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Les Dernières Heures, tome 2, Au tournant de minuit ; Minette Walters
« Je rends tous les jours grâce à Dieu des liens d'affection qui nous ont soudés et nous ont permis de franchir l'écueil de la pestilence. Être aimés et honorés pour ce que nous sommes, et non pour ce que notre rang représente, telle est sûrement la leçon qu'Il a voulu nous donner quand Il nous a envoyé Son fils sous les traits d'un charpentier et non d'un roi. »
Publié en 2018 en Angleterre
En 2022 en France (pour la présente édition)
Titre original : The turn of midnight
Éditions Pocket
574 pages
Deuxième tome de la saga Les Dernières Heures
Résumé :
Dorset, automne 1348. Après des mois de confinement, les heures sombres sont enfin loin derrière. Sous l'influence de Lady Anne, le domaine de Develish a su se préserver de la peste noire qui ravagea l'Angleterre. Mais qu'en est-il de l'autre côté des douves ? Sont-ils les derniers survivants ? Pour le savoir, et ravitailler le domaine par la même occasion, le serf Thaddeus Thurkell monte une expédition. Il laisse derrière lui un domaine plus que jamais menacé par les luttes intestines, les vengeances personnelles et les profiteurs de guerre...Son rêve d'un monde d'après, d'un monde plus libre, survivra-t-il au tournant de minuit ?
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Automne 1348 : à Develish, les habitants sont toujours confinés derrière les douves du domaine pour se protéger de la pestilence, cette maladie violente et particulièrement mortelle qui se diffuse en Angleterre depuis le début de l'été. Mais pour continuer d'approvisionner le domaine et nourrir ses habitants, dont aucun n'a eu à souffrir de l'épidémie, grâce aux mesures prises par la châtelaine, Lady Anne, le serf Thaddeus Thurkell et certains jeunes hommes de Develish ont bravé la menace de la maladie pour s'aventurer au dehors et rapporter des vivres. Ils ne s'attendaient pas à voir ce qu'ils ont vu : des villages entièrement décimés et déserts, des paysans et des serfs livrés à eux-mêmes après la fuite éperdue de leurs seigneurs, les plus bas instincts humains, fouettés par la peur, reprenant leur droits...mais Thaddeus est déterminé...et, parce qu'il a l'oreille et la confiance de la châtelaine - au grand dam du régisseur de Develish, Hugh de Courtesmain, ulcéré de voir un serf prendre tant d'importance -, le jeune homme n'a qu'un objectif : mener à bien sa mission et sauver Develish.
Mais à l'automne, la première vague, particulièrement meurtrière et terrifiante, semble être passée. Ce que ne savent pas encore les habitants, c'est que la peste reviendra régulièrement, par vagues, avant de disparaître tout aussi subitement, tout au long de la fin du Moyen Âge et de l'époque moderne. En France, par exemple, la dernière épidémie de peste décime Marseille en 1720, après l'arrivée d'un bateau dans le port dont l'équipage était contaminé. Mais, en attendant, l'espoir revient : dans certaines villes, Thaddeus et ses compagnons rencontrent enfin des vivants, hommes et femmes qui, malgré la peur, ressortent et reprennent leurs activités. Mais le monde tel qu'ils le connaissaient n'existe plus. Les morts sont innombrables et les activités paysannes et commerciales s'en ressentent, car il y a moins de bras pour travailler et moins d'acheteurs... une nouvelle vie est possible et Thaddeus entrevoit, pour lui comme pour les habitants de Develish, un avenir différent de celui qu'ils avaient envisagé jusque là...peut-être la pestilence, pour horrible et terrifiante qu'elle est, aura-t-elle quelques avantages...le jeune serf, intelligent et rusé, compte bien se servir de ce nouvel état de fait pour tirer son épingle du jeu. Mais y arrivera-t-il ? Et Lady Anne, aux idées progressistes, parviendra-t-elle de son côté à libérer enfin les gens de Develish des liens de servilité qui les retiennent encore ?
Vous l'aurez compris, Au tournant de minuit, comme son prédécesseur Les dernières heures, est le roman de la Peste Noire, cette maladie qui apparait en Europe de l'ouest autour de 1347, peut-être diffusée depuis les régions de la mère Caspienne jusque dans les ports d'Italie, de France, puis d'Angleterre. Violente, la maladie se diffuse particulièrement vite, notamment par le biais des rats qui en sont les vecteurs, ce que les hommes du Moyen Âge ne savent pas - ou ne comprennent pas. Il faudra attendre le XIXe siècle et les travaux du médecin Alexandre Yersin pour que soit isolé le bacille de la peste. Au XVIe siècle, la médecine est impuissante à guérir et les populations terrorisées se tournent vers Dieu et la prière. Mais à Develish, les habitant doivent leur salut à une châtelaine instruite qui comprend vite qu'en s'isolant, on a des chances de survie : sans forcément avoir compris les mécanismes de la contagion, Lady Anne comme Thaddeus en sont arrivés à la conclusion que se maintenir loin des foyers de maladie, isoler les malades et faire preuve d'une hygiène rigoureuse pouvait prémunir de la maladie, sans l'éradiquer cependant. Et leurs mesures, sanitaires pourrait-on dire, portent leurs fruits, puisqu'aucun habitant du domaine ne tombe malade.
Cette saga ne peut que nous évoquer une période récente : les confinements dus au Covid, en 2020 et 2021. Certes, on ne peut comparer les deux maladies et pourtant, certaines analogies sont troublantes. Evidemment, nous avons aujourd'hui plus de moyens, notamment les vaccins, pour combattre les maladies, toujours est-il que le monde contemporain n'est pas à l'abri d'épidémies nouvelles et se diffusant rapidement : tout au plus avons-nous une capacité de réponse plus efficace qu'à l'époque médiévale et des connaissances médicales plus avancées. Toujours est-il que ce qui se produit à Develish n'est pas sans nous rappeler les mesures sanitaires mises en place tout au long de l'épidémie de Covid, à commencer par l'isolement et l'hygiène.
Dans ce deuxième tome, le changement qui se produit après la première vague de la maladie peut aussi nous rappeler les bouleversements que nous avons connus : nous ne voyons plus le monde ni même notre vie de la même manière (nous avons pu constater par exemple de profondes mutations dans le monde du travail à l'issue de la crise sanitaire) et c'est aussi le cas pour les survivants de la pestilence qui se rendent compte soudain des limites de leur monde et de leurs croyances, à commencer par l'influence des prêtres.
J'ai aimé aussi le message véhiculé par ce roman : l'instruction combattra toujours l'obscurantisme (notamment ici, celui de l'Eglise et des prêtres moralisateurs) et l'intelligence n'est sûrement pas un privilège de classe - bien au contraire.
Seul bémol, j'ai trouvé ce deuxième tome trop romanesque par rapport au premier...j'ai eu l'impression que l'autrice utilisait peut-être des ficelles un peu trop grosses et pas forcément toujous crédibles pour arriver à ses fins, ce qui est dommage...d'un autre côté, j'ai trouvé que certains aspects du roman auraient peut-être pu être plus travaillés, comme le changement de Lady Eleanor. J'aurais aimé que l'autrice s'y attarde peut-être un peu plus. Nous sommes moins à Develish dans ce volume et c'est dommage car c'est une communauté intéressante et attachante.
Bref, Les Dernières heures aurait peut-être pu se suffire à lui-même. Au tournant de minuit n'était pas désagréable à lire, mais peut-être pas indispensable...l'autrice aurait pu mélanger les deux intrigues et en faire un seul volume sans aucun problème à mon avis. Je ne le relirai probablement pas cette série mais si vous aimez les romans historiques et le Moyen Âge, pourquoi pas ?En Bref :
Les + : les sujets abordés sont intéressants et intemporels comme la supériorité de l'intelligence et l'importance de l'instruction pour vaincre l'obscurantisme.
Les - : un tome moins intéressant que le premier, peut-être pas forcément nécessaire...je l'ai trouvé parfois un peu trop romanesque et, de fait, moins crédible. Dommage.
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- Découvrez mon avis sur le premier tome juste ici.
Tags : Roman, Histoire, Moyen Âge, XIVème siècle, Littérature britannique
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