• #40 Les Borgia : des mafieux au Vatican ?

    #40 Les Borgia : des mafieux au Vatican ?

     

    Les Borgia - Alexandre VI, l'ambition faite pape - Herodote.net

     

    Le 11 août 1492, c’est fait ! A la majorité canonique et après moult intrigues, le cardinal Rodrigo Borgia, 61 ans, est élu pape et son triomphe est complet. Comment s’est passée l’élection ? Peut-être pas dans toutes les règles sacrées : on murmure déjà qu’il a acheté certains votes, usant allègrement de simonie, mais peu importe, la fin justifie les moyens et le cardinal d’origine espagnole, dont la vie privée est plus que sulfureuse devient le 214ème souverain pontife. Le 26 août suivant, il est couronné officiellement et prend le nom d’Alexandre VI.

    • Rodrigo Borgia, après beaucoup d'intrigues, devient Alexandre VI 

     

    Histoire des Borgia - Roman-Historique.fr

    Cardinal depuis 1456, Borgia a eu le temps, avant d’accéder à la distinction papale, de devenir un personnage incontournable de l’Eglise catholique, gravissant patiemment les échelons – il faut dire qu’il s’est vu confier son premier poste ecclésiastique dès l’âge de quatorze ans - et hissant sa famille originaire de Valence, en Espagne (le nom Borgia est la forme italianisée du nom Borja) au rang des plus éminentes familles romaines et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne s’est pas illustré par son exemplarité, menant joyeuse vie et entretenant des maîtresses au vu et au su de chacun. Devenu Alexandre VI, il sera ainsi le premier pape à reconnaître officiellement ses enfants naturels (parmi ceux-ci, les plus célèbres sont probablement César, Juan et Lucrèce Borgia, nés entre 1474 et 1480) refusant de se livrer encore à une hypocrisie qui a cours depuis bien longtemps dans l’Eglise catholique et qui veut que les grands prélats présentent leurs enfants naturels sous le doux euphémisme de neveux ou de nièces, même si personne n’est dupe. Il sera peut-être aussi celui qui les élèvera, au même titre que les plus grandes familles régnantes de l’époque, aux plus hautes distinctions : son fils Juan sera ainsi fait duc de Gandie et gonfalonier avant d’épouser l’aristocrate espagnole Maria Enriquez de Luna apparentée à Ferdinand d’Aragon, son benjamin Joffre né en 1481 devient duc de Squillace en épousant la fille naturelle du roi de Naples et son unique fille Lucrèce, comme les princesses européennes qui sont ses contemporaines se voit destiner à des mariages arrangés et avantageux pour que son pape de père puisse nouer ou consolider des alliances.
    Mécène (Alexandre VI est connu pour avoir été le protecteur du peintre Pinturrichio à qui il confia la décoration de ses appartements privés au Vatican) et bon administrateur, Alexandre VI devient pape à une époque qui marque un tournant pour l’Europe : le Moyen Âge est en train de s’effacer au profit de la Renaissance triomphante, qui a pris racine dans l’Italie du début du XVème siècle, notamment à Florence sous l’égide des Médicis, dont le plus célèbre représentant est mort, quelques mois avant l’élection de Borgia au pontificat : Laurent le Magnifique, qui disparaît le 8 avril 1492. Cette même année, les Rois Catholiques en Espagne prennent le dernier bastion maure et musulman qui subsiste dans la péninsule, Grenade, mettant ainsi fin à plusieurs siècles de « Reconquista » et d’occupation arabe en Espagne. Puis, Isabelle la Catholique pensionnera un navigateur génois, Christophe Colomb, pour ouvrir une route maritime et commerciale vers l’Asie par l’ouest…la suite, on la connaît : posant le pied sur l’île d’Hispaniola, Colomb sans le savoir vient de débarquer sur un continent encore inconnu des Européens, l’Amérique.
    En France, les Valois règnent, dans un pays apaisé depuis la fin de la guerre de Cent Ans et qui a connu une politique centralisatrice sous Louis XI qui a su renforcer, parfois aussi par une expansion territoriale violente, une puissance en perte de vitesse après la longue et épuisante guerre de Cent Ans, marquée également par une guerre civile et l’affaiblissement du pouvoir royal sous Charles VI. L’Angleterre, elle aussi, est en paix depuis quelques années, avec l’avènement d’une nouvelle dynastie en 1485, les Tudor, ce qui met fin à plusieurs décennies de guerre civile (la Guerre des Deux-Roses).
    Le règne d’Alexandre VI sur le trône de Saint-Pierre est marqué évidemment par le contexte politique et social de l’époque : le nouveau pape, dont la réputation sulfureuse n’est plus à faire, se heurte par exemple aux discours exaltés et haineux du moine prédicateur Jérôme Savonarole, qui tient la florissante ville des Médicis – Florence – sous sa coupe. La papauté ne viendra à bout de ce fou de Dieu que six ans plus tard, en le condamnant au bûcher en 1498. Entre temps, Savonarole a hérissé Florence de bûchers où les habitants sont contraints de porter tableaux et livres immoraux : Botticelli lui-même apportera certaines de ses œuvres pour les jeter sur le bûcher du moine exalté. En 1493, la bulle papale Inter cætera consacre la partition du Nouveau Monde entre l’Espagne et le Portugal : la première se voit attribuer la mainmise sur toute l’Amérique latine, à l’exception du Brésil qui, lui, devient terre portugaise. Cette bulle est définitivement entérinée en 1494 avec la signature du Traité de Tordesillas, entre Jean II de Portugal et les Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon.
    Le pape va devoir également gérer l’hostilité des grands seigneurs romains, qui tiennent la ville sous leur coupe et les Etats pontificaux, mal défendus, suscitent les appétits de ses voisins, Napolitains, Florentins ou même Vénitiens. Mais une plus grande menace encore plane au-dessus des Etats d’Alexandre VI : le jeune roi Charles VIII de France, peut-être poussé dans ses retranchements par le partage du Nouveau Monde entre les deux puissances de la péninsule ibérique, décide de faire valoir ses droits sur le royaume de Naples, hérités du roi René d’Anjou. Le jeune roi inaugure alors l’ère des « Guerres d’Italie », qui ne prendra fin qu’avec la signature du traité du Cateau-Cambrésis en 1559. La progression des armées françaises en Italie sera ainsi facilitée par les Colonna, famille romaine hostile aux Borgia. Lors du saccage de Rome par les troupes de Charles VIII, le pape sera même contraint de se réfugier au château Saint-Ange avec son fils César…

    • Les enfants terribles du Saint-Père

     

    Fichier:The Borgia Family by Dante Gabriel Rossetti.jpg — Wikipédia

    La famille Borgia par Dante Gabriel Rossetti

     
    Justement, il est impossible d’aborder le pontificat d’Alexandre VI sans parler de ses enfants, tant leurs destinées semblent intimement liées – à tel point que les auteurs qui tisseront la légende noire des Borgia insinueront que le pape entretenait une relation incestueuse avec sa fille Lucrèce. Nous l’avons vu, le pape n’hésite pas à reconnaître ses enfants et Alexandre VI s’entoure de sa progéniture et lui confie soit de hautes fonctions soit se servira d’elle pour consolider son pouvoir lorsque le besoin s’en fait sentir.
    En 1468 il a eu un premier fils, Pedro-Luis Borgia, qui est mort en 1488. Ce dernier est né de mère inconnue. La progéniture la plus célèbre du pape est celle issue de sa liaison avec Vanozza Cattanei, une jeune Romaine d’origine mantouane, qui n’est manifestement de haute naissance. Après avoir été la maîtresse du cardinal Giuliano della Rovere (le futur Jules II), elle rencontre Rodrigo Borgia en 1470 et lui donnera quatre enfants. Par la suite, lorsque la faveur de Vanozza décroît vers 1488, celui-ci s’éprend de la belle Giulia Farnese, issue d’une éminente famille italienne et dont le frère deviendra le pape Paul III. Réputée pour sa beauté, immortalisée par Raphael, elle est surnommée « la Bella » et donnera au moins une fille au pape, la petite Laura.
    Lorsque Borgia devient pape, les enfants qu’il a eus de sa maîtresse Vanozza Cattanei sont aux portes de l’âge adulte ou adolescents : ses fils aînés, Juan et César, ont dix-huit et dix-sept ans, ils sont de très jeunes hommes tout prêts à faire leur place dans le monde. Lucrèce est encore jeune, puisqu’elle a douze ans et reste dans le giron des femmes, bien qu’elle vive auprès de son père. Le petit Joffre quant à lui, a onze ans. Il est le moins connu de la fratrie.
    Les relations entre Juan Borgia et César ne sont pas bonnes : en effet, les deux frères entretiennent une sourde rivalité et se jalousent. Bel enfant plutôt grâcieux, on s’aperçoit vite que César nourrit une ambition identique à celle de son père. Ce dernier, désormais à la tête de la Chrétienté, nourrit de grands projets pour ses enfants et en particulier pour ses fils : à Juan il confie les affaires temporelles puisque celui-ci est fait capitaine général de l’Eglise et duc de Gandie. A César reviennent les affaires spirituelles : le but de ce dernier sera un jour d’accéder au cardinalat. La volonté du pape est-elle de créer une sorte de continuité dynastique ? On peut penser qu’en César, le pape voie ainsi son successeur, celui qui pourra parfaire son œuvre. Dès l’âge de sept ans – avant même que son père ne soit élu pape, donc – César est sacré protonotaire de la papauté et chanoine de la cathédrale de Valence. Les fonctions mirifiques ne font que s’accumuler par la suite : évêque de Pampelune à quinze ans, archevêque puis cardinal de Valence à dix-sept, César obtient en 1493 les évêchés de Castres et Elne puis est élu abbé de Saint-Michel de Cuxa l’année suivante. Ces hautes fonctions ecclésiastiques n’empêchent pas le jeune homme de mener joyeuse vie et d’entretenir des maîtresses – on lui prête près de onze enfants naturels. César mène grand train et plus encore lorsque son père devient pape. Toutefois, il n’est pas satisfait : relégué aux affaires spirituelles quand il n’aspire qu’aux conquêtes militaires, César entretient une sourde rancœur contre le duc de Gandie, encore une fois provoquée lorsque leur père fait Juan gonfalonier de l’Eglise en 1497. Il semble que leur rivalité est si violente qu’elle culminera cette année même dans un acte particulièrement tragique et irrémédiable.

    Giulia Farnèse — Wikipédia

    Notamment immortalisée par Raphael, Giulia Farnese, sœur du cardinal Alessandro Farnese, est la maîtresse la plus connue d'Alexandre VI

     

    • Lucrèce Borgia : fille chérie du pape, pion politique mariable à l'envi ou jeune femme dépravée aux appétits sexuels débridés ? 

     

     Les amours de Lucrèce Borgia : son frère et ses époux
    L’autre figure de la famille Borgia n’est pas le benjamin, Joffre, mais l’unique fille du pape, Lucrèce. Aujourd’hui encore, on ne sait pas à quoi elle ressemble, mais le peintre Pinturrichio l’a immortalisée sur les fresques des appartements privés d’Alexandre VI : elle apparaît comme une belle jeune fille aux longs cheveux, richement vêtue d’une robe de couleur foncée avec une cape rouge sur les épaules. Elle a un visage rond, des yeux qui semblent marrons, des traits fins. Si le pape semble nourrir une certaine affection pour sa première fille – sa fille Laura, née de Giulia Farnese, voit le jour en 1492 –, il ne perd pas de vue qu’elle est aussi un pion politique à utiliser le plus avantageusement possible. Ainsi, la pauvre Lucrèce dont les historiens aujourd’hui revoient la tenace légende noire, se voit fiancée, mariée ou démariée selon les desiderata de son père et de ses frères. Née en 1480 à Subiaco, Lucrèce reçoit une éducation assez soignée. D’abord confiée à sa mère, elle s’installe à l’adolescence dans le palais de son père, qui se fait alors passer pour son oncle et ne lui révélera la vérité que plus tard : Lucrèce passe alors sous la tutelle d’une cousine des Borgia, Adriana da Mila, qui supervise son éducation puis la maîtresse d’Alexandre VI, la belle Giulia lui tient lieu de confidente, d’amie et de tutrice officieuse. Elle a douze ans quand ses fiançailles avec don Gasparo de Procida sont cassées, au profit d’un premier mariage : Lucrèce va épouser Giovanni Sforza, seigneur de Pesaro. Ils ont quatorze ans d’écart et rien en commun mais en unissant sa fille à Sforza, Alexandre VI cherche à consolider l’alliance qu’il a nouée avec cette éminente famille du Milanais. Le mariage, décidé dès 1492 n’est célébré officiellement que l’année suivante et la jeune épouse apporte une dot de 31 000 ducats. Mais le mariage fait long feu et en 1497 le pape et César manœuvrent pour le faire finalement annuler pour le motif de non-consommation. Surtout, Sforza a entre temps perdu tout intérêt pour Alexandre VI et pour nouer une nouvelle union avantageuse, il faut délier Lucrèce et lui chercher un nouveau parti. Il semblerait que le pape et son fils aient d’abord pensé à faire assassiner Sforza mais abandonnent le projet.
    En 1498, Lucrèce se marie avec Alphonse d’Aragon, duc de Bisceglie et prince de Salerno, un fils bâtard du roi de Naples : il est le frère de Sancia, l’épouse du jeune Joffre. Très vite enceinte, Lucrèce donne naissance à un fils, Rodrigo. Mais à nouveau, son mari s’attire l’hostilité de son père et de son frère…la naissance d’un fils les empêche cette fois de faire annuler le mariage. Leur décision est donc radicale : en 1500, ils font assassiner Alphonse, suscitant la colère et la tristesse de Lucrèce, qui se brouille à cette occasion avec son frère. Il semblerait en effet que ce deuxième mariage ait été heureux et que Lucrèce se soit bien entendue avec Alphonse, un jeune homme de son âge, séduisant, cultivé et attentionné envers elle. Mais le deuil sera de courte durée pour elle : aussitôt libérée, elle redevient un bon parti que son père souhaite remarier au plus vite.
    Le troisième mariage qui sera célébré en 1501 sera celui qui émancipera définitivement Lucrèce de la tutelle paternelle et fraternelle : la jeune femme de vingt-et-un ans se marie avec Alphonse Ier d’Este, futur duc de Ferrare. C’est un mariage négocié de haute lutte et qui donnera du fil à retordre à Alexandre VI, le duc Hercule Ier d’Este considérant avec mépris ces Borgia qu’il ne voit que comme des parvenus. Quant à sa future belle-fille, il la voit comme une dépravée, ayant mené une vie de luxe et de luxure dans les palais de son père et ne semble pas ravi de la voir entrer dans sa famille. Et pour couronner le tout, Lucrèce est une bâtarde, c’est la tâche suprême pour le duc ! Mais finalement, le mariage se concrétise, malgré la dot faramineuse demandée par Hercule Ier. De grandes festivités sont organisées à Rome, réjouissances qui finissent d’ailleurs par déraper dans la licence la plus totale. D’abord, un festin destiné à cinquante courtisanes est donné dans les appartements du Vatican puis le pape offre un spectacle des plus surprenants et pour le plus grand plaisir de ses invités, installés aux balcons : la saillie de plusieurs juments par des étalons fougueux !
    Cette troisième union permet à Lucrèce de se « ranger ». A Ferrare, elle se distingue comme une véritable mécène, protectrice des arts et des lettres. Malgré une sourde rivalité avec sa belle-sœur Isabelle d’Este, il semble que ce mariage ait été relativement heureux et il se voit couronné d’ailleurs par la naissance de nombreux enfants. Lucrèce sera la dernière des Borgia à disparaître, en 1519, à l’âge de trente-neuf ans : mal remise d’un dernier accouchement, elle meurt d’une infection puerpérale.
    Nous l’avons vu, aujourd’hui les historiens nuancent voire remettent complètement en cause la légende noire des Borgia qu’ont entretenue de nombreux auteurs depuis le XVIème siècle : Lucrèce n’est plus désormais présentée comme une jeune femme dépravée et à la vie sexuelle débridée, qui aurait entretenu des relations incestueuses avec son père ou avec son frère. On la présente essentiellement comme une mécène avertie et comme le pion des ambitions de son père. A-t-elle eu des amants comme on le prétend parfois ? A-t-elle, à seize ans, succombé aux charmes du jeune napolitain Perrotto Calderon, qui aurait été le père d’un enfant naturel (le fameux Infant Romain que certains ont vu comme le fils du pape et de sa propre fille) ? Le mystère demeure.

    • La rivalité entre Juan et César culmine dans une tragédie irréparable

     

                                        Giovanni Borgia (1474-1497) — Wikipédia César Borgia — Wikipédia

    Mais revenons-en à la rivalité des deux fils aînés : alors que Joffre a été marié à une fille bâtarde du duc de Naples, Sancia et titré duc de Squillace, les deux aînés continuent de se mesurer dans un véritable choc des titans. Lequel en sortira vainqueur ?
    César, confiné dans ses prérogatives religieuses le supporte de plus en plus mal et sa haine envers son frère aîné n’a plus de limites. Surtout, le jeune homme supporte mal l’indulgence de leur père envers Juan. A-t-il comme on le dit commandité l’assassinat de son frère ? Toujours est-il qu’en 1497, le fils aîné du pape est retrouvé mort, vraisemblablement assassiné, dans les eaux du Tibre. La douleur du pape est spectaculaire : Alexandre VI s’enferme dans ses appartements du Vatican pour y pleurer son fils. Le cadet, lui, qu’il ait été coupable ou non, voit probablement cette disparition comme une libération : enfin, le caillou dans sa chaussure qu’était son aîné, médiocre meneur d’hommes et bien trop protégé par leur père, n’existe plus. César va pouvoir laisser libre cours à son ambition et devenir à son tour le soutien de la papauté avec, il le sait, bien plus d’efficacité que n’en a eu Juan. En juillet 1497, César en qualité de légat du pape part pour Naples où il assiste au couronnement du roi Frédéric d’Aragon. Il ne revient à Rome qu’au début du mois de septembre et fait alors une demande spectaculaire mais peu surprenante à son père : il souhaite abandonner ses charges ecclésiastiques pour revenir à l’état laïc. C’est chose faite en août de l’année suivante, à la suite d’un consistoire pendant lequel Alexandre VI propose la laïcisation de son fils, qui est le premier cardinal de l’histoire à abandonner sa fonction. Très à l’aise devant les cardinaux, César Borgia argumente avec brio, faisant valoir son absence de vocation. Même s’ils y sont opposés, les cardinaux n’ont d’autre choix que d’accorder au fils du pape ce qu’il veut. On dit alors que César dépose sa cape de cardinal devant le consistoire et part aussitôt rencontrer le chambellan du roi de France, Louis de Villeneuve, pour négocier une alliance avec la France contre le duc de Milan (du roi Louis XII, César recevra le titre de duc de Valentinois cette même année 1498). Enfin, César peut vivre son rêve, à savoir mener des missions diplomatiques et militaires comme il l’a toujours souhaité.
    En cette année 1497, la gloire de César Borgia commence. Contrairement à une idée reçue, il n’est pas le modèle du Prince de Machiavel mais s’entretient probablement de nombreuses fois avec lui et sera sans nul doute l’un des personnages les plus importants de cette première Renaissance : en 1499, César se marie avec Charlotte d’Albret, dame de Châlus et sœur du roi Jean III de Navarre. Ils auront une fille, Louise Borgia, dite Louise de Valentinois. Ce mariage est censé consolider l’alliance entre papauté et royaume de France. Par la suite, il s’illustrera sur plusieurs champs de bataille des Guerres d’Italie et se verra même offrir un véritable triomphe à l’antique par son père en 1500 après qu’il ait définitivement vaincu les Sforza. Cette même année, César devient capitaine général et gonfalonier de l’armée papale. Rien ne semble plus l’arrêter.

    Bénéficiant du soutien total du pape, l’ambition de César n’a plus de limites. Il décide de se tailler un véritable « royaume » en Romagne et, pour ce faire, en chasse les petits seigneurs dont les familles parfois y sont implantées depuis des siècles. Mais le fils du pape n’en a cure : auréolé par ses victoires militaires, il se prend véritablement pour un nouvel empereur de Rome, faisant graver sur son épée la devise « aut caesar, aut nihil », « Ou César, ou rien », devise volontairement sibylline qui fait référence tant à son prénom qu’au titre porté par les empereurs romains de l’Antiquité.
    En 1502, c’est vers la riche Toscane que César Borgia tourne son regard, inquiétant d’ailleurs les Florentins. Mais l’empire des Borgia touche à sa fin et c’est un colosse aux pieds d’argile. Les qualités de César en tant que général ou homme d’Etat ne sont rien sans la puissance de son père, qui le soutient en tout et bientôt, tout ce que César a patiemment bâti ces dernières années va s’effondrer comme château de cartes, avec la disparition du pape.

    • Onze ans après après l'accession d'Alexandre VI, le début de la fin...

     

    Une autre vision des Borgia

    Le pape Alexandre VI présente Jacopo Pesaro à Saint-Pierre par Le Titien (1502-1510)

     
    En effet, personne ne le sait, mais le pontificat d’Alexandre VI touche à sa fin. Le 10 août 1503, père et fils sont invités à un banquet chez Adriano di Castello, un cardinal nouvellement nommé. Au cours du repas, plusieurs convives tombent malades, se plaignant de violentes douleurs. C’est le cas du pape et de César, qui quittent la réception sérieusement malades : Alexandre VI meurt huit jours plus tard. Averti, son fils envoie son fidèle homme de main, Michelotto Corrella, piller les caisses du Vatican avant d’officialiser la mort du pape. Toujours malade, César n’a pas pour autant abandonné ses vieilles ambitions et il essaie d’assurer financièrement ses arrières. Mais c’est peine perdue : le fils d’Alexandre VI ne parvient pas à faire pression sur le conclave pour faire désigner un pape à sa solde et, dans la foulée, la Romagne se révolte contre lui. De plus, César Borgia n’a plus de soutiens à Rome : le successeur d’Alexandre VI, Pie III, s’était montré relativement neutre entre le clan Borgia et le clan della Rovere qui, maintenant qu’Alexandre VI est mort, laisse libre cours à sa rancune. Mais le pape meurt un mois seulement après son investiture : celui qui lui succède au trône de Saint-Pierre, sous le nom de Jules II, est un della Rovere, ennemi irréductible d’Alexandre VI et de César.
    Ce dernier a quitté Rome pour la Romagne, où il veut mater la révolte qui a éclaté après l’annonce du trépas d’Alexandre VI. Sur la route, César est capturé près de Pérouse et jeté en prison. Jules II va alors patiemment dépecer le domaine de César, soit en rattachant certaines terres aux Etats pontificaux (Imola) soit en rétablissant dans leurs droits ceux que César avait spoliés, comme les seigneurs de Rimini et de Faenza. En janvier 1504, Jules II accepte enfin de libérer son rival, à la condition qu’il abandonne toutes ses terres. César choisit alors de s’embarquer pour Naples mais il y est à nouveau arrêté par le gouverneur espagnol, Gonzalve de Cordoue, qui le considère comme un allié du roi de France et donc comme une menace pour le royaume de Naples. Livré à Ferdinand II d’Aragon, contre lequel il avait combattu avec Louis XII, César est d’abord emprisonné à Chincilla puis à Medina del Campo. Il s’évade en octobre 1506 et parvient à rejoindre Pampelune, en Navarre : là il peut se réfugier à la cour de Jean III, qui est son beau-frère. Ce dernier le nomme capitaine général de ses armées et César part combattre le comte de Beaumont à Viana. Là, il tombe dans une embuscade et meurt à l’âge de trente-et-un ans le 12 mars 1507. Il est inhumé dans l’église de Santa Maria de Viana, aujourd’hui en Navarre espagnole.

    • Une légende noire tenace mais aujourd'hui nuancée par l'historiographie

     

    Lucrèce Borgia (Hugo) — Wikipédia

    Tableau de Victor Boulanger représentant la Scène de l'affront, tirée de la pièce Lucrèce Borgia de Victor Hugo

    Le pontificat d’Alexandre VI est essentiellement connu grâce au témoignage considéré comme l’un des plus crédibles, du grand cérémoniaire Johann Burchard, qui a laissé un précieux journal, intitulé Liber notarum et souvent étudié par les historiens ayant travaillé sur les Borgia. Dans le même temps, une légende noire se développe, accusant les Borgia de tous les maux et dont même Victor Hugo plusieurs siècles plus tard se fera le chantre, dans sa pièce Lucrèce Borgia, décrivant la fille du pape comme une croqueuse d’hommes menant une vie débridée et mère d’un bâtard dont elle tombe amoureuse avant de se rendre compte avec horreur qu’il est son fils. Les Borgia sont aussi souvent accusés d’avoir été des empoisonneurs, usant d’une mixture extrêmement toxique de leur invention, appelée la « cantarelle », que César Borgia aurait conservé en permanence sur lui grâce à des bagues à poison. 
    L’historiographie contemporaine tend à considérer aujourd’hui les Borgia comme ni plus ni moins dépravés ou criminels que les plus éminentes familles de l’époque : s’il est à peu près certain que le pape et son fils firent assassiner le second époux de Lucrèce et si nous n’avons aucun doute quant à la paternité du pape ni même sur l’identité des mères de ses enfants (Vanozza Cattanei et Giulia Farnese entre autres), il est aujourd’hui couramment admis que Lucrèce n’entretint probablement aucune relation incestueuse avec son père ou son frère. L’enfant naturel qu’on lui prête, qui serait né vers 1496 et pourrait être le fruit de ses amours avec le jeune camérier (Giovanni Borgia surnommé l’Infant Romain ou Infans Romanus) est plus vraisemblablement un bâtard d’Alexandre VI ou un fils de César, reconnu par le pape mais dont les mystères entourant la naissance ont entretenu les plus folles – et les plus basses – rumeurs.
    Mais cette légende tenace a marqué durablement l’Histoire, faisant naître instantanément dans nos esprits, lorsqu’on évoque les Borgia, l’image d’une famille à l’existence trouble, prête à tout pour assouvir ses ambitions et n’hésitant pas à avoir recours au poison et au poignard pour parvenir à ses fins dans une Rome décadente et corrompue, à l’image de son Eglise qui, quelques années plus tard, devra affronter le violent mouvement de la Réforme luthérienne. Héros de romans, de films ou de séries télévisées, les Borgia nourrissent encore l’imaginaire de la fiction de nos jours.

     © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour aller plus loin : 

    - Les Borgia, Ivan Cloulas. Biographie.
    - La splendeur des Borgia, Henri Pigaillem. Roman historique. 
    - Le serpent et la perle / La concubine du Vatican, Kate Quinn. Romans historiques. 
    - Trilogie Francesca : Empoisonneuse à la cour des Borgia / La trahison des Borgia / Maîtresse de Borgia, Sara Poole. Romans historiques. 
    Lucrèce Borgia, Joachim Boufflet. Biographie. 

     


  • Commentaires

    1
    Lundi 5 Février à 12:54

    Quelle Histoire ! Quelle famille ! C'est fou aussi de voir qu'on peut remettre en cause une légende noire des siècles après ! En tout cas, j'avais vu la série Borgia et lu le livre de Victor Hugo et c'est sûr, cette famille ne manque pas de piquant !

      • Mardi 6 Février à 10:08

        La légende noire est tellement tenace que c'est difficile aujourd'hui d'en sortir et de voir autre chose. Est-ce que les Borgia seraient aussi intéressants si on mettait uniquement en avant la politique de mécénat d'Alexandre VI pendant son pontificat ou celle de Lucrèce à Ferrare ? Probablement pas. yes %Mais c'est bien aujourd'hui que les historiens nuancent et relativisent une légende qui se nourrit de beaucoup de romanesque et de peu d'informations avérées. ^^

    2
    Mercredi 7 Février à 18:09

    Cette famille est juste incroyable ! Elle me fascine depuis tant d'années, depuis que je les ai rencontré dans le jeu vidéo Assassin's Creed Brotherhood il y a plus de 10 ans ! ça a été une révélation et je voulais en savoir plus sur eux ! J'ai lu tant de livres donc certains que tu cites comme La Splendeur des Borgia ou la saga de Kate Quinn que j'ai en cours, j'ai vu les deux séries TV... bref, j'adore cette famille qui a fait trembler l'Italie et qui s'est fait connaître dans le monde entier ! :D

    En tout cas, ton texte résumé est incroyable ! Bravo !

      • Jeudi 8 Février à 10:52

        Oui, ils sont absolument fascinants ! A une époque, je lisais tout ce que je pouvais trouver sur eux : il me resterait la biographie d'Ivan Cloulas à lire...je me rends compte que si j'ai eu accès à pas mal de romans, qui font justement parfois la part belle à la légende noire, je n'ai jamais forcément lu de biographie des Borgia...à l'exception de Lucrèce et les Borgia de Geneviève Chastenet, que je pourrais te conseiller, d'ailleurs.

        J'ai aussi vu les deux séries TV... Bref, pendant un moment c'était une petite obsession j'avoue...et j'aurais bien envie de m'y remettre, ma foi... ^^

        Merci beaucoup pour ton passage ici et pour ton incroyable commentaire ! sarcastic

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