• La sirène, le marchand et la courtisane ; Imogen Hermes Gowar

    « Et puisqu'un homme peut être emporté en plein ouvrage à n'importe quel moment, le mieux qu'on puisse espérer est de laisser derrière soi une trace de son passage, que ce soit la carcasse d'un immeuble ou le cœur battant d'un enfant. S'il ne laisse rien, qui pourra dire qu'il a vécu ? »

     

     

     

         Publié en 2018 en Angleterre

      En 2022 en France (pour la présente édition)

      Titre original : The mermaid and Mrs Hancock

      Éditions 10/18 (collection Littérature étrangère)

      596 pages 

     

     

     

     

    Résumé :

    Un soir de septembre 1785, on frappe à la porte du marchand Hancock. Sur le seuil, le capitaine d'un de ses navires qui prétend avoir ramené une créature fabuleuse pêchée en mer de Chine. Une sirène. 
    Entre effroi et fascination, le Tout-Londres se presse immédiatement pour voir la chimère. Et ce trésor va permettre à Mr Hancock d'entrer dans un monde de faste et de mondanités, et de rencontrer la fascinante Angelica Neal. Entre le timide marchand et la belle scandaleuse se noue une relation complexe, qui va les précipiter l'un et l'autre dans une spirale dangereuse. Car les pouvoirs de la sirène ne sont pas que légende. Aveuglés par l'orgueil et la convoitise, tous ceux qui s'en approchent pourraient bien basculer dans la folie... 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Londres, 1785. Un soir brumeux de septembre, Jonah Hancock, négociant de Deptford, reçoit la visite du capitaine d'un de ses navires de commerce ayant sillonné le globe : quelle n'est pas sa surprise lorsque celui-ci lui avoue avoir cédé le bateau pour acheter une créature aussi fabuleuse que mystérieuse et monstrueuse : une véritable sirène pêchée en mer de Chine
    Si la créature, morte et momifiée n'a rien de séduisant, elle va pourtant créer un véritable engouement à Londres rendant son propriétaire célèbre...et c'est à l'occasion de la présentation officielle de la sirène dans une luxueuse maison de plaisirs londonienne que Jonah Hancock, veuf reclus et secret rencontre une femme, la séduisante et magnétique Angelica Neal, mondaine et courtisane, que l'on aurait appelée cent ans plus tard une cocotte : celle-ci vit des largesses des hommes qu'elle séduit et qui l'entretiennent. L'effrayante sirène rapproche ainsi deux êtres qui n'auraient jamais dû se rencontrer. Et, poussé par la folie de plaire à la belle, Hancock lance son capitaine sur la piste d'une autre sirène, bien vivante cette fois. Il ne sait pas que cette quête effrénée et la trouvaille par le capitaine Jones d'une sirène en mer du Nord va bouleverser sa vie à jamais. Quel est donc le pouvoir néfaste de cette sirène prisonnière qui semble semer dans son sillage nostalgie, mélancolie et humeur noire ? 
    La sirène, le marchand et la courtisane est un ovni littéraire, un roman qui ne ressemble à rien de ce que l'on peut lire ordinairement. Pour un premier roman, c'est un coup de maître, pas exempt pour autant de défauts - nous y reviendrons dans cette chronique. 
    Si je devais d'abord lister ce qui m'a plu dans ce roman, c'est son ambiance (vous visualisez les séries Poldark, Harlots ou, en encore plus sombre, Taboo ? Eh bien, nous sommes totalement là-dedans) mais aussi son panel de personnages, des prostituées de luxe comme Angelica jusqu'aux négociants comme Jonah Hancock. Ils n'ont rien en commun, évoluant dans des modes concomitants et en même temps parallèles, dans une société si cloisonnée que l'on ne s'y croise pas ou alors de manière feutrée et anonyme et pourtant, seront un jour réunis par la même fièvre : celle de voir une sirène, créature fantasmagorique et porteuse de tous les fantasmes. Une véritable chimère et c'est bien de cela dont il s'agit : la sirène étant par essence un être imaginaire, qu'est-ce que la petite créature ramenée par le capitaine Jones de la lointaine et légendaire Asie ? Et quelle est la nature de la seconde créature capturée en mer du Nord ? Et si ces sirènes n'étaient rien d'autre que...du vent
    Si vous aimez les romans qui vont vite, un conseil : passez votre chemin, La sirène, le marchand et la courtisane risque de vous ennuyer. Non seulement le roman est lent et en même temps, il ne s'y passe pas grand chose : je vous vends du rêve, là non ? Sûrement pas. Et pourtant, ce n'est pas ici que réside la force de ce récit, à mon sens. Peu importe qu'il ne s'y passe grand chose parce que son intérêt se situe ailleurs. C'est l'originalité de l'intrigue, les personnages pleins de relief et de complexité qui sont, je pense, l'atout majeur de ce roman. Et le style de l'autrice également, qui écrit particulièrement bien : d'ailleurs, on peut aussi souligner le travail du traducteur qui a réussi à retranscrire en version française le sel de la plume d'Imogen Hermes Gowar, qui a réussi avec brio à décrire un siècle, une époque et à en retranscrire l'ambiance, des quartiers commerçants du Londres géorgien aux maisons closes de luxe, tenues par des « abbesses » dont l'influence n'était pas négligeable, dans une société où tout un chacun fréquente les prostituées, du plus simple des bourgeois à l'aristocrate proche du pouvoir. 
    Pour autant, ce roman m'a laissée sur ma faim parce que j'ai plein de questions qui me sont venues au cour de ma lecture et je l'ai terminée sans réponse, d'où un peu de frustration. Je me suis demandé tout au long de ma lecture ce que représentait cette sirène, d'autant plus que l'autrice lui a donné une voix propre, la rendant donc particulièrement vivante et palpable : lisais-je un simple roman historique ou bien, soudainement, avais-je basculé dans un roman teinté de fantastique où la sirène n'est qu'une créature parmi d'autres, un être doté de vie et non pas une simple légende ? Ou bien cette sirène n'est-elle qu'une chimère, une allégorie, symbole d'un siècle déjà cartésien et qui par là se rapproche de notre propre époque mais encore crédule malgré tout, gouverné par des croyances ancestrales que la science n'a pas encore déconstruites ? Peut-on aussi la rapprocher de ces femmes qui peuplent le récit à commencer par Angelica, courtisanes de haut vol, élevées dans un monde parfumé et secret où le plaisir est érigé véritablement au rang d'art ? Vénéneuses et dangereuses, opposées dans la société des année 1780 aux femmes vertueuses, mères et épouses honnêtes, ne peut-on pas y voir une corrélation avec la sirène, mi-femme mi-poisson, dont le pouvoir de séduction est aussi attrayant que destructeur ? 
    Ou alors, la sirène de Jonah Hancock est une mystification, mais suffisamment subtile pour passer pour une créature authentique (encore aujourd'hui, on peut voir par exemple au musée national du Danemark un squelette de « sirène » forgé de toutes pièces par la main de l'homme) ? 
    La fin se termine de manière un peu abrupte et sans avoir apporté forcément de réponses ce qui, en un sens, permet à chaque lecteur, selon sa propre sensibilité, d'interpréter le roman comme il le veut. 
    Je crois que je peux dire sans exagérer que La sirène, le marchand et la courtisane est le roman le plus surprenant, le plus imaginatif que j'aie pu lire cette année. En cela, il ne m'a pas déçue car c'est vraiment le sentiment que j'ai eu à la lecture du résumé. Je m'attendais à quelque chose d'atypique et, le moins que l'on puisse dire, c'est que ce roman l'est mille fois ! 

    En Bref :

    Les + : un récit extraordinaire dans le sens où il ne ressemble à rien de ce que l'on peut lire généralement, entre historique pur et fantastique, un style incroyable, subtilement maîtrisé et qui sait se faire parfumé et ondulant comme une courtisane, sale et désordonné comme les docks de Londres...Imogen Hermes Gowar nous offre une plongée tête la première dans le Londres du XVIIIème siècle, dans tout ce qu'il a de trivial et de mystérieux.
    Les - : une fin un peu abrupte qui ne résout rien et n'apporte aucune réponse : mais peut-être est-ce fait exprès, tout compte fait.


    La sirène, le marchand et la courtisane ; Imogen Hermes Gowar 

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 13 Novembre 2022 à 15:36

    Merci pour la découverte, je suis bien tentée !

      • Jeudi 17 Novembre 2022 à 20:17

        Avec plaisir ! happy J'adore découvrir de nouvelles lectures tentantes sur les blogs ou sur Bookstagram et j'adore aussi quand d'autres lecteurs me disent que mes lectures les tentent... yes Merci à toi d'être passée par ici ! 

        La sirène, le marchand et la courtisane est vraiment un livre inclassable, un véritable OVNI littéraire. Ca fait quelques jours que je l'ai terminé et je ne sais toujours pas ce que j'ai lu : un roman historique ? Du fantastique ? Franchement, il est hors normes et assez extraordinaire dans son genre, en plus d'être très bien écrit ce qui ne gâche rien (et je trouve que le traducteur a fait du bon travail, dans le sens où on ressent vraiment la plume de l'autrice derrière la traduction, on sent bien sa patte, ce n'est pas une tradition convenue et plate). 

        J'espère que tu aimeras ce roman si jamais tu te décides à le lire. Le début m'a laissée assez perplexe, je ne savais pas trop où j'allais et si j'allais aimer, surtout. Et puis il est assez contemplatif ce roman, assez lent, il ne s'y passe pas des millions de choses...mais l'atmosphère est immersive et vraiment intéressante : comme je le dis dans ma chronique, à la croisée de Poldark, Harlots et Taboo... sarcastic

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