• La légèreté et le grave : une histoire du XVIIIe en tableaux ; Cécile Berly

    « Le XVIIIe est un réservoir quasi inépuisable d'images. Siècle si riche, et en premier lieu de ses contradictions, il mobilise des images élégantes, d'hommes et de femmes badinant, évoluant dans des paysages agrestes, où la nature est bienveillante et même idéale. »

    Couverture La légèreté et le grave : Une histoire du XVIIIe siècle en tableaux

     

     

     

         Publié en 2021

      Éditions Passés Composés

      186 pages

     

     

     

     

    Résumé :

    Le XVIIIe siècle s'ouvre avec Le Pèlerinage à l'île de Cythère d'Antoine Watteau et s'achève avec La Mort de Marat de Jacques-Louis David : la naissance de la fête galante versus l'agonie d'un tribun révolutionnaire. Deux chefs-d’œuvre qui illustrent la légèreté et la gravité d'un siècle, deux facettes antagonistes mais complémentaires d'une même époque. Les dix œuvres ici racontées sont ainsi autant de jalons pour saisir ce siècle passionnant dans ses innombrables contradictions : elles correspondent toutes à un moment du XVIIIe et disent son histoire artistique, culturelle, philosophique, sociale, économique et, bien évidemment, politique. Autant de chefs-d’œuvre qui ont forgé une société nouvelle, éprise de liberté, d'indépendance et de transgressions, au fil d'un siècle qui, sous la plume sensible de Cécile Berly, oscille sans cesse entre une légèreté savamment entretenue et une gravité qui confine au drame.

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Étudier une époque à travers le prisme de son art, essentiellement pictural, voilà un parti-pris original, me suis-je dit en découvrant ce roman.
    Parti-pris surprenant et pourtant, quand on y pense, pas tant que ça. C’est même assez logique…il y a maintes façons d’étudier une époque : par l’histoire militaire, l’histoire sociale, économique, géopolitique…les sources nous sont aussi d’une grande aide. Et si l’art nous en apprenait aussi beaucoup ? C’est évident.
    C’est donc ce que fait ici la jeune historienne Cécile Berly, spécialiste du XVIIIème siècle, qui s’est notamment intéressée aux figures féminines du siècle, de Marie-Antoinette en passant par les maîtresses de Louis XV ou encore certaines célèbres salonnières et femmes de lettres, comme Madame du Deffand…
    Le XVIIIème siècle est une période ô combien passionnante par ses ambivalences, ses paradoxes et ses contradictions. Siècle-charnière s’il en est, le XVIIIème voit mourir le Grand Siècle avec Louis XIV en 1715 et naître l’époque contemporaine avec la Révolution…c’est une époque hybride qui verra, en France, la société se modifier du tout au tout.
    Qu’en est-il dans l’art ? On s’en doute, l’art du XVIIIème siècle va évoluer en même temps que la société et connaître les mêmes ambivalences…souvent, quand on pense au XVIIIème siècle, on pense aux œuvres grivoises voire presque pornographiques d’artistes comme Watteau, Boucher ou encore Fragonard, qui peignent l’amour et des corps dénudés qui ne sont pas ceux de dieux païens. On peut ainsi largement comparer la fameuse Odalisque de Boucher à des photos de nu un peu coquin du XXIème siècle…chez Fragonard, le contact homme/femme se fait dangereux, lascif, on ne sait jamais si le baiser est volé, forcé ou consenti…puis il y a Watteau, un peintre à la carrière aussi fugace que la vie (il meurt à trente-sept ans sans s’être marié, sans enfant) dont la lecture grivoise est plus allusive, plus subtile…Pour la première fois, des artistes osent s’interroger sur l’amour, au sens charnel du terme, le plaisir, la sexualité, qu’ils déguisent à peine. Au même moment, des peintres plus « sages » continuent d’explorer la scène de genre comme Greuze ou Chardin, préférant aux personnages coquins et quasi-nus, les gens du quotidien, bourgeois ou paysans.
    Au contraire, la fin du XVIIIème siècle est marquée par l’omniprésence d’un artiste, Jacques-Louis David, inspiration de nombreux peintres d’histoire du siècle suivant. La fin de l’Ancien Régime et la Révolution s’accompagnent d’un retour à l’antique. Terminées, les petites odalisques fantasmées de Boucher qui osaient montrer leurs jambes et leurs fesses, dans une mise en scène à peine figurée de l’acte sexuel, le néoclassicisme renoue avec les scènes colossales, marquantes. David et ses pairs peignent pour édifier, que ce soit dans Le Serment des Horaces ou bien dans La Mort de Marat, tableau immense montrant la mort du tribun, dans lequel on ressent tout le choc du peintre après la mort brutale de son ami, assassiné en juillet 1793 par Charlotte Corday.
    Le XVIIIème siècle est aussi le siècle des femmes, peintres, pastellistes, portraitistes. Est-ce surprenant, si Marie-Antoinette préfère entre tous se faire portraiturer par une femme, Elisabeth Vigée-Le Brun, qui n’est pas peintre officielle mais, du moins, peintre préférée ? Est-ce surprenant aussi si le XVIIIème siècle est le siècle où une femme, pour la première fois, est acceptée à l’Académie, en la personne de la célèbre portraitiste vénitienne Rosalba Carriera ?
    Ce livre de Cécile Berly est intéressant dans tout ce qu’il dit et tout ce qu’il ne dit pas. On le comprend, l’autrice ne peut pas développer outre-mesure et les chapitres sont relativement courts. Cela peut être frustrant mais c’est le jeu : on comprend aisément que l’historienne ne peut développer son texte, au risque de se retrouver avec une somme immense et peut-être moins facile d’accès qu’un petit livre de moins de 200 pages…mais ce peut être une bonne introduction pour se documenter plus amplement et la bibliographie fouillée à retrouver en fin d’ouvrage peut nous y aider.

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    Le pèlerinage à l'île de Cythère, d'Antoine Watteau, date de 1717 et marque pour les historiens le début de l'art du XVIIIème siècle et de ce que l'on appellera « les fêtes galantes »


    J’avoue avoir mis un peu de temps à entrer dans le texte car je n’ai pas trouvé le style d’écriture très chaleureux de prime abord. Pour moi qui ai l’habitude des textes de Simone Bertière ou Evelyne Lever, qui parviennent à allier sans difficulté chaleur de la plume et rigueur historique, j’ai trouvé le style un peu conventionnel, un peu plat au départ : les phrases sont courtes et se succèdent rapidement…puis cela passe petit à petit.
    J’ai vraiment aimé ce voyage au XVIIIème siècle. En même temps, quand il s’agit du XVIIIème, je suis bon public. Depuis quelques années, je nourris un amour absolu, passionnel pour cette époque et notamment pour le XVIIIème français. Ne me demandez pas pourquoi, mais j’y aime tout, de l’art en passant par la musique et bien évidemment, les personnages (en particulier féminins mais pas que), dont je me plais à découvrir progressivement les biographies, de Marie-Antoinette en passant par les sœurs de Nesle, Louis XV, Madame du Barry, Madame de Pompadour, le Régent, la duchesse de Bourgogne ou encore, la duchesse du Maine, les sœurs de Louis XV…pour moi, c’est un réservoir passionnant et inépuisable, une mine d’informations, un siècle qui nous en apprend beaucoup sur l’humain, sur la société, un siècle fondateur à bien des égards.
    Parce que je nourris aussi un intérêt tout particulier pour l’histoire de l’art et en particulier pour la peinture (figurative, ne me demandez pas d’analyser de l’art contemporain, beaucoup trop abstrait et subjectif pour moi), j’ai été à la fête avec cette lecture. Quel bonheur de retrouver ces œuvres emblématiques que j’avais pu étudier il y a quelques années à l’université, que ce soit les Fragonard ou les œuvres de David. Gros coup de cœur aussi pour le tableau de Marie-Guillemine Benoist, peint en 1800 et qui clôture le livre, Portrait de Madeleine, représentant une femme vêtue de cotonnade blanche, le bras, l’épaule et le sein dévêtu. Cette femme, qui braque franchement son regard vers le spectateur est d’une grande beauté, d’un grand charisme…pour ceux qui ont lu Maryse Condé, vous aurez certainement déjà croisé le regard de cette femme sur la couverture de Moi, Tituba, sorcière…cette Madeleine, non seulement, est une femme mais en plus, elle a la peau noire. Encore aujourd’hui, les historiens de l’art s’interrogent sur la motivation de l’artiste, qui n’était pas réputée pour ses idées en faveur de la cause noire. Ce tableau, peint au tournant du siècle, alors que le XVIIIème finissant regarde déjà franchement vers le XIXème, politiquement, socialement, est peut-être celui qui symbolise au mieux les deux visages de cette époque passionnante, qui s’ouvre pour la première fois à la connaissance rationnelle alors que l’Église reste toute-puissante, où la pornographie la plus franche et la plus salace côtoie une pudibonderie extraordinaire, où des auteurs se lancent dans la tâche immense de rédiger une Encyclopédie alors qu’une large frange de la population est encore illettrée et que ceux qui pourraient y avoir accès la censurent sans hésitation…Quel paradoxe, pour le tableau de Benoist, de mettre en scène une femme, noire qui plus est, comme l’étendard d’une conviction alors que l’artiste, elle-même femme, ne semble rien vouloir revendiquer et sûrement pas la libération des esclaves…
    Bref, vous l’aurez compris, malgré un début légèrement compliqué pour moi, je me suis vite jetée dans ce livre, je mentirai si je disais que je l’ai lu comme un roman mais j’ai passé un excellent moment de lecture et je n’ai désormais plus qu’une envie : creuser, aller plus loin et me replonger dans les œuvres de mes peintres préférés.

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    Le Serment des Horaces, de David, peint en 1784 renoue avec les grands tableaux d'histoire et met en scène l'Antiquité romaine

    En Bref :

    Les + : une lecture passionnante d'une époque à travers ses œuvres emblématiques et ses artistes incontournables. Un livre court mais qui donnera au lecteur curieux les clés pour aller chercher un peu plus d'informations. 
    Les - :
    le style d'écriture un peu saccadé qui, au début, ne m'a pas transportée.


    La légèreté et le grave : une histoire du XVIIIe en tableaux ; Cécile Berly

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle  

     


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 30 Août 2023 à 21:47

    Cécile Berly fait partie de ces autrices dont je compte lire toute la bibliographie tellement les sujets d'étude dont elle parle m'intéresse ! Je ne doute pas que ce texte soit assez concis mais c'est souvent le cas de ces ouvrages qui ont pour but d'aller à l'essentiel... et de pousser à aller plus loin. Il devrait me plaire :-)

      • Jeudi 31 Août 2023 à 11:02

        C'est tout à fait ça, mais le sujet est tellement passionnant qu'on en voudrait plus. Ce livre peut cependant être un bon point de départ et la bibliographie disponible en fin d'ouvrage permet de se diriger vers de bons ouvrages pour en apprendre plus. ^^ Evidemment, l'autrice est limitée dans le sens où elle aurait dû produire un ouvrage beaucoup plus conséquent et, de fait, peut-être moins accessible, si elle avait voulu vraiment creuser le sujet. Ça serait passionnant, c'est certain mais pas pour tout le monde et, comme on dit, il en faut pour tous les goûts. smile En tout cas, connaissant tes goûts et ta passion pour le XVIIIème siècle, je pense pouvoir te dire sans trop m'avancer que ce livre est totalement fait pour toi. yes

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