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Histoire de la sorcellerie ; Colette Arnould
« Il aurait fallu que l'homme soit capable de prendre une distance par rapport à lui-même, mais les peurs qui le tenaillaient étaient trop profondément inscrites en lui pour qu'il puisse s'en faire le juge objectif et la sorcière, née de ses propres peurs, s'imposait comme une évidence. »
Publié en 2019
Éditions Tallandier (collection Texto)
496 pages
Résumé :
Que sait-on vraiment des sorcières et de leurs charmes ? Quelles fonctions leur ont été attribuées ? Et surtout, quelles représentations a-t-on projetées sur ces créatures surnaturelles ?
Toujours redoutées, souvent dénoncées et parfois brûlées, les sorcières hantent depuis toujours l'imaginaire occidental. Les Grecs avaient les leurs et nos sociétés contemporaines continuent d'en cultiver l'image. Colette Arnould retrace l'étrange histoire de la sorcellerie de l'Antiquité jusqu'au XXe siècle dans un récit qui dépasse largement la simple chronique : au fil des pages se profilent quelques grandes questions telles que la place des femmes dans la société, la tolérance ou la fascination pour le mal et la violence. Autant de sujets d'une actualité inquiétante.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Toutes les époques ont eu leurs sorciers ou leurs sorcières. De l'Antiquité jusqu'à nos jours, le personnage a certes évolué, mais sans jamais disparaître.
Ironie, méfiance, terreur, attirance, le personnage du sorcier et plus particulièrement de la sorcière - car la notion tend à se féminiser assez rapidement - a suscité bien des sentiments qui, eux aussi, se sont modifiés tout au long de l'Histoire. Et, pour passer de la sorcière criminelle que l'on brûle, à la figure populaire que nous connaissons aujourd'hui, notamment par le biais des dessins animés, des livres pour enfants mais aussi d'un néo-paganisme qui séduit de plus en plus, il a évidemment fallu que la société et ses mentalités évoluent, comme un renversement s'opéra au tournant du Moyen Âge et des Temps modernes, pour passer de croyances en la sorcellerie et en la magie que l'on considérait vaguement au mieux comme des superstitions, à une véritable chasse aux sorcières et aux démons, qui fit de très nombreuses victimes partout en Europe et ce, jusqu'au XVIIIe siècle.
Alors, de Médée et Circé, les deux personnages de la mythologie grecque que l'on peut le plus rapprocher de l'image de la sorcière, à la figure brandie par les militantes féministes depuis les années 1970 (« Nous sommes les filles des sorcières que vous n'avez pas brûlées »), il est intéressant de découvrir comment l'Occident a traité ses sorcières et de briser bien des clichés, par exemple celui qui veut que le Moyen Âge, période sombre et obscurantiste ait été celle des grands bûchers, alors que ce sont les Temps Modernes, pétris pourtant d'humanisme et marqués par l'émergence de nouveaux courants de pensée (notamment la pensée cartésienne) qui ont le plus persécuté les sorcières - ou du moins, celles que l'on considérait comme telles. A l'époque, si discours contraires il y a, ils sont encore minoritaires, mais tendront peu à peu à s'imposer.
Le livre de Colette Arnould est intéressant pour cela, car il aborde plus de deux mille ans d'Histoire, ce qui n'est pas rien. Mi-historique mi-philosophique, cet essai nous amène au plus près de ceux - accusés, accusateurs, délateurs, mais aussi écrivains, religieux ou théologiens - qui ont façonné le mythe de la sorcière et lui ont donné relief et réalité, au point de faire naître, dans certains coins d'Europe, une véritable fièvre, voire une véritable psychose, comme ce fut le cas par exemple avec le personnage du vampire, qui enflamma l'Europe de l'est au XVIIIe siècle.
Si l'Antiquité et le début du Moyen Âge ne font aucune différence entre hommes et femmes, qui peuvent être indifféremment sorciers et sorcières, ce sont les derniers siècles de l'ère médiévale, qui vont commencer à populariser une image presque essentiellement féminine de la sorcière : alors que les premiers siècles du Moyen Âge considèrent les femmes comme parties prenantes de la société, ce n'est plus le cas à partir du XIVe siècle et, très vite, la misogynie ambiante, notamment véhiculée par les clercs, contamine une société malade et fragile, qui cherche des boucs émissaires : en effet, guerres, épidémies, schismes marquent les deux derniers siècles du Moyen Âge et la femme, comme l'étranger ou le Juif, devient la cristallisation des peurs du temps, un objet de haine ou de répulsion. De là va naître l'image de la sorcière dangereuse, vénale, lubrique, se livrant à des sabbats orgiaques avec le démon. La fin du Moyen Âge, notamment par le biais de bulles papales, va commencer à instaurer la future chasse aux sorcières et se hérisse des premiers bûchers. Mais c'est bien au cours des XVIe et XVIIe siècles que les sorcières vont être le plus malmenées avant qu'enfin la raison ne prenne réellement le dessus et que, de nouveau, ne soient considérées que comme des affaires d'escroquerie ou de charlatanisme ce qui, encore quelques décennies auparavant, était considéré comme des affaires hautement criminelles car démoniaques.Le sabbat des sorcières par Francisco de Goya au début du XIXe siècle
Reflet d'époques, de croyances, la figure de la sorcière n'aura donc jamais cessé d'évoluer et de se confondre avec des sociétés patriarcales marquées par la surpuissance des hommes et notamment des religieux qui, pendant des siècles, ont régi la vie spirituelle et pesé sur les consciences. Si l'on s'accorde aujourd'hui, dans une époque où la science règne en maître, à ne plus croire ni aux sorcières ni aux démons, ils n'ont pas pour autant disparu de notre imaginaire ni même de la société...mais un renversement s'est opéré : aujourd'hui, la sorcière est devenue le symbole flamboyant brandi par de nombreux courants féministes qui se réclament d'elle, parfois en opérant des raccourcis un peu trop faciles, il est vrai. La sorcière est devenue objet de commerce ou de nouveaux cultes, avec l'arrivée de courants néo-païens qui en ont fait une figure centrale de leurs croyances, en revenant à des cultes pré-chrétiens comme les mythologies celte, nordique ou gréco-romaine. Les Inquisiteurs des XVe, XVIe et XVIIe siècles tomberaient sûrement de leurs chaises en voyant ce que le XXIe siècle a fait de la sorcière qu'ils ont tant voulu éradiquer et qu'ils ont fait tant souffrir : une figure attirante, qui fait vendre (encens, pierres, bougies ou livres) et de laquelle se réclament sans se cacher des mouvements d'émancipation des femmes.
Si je regrette que l'autrice se soit arrêtée avant justement d'aborder le renversement d'image qui s'opère au XXe siècle, notamment avec l'émergence du féminisme militant des années 1970, j'ai passé un agréable moment de lecture avec cet essai finalement plus accessible que je ne le pensais. J'avais peur que les notions philosophiques soit complexes à comprendre mais ça n'a en réalité pas été du tout le cas et je crois justement que cette approche plus psychique permet de comprendre quels ont été les mécanismes de réflexion des humains de l'Antiquité, du Moyen Âge ou encore, de l'époque moderne et qui ont conduit à concevoir la sorcière comme un objet dont on doit se méfier ou non. Et même si nous ne pouvons cautionner ou comprendre qu'ils aient envoyé sur le bûcher ou réprimé des croyances qui, au final, ne se fondaient sur rien de tangible, nous entrevoyons au moins une explication. L'humain évolue et c'est tant mieux, surtout quand il se rend compte de ses erreurs et s'en amende - même si parfois, le processus est long, comme c'est le cas ici et jalonné de régressions voire de paradoxes. D'un point de vue sociologique, l'étude de la sorcière permet en effet de mieux éclairer des sociétés aujourd'hui disparues et sur lesquelles circulent parfois de très nombreux clichés : pendant combien de temps a-t-on cru que le Moyen Âge avait été l'époque des sorcières, avant que nous nous rendions compte que ce que nous projetions sur cette époque était en réalité biaisé et pas du tout conforme à la vérité historique ?
L'autrice nous explique également comment la procédure inquisitoriale s'est mise en place et institutionnalisée. Elle revient également sur l'édition du Malleus Maleficarum (littéralement le Marteau des sorcières) à la fin du XVe siècle qui fut aussi un tournant dans la répression de la sorcellerie et participa notamment à la confusion entre sorcellerie et féminité, à tel point que, très vite, le terme de sorcière s'imposa, jusqu'à nos jours d'ailleurs, où l'on parle de chasse aux sorcières - expression popularisée et que l'on utilise d'ailleurs encore aujourd'hui, dans bien d'autres cas.
Bref, c'était assez intéressant à lire, même si ça ne s'aborde évidemment pas comme un roman. Si vous vous lancez dans une telle lecture, ne vous attendez pas à le lire en quelques jours, il vous faudra un peu plus de temps et de la concentration, c'est certain, mais cela en vaut la peine. On ressort de ce type de lectures avec de nouvelles connaissances ou des connaissances actualisées et c'était vraiment tout l'objectif pour moi.Gravure représentant l'exécution d'une prétendue sorcière, Anneken Hendiks, à Amsterdam en 1571
En Bref :
Les + : un livre clair et très accessible sans être trop simplificateur non plus, bien au contraire. Une lecture passionnante pour peu que le sujet vous intéresse.
Les - : j'ai regretté que l'autrice n'ait pas abordé le visage plus contemporain (et notamment féministe) de la sorcière, qui n'a pas disparu de nos sociétés.
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Tags : Essai, Histoire, Sorcellerie, Sorcières, Littérature française
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