• Le dernier bain ; Gwenaële Robert

    « Il lui arrive de penser que la révolution est née de là, de cet abîme qui existe entre le langage de la Cour et celui de la rue, celui du pouvoir et celui du peuple. Au fond, toutes ces tètes coupées, c'est un malentendu verbal. »

    Couverture Le dernier bain

     

     

     

         Publié en 2020

      Éditions Pocket

      224 pages

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Paris, an II. La France vibre sous le souffle de la Terreur.
    Jane, une jeune Anglaise cachée dans l’appartement d’aristocrates émigrés, Théodose, un moine qui a renié sa foi par peur de la guillotine, Marthe, la lingère de Marie-Antoinette emprisonnée au Temple, David, le fameux peintre et député de la Convention, ou encore Charlotte, une Normande tout juste arrivée à Paris… Ils sont nombreux, ceux qui tournent autour du logis de la rue des Cordeliers où Marat, cloîtré, immergé dans des bains de soufre, traque les suspects hostiles aux idées de la République.
    Il ignore que certains d’entre eux souhaitent sa mort, et qu’il ne lui reste plus que trois jours à vivre…

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

     Paris, juillet 1793. La capitale étouffe sous une canicule implacable et, à quelques jours des festivités du 14-juillet, l’actualité est aussi brûlante que la température.
    La Révolution vient de prendre un tournant et se dirige vers la Terreur : les Girondins ont été arrêtés, le roi déchu guillotiné au mois de janvier. Sa veuve, Marie-Antoinette, sa sœur Madame Élisabeth et ses enfants, Madame Royale et le petit Louis-Charles (Louis XVII pour les royalistes) vivent emprisonnés derrière les épais murs médiévaux de la prison du Temple. Bientôt, on va séparer le petit prince de sa mère, avant que celle-ci ne soit transférée à la Conciergerie, antichambre de la guillotine, dont on ne revient pas…
    L’épicentre du pouvoir révolutionnaire, en ce début de juillet 1793 (messidor an I et non an II, seule petite erreur que j'ai pu déceler au cours de ma lecture) se trouve au 30, rue des Cordeliers, où loge Jean-Paul Marat. Celui qui s’est proclamé « l’Ami du peuple » souffre d’une terrible affection de la peau qui le contraint à travailler depuis une baignoire remplie d’eau tiède et d’une solution à base de soufre, qui calme ses démangeaisons. Jalousement gardé par sa maîtresse Simone Evrard, l’appartement de Marat est pourtant le lieu où tout se passe : voir son nom apposé par sa plume sur les innombrables listes de suspects que Marat dresse à longueur de journée, c’est l’assurance d’être expédié à la guillotine. La Révolution entame sa marche sanglante.
    A Paris, la vie continue pourtant et pas forcément mieux qu’avant. Roman choral, Le dernier bain nous fait suivre plusieurs personnages en parallèle : un moine défroqué devenu écrivain public, une jeune Anglaise installée dans l’appartement de ci-devant émigrés et dont on ne sait trop ce qu’elle fait à Paris, dans l’étouffant chaudron qu’est devenue la ville, la famille modeste d’une lingère et d’un gardien du Temple, les Brisseau et puis, une jeune femme de vingt-cinq ans, arrivée par la diligence de Normandie. Cette jeune femme, descendante de Corneille, s’appelle Marie Anne Charlotte de Corday d’Armont. Elle ne le sait pas encore, mais va changer l’Histoire et y perdre la vie…

    Death of Marat by David.jpg

    La mort de Marat par Jacques-Louis David (1793)


    Après un début assez laborieux, saccadé car les chapitres sont courts et l’on suit successivement tous les personnages (Théodose, l’ancien moine de Saint-Germain, Jane Ashley, la jeune Anglaise, Marthe Brisseau, lingère de l’ancienne reine de France et Charlotte Corday, préparant méthodiquement son attentat contre Marat), cette lecture a coulé toute seule. Centré sur quelques jours à peine, articulé autour de la date fatidique du 13 juillet 1793, qui verra mourir Marat, assassiné dans sa baignoire d’un seul coup de couteau dans la poitrine, le roman est dense et riche en tension dramatique. Dès qu’on l’ouvre, aucun suspense à attendre : on sait exactement comment il va finir. N’a-t-on pas tous à l’esprit l’image quelque peu romantique, figée sur toile par Jacques-Louis David, de la mort de Marat ? Ce fond sombre sur lequel se découpe une baignoire de bois, garnie d’un linge blanc. La cuve est recouverte d’une sorte de tablette sur laquelle l’homme peut continuer de travailler tout en soulageant sa peau à vif. A la main, il tient encore une lettre tachée de sang, une lettre signée de son assassin. Sur la poitrine blanche, dépouillée des ulcères purulents causés par la maladie, une seule entaille, vive, nette, presque chirurgicale, celle causée par le couteau de cuisine que Charlotte Corday s’était procuré au Palais-Royal. Le bras qui tient la plume traine sur le sol, non loin du couteau au manche d'ivoire, rustique, qui a servi à tuer. Cette Mort de Marat, hommage de Jacques-Louis David à son ami, est devenu l’image commune que nous nous faisons de ce moment.
    Aucune mort n’est belle, à plus forte raison celle d’un homme aux chairs à vif, croupissant quotidiennement dans une baignoire en cuivre (bien différente de celle que l’on peut voir sur le tableau) et dans les effluves écœurants du soufre et de la maladie. Comme elle, le roman est brut. Comme l’entaille dans la poitrine de Marat, il est net, précis, chirurgical parfois.
    Pour certains lecteurs, Le dernier bain est trop antirévolutionnaire. J’ai lu des commentaires assez lapidaires (et pas du tout constructifs) qui allaient dans ce sens et, j’avoue que je ne les ai pas compris. Peut-on, aujourd’hui en 2023, être antirévolutionnaire ? Non. Il n’y a que de l’Histoire. Certes, se placer dans les pas de Charlotte Corday ou d’un moine relevé de ses vœux contre son gré ne va évidemment pas donner une vision très positive de la Révolution…en même temps, il est difficile de trouver quoi que ce soit de positif dans la France de la Terreur, qui s’était bien éloignée de son idéal de 1789.
    Personnellement, je n’ai pas trouvé ce livre critique, peut-être parce que ma vision de cette époque-là colle avec celle de l’autrice. Est-il encore aujourd’hui consensuel de dire que la Révolution est une période florissante de fraternité et d’égalité ? Non. Et il ne faut pas oublier non plus que Le dernier bain est un roman, une fiction, bien que mettant en scène des personnages ayant existé.
    Bref, ce fut une lecture courte mais intéressante et pleine de richesse. J’ai passé un bon moment et j’ai finalement aimé cette alternance rythmée de points de vue…petit à petit, les personnages se dévoilent…l’impénétrable Jane commence à nous livrer ses secrets et l’on comprend ce qu’elle est venue faire à Paris. Marthe Brisseau voit, avec son cœur de mère, le petit Louis-Charles être arraché à la reine. Il n’y a plus de lingère ou de reine, dans ce cas-là mais juste deux femmes, dont l’une comprend dans sa chair la peine et la détresse de l’autre, dont on arrache l’enfant des bras, parce que toutes deux sont des mères. Théodose Billot, l’ancien moine, expérimente chaque jour de vivre avec la culpabilité qui pèse sur son ancienne conscience de moine, serviteur d’un Dieu qui n’existe plus… tous ces personnages deviennent le symbole complexe d’une époque que l’on ne saurait lire à l’aune du tout positif ou du tout négatif. La France de 1793 est en train de basculer dans un effrayant régime totalitaire et sanglant et ne portera pas pour rien son nom de « Terreur ». Pour autant, elle fait partie d’une époque, un laps de temps de dix années (de 1789 à 1799) dont aujourd’hui encore, la France moderne est une héritière. La Révolution, que l’on a beaucoup instrumentalisée, beaucoup maquillée au fil des temps, notamment dans le « roman national » revit ici dans sa complexe simplicité et, pour ma part, j’ai trouvé que Le dernier bain était un roman historique efficace et original. Gwenaële Robert aura réussi à attirer mon attention et à la retenir alors que cette époque est bien loin d’être celle que je préfère et que la Révolution ne m’intéresse que modérément.

    Juillet 1793 : le procès et l'exécution de Charlotte Corday | RetroNews -  Le site de presse de la BnF

    L'assassinat de Marat de Jean-Joseph Weerts, 1880

    En Bref :

    Les + : une lecture dense et riche, courte mais précise et nette, servie par un style chaleureux et maîtrisé.
    Les - : un début un peu laborieux.


    Le dernier bain ; Gwenaële Robert

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle  

     

     


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