• Louise Elisabeth Vigée Le Brun : Histoire d'un regard ; Geneviève Haroche-Bouzinac

    « Si tout récit de vie est une traversée, celle de Louise Elisabeth Vigée Le Brun l'est à plusieurs titres : périples à travers l'Europe, grand écart d'un siècle à l'autre dans un esprit de curiosité infinie. »

    Louise Elisabeth Vigée Le Brun : Histoire d'un regard ; Geneviève Haroche-Bouzinac

    Publié en 2011

    Editions Flammarion (collection Grandes Biographies)

    688 pages 

    Résumé :

    « Entre deux siècles comme au confluent de deux fleuves » : ces mots de Chateaubriand semblent avoir été écrits pour elle. Née sous le règne de Louis XV, Louise Elisabeth Vigée Le Brun est témoin des prémices de la Révolution, connaît l'Empire et la Restauration, avant de s'éteindre sous la monarchie de Juillet, dans sa quatre-vingt-septième année. Une longévité exceptionnelle qui accompagne une destinée hors du commun. Artiste précoce et talentueuse, elle pénètre, malgré les obstacles, dans le cercle prestigieux de l'Académie royale de peinture ; ses cachets sont parmi les plus élevés de son temps. Les troubles de la Révolution font d'elle une voyageuse : de l'Italie à la Russie en passant par l'Autriche, dans une Europe dont le français est la langue, elle conquiert à la force du poignet une clientèle princière. Mais les succès ne compensent pas les peines privées : sa fille chérie, Julie, s'oppose à elle, son frère la déçoit, son époux endetté réclame son aide.

    La postérité a retenu l'image du peintre gracieux de Marie-Antoinette ; on sait moins qu'au XIXe siècle, mue par un esprit de curiosité infinie, Mme Vigée Le Brun ouvrit grand son salon à la jeune génération romantique. Exploitant archives, lettres et carnets inédits qui éclairent la vie privée et publique de l'artiste, accordant toute sa place à son oeuvre peint, cette biographie retrace le destin de l'un des plus grands peintres de son époque.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Appréhender Louise Elisabeth Vigée Le Brun à l'aune de sa carrière de portraitiste de la reine Marie-Antoinette serait réducteur et pourtant, ce sont ces œuvres-là qui nous viennent spontanément à l'esprit quand on évoque l'artiste : Marie-Antoinette en robe de gaulle immaculée jouant à la bergère, Marie-Antoinette portant une toilette bleue et tenant une rose dans la main ou encore, le majestueux tableau Marie-Antoinette et ses enfants où la reine de France, quelques années seulement avant la Révolution, pose en robe rouge près d'un berceau vide et accompagnée de ses enfants survivants. Ces années auprès de la reine et des grands de ce monde -elle portraiture la favorite de Marie-Antoinette, Yolande de Polignac, la sœur du roi, Madame Elisabeth, le comte de Provence, l'ancienne favorite de Louis XV, Madame du Barry- ne représentent finalement qu'une décennie et qu'est-ce que dix ans dans une vie, surtout celle de Madame Vigée Le Brun, qui prend fin à près de quatre-vingt-dix ans ? Dix ans, c'est une parenthèse. Mais une parenthèse qui va conditionner toute sa carrière future et modeler la réputation qu'elle se fera au cours des siècles suivants : Elisabeth Vigée-Lebrun est la portraitiste de la reine Marie-Antoinette et, rarement, on va voir plus loin. Ce qui est dommage, parce que quand on prend la peine de s'intéresser à elle, elle est n'est pas que cela, au contraire : elle est bien plus que cela.
    Louise Elisabeth Vigée voit le jour à Paris en 1755, la même année que la reine. Elle est la fille d'un peintre modeste, Louis Vigée et de Jeanne Maissin. Elle a un frère, Etienne, qui sera poète. Placée en nourrice avant de retrouver ses parents à cinq ans puis de suivre une petite scolarité au couvent avant de revenir dans sa famille, où elle va commencer à s'exercer à la peinture, Louise Elisabeth est une issue d'un milieu modeste, la bohème artiste comme le dit Geneviève Haroche-Bouzinac dans sa biographie. Mariée à dix-neuf ans à Jean-Baptiste Pierre Lebrun, marchands de tableaux, elle aura une fille, Julie, avec laquelle elle s'est souvent représentée, sur des tableaux à l'inspiration antique.
    Mais surtout, ce qu'elle aura, c'est une carrière. Et une carrière comme rarement on peut en rêver quand on est une femme et surtout, une femme du XVIIIème siècle. Car la société française est alors encore fortement patriarcale, les femmes sont des mineures, soumises au père, éventuellement au frère puis au mari. Souvent, une femme est considérée à l'aune de la profession de son époux et elle en est entièrement dépendante. Certes, il y'a des femmes instruites et cultivées, les salonnières, par exemple, comme Mmes de Genlis ou de Tencin. La fille du financier Necker, Germaine, connaître la célébrité au début du XIXème siècle avec son roman Corinne ou l'Italie. Mais, contrairement à elles, l'activité de Mme Lebrun est une activité professionnelle...elle est peintre de métier. Et va immanquablement se heurter à la misogynie instinctive qui place les femmes, même les plus talentueuses, au-dessous de leurs confrères masculins.

    Louise Elisabeth Vigée Le Brun : Histoire d'un regard ; Geneviève Haroche-Bouzinac  

    Détail du tableau dit Marie-Antoinette à la rose, peint en 1783


    Pourtant, on ne peut nier le talent d'Elisabeth Louise. On ne peut pas dire qu'elle est une mauvaise peintre, au contraire et, à l'instar de ses confrères masculins, elle a laissé à la postérité une oeuvre importante, de part la diversité et le nombre de tableaux et un regard, une manière de faire qui nous éclairent ce que c'était que d'être un peintre à la fin du XVIIIème siècle et dans les premières décennies du XIXème.
    De Louise Elisabeth Vigée Le Brun, jusqu'ici, je n'avais lu aucune biographie. Elle était un personnage certes important mais que je croisais surtout, au détour d'une biographie de Marie-Antoinette, entre les pages d'un livre plus général sur le XVIIIème siècle...Du coup, même si je savais déjà que son oeuvre ne se résumait effectivement pas qu'à ses portraits de la reine ou de la famille royale, je n'en savais pas grand chose non plus. Grâce à ce livre, j'ai découvert son milieu de naissance, un milieu somme toute assez modeste et qui ne la prédestine pas forcément à devenir un jour le peintre de prédilection de la reine de France. J'ai découvert aussi que son talent n'a pas suffi à faire d'elle ce qu'elle est devenue, parce que Louise Elisabeth Vigée Le Brun était une femme et qu'elle partait déjà avec un lourd handicap, celui de devoir prouver, sans arrêt, parce que la notoriété et la talent féminins ne vont jamais de soi. J'ai découvert une femme bien de son temps, attachée à des convictions dont elle ne variera jamais -certains diront que c'est de la raideur, de l'intransigeance, on peut aussi considérer cela comme de la constance-, une femme à la vie bien remplie, de bonheurs, comme de malheurs et de désillusions. Elisabeth Vigée Le Brun est un destin à part entière, une femme à part entière et non un faire-valoir ; elle méritait une biographie de cette dimension, plutôt de rester éternellement cachée derrière le prestige de ses commanditaires royaux.
    Cette biographie très dense et riche nous emmène en effet du début jusqu'à la fin, de 1755 à 1842. C'est une longue période, pas tout à fait un siècle mais presque. Et c'est justement pile l'époque où il va se passer tant de choses en France que cela en donnerait presque le tournis ! C'est la fin d'un pays aux institutions séculaires et le début d'un autre, en devenir, le nôtre. Elisabeth Vigée Le Brun, comme beaucoup d'autres, sera aux premières loges et cette place à cheval entre deux siècles, deux époques si différentes l'une de l'autre, presque comme deux univers, n'est pas facile et elle en est une bonne incarnation. Le seconde partie de sa vie sera d'ailleurs marquée par l'amertume et la nostalgie d'un monde disparu et sans cesse recherché par cette femme d'Ancien Régime, touchée désagréablement par sa disparition et le changement d'un pays qu'elle a quitté pendant une douzaine d'années, au moment de la Révolution. Dans le sillage de Louise Elisabeth, on découvre toute l'Europe du siècle finissant, de Rome en passant par Vienne, la Russie ou l'Angleterre. Cet exil forcé lui donnera le goût des voyages et lui fera découvrir avec intérêt de nouveaux pays et de nouvelles manières de vivre qui influenceront sa peinture. Même hors de France, Mme Vigée Le Brun restera le peintre des grands de ce monde, en portraiturant notamment le tsar Alexandre Ier et son épouse et les grands aristocrates russes.
    Ce serait mentir que de vous dire que vous lirez ce livre comme un roman si d'aventure vous vous lancez dans sa lecture. Mais, malgré tout, j'ai lu des biographies parfois plus difficiles d'accès. Geneviève Haroche-Bouzinac ne laisse pas de côté la qualité littéraire au profit de la rigueur historique, au contraire, elle allie les deux avec efficacités, ce qui fait qu'on ne s'ennuie pas en lisant un tel livre. Cela dit, certains passages sont peut-être plus ardus que d'autres et il faut alors accepter d'avancer moins vite, de lire moins vite pendant un moment...la vitesse de croisière revient rapidement, croyez-moi.
    Pour moi qui suis en admiration absolue devant le XVIIIème siècle, cette biographie a été un plaisir et j'ai été ravie de découvrir Louise Elisabeth Vigée Le Brun autrement qu'en premier peintre de la reine, dans l'ombre de cette figure écrasante et tragique qu'est celle de la reine exécutée. Geneviève Haroche-Bouzinac lui rend une vraie place, sa place, celle d'une artiste talentueuse et accomplie qui n'avait rien à envier à ses confrères masculins mais qui devra toute sa vie se battre pour justifier sa peinture, jugée trop ceci ou trop cela parce qu'elle sortait du pinceau d'une femme.
    Loin d'une quelconque analyse féministe ou orientée, cette biographie s'émancipe des témoignages à charge, de l'éclairage biaisé des souvenirs de Vigée Le Brun, qui furent pendant longtemps la source d'inspiration principale de ses biographes avant que ses Mémoires ne soient remis en question, de l'Histoire misogyne et faite par les hommes au XIXème siècle pour nous révéler une femme, épouse et mère qui fut aussi une professionnelle de la peinture, une artiste reconnue qui toute sa vie s’exerça pour rester à la hauteur de la réputation qu'elle se forgea au fil des ans et qui ne doit sa réussite qu'à elle-même et à sa constance. Les sentiments et sensations qui peuvent naître en nous, cent soixante-dix ans après sa mort lorsque l'on regarde ses toiles, qu'elles soient grandioses parce qu'elles reflètent la grandeur et la majesté royales ou plus authentiques parce qu'elles ne font que représenter le quotidien d'une société qui se pique de simplicité, de robe fleuries et de chapeau en paille, sont peut-être les meilleures gratifications de l'oeuvre d'une battante, une femme qu'on réduit trop souvent à son rôle de peintre de Cour en oubliant que Louise Elisabeth Vigée Le Brun n'était pas que cela, bien au contraire.
     

    Buste de Louise Elisabeth Vigée Le Brun par le sculpteur Augustin Pajou (1785). 

    En Bref :

    Les + : Il y'a tout dans ce livre, ni plus ni moins. Geneviève Haroche-Bouzinac, l'auteure, saisit bien les complexités de la personnalité de celle que l'on a trop souvent considérée uniquement comme la peintre de Marie-Antoinette, alors qu'elle est plus que cela.
    Les - :
    Aucun. Pour moi, cette biographie est parfaite.


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 3 Janvier 2020 à 11:04

    Whoua, quelle plume tu as ! On ne peut pas ne pas avoir envie de lire cette oeuvre après avoir lu un tel article !

    Il est vrai que je pensais connaître cette peintre mais finalement je ne connais que son lien à Marie-Antoinette. C'est pourquoi je suis d'autant plus intéressée de me lancer dans cette lecture...

      • Vendredi 3 Janvier 2020 à 11:33

        Oh, merci beaucoup... smile J'avoue que cette chronique a été très facile à écrire ce qui n'est pas forcément le cas pour tous les livres que je lis...parfois je galère à trouver les bons mots et je peste devant mon écran ! sarcastic

        Je suis contente en tout cas que mon billet t'ait donné envie de lire le livre parce que c'est le but. Mais je sais que tu adores l'époque de Marie-Antoinette, comme moi, alors j'imagine qu'on n'a pas besoin de te forcer la main. smile

        J'espère que tu aimeras autant que moi mais je ne me fais aucun souci là-dessus : c'est vraiment une très très bonne biographie, je l'ai trouvée absolument passionnante ! 

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