• #14 : Madame de Parabère (1693-1755)

    INTERMEDE LXXVI

    La Parabère et le Régent 

    La future Madame de Parabère naît le 6 octobre 1693 à Paris. Elle naît Marie-Madeleine de Coatquer ou Coaskër de la Vieuville. Son père , René-François fut marquis de la Vieuville et chevalier d'honneur de la reine Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV, mais aussi gouverneur du Poitou. Sa mère, Marie-Louise de La Chaussée d'Eu, fut dame d'atours de la duchesse de Berry jusqu'à sa mort. Bien que noble, son père était peu riche, selon Saint-Simon.
    Dès son plus jeune âge, Marie-Madeleine n'est pas forcément connue comme ayant une grande vertu, au contraire. Sa mère, décrite comme une femme « belle, pauvre, sans esprit, mais sage », par le duc de Saint-Simon avait été rendue « basse et intéressée » par le mariage. Jolie et séduisante, Marie-Madeleine ne fit pas trop parler d'elle avant son mariage qui eut lieu le 8 juin 1711, alors qu'elle allait avoir 18 ans. On la donne en mariage à César-Alexandre de Baudéan, marquis de Parabère, de 30 ans son aîné, gentilhomme et issu de la noblesse poitevine. La jeune et jolie demoiselle de Vieuville, devenue, par mariage, marquise de Parabère, ne tarde pourtant pas à déchanter, son mari étant bien différent d'elle. Il ne possède aucune charge à la Cour et ne s'intéresse pas à la guerre, se contentant, pour asseoir sa gloire, de celle de ses ancêtres, qui s'étaient illustrés sur le champ de bataille. Peu ouvert d'esprit et un peu sot, il déçoit sa jeune et flamboyante épouse. Il est bien évident que la jeune femme n'aime pas son époux et elle va bien vite devenir infidèle. Ainsi, on la voit souvent frayer avec lord Bolingbroke, courtisé par de nombreuses dames françaises qui tentaient de lui faire oublier son pays natal, l'Angleterre.
    Mais, si l'époux de Madame de Parabère se montre plutôt conciliante et peu jaloux avec sa jeune épouse, cette dernière était presque constamment surveillée par sa mère, Marie-Louise de Vieuville, qui ne souhaitait pas voir sa fille devenir une femme frivole comme la famille de Vieuville en avait si souvent abrité. On disait par exemple que madame de Vieuville avait tout fait pour préserver Marie-Madeleine des regards du Régent et ainsi, empêcher toute possibilité de liaison entre eux. Ce sera en vain, puisque Madame de Parabère deviendra un jour la maîtresse en titre du duc d'Orléans...Le 11 septembre 1715, elle perd sa mère, devenue sa duègne, emportée par un cancer du sein. Courageuse à l'extrême, Madame de Vieuville avait caché son mal jusqu'à deux jours avant son décès...Seule une femme de chambre avait été mise plus avant dans la confidence. Elle fut remplacée dans sa charge de dame d'atours de la duchesse de Berry, petite-fille par alliance de Louis XIV par Madame de Pons et Marie-Madeleine de Parabère se trouva, elle, émancipée de la tutelle envahissante de sa mère et commenca de collectionner les amants...elle entretint notamment une liaison avec le chevalier de Matignon. « L'amant est trompé comme le mari par cette jeune femme folle de sa liberté », disait-on partout.
    En 1716, le marquis de Parabère mourut comme il avait vécu et s'effaca doucement de l'existence de sa jolie veuve. Il ne fut pas beaucoup pleuré et on ne le regretta pas, sauf, peut-être, par les trois enfants qu'il avait eu de Marie-Madeleine...car malgré un mariage au bilan en demi-teinte, la future belle amie du Régent avait tout de même trouvé le temps de donner à son époux trois enfants, deux garçons et une fille, Louis-Barnabé, né en 1714, Louis-Henri, qui vit le jour en 1715 et Gabrielle-Anne, en 1716.
    Madame de Parabère sut exploiter à merveille le champ libre que lui laissait la mort de son mari. Son père, qui venait de convoler une troisième fois, se souciait comme d'une guigne de ce que pouvait faire sa fille et, débarrassée, si on peut dire, de sa mère et de son vieil époux, la flamboyante Marie-Madeleine de Parabère marchait vers son destin. Éclatante jeune femme de 23 ans, elle charmait et subjuguait tous les hommes qu'elle croisait, faisant ainsi sa renommée partout à Paris mais n'échappant pas pour autant à la plume acérée des chansonniers, pour qui elle représentait un sujet de choix. On est alors en pleine période de la Régence, connue pour sa liberté de mœurs et ses vices. Le mariage était bafoué, les seigneurs trompaient allègrement leurs épouses devant Dieu avec les filles légères de l'Opéra et les dames n'hésitaient pas non plus à se montrer infidèles.
    C'était le Régent lui-même qui montrait l'exemple, menant une vie des plus dissolues. Il passait des nuits entières de débauche, entouré de ses favoris, que l'on surnommait les roués et de dames de petite vertu, qui espéraient, en fréquentant les hautes sphères du pouvoir, tisser leur toile dans le beau monde. Ces femmes accordaient leurs faveurs au Régent mais, généralement, pour des aventures de courte durée. La maîtresse en titre du moment était la comtesse de Sabran, fille du comte de Foix et de Rabat, qui avait le même âge que Madame de Parabère. Celle-ci n'avait pas encore été remarquée par le Régent mais cela ne saurait tarder.
    En réalité, le Régent avait déjà posé ses yeux sur la belle Madame de Parabère. Alors qu'elle se trouvait chez la duchesse douairière de Berry, elle fut remarquée par le père de son hôtesse : en effet, Madame de Berry, qui avait épousé le petit-fils de Louis XIV, était aussi la fille du Régent. Mais à ce moment-là, Madame de Vieuville était encore vivante. La seconde fois où ils se rencontrèrent, Marie-Louise de Vieuville n'était plus là pour se mettre en travers de leur route : Marie-Madeleine de Parabère et le Régent, Philippe d'Orléans, étaient libres de s'aimer si l'envie leur en prenait. Pétillante, flamboyante, infatigable, désinvolte, par forcément spirituelle mais joyeuse, elle était exactement la maîtresse qu'il fallait au Régent. Elle était finalement une sorte de Madame de Montespan. Participant aux orgies de la Régence qui faillirent d'ailleurs coûter la vie, par la suite, à Madame d'Averne, Madame de Parabère sut toujours se maîtriser pour ne jamais tourner au ridicule.


    C'est rapidement après la mort de sa mère, à l'automne 1715 que Madame de Parabère entame une liaison avec le Régent. A la même époque -alors que son époux est encore vivant-, elle entretient une relation plutôt mouvementée avec le duc de Richelieu. Madame de Parabère était réellement amoureuse du duc mais ce n'était pas réciproque. Richelieu, qui écrira plus tard ses mémoires, ne lui consacrera pas une ligne.
    Le Régent se montre magnanime avec sa maîtresse, qui le trompera de nombreuses autres fois, avec Nocé ou encore, Clermont, capitaine des Suisses du Régent. Il semble que sa relation avec Nocé ait été plutôt une amitié assez intime et non pas une véritable histoire d'amour. Cependant, lorsqu'il arrive que Madame de Parabère tombe enceinte, le Régent ne reconnaît pas les enfants, estimant qu'ils peuvent ne pas être de lui. La Palatine, mère du Régent, écrit d'ailleurs, à propos des nombreux enfants naturels de son fils : « Il y a encore deux ou trois enfants que je n'ai jamais vus et qu'il a eus d'une femme de qualité. Son grand-père a été gouverneur de mon fils, et il était précédemment chevalier d'honneur de la reine. Cette femme est veuve depuis deux ans. (…) Je ne crois pas que mon fils puisse être bien sûr que ces enfants soient de lui, car cette femme est une terrible dévergondée. Elle boit nuit et jour et ne se gêne en rien : mais mon fils n’est pas du tout jaloux. » Cette femme de qualité que décrit Madame, c'est Madame de Parabère.
    Malgré son naturel plutôt dévergondé et sa frivolité, Marie-Madeleine de Parabère a tout de même des qualités et surtout, c'est une grande beauté. Ainsi, ses contemporains ne tarissent pas d'éloges sur elle, à commencer, d'ailleurs, par La Palatine, qui n'hésite pas à dresser un portrait flatteur de la maîtresse de son fils. Et pour plaire à la terrible épistolière, il fallait vraiment avoir quelque chose de plus que les autres, car bien peu de gens trouvaient grâce aux yeux de la princesse palatine. Voici ce qu'elle dit de Marie-Madeleine : « Elle est de belle taille, grande et bien faite ; elle a le visage brun et elle ne se farde pas; une jolie bouche et de jolis yeux ; elle a peu d'esprit, mais c'est un beau morceau de chair fraîche ». Une personne dont l’identité ne nous est pas parvenue dresse ce portrait d'elle : « Elle était vive, légère, capricieuse, hautaine, emportée ; le séjour de la cour et la société du Régent eurent bientôt développé cet heureux naturel. L'originalité de son esprit éclata sans retenue ; ses traits malins atteignaient tout le monde, excepté le Régent ; et, dès lors, elle devint rame de tous ses plaisirs, quand ses plaisirs n'étaient pas des débauches. Il faut ajouter qu'aucun vil intérêt, qu'aucune idée d'ambition n'entrait dans la conduite de la comtesse. Elle aimait le Régent pour lui; elle recherchait en lui le convive charmant, l’homme aimable, et se plaisait à méconnaître, à braver même le pouvoir et les transports jaloux du prince. » Et Madame de Caylus de renchérir sur ces déclarations : « Sa figure était aimable, son caractère était doux et son esprit était médiocre. On l'a accusée d'être ce qu'on appelle méchante dans le monde. Hélas ! c'est ce que tout le monde peut naturellement se reprocher, mais l'acharnement avec lequel on a tenu sur elle des discours très-fondés engage également une femme à rendre aux autres ce qu'ils lui prêtent, quand cette vengeance est aussi facile à prendre, et qu'elle est souvent une vérité. Ce qu'il y a de plus singulier dans le caractère de madame de Parabère, c'est l'égalité de son amour. Le sentiment en elle a très-souvent changé d'objet, mais jamais son cœur n'a été vide un instant; elle a quitté, elle a été quittée ; le lendemain, le jour même, elle avait un autre amant qu'elle aimait ; avec la même vivacité, et auquel elle était soumise avec le même aveuglement. Car elle n'a jamais vu que par les yeux de son amant du moment. Dès qu'elle l'avait choisi, elle ne voyait que ses amis et n'avait que ses goûts. Cette exactitude de soumission, prouvée par l'exemple de plus de vingt amants qui se sont succédé pendant le temps de ses amours, et qui subsistent encore, me paraît un événement singulier et plus rare dans un degré aussi égal, que les exemples d'une constance d'un pareil nombre de dames ne le pourraient être. ». La Palatine, qui est d'humeur versatile, reviendra parfois sur son jugement élogieux concernant Madame de Parabère mais, dans l'ensemble, il semble que Marie-Madeleine soit la maîtresse du Régent que la mère de ce dernier tolérait le mieux. Sans ambition et sans cupidité, Madame de Parabère était la favorite idéale pour un homme édifié sur les liaisons trop envahissantes, qui avaient parfois empoisonné le règne de son oncle, le défunt Roi-Soleil...Moins coquette et effrontée que les dames de Sabran ou d'Averne, qui avaient aussi la préférence du Régent, elle n'était surtout pas avide comme elle, ce qui lui permit de s'attacher plus étroitement le Régent, qui n'était pourtant pas connu pour être un homme fidèle. Très attaché à sa maîtresse, le Régent cédait rapidement aux moindres demandes de Marie-Madeleine.

    Tableau représentant Madame de Parabère et le Régent sous les traits d'Adam et Ève (tableau de Jean-Baptiste Santerre, 1716)


    Le Régent n'aimait pas la campagne mais il avait offert une petite maison de campagne à Madame de Parabère, à Asnières, tout près de Paris. C'est là qu'il venait parfois souper, lorsqu'il ne se trouvait pas au Palais-Royal, au Luxembourg ou à Saint-Cloud, lieux habituels de ses débauches. C'est à ces soupers qui tournaient souvent en orgies que le médecin du Régent, Gendron, attribue le déclin rapide de la santé du prince, qui finira par rendre l'âme en 1723.
    Les soupers du Régent à Asnières prirent fin lorsque le peuple parisien, en colère, fit le siège du Palais-Royal, dénoncant le système de Law. Madame de Parabère, enceinte, quitta sa petite villégiature de campagne pour Paris, où elle vint soutenir son amant, aux côtés de l'épouse légitime, la duchesse d'Orléans, par ailleurs fille légitimée de Louis XIV et Madame de Montespan. Law, qui s'était réfugié au Palais-Royal pour échapper à la vindicte populaire finit par quitter l'appartement qu'il y occupait, le 18 août 1720, pour regagner son domicile de la rue Neuve-des-Petits-Champs. Son appartement fut alors dévolu à Marie-Madeleine.
    Chose étrange, Madame de Parabère, en tant que favorite, ne souffrit jamais de l'impopularité de son amant. Au contraire, le peuple voyait en elle une sorte de secours à leur détresse. En parallèle, le Régent doit se battre contre une santé de plus en plus chancelante, que sa mère attribue, non sans raison, à sa vie particulièrement dissolue, qui avait déjà coûté la vie à Mademoiselle, la fille du Régent, en 1719.
    Madame de Parabère réussit l'exploit de s'attacher Philippe d'Orléans pendant cinq années. C'est elle qui eut le plus de crédit auprès de lui et c'est précisément parce qu'il la savait insouciante et plutôt désintéressée que le Régent écoutait ses conseils politiques. Elle avait un pouvoir certain sur l'esprit du Régent, ce que même Saint-Simon reconnaît aisément.
    Mais, à la fin de 1720, la faveur de Marie-Madeleine commence doucement à décroître. Il faut dire que la jolie Madame de Parabère a pris un nouvel amant. En ce qui concerne les amours du Régent, une nouvelle dame apparaît dans sa vie : poussée par Madame de Sabran, Madame de Phalaris, qui est l'une de ses parentes, commence à tisser sa toile dans l'entourage du Régent. Mais ce n'est qu'une passade éphémère. Alors que Madame de Parabère semblait en perte de vitesse, la voilà qui revient, plus puissante que jamais, au grand désappointement de ceux qui ont voulu son éviction. Mais Madame de Phalaris n'est pas du genre à s'avouer vaincue et, pendant un temps, le Régent va partager sa faveur entre deux femmes.
    En 1721, alors que Madame de Phalaris a finalement été renvoyée, Marie-Madeleine de Parabère se brouille avec son amant à cause des relations qu'il entretient avec les filles de l'Opéra, de petite vertu. La séparation est des plus houleuses. Par la suite, le Régent chargera Nocé de la réconcilier avec Madame de Parabère, mais ce sera vain. Cependant, le Régent restera toujours plus ou moins amoureux de la jolie Marie-Madeleine, à qui il rendra souvent visite. Contrairement aux autres femmes, congédiées, Madame de Parabère eut la faveur de ne pas être chassée et de partir de son plein gré, avec le consolation d'avoir été une maîtresse selon son coeur pour Philippe d'Orléans.
    La disgrâce, par contre, fut définitive. Une certaine fierté, due à son caractère insouciant et désintéressé, empêcha Madame de Parabère de se raccommoder avec le Régent. Elle finit par s'éloigner doucement de la Cour, se retira dans un couvent pour réparer sa réputation, comme avaient pu le faire, avant elle, Louise de la Vallière, qui devint religieuse ou encore, Madame de Montespan, qui se retira dans une institution religieuse après sa disgrâce. Madame de Parabère devint même une véritable dévote. Il se pourrait que ce soit une grave maladie l'ayant conduite aux portes de la mort qui l'aurait poussée à devenir pieuse mais ce ne pourrait être qu'une légende. Car Madame de Parabère continuait ses frasques, n'ayant pas renoncer pour autant à la vie dans le monde. Elle fut ainsi la maîtresse de Monsieur le Premier, Monsieur d'Alincourt, par exemple ou encore, de Monsieur de La Mothe-Houdancourt, dans les bras duquel elle se jettera pour oublier sa déconvenue avec Monsieur le Premier. Madame de Parabère commettait ses frasques pour s'en repentir ensuite. Les dernières années de la vie de Marie-Madeleine de Parabère sont assez floues. Dans une lettre à sa bonne amie Emilie du Châtelet, Voltaire mentionne la tentative de mariage de Marie-Madeleine avec le duc de Brancas, qui n'aura jamais lieu. On sait qu'en 1739, elle vivait encore. Elle se retira complètement du monde après cette date et mourut finalement en 1755, à l'âge de 62 ans, sous le règne de Louis XV, pupille de son ex-amant, le Régent, emporté par ses débauches en 1723. Elle lui avait survécu 32 ans.

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.


    Pour en savoir plus :

    -Le Régent, Jean-Christian Petitfils. Biographie. 
    -Les Soupers assassins du Régent, Michèle Barrière. Roman.
    - La Régence (1715-1723), Aimé Richardt. Essai. 

     


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