• Les Graciées ; Kiran Millwood Hargrave

    « Mais même à ce moment-là, les mots ne diront pas comment les choses se sont réellement passées. Car les mots ne sont pas toujours fiables : ils donnent forme trop facilement, trop superficiellement. »

    Les Graciées

     

     

      Publié en 2020 en Angleterre

     En 2021 en France (pour la présente édition)

     Titre original : The Mercies

     Éditions Pocket

     456 pages

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Norvège, 1617. Il a suffi d'une nuit, une nuit de tempête et d'horreur. Depuis que la mer a rendu, cadavre après cadavre, tous les hommes de Vardø, les femmes du village ont pris les choses en main. La pêche. Les travaux domestiques. Mais il était dit, même aux confins du cercle polaire, qu'on ne laisserait jamais les femmes en paix. En vertu du Décret sur la sorcellerie, fraîchement entré en vigueur, il est venu du continent un pasteur étranger : Absalom Cornet, inquisiteur fanatique et chasseur de sorcières. Pour Maren, Kirsten et les autres, toutes prisonnières chacune à sa manière, le bûcher est déjà dressé...

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Norvège, 1617. La veille de Noël, une terrible tempête s’abat sur l’île de Vardø, dans l’extrême nord du pays. Une tempête aussi effrayante que brutale et meurtrière : en effet, ce jour-là, les hommes de Vardø devaient sortir en mer pour pêcher. Quarante d’entre eux disparaissent dans les flots déchaînés de la mer de Barents, ne laissant sur l’île que des jeunes garçons et des vieillards.
    Passés le premier choc et le deuil, les femmes vont devoir s’organiser. Dans ces territoires hostiles et froids une bonne partie de l’année, où la vie est rude, il faut réagir vite. L’une d’entre elles, Kirsten, qui a une âme de meneuse, décide d’organiser la pêche, enrôlant certaines autres femmes de Vardø, contre l’avis du pasteur de la communauté et de certaines autres femmes, les plus dévotes. Les habitantes de Vardø ne le savent pas encore mais cette tempête aura d’énormes répercussions, sur leur quotidien immédiat mais aussi à plus long terme. Jamais plus leur vie ne sera comme avant et l’arrivée d’un nouveau seigneur nommé par le roi Christian IV et d’un délégué arrivant d’Ecosse, Absalom Cornet, scellera leur destin. Et quand le mot de « sorcellerie » est prononcé, dans un XVIIème siècle pétri de dévotion, plus aucun moyen de faire marche arrière n’existe…
    Les Graciées est un roman très féminin et presque un huis-clos, à l'ambiance très vite angoissante et presque palpable. A l’exception de quelques chapitres qui se passent à Bergen, on ne fait que naviguer entre les limites de l’île de Vardø, dans un climat qui devient de plus en plus étouffant. Les femmes, d’abord toutes confrontées au même deuil (chacune a perdu un père, un fils, un frère, un mari ou un fiancé) et devant se soutenir, commencent à s’éloigner les unes des autres : haine, jalousies, médisances deviennent leur quotidien. La méfiance, aussi petit à petit, quand certains commencent à distiller l’idée que cette tempête n’avait rien de naturel,  qu’elle n’était pas même l’œuvre de Dieu mais peut-être bien…la volonté du Diable. Et sur cette île perdue à l’extrême nord de l’Europe, certes christianisée depuis longtemps mais où la religion voisine étroitement avec les croyances ancestrales et celles des Lapons, qui peuplent aussi ces contrées et ne sont pas chrétiens, la moindre étincelle peut allumer le pire des incendies. Posséder des figurines traditionnelles ou se livrer à des pratiques aux relents païens devient dangereux. Vardø va devenir le théâtre d’une véritable chasse aux sorcières, où aucune des habitantes n’est à l’abri, sauf peut-être les croyantes les plus fanatiques qui n’hésiteront pas à dénoncer leurs consœurs.
    Le roman est centré sur deux personnages en particulier : Maren, vingt ans, née à Vardø et Ursa, originaire de Bergen et épouse d’Absalom Cornet, qui arrive avec lui sur l’île lorsqu’il est nommé délégué. Elles sont radicalement opposées : Ursa a toujours mené une vie relativement tranquille et confortable, même si pas exempte de deuils et de tristesse. Quant à Maren, c’est la vie d’une sauvageonne qu’elle mène sur son île natale, pelée et battue par les vents, entre ses parents et son jeune frère Erik, dont elle est proche. Une vie rude dans ce pays hostile, où l’on a souvent faim et où l’on n’est pas propre tous les jours. Les habitants vivent essentiellement de la pêche, du troc, mangent la viande de leurs rennes et en tannent les peaux. Maren et Ursa ont donc mené une vie bien différente et pourtant, lorsque la jeune Madame Cornet arrive sur l’île, avec son désarroi et sa solitude, elles vont se lier d’une improbable amitié. Elles assisteront toutes deux impuissantes au procès qui va se mener à Vardø, orchestré par le seigneur Hans Koening et le mari d’Ursa, Absalom Cornet. Aucune des deux n’en sortira indemne et leur vie sera bouleversée à jamais…
    Les Graciées est certes une œuvre de fiction mais qui s’appuie sur un contexte historique avéré : les chasses aux sorcières se sont multipliées au XVIIème siècle en Europe et se sont même diffusées aux Amériques (les fameux procès de Salem, dans les années 1690). Les procès de Vardø eurent bien lieu, en 1621, entre 1651 et 1653 et en 1662 et 1663. 91 personnes y comparaîtront et seront condamnées. Parmi elles, soixante-dix-sept femmes et quatorze hommes. Des Lapons, condamnés pour s’être livrés aux rites et pratiques ancestraux de leur peuple mais aussi des Norvégiens, coupables de ne pas avoir respecté les lois édictées par le roi Christian IV. On estime que, dans le Finnmark, 140 procès en sorcellerie eurent lieu entre 1602 et 1692. A Vardø, une certaine Kirsten (ou Kristi) Sørensdatter sera condamnée : c’est l’amie de Maren, Kirsten dans le roman.
    Prenant exemple sur le roi Jacques VI d’Écosse, puritain convaincu (et devenu aussi roi d’Angleterre en 1603 sous le nom de Jacques Ier) auteur d’une fameuse Démonologie, véritable guide pour reconnaître une sorcière, le roi Christian IV de Danemark et de Norvège édictera pour son double-royaume des lois particulièrement rigoureuses et qui coûtèrent la vie à plusieurs de ses sujets. Sans doute dans les 91 personnes jugées à Vardø au cours du XVIIème siècle, la plupart étaient-elles innocentes – voire certainement toutes. Car au final, qu’est-ce que la sorcellerie et surtout, existe-t-elle seulement ?
    Le XVIIème siècle est réellement l’apogée des chasses aux sorcières, qui ont eu lieu tout au long du Moyen Âge et de la Renaissance, avant de décroître ensuite à la fin du siècle – même si des flambées d’intolérance persistent ensuite. Aujourd’hui, dans un contexte de féminisme grandissant, prenant le contrepied de ces fameuses chasses, la société tendrait plutôt à réhabiliter leurs victimes qu’à encenser leurs bourreaux.
    Je n’ai pas trouvé ce roman forcément facile d’accès. Beaucoup moins par exemple que Les Sorcières de Pendle, avec lequel je n’ai pu m’empêcher d’établir une comparaison (même époque, même sujet…). Il m’a fallu du temps pour entrer dans cette histoire, me sentir proche des personnages. D’ailleurs je me suis même demandé si ce n’était pas là un objectif de l’auteure : ne pas nous faire sentir proche de ses personnages. Que ce soit Maren ou Ursa, je n’arrivais pas à les apprécier réellement, j’avais juste l’impression de les suivre, sans être partie prenante, sans m’investir dans ma lecture. Pas forcément la sensation la plus agréable pour un lecteur, non ? Heureusement, elle s’est dissipée…pas tout de suite, à tel point que j’ai oscillé assez longtemps entre « j’aime ? » ou « j’aime pas ? » et au final, j’ai aimé ! J’en suis très contente, d’ailleurs. Je n’ai pas aimé autant que je le voulais ou du moins,  autant que je l’espérais (ah ce fameux succès des réseaux sociaux, ce phénomène littéraire qui est finalement à double tranchant) : Les Graciées ne sera pas un coup de cœur pour plusieurs raisons que je n’expliciterai pas forcément pour ne pas vous en dévoiler trop (un conseil : lisez ce roman, il n’y a que ce moyen de se faire un véritable avis constructif) mais après avoir été assez longtemps spectatrice de ma lecture, j’y suis entrée enfin pour ne plus en sortir. J’ai vu la montée en tension presque douloureuse, le drame se mettre en place. J’ai, à ma grande surprise, découvert le personnage d’Ursa, que j’avais trouvé si terne et si peu digne d’intérêt au départ. Je me suis fait la réflexion que ce roman était l’illustration parfaite de l’adage : « on ne peut se fier à personne ».
    Les Graciées est un roman révoltant même si, évidemment, en le replaçant dans son contexte, on ne peut s’empêcher de se dire que c’était malheureusement quelque chose de très banal à l’époque. Mais la charge féministe de l’auteure s’y lit clairement : certes, les « chasses aux sorcières » n’ont pas touché que des femmes mais c’était la majorité des condamnées. Ici, le patriarcat et la religion se liguent pour faire plier des femmes trop indépendantes, qui ont osé empiéter sur les prérogatives des hommes. Hommes qui, ne l’oublions pas, ont péri en mer, laissant leurs mères, épouses, filles dans un dénuement des plus complets. Notre esprit de lecteur du XXIème siècle ne peut s’empêcher de s’étonner voire s’indigner : « Mais c’est débile cette histoire, et que viennent faire Dieu et la religion là-dedans quand on sait que ces femmes seules sont obligées de prendre la mer, comme des hommes, pour se nourrir et nourrir leurs enfants ? » J’ai souvent pensé ça en me retenant de lever les yeux au ciel. Et pourtant, ce n’est que la triste réalité d’une époque et d’une société – pas si éloignée de la nôtre à bien des égards. 

    Les Graciées raconte merveilleusement cela. La grosse découverte de ce roman, c’est clairement la plume de Kiran Millwood Hargrave (certes au travers d’une traduction, mais quand même), son univers. C’était vraiment bien écrit, je me suis délectée de ses mots. Si j’ai eu un peu plus de mal à entrer dans l’histoire, j’ai tout de suite aimé l’écriture de l’auteure, vraiment très talentueuse et dont les mots soulignent avec une rare intensité ce récit vraiment particulier et qui a pour lui son caractère unique et sa force.

    En Bref :

    Les + : le style de l'auteure, le lieu également où l'histoire se situe. Découvrir cette Norvège historique était vraiment intéressant pour moi qui adore l'Histoire. 
    Les - :
    le début du roman qui n'est peut-être pas facile d'accès, l'ambiance qui a mis du temps à me convaincre aussi et m'a mise mal à l'aise de prime abord. Je précise évidemment que ce n'est là qu'un ressenti subjectif et personnel.


    Les Graciées ; Kiran Millwood Hargrave

     Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

    • Envie d'en savoir plus sur Les Sorcières de Pendle de Stacey Halls, qui raconte un procès pour sorcellerie dans le Lancashire du début du XVIIème siècle ? Mon avis est à retrouver juste là.

     

     

     


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