• Belle Greene ; Alexandra Lapierre

    « Elle savait exactement ce qu'elle voulait faire. Travailler parmi les livres.
    Depuis l'âge de douze ans, elle répétait qu'elle aimait les regarder, les toucher, et aussi les respirer. Qu'elle ressentait l'âme des livres... Qu'elle percevait ce qu'ils exhalaient de rêves, d'émotions et de beauté. »

    Couverture Belle Greene

     

     

     

     

         Publié en 2022

      Éditions Pocket

      624 pages

     

     

     

     

     

    Résumé :

    « En 1900, au cœur d’une Amérique puritaine et ségrégationniste, elle fume, boit, choisit ses
    amants et réussit une carrière dont aucune autre femme de sa génération ne pouvait rêver. Elle
    est d’une modernité inouïe ! Et toute sa vie est bâtie sur un mensonge explosif... »

    Alexandra Lapierre

     

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Avez-vous déjà entendu parler de Belle Da Costa Greene, qui fut la directrice pendant plus de trente ans de la Morgan Library à New York ? Avant de découvrir ce roman, je n’en avais jamais entendu parler.
    Comme à son habitude, Alexandra Lapierre ressuscite ici un grand destin féminin, comme elle avait pu le faire avec la peintresse du XVIIème siècle Artemisia Gentileschi (Artemisia), Elizabeth Chudleigh (L’Excessive), Isabel Barreto (Je te vois reine des quatre parties du monde) et j’en passe… c’est ce que j’aime dans ses romans et, encore une fois avec Belle Greene, elle ne m’a pas déçue.
    Alors, cette Belle Da Costa Greene, qui est-elle exactement ? Née dans la seconde moitié du XIXème siècle, elle s’appelle en réalité Belle Marian Greener. Elle est la fille d’un activiste noir et diplomate, Richard Greener, premier Afro-américain à avoir été diplômé de Harvard. Pourtant, les ascendances noires des Greener ne se voient pas : les sœurs de Belle sont blondes et ont les yeux clairs et il n’y a qu’elle et son frère qui ont un teint plus foncé et des cheveux bruns, mais qui pourraient très bien évoquer des origines méditerranéennes, espagnoles, italiennes ou portugaises… cette couleur de peau, qui les fait passer pour Blancs, va décider Belle à outrepasser les lois racistes promulguées après la Guerre de Sécession et notamment les ignobles lois Jim Crow, connues aussi sous le nom de « One Drop Rule », ce qui signifie littéralement : la loi de l’unique goutte de sang. Après l’égalité des droits accordée après la fin de la guerre de Sécession, de nouvelles lois beaucoup plus sévères sont édictées et gare à ceux qui essaieraient de les outrepasser : ils le paieraient de leur vie. Et pourtant, les Greener, après la séparation de leur mère et de Richard Greener, devenu diplomate en Russie, choisissent de se faire passer pour des Blancs – c’est ce que l’on appelle le « Passing ». En cette fin de XIXème siècle, pour pouvoir étudier et pour que son frère et ses sœurs le puissent eux aussi, Belle n’hésitera pas et continuera ce que sa mère, Geneviève, avait commencé : renier leurs racines noires et se forger une nouvelle identité. Ainsi, les Greener deviennent les Da Costa Greene, une famille de planteurs de Virginie aux origines néerlandaises, britanniques et portugaises. Belle peut réaliser son rêve et entamer ses études à Princeton. Là, elle y développe sa passion pour les études, la culture, les livres et surtout, les livres anciens. Elle y fait surtout la connaissance de Junius Morgan, neveu du magnat new-yorkais John Pierpont Morgan, à qui il va d’ailleurs proposer la candidature de Belle pour devenir bibliothécaire dans la somptueuse Morgan Library, que le richissime homme d’affaires crée à New-York en 1906. Collectionneur, mécène et bibliophile, John Pierpont Morgan donne sa chance à Belle. Elle ne la lâchera plus, accumulant au fil des années qui suivront une immense culture, devenant une spécialiste des livres anciens et une excellente bibliothécaire qui classera, inventoriera et présentera tous les ouvrages achetés par les Morgan. Pour Belle, c’est le début d’une aventure exaltante mais aussi épuisante, car si J.P Morgan est un patron paternaliste, il peut aussi éclater en des colères monstres et attend de tous qu’on lui obéisse. Surtout, cet extraordinaire emploi qui lui permet de s’élever bien au-dessus de sa condition et de mettre sa famille à l’abri du besoin, l’enferre dans un mensonge dont elle ne pourra plus sortir, sous peine de risques immenses pour elle et les siens : jamais, au grand jamais, Morgan et toutes les connaissances qu’elle a nouées dans les mondes feutrés des ventes aux enchères et des spécialistes du monde entier, ne doivent apprendre qu’elle est la fille d’un activiste noir et que la lignée de sa mère, bel et bien originaire de Virginie, ne descend pas de riches planteurs mais de malheureux esclaves amenés en Amérique depuis l’Afrique. Belle Greene fera tellement corps avec ce mensonge qu’elle a elle-même forgé qu’elle ira jusqu’à rejeter tout ce qui touche à la négritude, à ses origines, ses racines…était-elle raciste, comme l’en accuse l’une de ses sœurs dans le roman ? Toujours est-il que, pour Belle, il ne sert à rien de rester attaché à ses racines si celles-ci vous enserrent les chevilles et vous empêchent d’avancer. Elle avancera en se défaisant de ce sang noir trop dangereux (ou du moins qu'elle considère elle, comme dangereux), au risque de se renier elle-même et de ne plus savoir qui elle est.

    Belle da Costa Greene: A Librarian's Legacy | The Morgan Library & Museum

    Belle Greene dans les années 1910


    Cynique, ambitieuse, allant droit au but, tyrannique aussi parfois, Belle n’est pas spécialement attachante et pourtant, quelle force, quel panache, quel destin ! Il est difficile de rester indifférent à cette femme qui, toute jeune encore créera, pour elle comme pour les siens, méthodiquement, sciemment, une nouvelle identité qui ne sera réellement remise en doute que dans les années 1940. Belle Marian Greener est bel et bien devenue Belle Greene, une toute autre femme, un véritable alter ego. Libre, cultivée, intelligente, professionnelle de grand talent, Belle a mérité sa place dans le panthéon des femmes auxquelles Alexandra Lapierre, tout au long de sa carrière de romancière, a redonné une voix, une substance. Si elle ne m’a pas toujours touchée, même si je l’ai parfois trouvée trop froide ou méthodique, malgré tout je l’ai comprise : imaginez une société dans laquelle vous vous fondez parfaitement, parce que la couleur de votre peau est « la bonne » mais qu’en même temps, vous portez en vous le sang de vos ancêtres discriminés depuis toujours et qui risque à tous moments de vous faire passer de l’autre côté, du côté des discriminés, du côté des racisés, alors que vous ne voulez qu’une chose : étudier, vivre, travailler, apprendre, comme tout le monde. Belle prend une décision irrémédiable mais courageuse, qu’il est probablement difficile de comprendre quand on n’est pas confronté à la même chose.
    Pour autant, j’ai adoré suivre Belle dans ses pérégrinations de chercheuse, de bibliothécaire, de scientifique : autodidacte mais passionnée, Belle ne cessera d’accumuler les connaissances sur les livres anciens, devenant une véritable spécialiste des incunables, des codex, des premiers livres imprimés. Véritable « chasseuse de tête », elle forgera une superbe collection pour J.P Morgan et sa Morgan Library, aujourd’hui ouverte aux chercheurs et étudiants du monde entier. On la suit jusqu’en Italie, dans les pas de son amant et mentor Bernard Berenson, historien d’art réputé, qui exercera son œil et lui apprendra à vivre, à sentir, la grande peinture. Belle Greene dévore la vie par tous les bouts, s’étourdissant de fêtes, d’alcool et de cigarettes mais travaillant aussi sans relâche, se mettant toute à disposition d’un nom, d’une institution et d’un homme, J.P Morgan, qu’elle aimera comme un guide, comme un père de substitution.
    J’ai dévoré ce roman, je me suis régalée. Peut-être pas entièrement grâce à Belle Greene, mais aussi grâce au style, à l’univers d’Alexandra Lapierre. Certes, le sujet est passionnant, mais tout dépend aussi de comment il est traité ! Et là, pour le coup, il l’est de main de maître. J’ai eu du mal à lâcher ce livre qui ne s’arrête jamais, qui est mené tambour battant. J’ai été totalement transportée des salles feutrées de la Morgan Library jusqu’aux grands hôtels luxueux de Londres, Paris ou Rome, en passant par la campagne toscane et les petites églises italiennes, les salles de ventes aux enchères jusqu’aux quartiers populeux de Washington ou de Chicago où sont souvent cantonnées les populations noires, mal assimilées et qui, malgré l’abolition de l’esclavage, se retrouve victimes d’une ségrégation toujours aussi violente et qui sera durable, puisqu’elle est encore un fléau bien contemporain aux Etats-Unis. Alexandra Lapierre décrit très bien la dualité des Greene, ce sang métis qui fait leur essence même mais qu’ils choisiront tous de renier pour pouvoir vivre. Alors, une question nous vient spontanément : n’est-elle pas malade, la société qui contraint une partie de ses enfants à renier ses origines pour une simple couleur de peau ?

    En Bref :

    Les + : quelle rencontre ! Je ne suis pas près de l'oublier. Comme d'habitude, Alexandra Lapierre nous emporte, nous embarque...j'ai retrouvé son style avec plaisir et j'ai découvert avec beaucoup d'intérêt la destinée véritablement hors du commun de Belle Da Costa Greene.
    Les - : pas vraiment de points négatifs à soulever, c'était une très bonne lecture.


    Belle Greene ; Alexandra Lapierre

     

       Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

     


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