• Les couleurs du feu, tome 3, Rouge de Paris ; Jean-Paul Desprat (2024)

    « Les tumultes des révolutions sont souvent funestes à la bonne conservation des choses. »

     

     

     

     Publié en 2013

     Éditions Seuil 

     614 pages

     Troisième tome de la saga Les Couleurs du Feu

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Octobre 1789. Durement éprouvée par la fuite de sa riche et princière clientèle, la manufacture de Sèvres est saisie par la fièvre patriotique qui s'est emparée de Paris et gagne la France entière. La jeune Adèle Masson, qui s'est fait une spécialité de la peinture d'oiseaux sur porcelaine, s'emploie à trouver les moyens de sauver la fabrique qui, de royale, va bien vite devenir nationale. Elle peut compter sur son père, Anselme Masson, paralysé mais dont l'intelligence est demeurée intacte. Mais sur qui d'autre s'appuyer pour parvenir à ce but ? Sur Marie-Antoinette, encore influente, et que le parrain d'Adèle, Blanchot , ira visiter jusque dans sa prison du Temple ? Sur Mirabeau, le trublion, que son accord secret avec le roi a rendu immensément riche ? Sur Roland, ministre de Louis XVI, administrateur scrupuleux ? Sur Danton, enfin, ce jouisseur effréné qui semble vouloir oublier la Terreur pour ne plus songer qu'à l'amour et à la beauté  ? 

    Ce roman, le troisième et le dernier d'une saga sur la porcelaine inaugurée par Bleu de Sèvres et poursuivie avec Jaune de Naples, nous convie à une traversée de la Révolution jusqu'à la chute de Robespierre. Ainsi sera bouclée la ronde de ceux qui, de la marquise de Pompadour aux plus sanguinaires des sans-culottes, ont été fascinés par l'éclat de l'or blanc, le kaolin, ce fruit miraculeux des richesses de la nature et du génie des hommes. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    1789 : la Révolution vient d'éclater et la famille Masson est aux premières loges de ce grand bouleversement qui ébranle le pouvoir de Louis XVI et Marie-Antoinette. Ainsi, Paul Masson, le fils d'Anselme et Lucille est-il aux premières loges lorsque les souverains, la soeur du roi et leurs enfants sont ramenés à Paris après les Journées d'Octobre.
    Comme beaucoup de Français à l'époque, les Masson et leurs amis sont partagés : ainsi Matthieu, le frère d'Anselme, est-il un chaud partisan des idées nouvelles et de ces clubs dans lesquels, au milieu d'une atmosphère enfumée et bruyante, débattent les nouveaux hommes forts ou ceux qui seront appelés à le devenir dans les années qui viennent. Anselme, diminué physiquement mais pas intellectuellement, ne continue de vivre que pour sa Manufacture de Sèvres, où il a effectué toute sa carrière de chimiste, participant au grand oeuvre de la porcelaine dure française, rendu possible grâce à la découverte fortuite en Limousin de gisements de kaolin. Sa fille aînée Adèle est toujours employée de la Manufacture où, comme sa mère avant elle, elle se distingue en peinture animalière. Quant au grand ami d'Anselme, Antoine Hannong, qui a pu réaliser son rêve d'intégrer les effectives de Sèvres juste avant les troubles de la Révolution, c'est avec une méfiance croissante qu'il regarde les bouleversements qui secouent la France et qui menacent son artisanat et son savoir-faire, parlant d'abord de liberté et d'égalité puis se faisant de plus en plus violents, jusqu'à l'exécution du roi et de la reine, en janvier et octobre 1793 et la déclaration de guerre à l'Europe coalisée.
    Rouge de Paris, troisième et ultime tome des Couleurs du feu, triptyque qui raconte la saga porcelainière en France, patronnée notamment par Madame de Pompadour, le clôture magistralement, avec un roman d'histoire pure - et en cela, particulièrement exigeant - mais qui achève aussi de raconter le destin de personnages attachants et que pour certains, on suit depuis le début. Comme la Révolution qui bouscule l'ordre établi, les générations se suivent et les jeunes des années 1760, portés par leurs idéeaux nourris de science, de nouveauté et d'esprit des Lumières, sont désormais mûrs, s'acheminant vers la vieillesse et s'effacent doucement au profit de leurs enfants qui, avec la fougue de la jeunesse, s'enflamment pour les nouvelles idées et fréquentent clubs et salons où l'on parle politique, liberté de la presse, égalité entre les sexes, abolition de l'esclavage. Adèle, de son côté, fait la connaissance du tribun Mirabeau, qui est loin de la laisser indifférente, tandis que son frère, après avoir soutenu une thèse en minéralogie, intègre les effectifs du Garde-Meuble royal, où se jouera d'ailleurs en 1792 un vol rocambolesque sur plusieurs nuits, pendant lequel disparaîtront plusieurs joyaux de la Couronne...
    Tous les grands événements du temps, de 1789 à 1794 émaillent le roman : de la prise de la Bastille en passant par le retour de la famille royale à Paris, puis la fuite ratée de Varennes, la prise des Tuileries en août 1792, la chute de la monarchie et les massacres de Septembre, la glorieuse victoire de Valmy, la proclamation de la République, l'arrestation et la mort des Girondins, puis celle du roi et de la reine, après des procès sommaires et instrumentalisés. Des premiers enthousiasmes jusqu'à la Terreur puis la chute de Robespierre devenu tyran, Rouge de Paris brosse à grands traits le portrait de cette première Révolution, de ses soubresauts politiques, de sa violence aussi, à travers les personnages, Masson, Hannong, Blanchot, qui prennent fait et cause - ou pas - pour la Révolution et l'ordre nouveau, en accord avec leurs convictions profondes. Jean-Paul Desprat s'accorde aussi le plaisir de regarder à une échelle plus humaine certains de ses objets d'étude, à commencer par Mirabeau, qui se tuera littéralement à la tribune et Danton, le géant formidable d'Arcis-sur-Aube, redevenant un bourgeois inoffensif et bonhomme dans sa gentilhommière de Sèvres, tandis que la glorieuse Manon Roland, qui prononça une phrase passée à la postérité au moment de monter à l'échafaud (« Ô liberté ! Que de crimes on commet en ton nom ! ») n'a jamais été aussi grande ni si passionnée. 

    Journée du 10 août 1792 — Wikipédia

    Le 10 août 1792, les Tuileries sont prises : le roi demande protection à l'Assemblée et la monarchie est renversée (tableau de Jacques Bertaux)


    Exigeant et dense, Rouge de Paris est un roman qui se mérite, dans la mesure où ce n'est pas le genre de roman que l'on commence entre deux portes, dans les transports où en attendant que son plat du soir cuise : il faut se concentrer, peut-être même garder à portée de main un carnet pour noter, une encyclopédie ou un accès internet pour faire des recherches. Comme dans Bleu de Sèvres et Jaune de Naples, Jean-Paul Desprat mêle habilement la verve du romancier et la rigueur de l'historien. Ce dernier prend d'ailleurs le pas sur le premier ici, beaucoup plus que dans les deuxtomes précédents. On peut ainsi déplorer que les personnages que nous avions pris plaisir à suivre depuis près de trente ans disparaissent un peu ici, se mettant en retrait, mais le contexte historique est tellement riche, tellement complexe aussi qu'il fallait bien opérer un choix et je crois que Desprat a fait le bon, même si ma lecture par moments m'a paru un peu laborieuse, notamment du fait de la complexité de la politique française des débuts révolutionnaires et les différentes sensibilités, qui se mêlent et se démêlent au gré des événements et des nombreuses élections qui émaillent ces quelques années.
    Un peu comme La saga des Florio, de Stefania Auci, qui raconte dans la Sicile du XIXème siècle la saga d'une famille commerçante originaire de Calabre, ici Jean-Paul Desprat en prenant comme personnages principaux de jeunes Limousins arrivés à Paris après la mort de leurs parents et qui, chacun y feront leur vie - Anselme en mettant sa science minéralogique au service de la Manufacture voulue par le roi et sa favorite, Matthieu en devenant le disciple de l'abbé de l'Epée, homme éclairé oeuvrant pour les jeunes sourds et muets et précurseur d'une méthode d'apprentissage qui n'a cessé de se développer depuis -, raconte aussi un siècle, un temps, un moment. La fin du XVIIIème siècle français, écartelé entre les derniers feux de l'Ancien Régime et l'apparition d'un ordre nouveau et moderne, à l'origine des institutions que nous connaissons encore aujourd'hui. Ce siècle, pétri de paradoxes profonds mais aussi d'une grande richesse, notamment culturelle et scientifique avec l'émergence de l'esprit des Lumières, la rédaction de l'Encyclopédie, se termine dans les convulsions d'une Révolution lente et douloureuse. En historien expérimenté, l'auteur parvient à nous faire saisir ce moment de lente bascule entre une époque finissante t une autre, qui ne demande qu'à commencer. Ses personnages, comme tous les contemporains, devront faire des choix et verront parfois certains de leurs idéaux mis à mal. Pour autant, on se passionne encore une fois pour ce dernier volume, même si la porcelaine s'efface, les personnages aussi, au profit du contexte. On les quitte tous malgré tout avec un léger pincement au cœur et l'impression d'avoir lu une très belle saga, très riche, pleine de passion mais aussi de profonde humanité et de simplicité.

    undefined

    Le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), la Terreur prend fin avec la chute de Robespierre et de ses séides (gravure coloriée de Jean-Joseph-François Tassaert d'après Fulchran-Jean Harriet,vers 1796)

     

    En Bref :


     Les couleurs du feu, tome 3, Rouge de Paris ; Jean-Paul Desprat (relecture) 

       Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle  

     

     

    • Retrouvez ici mes chroniques des deux premiers tomes :

    Bleu de Sèvres 

    Jaune de Naples

     

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :