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Lola Bensky ; Lily Brett
« Quand on est jeune, il y'a plein de choses qu'on ne comprend pas. Vieillir, ça t'apporte de la sagesse, et la sagesse est une belle chose. »
Publié en 2013 en Australie ; en 2016 en France (pour la présente édition)
Titre original : Lola Bensky
Editions 10/18 (collection Domaine Etranger)
310 pages
Résumé :
Londres, 1967. Lola, 19 ans, pige pour le magazine Rock Out. Sans diplôme, trop ronde, trop sage, celle dont le seul bagage est d'être l'enfant de survivants de la Shoah plonge au cœur de la scène rock, causant bigoudis, sexe ou régime avec Hendrix, Mick Jagger, Janis Joplin. Des portraits inattendus qui révèlent son inconsciente quête identitaire...Entre guitares électriques et survie, avec humour et tendresse : un roman survolté, poignant autoportrait et savoureux hommage aux génies du rock des années 60-70. Une pépite.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
En 1967, Lola Bensky, jeune journaliste australienne de dix-neuf, vingt ans, est à Londres, pour interviewer toutes les stars montantes de la scène anglaise : les Stones bien sûr, mais aussi les Beatles, les Who, Cat Stevens, prend un café avec Mick Jagger et passe une soirée avec Paul McCartney. La fin des années 60 est dynamique en Angleterre et surtout à Londres où l'on danse, où l'on s'amuse et où l'on adore des rock stars à peine plus âgées que soi, dans des clubs sombres, enfumés et sensuels.
Lola n'est pas à proprement parler une groupie même si elle est un pur produit de cette génération tellement émancipée des codes de la précédente : indépendante, des faux-cils exubérants collés aux paupières et soulignées de khôl, robes courtes et bas résille, Lola est bien de son époque. Elle exerce un métier dont beaucoup rêveraient : elle écrit pour un magazine australien musical et peut donc approcher toutes les stars du moment, après un concert ou même en une rencontre informelle chez eux, autour d'un café : ce qui peut nous paraître fou quand on voit aujourd'hui les bataillons d'agents et d'assistants qui entourent les stars et les rendent inaccessibles. Parce que oui, à l'époque et ce n'était il n'y pas si longtemps, ça se passait comme ça.
Lola ne va pas s'arrêter en si bon chemin. Après l'Angleterre, direction New York, une ville encore piteuse, miteuse et banale en comparaison du Swinging London ! Là-bas, pourtant, des groupes aussi prennent leur envol, ce qui fait du rock une musique éminemment anglo-saxonne. Elle rencontre le dérangeant chanteur des Doors, Jim Morrisson qui proclame détester ses parents mais adorer Satan, y retrouve Jimi Hendrix, rencontré à Londres, capable de faire l'amour sur scène à sa guitare et à son pied de micro mais tellement réservé dans la vie et Cher, sensuelle et troublante mais dépendante de son mari Sonny.
Elle couvrira le festival de Monterey, où se produit tous le gratin de la scène rock et fera à cette occasion la rencontre d'une des rares femmes à avoir réussi à s'insérer dans ce milieu et à y rester : Janis Joplin. Comme Hendrix, comme Morrisson, elle est déjà en train de se brûler les ailes et rejoindra elle aussi le Club des Vingt-Sept, ces artistes foudroyés en pleine ascension, à vingt-sept ans, brisés par le succès, les excès ou la dépression.
Mais Lola Bensky, ce n'est pas non plus que ça. Ayant vingt ans au milieu des années 60, elle est donc née au milieu des années 40. Et si Lola est australienne parce qu'elle a vécu dans ce pays depuis toujours et y a reçu son éducation, elle n'est pas australienne d'origine. Lola est née dans un camp de transit pour personnes déplacées, juste après la Guerre. Ses parents, Renia et Edeck, ont connu les ghettos juifs, les pogroms et surtout les camps où leurs familles respectives ont été brisées. Plus rien, jamais, n'a pu être pareil. Et ils ont transmis leur souffrance et leur mal-être à leur fille, bien que celle-ci n'ait pas à proprement parler connu la guerre. Cette dernière continue d'influencer sa vie de jeune femme, ses relations avec ses parents et de la hanter.Lily Brett en compagnie de John Weider, guitariste du groupe Eric Burdon and the Animals, en 1967
Vous l'aurez compris, Lola Bensky n'est pas qu'un roman futile et superficiel où l'on croise des rock stars lascives et des groupies en transe, portant mini-jupe et faux cils. Déjà parce que l'héroïne, Lola, est bien éloignée du cliché de la fan hystérique qui ne cherche qu'à finir dans le lit de son idole. Approcher les stars est son métier, c'est tout. C'est devenu banal pour elle : parler avec les rock stars c'est assurer d'écrire un papier par la suite et être payée. Point. Pour autant, qu'elle le veuille ou non, Lola gravite dans ce monde et n'a tout de même pas une profession ordinaire, au contraire. Elle en a acquis les codes mais reste quand même une jeune femme de vingt ans comme les autres.
C'est finalement cette banalité qui m'a plu chez elle. Dans cette jeune femme un peu forte, pas excessivement jolie, sans être un laideron non plus, nous pouvons nous retrouver. Il est plus facile de s'identifier à une jeune femme qui glisse des mouchoirs en papier entre ses cuisses pour éviter qu'elles ne frottent l'une contre l'autre et provoquer une pluie de particules blanches dans la loge de Jimi Hendrix ou encore, une jeune femme qui juge si elle a pris ou perdu du poids en estimant l'ajustement plus ou moins important de ces vêtements !
Et puis Lola est touchante parce qu'elle est une fille de rescapés et qu'en cela elle a pris une part de leur souffrance, qui ressort dans une certaine fragilité nous la faisant tout de suite aimer.
J'avais choisi cette lecture pour le thème de mars de mon Challenge des Douze Thèmes. J'avais proposé aux autres participantes de partir en Angleterre ce mois-ci et je dois dire que j'ai été bien embêtée quand je me suis rendu compte que l'action du roman ne se passait pas complètement en Angleterre. Les tribulations de Lola l’emmènent aux Etats-Unis puis elle retourne en Australie avant de retourner ensuite à New-York, où elle s'installera en famille, la quarantaine passée. Londres et l'Angleterre ne sont qu'une parenthèse dans sa vie, comme Monterey, comme Los Angeles. Et pourtant j'ai choisi de valider cette lecture. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas plus anglais que le rock et la pop music, à plus forte raison ceux des années 60 ! La scène rock est majoritairement représentée par des artistes et groupes britanniques et, pour les Américains, le passage obligé pour atteindre la célébrité est le hit-parade anglais. C'est l'époque du Swinging London, une émulation culturelle et musicale à nulle autre pareille. Comme Paris est la capitale des peintres et des intellectuels, Londres devient celle du rock. Alors que les groupes soient anglais ou américains, ils avaient finalement tous cette petite touche british les rattachant à la scène londonienne qui était un passage obligé et l'endroit où se lançaient les modes. Lola Bensky évolue dans un univers fortement marqué par l'ambiance de la capitale anglaise, qui est parvenue à s'exporter et même à devenir un modèle aux États-Unis.
J'ai aimé cette plongée dans le mode interlope du rock des années 60, dur, sale, bruyant, parfois étrangement policé. Et que cette plongée se fasse à travers les yeux et l'expérience d'une jeune fille lambda et qui arrive là-dedans un peu par hasard m'a plu.
C'est que j'ai aimé et ne soupçonnais pas, avant de démarrer ma lecture, ce sont les souvenirs de guerre, omniprésents. Et ces souvenirs ne sont pas relatés par la génération qui a en a souffert directement mais par la génération suivante, celle de ses enfants qui, nés à la toute fin de la guerre ou juste après, on en souffert aussi, indirectement mais tout autant. Chez Lola, cette souffrance vient de l'absence de ses parents et surtout de sa mère, recroquevillée sur son passé, ses souvenirs et ses regrets, ce qui, forcément, influe sur le propre équilibre de la jeune femme.
L'incroyable gravité que ces passages, parfois assez insoutenables quand Lola raconte les horribles souvenirs de sa mère à Auschwitz, les morts en masse, les enfants exécutés, les pseudo expériences médicales pratiquées sur des cobayes humains, contrebalance totalement l'aspect plus superficiel, léger consacré aux stars du rock. Il est sûr qu'à côté des horreurs de la Shoah, leurs états d'âmes ne peuvent qu'apparaître bien dérisoires : on est là dans des registres complètement différents. Certains, cependant, apportent grâce aux questions de Lola, notamment, un éclairage juste et sensé sur la vie et la célébrité et sur ce que celle-ci implique comme bouleversements sur une existence.
J'ai aimé également le parti-pris de l'auteur de raconter sa propre histoire à travers un avatar : Lily Brett devenant Lola Bensky. C'est une approche émouvante je trouve, teintée d'une grande pudeur, d'une grande modestie, comme si l'auteure avait voulu raconter son histoire, sa vie, sans se mettre trop en avant pour autant. À mon sens, il n'y a pas plus de démarche centrée sur le moi que l'autobiographie ou la rédaction de mémoires. Je pense même qu'il y'a chez certains une forme de narcissisme et de plaisir à se raconter et se mettre en scène dans une histoire destinée à être lue par des inconnus. Chez Lily Brett, rien de tout ça, du moins est-ce ainsi que je l'ai ressenti et j'ai aimé sa manière de se retirer derrière Lola, de devenir en quelque sorte une héroïne de roman à part entière. La pudeur et la justesse des mots qu'elle met sur l'horreur connue par ses parents et par la lente destruction que ces ses souvenirs opèrent sur sa propre existence sont d'une émotion infinie, entre le cynisme des vainqueurs et la douleur digne des vaincus. Le témoignage de Lily Brett est peut-être l'un des plus percutants que j'aie pu lire, tout simplement parce qu'il est là où ne l'attend pas. Qui pourrait imaginer que cette couverture, illustrée par les grands yeux clairs d'une baby doll puisse cacher un témoignage d'une telle intensité ? Personnellement, je ne m'y attendais pas, mais l'auteure mêle très habilement deux sujets qui sont pourtant à des années-lumière l'un de l'autre : raconter dans un même livre le Swinging London et la Shoah était un pari fou, relevé haut-la-main par l'auteure.
Lola Bensky est un bijou, une petite pépite d'humour, d'amour, de légèreté et de gravité aussi, parfois. Bref c'est un condensé d'émotions diverses que je ne regrette pas d'avoir éprouvées. Lola Bensky est pour l'instant la meilleure surprise de ce début d'année 2017.Le festival de Monterey en Californie, en 1967 : un petit bout de rock anglais en pleine Amérique
En Bref :
Les + : une jolie pépite livresque, pleine de surprises ; un style juste et touchant ; des souvenirs relatés avec enthousiasme ou pudeur.
Les - : dommage que le résumé de la quatrième de couverture nous présente ce roman comme étant exclusivement londonien, parce que ce n'est pas le cas.Thème de mars « My Tailor is Rich », 3/12
Tags : Roman, Autobiographie, Mémoires, XXème siècle, Années 60, Littérature australienne, Angleterre, Etats-Unis, Australie
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Commentaires
Ce livre a vraiment l'air passionnant... et détonant ! Mélanger ainsi la frénésie du rock et le lourd héritage de cette jeune fille de 20 ans doit former un cocktail surprenant... Comme toi, je ne m'attendais pas en lisant le résumé à trouver un sujet aussi grave... En tout cas, tu m'as donné envie !
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Dimanche 12 Mars 2017 à 16:29
J'espère que tu le liras, Parthenia et que tu aimeras. Pour moi ce fut une bonne surprise, tu as pu le lire, même si je me suis sentie un peu flouée par le résumé des éditions 10/18 qui est, selon moi, légèrement réducteur : le roman est bien plus international qu'il n'y paraît au premier abord et ne se passe pas exclusivement à Londres comme je l'avais cru. Petite déception sur ce point-là, qui tient plus de la forme que du fond et n'est pas imputable à l'auteure, de toute façon. J'ai vraiment aimé sa façon de raconter et, effectivement, mêler souvenirs de la scène rock des années 60, à ceux, plus insoutenables, des ghettos et des camps de la mort est un pari osé mais Lily Brett a relevé le défi avec brio. Son livre est un petit bijou et lire un roman sur les stars du rock est surprenant et assez original. Une très belle découverte.
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Belle chronique ! C'est une période que j'aime beaucoup et ta chronique à éveillé ma curiosité !-
Mardi 21 Mars 2017 à 13:49
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Je ne connais rien au rock mais comme il est question de journalisme, je suis bien "obligée" de lire ce roman. J'avoue que, comme toi, je ne m'étais jamais demandé si la guerre avait eu des conséquences dans les vies des descendants de ceux qui l'ont faite. Ce roman est vraiment intéressant à plusieurs titres et c'est pourquoi je le note ! Merci pour cette découverte ;-)
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Vendredi 7 Avril 2017 à 20:14
Ce livre m'a énormément fait sortir de ma zone de confort, mais je n'ai aucun regret ! On se suit depuis un moment maintenant et tu connais mes goûts. Tu sais donc que Lola Bensky n'entre pas vraiment (même pas du tout) dans la catégorie de livres que je choisis en général. Cependant, j'ai beaucoup aimé l'aspect autobiographique du roman (qui est en même temps très pudique) et la plongée dans le Swinging London. C'était vraiment une époque à part !
Quant aux souvenirs d'Auschwitz, honnêtement, je ne les attendais pas là, mais l'auteure se débrouille bien et ne tombe jamais dans le pathos. Franchement, tente le coup ! Il en vaut la peine !
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A première vue, ça ne me tentait pas plus que ça (même si la période et le contexte sont intéressants) mais tout ce que tu dis sur Lola me donne envie de la découvrir, elle a l'air d'être plutôt sympathique :)
J'espère que tu aimeras, si tu te lances dans la lecture de Lola Bensky ! Mon avis est totalement subjectif ceci étant dit, donc peut-être n'auras-tu pas le même avis que moi en sortant de cette lecture.
En tous cas, tu le sais, elle ne faisait pas non plus partie des lectures que j'aurais envisagées spontanément. J'ai découvert ce roman par hasard, le résumé m'a plu mais je savais que c'était un petit challenge, un roman qui me ferait sortir de ma zone de confort. Au final, j'ai été happée et presque stupéfiée par cette histoire, tellement bien écrite et tellement juste. Je m'attendais à quelque chose de léger, au final, c'est un roman à multiples facettes et avec beaucoup de relief. Lily Brett s'est essayée à un pari risqué : celui de mêler dans un même livre, la fureur du rock des années 60 et les souvenirs terribles de la Shoah. Elle a réussi à 100 %, ça marche vraiment. Rien que pour ces souvenirs, qui, pour nous lecteurs du XXIème, font office de devoir de mémoire, Lola Bensky est intéressant. Et Lola est aussi très attachante, j'ai beaucoup aimé cette jeune femme dans laquelle j'ai pu me retrouver. Evidemment, j'ai été un peu plus étrangère à la Lola plus âgée, femme de soixante ans bien installée dans sa vie, mais je l'ai trouvée encore très drôle et infiniment attachante.
Oui bien sûr, j'en aurai peut être un avis différent mais les thèmes ont l'air franchement intéressants. Je n'y serai pas venue de moi même mais tu m'as donné envie de m'y pencher. Puis j'aime bien les éditions 10/18, ça n'en fera qu'un de plus dans ma bibli ! Donc je note le titre précieusement !
J'aime beaucoup ces éditions moi aussi, j'en possède pas mal...j'ai commencé à les découvrir avec leur collection Grands Détectives, qui est très étoffée et qui propose des sagas vraiment sympas. J'aime aussi beaucoup leur collection Domaine Etranger, dont fait justement partie Lola Bensky. J'ai fait de belles découvertes et des découvertes très originales aussi, avec ces éditions. En général, leurs livres sont des valeurs sûres donc vas-y, lance-toi, avec Lola...