• Grand café Martinique ; Raphaël Confiant

    « Il n'est offert qu'à un nombre infime d'hommes d'accomplir le rêve de leur  vie et pour beaucoup, hélas, ce que l'on appelle l'humaine condition aurait mérité le qualificatif d'inhumaine. »

    Grand café Martinique ; Raphaël Confiant

     

     

     

        Publié en 2021

      Éditions Folio

      320 pages

     

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    « De quelque côté que l'on se tournât, on ne voyait qu'une étendue bleu nuit, irisée d'écume, qui semblait s'ingénier à repousser l'horizon. Ce voyage n'aurait jamais de fin. Ou plutôt, il conduirait le navire aux Enfers. »

    A la Martinique, au début du XVIIIe siècle, le jeune et riche noble Gabriel-Mathieu d'Erchigny rêve de parcourir le monde. Lorsqu'il découvre l'existence du café, il décide d'implanter ce breuvage à la mode chez lui, aux Antilles. Or, le Jardin royal des Plantes à Paris conserve quelques caféiers, sous étroite surveillance. Comment faire pour les dérober ? Si le hasard des rencontres jouera en la faveur de l'ambitieux aventurier, son odyssée ne fait que commencer.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Il y a quelques semaines, je me faisais une joie de découvrir ce roman, après en avoir parlé avec une autre lectrice sur Instagram. Ajouté à ma PAL début juillet, j’ai donc mis un petit mois pour l’en sortir.
    Tout, en apparence (et là vous sentez déjà que ça se gâte) était réuni ici pour me plaire : l’époque, le récit de voyage, les Antilles, un peu de marine et de bateaux aussi (n’allez pas me demander pourquoi, moi-même je ne le sais pas mais j’aime énormément les romans qui se passent dans le domaine de la Marine au XVIIIème siècle)…surtout, un roman basé sur des faits historiques, avérés et l’histoire de Gabriel-Mathieu d’Erchigny de Clieu, qui transplanta pour la première fois un plan de café sur l’île de la Martinique dans les années 1720.
    Dans les grandes lignes, Erchigny de Clieu est un nobliaud normand désargenté, né à la fin du XVIIème siècle. Son rêve est de s’embarquer sur les navires du Roy et, tout jeune homme, il part se former à La Rochelle et Rochefort. Surtout, le jeune Gabriel-Mathieu ne rêve pas de cultiver les terres héritées de sa famille dans un petit domaine perclus de dettes (qui dit noble ne dit pas forcément fortuné)…il rêve de grands espaces et surtout, des Antilles où la France est  implantée depuis quelques décennies. Il ne le sait pas encore mais Clieu sera un jour gouverneur de l’île de la Guadeloupe où, après la Martinique, il parvint à acclimater la culture du café.
    C’est donc l’histoire de ce personnage qui nous est contée ici, en forme de récit de voyage ou de carnet de bord d'un marin (et le moins que l'on puisse dire, c'est que la traversée de Clieu et de son plant ne se fera pas sans difficultés, dans un Océan où l'on doit affronter pirates, flibustiers, ouragans et calmes plats tout aussi dangereux que les premiers). En parallèle, on découvre l’histoire du café, qui dépasse celle de Gabriel-Mathieu d’Erchigny de Clieu : ainsi l’auteur nous emmène dans les pas d’un petit berger d’Abyssinie (l’actuelle Éthiopie) qui, à la fin de l’Antiquité, s’aperçoit que ses chèvres sont comme folles après avoir dévoré les cerises d’un petit arbre qui pousse sur ces hauts plateaux arides et balayés par les vents. Amenées au couvent chrétien le plus proche, considérées comme des fruits du diable, les cerises sont brûlées et dégagent alors une odeur enivrante. Plus tard, la légende musulmane voudra que le café ait guéri Mahomet mourant. Mais le café dans le monde musulman sera progressivement considéré comme « haram » (interdit) au même titre que les boissons alcoolisées, car tout aussi enivrant. En Europe, la population se prend de passion pour le café au XVIIème siècle et est notamment introduit en France par un ambassadeur turc, que Molière se plaira à mettre en scène dans Le Bourgeois Gentilhomme. On ne cessera plus jamais de consommer le café : il sera loué par les poètes du XIXème siècle, bu tout au long du XXème et remplacé pendant la Seconde Guerre Mondiale par un « ersatz » à base de glands lorsqu’il vint à manquer, une boisson consommée partout, tout le temps, préparée de diverses manières mais présente presque dans le monde entier. On estime que 2,6 milliards de tasse de café sont consommées par jour dans le monde. Les pays les plus consommateurs sont la Finlande et la Norvège. La France se place à la dix-septième position, avec 5,4 kilos consommés par an.
    Si aujourd’hui lorsqu’on pense au café, on pense aussi spontanément aux îles, à l’Amérique du Sud, on oublie un peu que son origine est africaine et que le caféier était un arbre sauvage, dont on se méfiait même un petit peu. Tantôt diabolisé, tantôt conservé comme une panacée, le café reste encore aujourd’hui un breuvage un peu mystérieux, qui peut avoir autant d’effets positifs que d’effets néfastes sur la santé.
    Mais à l’époque de Gabriel-Mathieu d’Erchigny de Clieu, rien ne vient concurrencer, dans les Antilles françaises, la culture des cacaoyers et de la canne à sucre, un petit peu du tabac. Les habitations des riches planteurs se fondent essentiellement sur ces trois cultures. Rêvant d’abord de faire fortune dans le tabac, le nobliaud normand plein d’idéaux épouse en premières noces la fille d’un planteur, native de la région : Marie-Colombe de Mallevaut. Mais le mariage et la paternité ne l’empêchent pas de rêver toujours plus grand. Au point que Clieu va imaginer un stratagème hautement dangereux pour se procurer le plant de caféier tant convoité : un vol, ni plus ni moins, au Jardin du Roy à Paris, où quelques caféiers sont discrètement chouchoutés par les jardiniers de Louis XV.

     

    Gabriel-Mathieu d'Erchigny de Clieu prenant soin du plant de caféier dérobé au Jardin du Roy sur le bâteau qui le ramène de France aux Antilles 


    C’est donc cette histoire rocambolesque qui est racontée ici par l’auteur. Sur le papier, c’est captivant et passionnant ! Quelle histoire, non ? Surtout quand on sait qu’elle est vraie !
    Mais je ressors de cette lecture mitigée, vraiment déçue de ne pas avoir su l’aimer à sa juste valeur. En fait, je m’y suis lancée à cœur perdu, fermement convaincue que j’allais aimer et que j’allais y retrouver l’ambiance de romans précédemment lus (comme les romans de Fabien Clauw par exemple) mais avec un petit quelque chose en plus. Et puis…ça n’a pas du tout fonctionné avec moi. Déjà, la chronologie confuse m’a vite perdue : certains chapitres sont datés, d’autres non et j’ai vite constaté que l’on allait et venait dans le temps. Puis, de manière assez abrupte, on passe d’une narration à la première personne du singulier, à une narration omnisciente, émaillée par les écrits de Clieu dans son carnet de bord lors de son voyage vers la Martinique avec ses caféiers, revirement que je n’ai pas compris. En quoi sert-il le propos ? Je n’en sais rien.
    A l’inverse, le fait que l’histoire du café, des confins de l’Abyssinie du IVème siècle de notre ère jusqu’à nos jours, où le café est devenu « le p’tit noir » soit comme encastrée dans l’histoire de Gabriel-Mathieu ne m’a pas gênée, au contraire. C’était même passionnant de découvrir comment on est venu à consommer cette boisson qui fait vraiment partie intégrante de notre quotidien – d’ailleurs, un conseil, si vous aimez le café, il sera indispensable d’en boire une tasse (ou deux) au cours de cette lecture !
    Mais j’ai trouvé vraiment dommage que l’histoire de Gabriel-Mathieu de Clieu ne soit pas un peu plus linéaire, racontée de façon un peu plus chronologique et avec une narration moins aléatoire. Effectivement, dans la plupart des avis que j’aie pu lire ici ou là, cette forme originale est souvent soulignée mais ne semble pas avoir gêné outre-mesure les autres lecteurs. Pour ma part, j’avoue que ça m’a bloquée et que j’ai eu l’impression de ne pas toujours bien comprendre ce que je lisais.
    Passons sur les quelques erreurs historiques et anachronismes, un roman historique dans ce domaine ne peut pas être parfait et j’étais toute prête à les pardonner à l’auteur dont, par ailleurs, j’ai beaucoup aimé la plume. Nous en reparlerons.
    Ce qui m’a aussi passablement rendu cette lecture laborieuse sont les incohérences que j’ai ressenties par moments, au point de devoir parfois revenir en arrière en me disant : « mais attends, tu as loupé quelque chose là, ou quoi ? ». Prenons un exemple : il est fait plusieurs fois mention de la première épouse de Gabriel-Mathieu qu’il semble, sinon aimer follement, du moins l’aimer raisonnablement, comme deux époux qui, en cette époque et ce n’était pas souvent, se sont choisis. Plusieurs fois, il insiste sur son attachement envers Marie-Colombe et les deux autres épouses qu’il prendra, après la mort de celle-ci. Sur le fait que les décès de ses épouses vont lui causer une véritable peine, une véritable blessure. Et en même temps, on a pu lire un peu avant, ou on lira, un peu après, un passage qui semble contredire cela…j’ai aussi remarqué une incohérence concernant deux personnages du roman : comme on dit, l’erreur est humaine et il se peut que les auteurs en commettent dans le processus d’écriture, cela est même tout à fait normal. Mais si je l’ai vue, cette incohérence, alors je me demande : pourquoi est-elle passée à la correction ? Ou si ce n’est pas une incohérence, alors pourquoi moi, l’ai-je ressentie comme telle ? Évidemment, on se questionne alors en tant que lecteur, non seulement sur sa subjectivité mais aussi sur sa compréhension (est-ce moi qui ai un problème avec le livre ou bien ces incohérences existent-elles vraiment ?)…
    Bref ! Malgré cela, j’ai trouvé des points positifs au roman et je ne voudrais pas conclure cette chronique sans en avoir parlé car ce roman est loin d’être mauvais (j'insiste bien sur le fait que moi, j'ai été déçue parce que je ne m'attendais pas à ça. Mais cela ne veut pas dire que vous, vous n'aimerez pas). Tout d’abord, ce que je voudrais mettre en avant est la plume de Raphaël Confiant, que je découvrais : émaillée de patois anciens, d’un français un peu suranné et de créole antillais, la langue de Confiant dans ce roman est dépaysante et s’adapte parfaitement à ce qu’il raconte.
    Moi qui ne connaissais pas la littérature créole, je dois dire que lire ce roman m’a donné envie de m’y intéresser un peu plus, je dirais même qu'elle me tend les bras et je n'ai donc plus qu'à m'y plonger (ça tombe bien, j'avais envie de lire Maryse Condé, depuis quelques temps).
    J’ai trouvé aussi passionnante la façon dont il raconte la diffusion du café qui, en l’espace de onze siècles, fera le tour du monde, où les différents peuples se l’approprieront et l’acclimateront quand leur climat le permettra.
    Il est vraiment dommage que la partie consacrée à l’histoire de Clieu soit si chaotique car sinon, je pense que ce roman aurait pu être une excellente lecture, voire un coup de cœur car ce roman correspondait en tous points à mes attentes. La déception est donc d’autant plus amère que j’ai la sensation d’être passée à côté.

    La Transat Jacques Vabre fait découvrir le café antillais - Frigoandco.com

    Des cerises de café sur un caféier aux Antilles 

    En Bref :

    Les + : une superbe plume immersive, l'épopée du café à travers le monde est également passionnante. 
    Les - :
    malheureusement une forme trop embrouillée, qui ajoute de la complexité à un roman déjà exigeant et qui n'en avait pas besoin à mon sens. La chronologie un peu confuse et des passages qui semblent se contredire m'ont donné le sentiment de passer à côté d'une lecture prometteuse mais dont la magie n'aura malheureusement pas opéré sur moi alors que j'aurais tant aimé que ça fonctionne !


    Grand café Martinique ; Raphaël Confiant

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle  

     

     


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