• L'Indomptée : la papesse Jeanne ; Donna Cross

    «  Quelle que soit la force de notre volonté, le monde n'est pas tel que nous voudrions qu'il soit. »

     

     

     Publié en 1996 aux Etats-Unis

     En 2021 en France (pour la présente édition)

     Titre original : Pope Joan

     Editions Points (collection Grands Romans)

     572 pages 

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Le parcours ponctué d'aventures, d'amours, d'intrigues et de rebondissements d'une héroïne indépendante et résolument moderne. 

    Jeanne naît en 814. Elevée sous la férule d'un père autoritaire, elle s'insurge très tôt contre les préjugés et interdits qui pèsent sur les femmes. En secret, elle apprend à lire et à écrire comme ses frères, et se fait admettre à l'école de la cathédrale de Dorstadt...

    Ainsi débute l'histoire de cette héroïne surprenante qui, se faisant passer pour un homme, parviendra à atteindre les hautes sphères du Vatican. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Et si une femme s’était assise un jour sur le trône de Saint-Pierre ? Partant de ce postulat, une incroyable légende est née : celle d’une femme pape, qui aurait été élue à la titulature suprême au IXème siècle.
    Quand elle voit le jour en 814, à Ingelheim dans l’Empire, Jeanne a un destin déjà tout tracé. L’étude, le pouvoir, le savoir ne sont pas affaires de femme. Au mieux, elle épousera un homme pas trop vilain, qui ne la battra pas mais lui fera de nombreux enfants, l’accablant de grossesses régulières ; ou alors, elle deviendra religieuse. Au pire, elle sera livrée à un tyran domestique qui fera d’elle ce qu’il veut : dans une société profondément religieuse et misogyne, cela n’est évidemment pas choquant. En somme, Jeanne est une une future femme et bientôt, ne s’appartiendra plus, si tant est qu’elle s’appartienne un jour…
    Fille d’un chanoine d’origine britannique et d’une Saxonne qui ne s’est jamais vraiment convertie à la foi chrétienne, malgré les massacres perpétrés sur son peuple à l’époque de Charlemagne, Jeanne grandit écartelée entre la foi chrétienne d’un père autoritaire et les anciens Dieux de sa mère : ainsi, Jésus-Christ côtoie étroitement les légendes saxonnes et le panthéon germain, où le dieu vengeur Wotan tient une place centrale.
    Pour son père, Jeanne ne compte pas. Elle a deux frères aînés en lesquels son père fonde tous ses espoirs. Seulement, Jeanne ne veut pas se cantonner au rôle que la société franque du Haut Moyen Âge lui assigne : celui d’une mère et d’une épouse docile. Ce qu’elle veut, c’est apprendre, s’instruire. Elle y arrivera, au prix de bien des vexations et bien des renoncements. Elle devra surtout abandonner pour toujours son sexe de femme et le dissimuler sous des oripeaux masculins pour espérer connaître un jour le destin qu’elle-même veut se forger.
    D’Ingelheim à Rome, il n’y a cependant pas qu’un pas : il va falloir à Jeanne beaucoup d’années pour parfaire son savoir, supporter les vexations et le mépris d’hommes qui se croient spontanément plus intelligents qu’elle parce qu’elle est née fille, supporter aussi l’inimitié de ses consoeurs, les femmes qui se sont accommodées de leur destin et n’imaginent pas que certaines ne peuvent pas s’en contenter. Ses années de formation à Dorstadt l’emmènent ensuite, cachée sous la bure d’un moine, jusqu’au monastère de Fulda où, auprès du vieil apothicaire, Jeanne, devenue frère Jean, apprend la science médicale et le maniement des simples.
    C’est cette science médicale qui, lors d’un pèlerinage à Rome, fait basculer son destin. Approchant les souverains pontifes successifs, elle se hisse petit à petit à un rang qu’elle n’aurait jamais pu espérer en restant une femme. Proche des papes, de Serge II à Léon IV (le fameux pape qui fit construire une grande muraille autour de Rome, la « muraille léonine », pour la défendre contre les incursions sarrasines), Jeanne, connue à Rome sous le nom de Jean Anglicus, est élue pape. Mais Jeanne est une femme, une femme amoureuse qui, un jour, ne pourra plus cacher les conséquences de sa liaison : en 855, lors de la fête des Rogations, en pleine procession, le pape accouche, sous les yeux d’une foule médusée, d’un enfant mort-né et meurt après. Elle aurait régné deux années sur Rome (entre 853 et 855 ; d'autres sources avancent les dates de 855 à 858), sans que personne jamais ne découvre la vérité sur son sexe.
    La légende de la Papesse Jeanne est tout bonnement incroyable ! Comment cette femme, au IXème siècle, parvient-elle à la dignité religieuse suprême sans que personne ne soupçonne jamais sa véritable nature ? Son savoir, sa capacité exceptionnelle de raisonnement, son talent pour les langues et l’exégèse ont-ils pu tromper tout le monde, même les plus intolérants ? Aujourd’hui, à cause de nombreuses incohérences, les historiens tendent à penser que l’histoire de la papesse n’est qu’une légende, qui sera d’ailleurs reprise à des fins polémiques à des époques où l’Eglise de Rome est fortement remise en question : lors du concile de Constance au début du XVème siècle par exemple, les partisans de Jan Hus useront de cette légende, tout comme les protestants anglais pendant la Réforme. Et même s’il semble que Jeanne soit mentionnée dans Le Liber Pontificalis, le livre des Papes qui, commencé en 500, comporte des biographies des pontifes jusqu’à Pie II, en 1464, chronologiquement, son règne ne parvient à s’intercaler nulle part même si, au vu des dates, on pourrait le situer entre la mort de Léon IV en 853 et l’usurpation du trône de Saint-Pierre par l’antipape Anastase le Bibliothécaire (que l’on croise d’ailleurs dans le roman à plusieurs reprises).

     

    L'accouchement de la papesse Jeanne en pleine procession religieuse


    Bien que basé sur des faits qui ne sont pas vérifiables, ce roman est absolument fascinant ! Quelle force et quelle intelligence que cette Jeanne, née dans les confins de l’Empire de Charlemagne, le jour même de la mort du grand Empereur ! Quelle persévérance aussi est celle de cette petite fille puis jeune femme qui refuse de s’assujettir aux injonctions de son époque : la minorité perpétuelle des femmes, la férule du père, des frères puis du mari, la dépendance féminine à la toute-puissance masculine. Avant-gardiste, refusant de se donner à un homme mais expérimentant malgré tout les tourments de l’amour, Jeanne est un personnage complexe qui peut, plus de mille deux cents ans plus tard, nous paraître très actuel. Ce qu’elle revendique, n’est-ce pas ce que tout femme, aujourd’hui, souhaite pour elle ou pour ses filles ? Heureusement, même s’il y’a encore du chemin à faire et que la misogynie tue encore de nos jours, nous n’avons plus besoin de nous cacher pour nous instruire, nous avons accès à l’éducation, aux études, à des postes à responsabilités (même si, je vous l’accorde, on n’a toujours pas vu de femme pape). Pour autant, on se sent proche de cette femme, de son combat, on se sent réellement de tout cœur avec elle. Cette jeune femme si érudite et en même temps si incomprise, si frustrée dans son envie d’apprendre, a vraiment quelque chose de touchant.
    Et en même temps, Jeanne ne pourra pas tout maîtriser dans sa vie : si elle parvient à dissimuler sa nature de femme, jusqu’à ses manifestations physiques, en cachant habilement sa poitrine et ses menstruations, elle sera un jour trahie par un corps qui ne sera jamais celui d’un homme et qui a le pouvoir de porter la vie. Un pouvoir qui se retournera contre elle. Elle sera aussi un jour trahie par son cœur, qu’elle ne pourra, même au prix d’une grande volonté, juguler. Quand Jeanne tombe amoureuse, irrémédiablement, c’est son destin qu’elle condamne, même si elle ne le sait pas encore. La légende de la papesse, se terminant dans les affres de l’enfantement, acte éminemment féminin, n’illustre-t-elle pas finalement la faiblesse du personnage, comme le péché originel condamne irrémédiablement Eve à une réputation de concupiscence ? Jeanne, bien que voulant être homme, étant homme dans tous les aspects extérieurs de sa vie, n’en est pas moins une faible femme incapable de résister à l’amour d’un homme et à se donner à lui. Regardez, semble dire cette légende, cette femme qui a voulu être plus que ce que Dieu avait choisi pour elle, qui a renié sa nature et est démasquée alors qu’elle accouche en pleine procession, portant tous les insignes du pape, premier évêque de la Chrétienté ? Regardez comme cette femme qui a eu la prétention de se mesurer aux hommes ne peut finalement pas résister et cède à la faiblesse de son tempérament, en se donnant à son amant ?
    Et pourtant ! La Jeanne de Donna Cross est tout sauf faible ! Son amour pour son amant n’est pas une faiblesse, bien au contraire car Jeanne saura lutter contre lui. Toute la vie de Jeanne n’est qu’une lutte, parce qu’elle choisit finalement de suivre une voie que l’on peut quasiment considérer comme « contre nature » à l’époque carolingienne.
    Féministe, la papesse de Donna Cross ? On pourrait presque le penser, si on oublie l’aspect totalement anachronique du terme à l’époque. Et en même temps, être féministe, c’est se battre pour l’égalité des femmes avec les hommes : en cela, Jeanne est alors totalement féministe et très moderne, finalement assez intemporelle. On peut aisément se retrouver en elle, s’identifier, alors qu’elle a vécu à plus d’un millénaire de nous, dans un monde tellement opposé et différent du nôtre.
    J’ai trouvé ce roman passionnant. Les descriptions du Haut Moyen Âge sont fines, on ressent bien l’époque, les coutumes, Donna Cross décrit aussi la vie des plus modestes que des plus grands (la famille de Jeanne, par exemple, qui vit pauvrement, les grandes familles nobles romaines, descendantes pour beaucoup des grandes lignées impériales, les descendants de Charlemagne se côtoient dans ce roman qui décrit une société en pleine mutation et en plein essor). Le personnage de Jeanne est aussi très intéressant, dans sa dualité, obligé de cacher son essence même sous un costume qui n’est pas le sien.
    Je ne sais pas si je m’attendais à un roman aussi riche, aussi dense. Je ne l’ai pas lu au rythme où je l’espérais, j’ai été plus lente que d’habitude mais je crois que ce livre le méritait. J’ai finalement quitté à regret Jeanne et les autres personnages du roman, avec l’impression d’avoir lu une histoire folle, certes légendaire mais qu’on aimerait authentique. Et je n’ai pu m’empêcher de me demander si d’autres femmes, que l’histoire a peut-être oubliées, mais qui seraient bien réelles, celles-là, n’ont pas fait le même choix que Jeanne, mettant leur vie en danger pour défendre juste une chose : leurs propres droits. N’est-ce pas un sujet de partout, de nulle part, d’hier comme d’aujourd’hui ? Assurément, si. 

     

    Représentation de la papesse en Grande Prostituée, montée sur la Bête de l'Apocalypse 

    En Bref :

    Les + : un roman passionnant et riche, où la légende vient se mêler habilement à l'authentique pour donner une fiction historique cohérente et qui saura passionner tous les amoureux du Moyen Âge, sans aucun doute. 
    Les - :
    vraiment, aucun point négatif à soulever !


    L'Indomptée : la papesse Jeanne ; Donna Cross 

     Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle


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  • Commentaires

    1
    Mardi 13 Juillet 2021 à 22:39

    Je me faisais justement la réflexion récemment qu'il n'y a pas de femme pape à ma connaissance ! Ce livre m'intéresse du coup car même s'il y a peut-être une part de légende, je serai ravie de voir (enfin) une femme à ce poste, même si c'est de la fiction ! Je note !

      • Jeudi 15 Juillet 2021 à 18:42

        Pendant longtemps on a pensé que l'histoire de la papesse Jeanne était vraie... Ensuite, comme je le dis dans mon article, elle a été utilisée à des fins de propagandes par les partisans de Jan Hus au début du XVème siècle puis durant la Réforme : il est vrai que c'était un bon moyen alors de dénoncer les errements et les incohérences de l'Eglise de Rome...

        En tout cas c'était passionnant ! On ne peut s'empêcher de se dire que cette légende est peut-être basée sur des faits réels...peut-être que des femmes se sont cachées pour étudier, pour apprendre alors que cela leur était interdit. Cette oeuvre a définitivement une dimension féministe même si c'est très anachronique de dire ça pour un personnage qui aurait vécu au IXème siècle. 

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