• #25 : Giulia Farnese (1474-1524)

    INTERMEDE XXV

     

    Lady with unicorn by Rafael Santi.jpg

    Dame à la licorne, tableau de Raphaël dont Giulia Farnese aurait été le modèle (vers 1505)

    Giulia Farnese, probablement née à Canino en 1474 était une femme d'une extraordinaire beauté, qui subjugua d'ailleurs le pape Alexandre VI Borgia. C'est cette liaison avec le souverain pontife qui va rendre la jeune femme célèbre.
    Elle voit le jour dans une propriété de sa famille, à Canino en 1474. On ne connaît pas la date exacte de sa naissance. Elle est la fille de Pierre Louis Farnese et de Giovanella Caetani, descendante de la dynastie de Sermoneta, ce qui apparente Giulia au pape Boniface VIII. Son frère aîné, Alessandro, deviendra, au siècle suivant, pape sous le nom de Paul III : il est connu pour avoir été le pape du Concile de Trente, par exemple. Elle aura ensuite une sœur cadette, Gerolama ainsi qu'un autre frère, Angelo. On n'a que peu d'informations sur l'enfance de Giulia Farnese...il est très vraisemblable qu'elle ait grandi dans une propriété de la famille Farnese près du lac de Bolsena et, comme c'était la règle pour les jeunes femmes nobles à l'époque, elle a dû être éduquée dans un couvent de Rome. A treize ans, en 1487, elle perd son père.
    Deux ans plus tard, à l'âge de quinze ans, Giulia entre dans l'aristocratie romaine, grâce à son mariage avec Orso Orsini, dit aussi Orsino Orsini. Il appartient à la famille des ducs de Bassanello, l'une des familles plus importantes du Latium. Orsini est le fils de Lodovico Orsini et Adriana de Mila, cousine de Rodrigo Borgia. Il est comte de Nola. Il a un physique peu attirant et est même surnommé Le Borgne ou encore Monuculus Orsinus, à cause de ce handicap. Les noces sont célébrées à Rome le 21 mai 1489, dans la demeure même du cardinal Borgia, dont Adriana de Mila, mère du marié, est la gouvernante. Quelques années plus tard, ce dernier va devenir le pape Alexandre VI Borgia et faire de Giulia sa maîtresse. A l'époque du mariage de La Bella avec Orsini, le futur pape a déjà quatre enfants -Cesare, Lucrezia, Juan et Goffredo- de sa maîtresse Vanozza Cattanei, qu'il reconnaîtra par la suite, mais certainement d'autres rejetons, nés de femmes restées inconnues.
    Giulia, comme son devoir conjugal l'exige, va suivre son époux à Bassanello. Mais, rapidement, le moindre prétexte est bon pour éloigner son mari qu'elle n'aime pas et Giulia se rend souvent dans la résidence romaine des Orsini, à Monte Giordano ou, carrément au palais romain, Santa Maria in Portico, à deux pas de la Basilique Saint-Pierre, où Adriana vit avec Lucrezia, la fille de Rodrigo Borgia.
    Lorsqu'il rencontre Giulia, le cardinal Borgia, futur pape Alexandre VI, a près de soixante ans, mais c'est un véritable coup de foudre qu'il ressent pour la belle jeune femme. Il veut à tout prix en faire sa maîtresse. Giulia, qui n'a même pas encore quinze ans, est littéralement offerte au cardinal. Ceux qui tirent avantage de cette liaison se lient alors en un pacte tacite et silencieux, tandis que le cardinal, lui, peut rajouter cette magnifique créature à son long tableau de chasse. La propre mère de Giulia, Giovanella, et Adriana de Mila, sa belle-mère, vont d'ailleurs profiter de la faveur de la jeune femme pour obtenir pour leurs fils respectifs, Alexandre Farnese (futur pape Paul III) et Orsino Orsini des honneurs et des privilèges.
    Le 11 août 1492, après un conclave sous tension, Rodrigo Borgia accède à la fonction suprême. Il devient pape sous le nom d'Alexandre VI. Trois mois plus tard, Giulia accouche, à l'âge de 18 ans, de son unique fille, prénommée Laura. Mais l'enfant n'est pas présentée comme étant celle du nouveau pape. Légalement, la fille d'Alexandre VI et de Giulia est celle d'Orsino Orsino, le mari de sa mère. D'ailleurs, dans une lettre à Giulia, le pape nie complètement sa paternité...! L'enfant porte donc le nom d'Orsini et devient l'héritière d'Orsino, comme s'il était son véritable père.
    Le pontificat d'Alexandre VI ne met aucunément fin à sa relation avec la belle Farnese. Ils continuent de se rencontrer souvent et Giulia n'est d'ailleurs plus une simple maîtresse : elle est la concubine officielle du pape. On comprendra donc que sa position suscite alors quelques médisances. Les Romains l'appellent ainsi perfidement « concubina papae » ou « sponsa Christi ».
    Dès son arrivée sur le trône de saint Pierre, Alexandre VI commence à distribuer des largesses à ses fidèles, parmi eux, les Farnese, qui sont d'une certaine manière récompensés pour les bonnes grâces de Giulia envers le pape. Ainsi, en 1493, Alexandre VI nomme le frère de sa maîtresse, Alexandre, cardinal, alors que celui-ci n'a que 25 ans, ce qui ne manque pas d'attiser l'ironie des Romains, qui surnomment le nouveau cardinal il cardinale della Gonnella, en référence aux résultats évidents obtenus par les faveurs de sa jeune soeur.
    Le mari bafoué, Orsino Orsini, n'est pas non plus oublié. En 1494, pour le remercier en quelque sorte de fermer les yeux et de se montrer conciliant, le pape lui fait don du fief de Carbognano.
    Mais, dès 1493, la vie de la Bella commence à changer. Cette année-là, en juin, la jeune fille d'Alexandre VI, Lucrezia, alors âgée de treize ans, épouse, selon la volonté de son père, Giovanni Sforza, seigneur de Pesaro. Elle quitte Rome pour gagner la ville de son époux. Giulia l'y suit en qualité de dame d'honneur et elles sont accompagnés par la belle-mère de Giulia, Adriana de Mila. Mais le pape ne supporte pas cet éloignement et commence à réclamer la présence de sa concubine à Rome.
    De plus, l'Italie, à ce moment-là, est particulièrement troublée. Le roi de France Charles VIII, accompagné de ses armées, envahit l'Italie pour récupérer le royaume de Naples, sur lequel il prêtent avoir des droits. Alexandre VI ordonne à Giulia de rentrer à Rome. Mais, au même moment, Giulia apprend que l'un de ses frères, Angelo, est au plus mal, à Capodimonte. Bravant l'interdit du pape, la jeune femme se rend au chevet de son frère mais arrive trop tard. Elle passe ensuite l'été avec son autre frère, Alexandre, dans les propriétés de la famille. Mais, à l'automne, la situation se fait de plus en plus menaçante et Alexandre VI réitère son ordre : Giulia doit rentrer à Rome. D'autre part, Orsino Orsini exige aussi d'avoir sa femme à ses côtés, à Bassanello. Furieux, le pape écrit des mots très durs à Giulia ainsi qu'à Adriana de Mila, les menaçant d'excommunication si elles ne rentrent pas. Des lettres similaires sont adressées à Alexandre Farnese à Orsino Orsini.
    Le pape a gagné. Giulia décide de revenir à Rome avec sa belle-mère et sa soeur Gerolama. Mais, à la hauteur de Viterbe, le convoi des dames, escortés par des cavaliers envoyés par le pape, est intercepté par l'avant-garde de l'armée française. Les trente cavaliers pontificaux, bien plus décoratifs que combattants, ne tentent aucune résistance. Les Français, découvrant dans le convoi la maîtresse du roi décident de séquestrer les trois femmes dans le château de Montefiascone et en profitent pour demander une rançon à Alexandre VI, de 3000 ducats, ce qui n'est pas rien. Soucieux de revoir sa maîtresse, dont il s'inquiète du sort, le pape paie immédiatement. Après trois jours à Montefiascone, où elles ont plus été traitées comme des invitées que comme des prisonnières, les trois femmes, Giulia, Adriana et Gerolama, peuvent reprendre le chemin de Rome, escortées cette fois de soldats dignes de ce nom. Finalement, Giulia est rendue à Rome le 1er décembre. Elle passe la nuit au Vatican, où elle reçoit le pardon du pape.
    Pour autant, il semble que ce soit le dernier acte des relations entre Alexandre VI et sa favorite...de plus, la situation politique est toujours instable. Les armées de Charles VIII ne cessent d'avancer en Italie et une peur croissante envahit Rome. Le pape n'a pas l'intention de quitter le Saint-Siège comme on le lui conseille et Giulia craint pour sa vie et celle de sa petite fille, Laura. Elle souhaite quitter Rome le plus rapidement possible. Elle demande alors de l'aide à son frère, le cardinal Farnese, pour quitter la ville au plus vite. Deux semaines avant l'arrivée du roi de France à la tête de ses armées, Giulia quitte Rome sans avoir revu le pape : ils ne se reverront d'ailleurs jamais. Le lieu de la fuite de la Bella n'est pas connu : il est possible qu'elle ait gagné la ville de son époux, Bassanello ou bien, le fief de Carbognano, accordé à Orsini par le pape. Toujours est-il que c'est là qu'elle se trouve plusieurs années plus tard. En 1500, Giulia devient veuve, Orsini vient de mourir et toutes ses possessions vont à Laura, reconnue par lui. On retrouve ensuite la trace de l'ancienne maîtresse pontificale à la fin de l'année 1503. Le 18 août de cette même année, le pape Alexandre VI est mort, à la suite d'un repas où il aurait été empoisonné. Le soleil des Borgia commence à décliner, la gloire, à les quitter. Pour les Farnese, il est donc temps de confier leur fortune à d'autres hommes forts. Encore une fois, c'est Giulia qui est utilisée par sa famille pour mettre en place cette ascension. Après le bref pontificat de Pie III, élu après Alexandre VI, c'est l'ancien rival de ce dernier, Giuliano della Rovere, qui est monte sur le trône de Pierre, sous le nom de Jules II. Giulia est âgée de trente ans. Elle rentre à Rome pour y organiser les noces de sa fille Laura, âgée de douze ans. La famille de Jules II, les della Rovere, sont à leur apogée et Giulia comprend très vite l'intérêt qu'il y'aurait à marier sa fille dans cette maison. Le 15 novembre 1505, Laura, qui a treize ans, épouse Niccolò della Rovere, neveu de Jules II.
    Pour Giulia, la vie rangée, ce n'est pas pour maintenant. Après avoir entretenu des liaisons avec des amants dont la postérité n'a pas retenu le nom, Giulia finit par se remarier en 1506, à 32 ans, avec Giovanni Capece di Bozzuto, membre de la petite noblesse napolitaine. Cette même année, Giulia prend en main le fief de Carbognano et s'établit dans le château qui domine la petite ville. Sur le portail du château, d'ailleurs, elle fera graver son nom. Les chroniques racontent que Giulia fut une habile administratrice et qu'elle sut gérer ses terres avec énergie, et d'une main de maître tandis que son frère continue, à Rome, une brillante carrière ecclésiastique, qui aboutira d'ailleurs au pontificat. En 1517, à 43 ans, Giulia est veuve une seconde fois.
    Giulia Farnese reste à Carbognano jusqu'en 1522. Elle quitte ensuite la région pour revenir à Rome, où elle passe les deux dernières années de sa vie. Le 23 mars 1524, à l'âge de 50 ans, Giulia meurt, dans cette ville, dans le grand palais du cardinal Farnese, son frère. La raison de sa mort est inconnue. Giulia ne verra pas son frère sur le trône de Pierre, puisqu'Alexandre ne deviendra le pape Paul III que dix ans plus tard, en 1534. Sa fille, Laura, eut trois enfants de son mariage, qui héritèrent des possessions des Orsini.
    La beauté de Giulia Farnese est passée à la postérité. Elle est décrite comme une femme de taille moyenne, ni très grande, ni petite non plus. Elle était bien proportionnée, avait de beaux et grands yeux noirs ainsi qu'un visage rond et une belle chevelure. Cette description nous est parvenue grâce à des fragments de lettres écrites par ses contemporains, par exemple, dans l'une écrite par Cesare Borgia, il est question de « niger oculos ». Son beau-frère, Lorenzo Pucci, époux de sa sœur Gerolama, écrit à son propre frère : « elle a la plus belle chevelure que l'on puisse imaginer ». Les dames de son entourage racontent également que Giulia, soucieuse de son apparence même pendant son sommeil, dort dans des draps noirs pour mettre en évidence sa carnation claire (un peu plus tard, la reine Margot usera elle aussi de cette technique).
    Pour autant, de cette si fameuse beauté, il ne reste aussi aujourd'hui que peu de témoignages...souvent, ce sont des témoignages picturaux. Ainsi, Giulia Farnese fut représentée par Raphaël, mais par aussi par le Pinturricchio, dans la Sala dei Santi (Salle des Saints), de l'appartement Borgia, au Vatican. Dans cette même peinture, Lucrezia Borgia est représentée également. Certains affirment que la disparition de la majeure partie des images de Giulia viendrait de la volonté du pape Paul III, pour qui le souvenir de sa soeur, maîtresse affichée d'un pape, était d'un grand embarras...

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour en savoir plus : 

    - Les Borgia, Ivan Cloulas. Biographie, Essai historique. 
    - Borgia : n'ayez pas foi en eux, Tom Fontana. Roman. 
    - Le Serpent et la Perle / La Concubine du Vatican, Kate Quinn. Romans. 
    - Les Borgia : enquête historique, Guy Le Thiec. Essai historique. 
    - Lucrèce et les Borgia, Geneviève Chastenet. Biographie. Essai historique. 
    - Empoisonneuse à la cour des Borgia / La trahison des Borgia / Maîtresse de Borgia, Sara Poole. Romans.


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