car j'avais peur justement que l'aspect trivial du roman ne me rebute et même si je l'ai trouvé par moments un peu trop présent, il ne m'a pas trop gênée non plus.Gravure du XVIIe siècle représentant Catherine Deshayes, épouse Monvoisin, dite la Voisin, peut-être la plus célèbre des accusées de l'Affaire des Poisons
En Bref :
Les + : un roman solide historiquement, avec des notes de bas de page éclairantes et des informations en fin de volume qui permettent d'en savoir plus. C'est une vraie plus value pour moi.
Les - : peut-être une surenchère dans la grossièreté et la trivialité qui, si elle correspond à l'image que les textes nous permettent de nous faire de la Voisin, n'était peut-être pas toujours nécessaire...Le roman est un peu cru par moments et ne plaira peut-être pas à tout le monde.
LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle
- Découvrez juste ici mon avis sur un autre roman parlant de l'Affaire des Poisons : Une sorcière à la Cour de Philippe Madral
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