• « Croyez-vous que le génie d'un seul homme puisse opérer une révolution sur toute une nation ? »

    La Part de l'Aube ; Eric Marchal

     

    Publié en 2014

    Editions Pocket

    928 pages

    Résumé :

    Lyon, septembre 1777. Des textes gaulois sont découverts : ils traitent des origines du peuple français. L'avocat Antoine Fabert se retrouve propulsé au centre d'une bataille dont l'enjeu est colossal. Avec ses proches - un ténor du barreau lyonnais, un historien paralytique, un rédacteur de la première gazette sur l'actualité locale, une comédienne - il se lance à corps perdu sur la trace d'une mystérieuse statuette dont le secret pourrait à lui seul ébranler la royauté à la veille de la Révolution française. Une course-poursuite au cœur d'un siècle fascinant pendant lequel le peuple de France s'est écrit un nouveau destin...

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1777 à Lyon, des documents gaulois sont retrouvés dans une ancienne hypocauste, mise au jour lors de travaux, sur la colline de Fourvière. Découverts sur la propriété d'un avocat émérite de la cité, Antoine Fabert, ce dernier s'attelle à l'étude des textes, grâce à l'aide de l'historien Antelme de Jussieu. Mais à l'époque, découvrir de tels documents n'est pas forcément considéré comme une bonne chose...si, aujourd'hui, toute mise au jour de vestiges ou de textes anciens est un événement considérable pour le monde scientifique, susceptible de faire progresser la discipline, il n'en était rien encore il y'a deux-cent-cinquante ans. En 1777, la monarchie n'en a certes plus pour très longtemps mais elle est encore bien là et l'Histoire est instrumentalisée au profit de l'État et de la royauté. Les textes traduits par Antoine Fabert pourraient se révéler particulièrement explosifs et dangereux pour lui, car remettant en cause l'Histoire avantageuse créée de toutes pièces notamment par les prélats, pour servir la royauté. Aujourd'hui, l'historiographie contemporaine admet sans aucun doute possible les racines gauloises de notre pays et de notre culture, sans les porter aux nues de façon exagérée comme le font certains courants politiques, ceci étant dit. Au XVIIIème siècle, au contraire, il était inconcevable de considérer que l' Histoire de la France pouvait remonter au-delà du peuple franc, converti au catholicisme à la suite de son chef charismatique, Clovis, au Vème siècle. Admettre les racines païennes de notre pays, la culture orale des druides ou même le proclamer était une hérésie et les historiens ou érudits qui osaient le faire publiquement étaient passibles d'emprisonnement. En pleine émulation culturelle, en pleine époque des Lumières, il n'était pourtant pas si facile de bouleverser des idées établies depuis des siècles : car affirmer que le tiers état descendait d'un peuple soumis et surtout, sans culture connue, c'était légitimer la mainmise de la monarchie, alors que le contraire tendait à remettre en cause cette suprématie basée sur une interprétation fausse de l' Histoire. 
    C'est donc la quête d'Antoine et son combat pour établir la vérité, qu'Eric Marchal, grâce à un subtil mélange d'authentique et de fiction, se propose de nous raconter dans cet ambitieux roman de près de mille pages.

    Dès le départ, avant même de commencer, j'avais le sentiment que La Part de l'Aube était un roman ambitieux, sérieux, pour lequel l'auteur avait beaucoup travaillé, afin d'être le plus précis possible et ne rien laisser au hasard. Et ce sentiment s'est très vite confirmé.
    Je ne vous dirais pas que j'ai été captivée tout de suite et le suis restée jusqu'aux ultimes pages parce que ce serait malhonnête. J'ai parfois ressenti quelques longueurs, mais heureusement, l'intérêt du roman a pris le dessus. J'ai aimé la façon dont l'auteur abordait son sujet, jamais de manière frontale et directe, mais toujours en louvoyant, avec des chapitres qui s'arrêtent parfois un peu abruptement, mais toujours en faisant monter le suspense et, dans le même temps, la tension et l'intérêt du lecteur. 
    Il faut dire que le sujet choisi par Eric Marchal est très intéressant et il nous livre là un peu plus qu'un roman historique : La Part de l'Aube est aussi un roman historiographique, ce qui en fait une sorte d'ovni dans le paysage littéraire contemporain. 
    J'ai beaucoup aimé les personnages et le fait que l'auteur nous balade de l'Antiquité au XVIIIème siècle. Découvrir la Lugdunum du Ier siècle après J-C, ville florissante au confluent de la Saône et du Rhône, a pour moi été un vrai voyage. Je suis partie à la découverte d'un personnage, Louern, qui sera le fil conducteur de tout le roman. Je suis partie à la rencontre d'une civilisation assez extraordinaire quoique méconnue. Certes, les avancées scientifiques nous permettent de mieux appréhender le peuple gaulois dans toute sa globalité et sa complexité mais ce peuple, à l'origine du nôtre, reste encore entaché de beaucoup de clichés et idées reçues. Et l'époque des Lumières, époque de fleurissement intellectuel n'était pas tendre avec celles considérées comme barbares et incultes. On se rend compte que le XVIIIème siècle, connu pour être une ère d'émulation scientifique n'en restait pas moins frileuse, parfois, lorsqu'elle se trouvait face à une révélation à la portée absolument exceptionnelle et colossale. C'est tout le contraste d'un siècle si paradoxal : les mœurs qui se libèrent tout en étant condamnées, l'émancipation des préceptes religieux en même temps que la condamnation du chevalier de La Barre pour blasphème. Le XVIIIème siècle, dans toutes sa complexité et ses contradictions, est passionnant. C'est une époque si vive, si riche, qui préfigure la nôtre tout en restant encore attachée aux us et coutumes ancestraux.
    Sans être historien, Eric Marchal parvient à saisir cette complexité et à l'exploiter habilement, faisant s'opposer les fers de lance de la culture et ceux de la monarchie, agrippés à des principes surannés et en retard, qui font de la royauté française en cette fin de siècle, un colosse aux pieds d'argile. On pourrait croire alors que le roman est manichéen mais non, du moins, ce n'est pas ainsi que je l'ai ressenti. Chacun essaie de défendre son propre point de vue et parfois, sa propre vie et son propre équilibre, ce qui, au final, est légitime . Bien sûr que la vision monarchique de l'Histoire de France est vue comme rétrograde et dommageable par l'auteur et par son héros, Antoine, partisan du progrès. Pour autant, sans la partager, on comprend aussi les défenseurs d'une Histoire instrumentalisée et au service de la propagande royale, parce que remettre en question le système, c'était, à coup sûr, disparaître et, on le sait bien, le changement fait peur. Et puis il y'a aussi les irrécupérables, ceux qui aiment être mauvais, comme l'inspecteur Marais, plus soucieux de lui-même que du reste, les opportunistes qui se servent d'un combat qui n'est pas le leur pour en tirer le plus de bénéfices possibles.
    Justement, parlons-en, des personnages ! Ils m'ont tous, à leur manière, beaucoup plu et je crois que l'auteur a passé beaucoup de temps à les travailler pour leur donner autant de relief et de vérité. Ils sont très nombreux au point que, parfois, j'arrivais à les confondre... certains arrivent parfois comme un cheveu sur la soupe, sans qu'on comprenne bien quelle est leur véritable portée. Et puis, au fil de la lecture, on se rend compte que tout est lié, personnages comme événements et qu'aucun n'apparaît par hasard. La Part de l'Aube est un écheveau, lentement tissé. Peu à peu, après avoir ressenti des longueurs, je me suis habituée à la lenteur apparente du récit, je l'ai même aimée. Pour utiliser des termes à l'opposé l'un de l'autre, La Part de l'Aube est lent et dynamique à la fois, comme une eau qui dort et peut s'éveiller à tout instant. Les personnages sont un grand atout du livre. Chacun a une personnalité propre et beaucoup de caractère, de détermination, à commencer par Antoine, le héros, avocat talentueux et à l'intelligence extraordinaire. Les autres personnages, qui gravitent autour de lui et peuvent apparaître comme secondaires ne le sont en fait pas du tout et j'ai appris à m'attacher à eux au fil des pages. 
    L'autre atout du roman, je crois, c'est qu'il se passe ailleurs qu'à Paris. Lyon est une ville que je ne connais pas mais que j'ai apprécié de trouver au centre du récit. Cette cité pluri-séculaire a un passé et une histoire extrêmement riche. L'ancienne capitale des Gaules, qui a vu naître l'empereur Claude, est au XVIIIème siècle une ville qui peut rivaliser à Paris et possède une industrie naissante, celle de la soie. Historiquement parlant, Lyon est une ville bigarrée, qui a connu successivement les influences impériale et française et qui a un passé antique intéressant, avec de nombreux vestiges de sa gloire passée. Il est intéressant aussi de voir comment les dernières décennies de la monarchie ont été perçues en province, comme il est intéressant de voir aussi comment la Révolution par la suite s'y développa. 
    Bref, La Part de l'Aube est un roman riche et complet. Ambitieux, comme je l'ai déjà dit plus haut, mais maîtrisé par son auteur, ce qui lui donne ainsi toute crédibilité. Eric Marchal est un auteur talentueux dont je connaissais pas l'univers, univers que je ne regrette absolument pas d'avoir découvert avec ce roman !
    L' autre atout du roman est sans nul doute la quête effrénée d'Antoine, qui nous permet de mieux comprendre la culture gauloise, en nous débarrassant des dernières idées reçues que nous pourrions encore avoir à l'esprit. C'est un peuple et une culture dans toute leur diversité qui nous apparaissent et j'ai beaucoup aimé
    La Part de l'Aube a mis du temps à me convaincre : les premiers chapitres m'ont déroutée, je dois bien l'avouer. Il m'a fallu du temps pour bien appréhender la pléthore de personnages et leurs caractéristiques propres. Mais une fois que l'ambiance du roman a pris, que je m'y suis habituée, ce ne fut qu'une très bonne expérience. Ce roman bien souvent ne se lâche qu'à regret. On veut continuer, encore et encore. Aller jusqu'au bout. 
    Après un début un peu lent, j'avoue que je me suis vite prise au jeu et que je suis sortie de ce livre un peu mélancolique. Je m'étais attachée aux personnages et habituée à son ambiance. Quand un livre nous paraît trop court, c'est bon signe, non ? La preuve avec ce roman !

    En Bref : 

    Les + : un roman ambitieux et pour lequel l'auteur s'est donné les moyens ; son travail est maîtrisé, son intrigue captivante et ses personnages attachants. Une réussite. 
    Les - : 
    un début un peu lent mais heureusement vite rattrapé par la suite de l'intrigue, ce n'est donc qu'un tout petit bémol.

    La Part de l'Aube ; Eric Marchal

     Bingo littéraire du printemps


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  • « Il s'était mis à comparer sa trousse de maquillage à sa palette de peintre. Coups de pinceau sur les sourcils. Ombres légères sur les paupières. Trait fin pour souligner les lèvres. Mélange de couleurs sous les joues. C'était exactement comme la peinture - comme le pinceau capable de transformer une toile blanche en paysage d'hiver. »

    Danish Girl ; David Ebershoff

     

    Publié en 2000 aux Etats-Unis ; en 2016 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Danish Girl

    Editions Libretto

    383 pages

    Résumé : 

    À Copenhague en 1925 Einar Wegener et Greta Waud, son épouse, forment un couple étonnant. Lui, peintre paysagiste reconnu, petit, délicat, est discret jusqu’à l’effacement. Elle, peintre également, est grande, américaine, blonde et issue d’une famille riche. Tous deux s’harmonisent étrangement jusqu’au jour où Greta, en l’absence de son modèle féminin, demande à son mari d’enfiler une paire de bas. De cette demande et du trouble qu’il en advient va naître Lili.

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Je crois que je n'aurais jamais lu ce roman sans le formidable Club de Lecture de Little Pretty Books, Our Pretty Books' Club. L'aspect historique me plaisait bien sûr, mais je ne crois pas qu'on puisse considérer Danish Girl comme un vrai roman historique. J'avais le sentiment que ce roman allait me faire sortir de ma zone de confort et, effectivement, c'est le cas. Donc, merci à elle pour l'organisation de cette lecture ! ! 
    En 1925, à Copenhague, Greta et Einar sont artistes peintres et mariés, depuis six ans. Ils sont à l'opposé l'un de l'autre mais s'harmonisent étrangement : Einar est Danois, discret, presque timide. Talentueux, ses tableaux se vendent bien et sont côtés. Il est originaire du Jutland et a grandi dans une ferme avant de venir donner des cours de peinture à l'Académie Royale de Copenhague. C'est d'ailleurs là qu'il va rencontrer Greta, un peu avant la guerre.
    Greta est Américaine -originaire de Californie plus exactement-, aussi grande et flamboyante que son époux est petit et effacé. Peintre elle aussi, elle peine à se faire remarquer et souffre un peu de l'ombre que lui fait le succès d'Einar, sans perdre espoir cependant. Si son mari a été élevé dans un milieu modeste, il n'en est rien pour Greta, héritière de plantations d'orangers en Californie et dont le père est ambassadeur. Elle essaie cependant de s'émanciper le plus possible de l'éducation rigoureuse qu'on lui a donnée et de l'existence stricte et ordonnée de ses parents, notamment en venant s'établir au Danemark, la patrie de sa grand-mère et en vivant simplement.
    Leur vie aurait pu être celle de bien d'autres couples de l'époque, un peu artistes, un peu bohèmes, mais il n'en sera rien. Car Einar cache au fond de lui un secret qu'il aura de plus en plus de mal à cacher à mesure que les années passent : Einar est né homme mais se sent femme au fond de lui, ce qui implique forcément un mal-être et des comportements étranges.
    Alors, progressivement va se mettre en place un processus qui, une fois enclenché, va s'avérer irréversible : Einar va devenir Lili, d'abord seulement en s'habillant en femme puis jusqu'à se faire opérer pour changer de sexe.
    Le roman décrit donc la lente métamorphose d'Einar, qui se met en place sur plusieurs années, de l'acceptation jusqu'à la volonté de changer définitivement de sexe. Le point de départ est ce tableau que Greta veut terminer, en l'absence du modèle. Sa demande à son époux de revêtir les bas, les chaussures et la robe de la modèle enclenche le processus, processus qui ne s'arrêtera que lorsque Einar sera définitivement mort, pour laisser sa place à Lili.
    Lili, d'abord, n'apparaît que dans la sphère protectrice de l'appartement conjugal, Einar se contentant de s'habiller en femme et de se maquiller pour seulement quelques heures. Puis, Lili va s'enhardir, oser sortir, rencontrer des hommes et accepter l'attirance qu'elle a pour eux, les fantasmes qu'ils font naître en elle. Puis, lentement, cette situation étrange, comme si Einar était deux personnes, cette situation un peu schizophrène pourrait-on dire, ne lui suffira plus. Le trouble dont souffre Einar est bien connu aujourd'hui : c'est ce qu'on appelle le « Syndrome de Benjamin », qui peut entraîner des dépressions voire des suicides chez les personnes qui en sont touchées. Il est sûr qu'il doit etre particulièrement difficile de vivre et d'exister dans une enveloppe qu'on rejette de tout son être. Être homme à l'extérieur mais femme à l'intérieur -ou le contraire-, doit s'avérer particulièrement douloureux, surtout lorsqu'on est pas accompagné, aidé ni écouté et on imagine aisément que de tels cas n'étaient pas pris au sérieux par la médecine de l'époque.
    Il s'avère cependant que, en 1925, ce que la médecine appelait pudiquement indétermination sexuelle, était connue et étudiée et cela depuis le siècle dernier, tout en étant rejetée par la société et une grande partie du corps médical : le praticien consulté par Einar au Danemark en est d'ailleurs un bon exemple. Parce que ce qu'on ne comprend pas est difficilement acceptable, la plupart des médecins à cette époque avaient tendance à considérer les rares patients osant consulter et se confier comme des fous, ni plus ni moins. Et il est vrai que, quand on n'a pas toutes les clés en main, la folie est un bon moyen d'expliquer l'inexplicable.

    Alicia Vikander et Eddie Redmayne interprètent Greta et Einar/Lili dans l'adaptation du roman par Tom Hooper (2015)


    Après, au-delà de ça, est-ce que je me suis sentie investie dans ce roman ? Non, pas entièrement, disons. Si j'ai ressenti de la compassion pour Einar, je ne peux pas prétendre l'avoir compris, dans le sens où ce trouble là, si particulier, ne peut être certainement appréhendé dans son ensemble que par les gens qui sont concernés. On ressent cependant beaucoup d'empathie pour son mal-être mais j'avoue ne pas m'être sentie très proche du personnage.
    J'ai préféré Greta. Parce que je suis une femme et sensiblement du même âge qu'elle lorsqu'elle se trouve confrontée à la double personnalité de son époux, révélée au grand jour par l'une de ses demandes involontaires. J'ai pu me mettre à sa place plus facilement et j'ai admiré la manière dont cette jeune femme a accepté et compris que ce que vivait son mari était bien au-delà du simple trouble psychologique. Parfois, Greta regrette la disparition d'Einar, la place de plus en plus importante prise par Lili. Finalement, elle l'accepte sans l'accepter, on sent bien qu'une partie d'elle-même ne peut pas vraiment s'y faire, que des accès de colère mêlée de regrets la prennent parfois, mais on le comprend... mais c'est presque normal, quand on imagine tous les changements et tous les bouleversements qu'une telle révélation peut entraîner dans une vie. Comment aurais-je réagi, moi, à sa place ? Voilà la question que je me suis posée tout au long de ma lecture.
    J'ai admiré Greta pour sa force d'âme, son courage, son abnégation et le grand amour qu'elle n'a sans doute jamais cessé de porter à son mari car il lui en a fallu certainement beaucoup pour le soutenir jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'Einar disparaisse complètement pour laisser vivre Lili. Greta a accepté en quelque sorte de sacrifier son couple, son propre équilibre, pour laisser libre cours à celui de son mari. Je l'ai trouvée extrêmement touchante.
    Le roman décrit assez bien le long déroulement qui va amener Einar à se questionner sur ce qu'il est vraiment et jusqu'au choix irrémédiable, le premier de l'Histoire. Entre temps, il aura appris à mettre des mots sur ce qu'il ressent, sur ce qui l'habite et qui est bien loin de l'homosexualité ou autre préférence sexuelle. Il sera confronté à des médecins qui ne le comprendront pas et d'autres, au contraire, qui se montreront bienveillants. Il pourra surtout compter sur Greta, toujours. Parce que Greta va rester jusqu'au bout et sera celle qui, malgré tout, aimera le plus Lili. Mais il pourra aussi compter sur d'autres personnes, inattendues et sur l'aide presque inespérée d'un médecin, qui transformera Einar en Lili et cela, physiquement. Un précédent va alors se créer : c'est la première chirurgie transformatrice pratiquée sur un être humain.
    Le roman de David Ebershoff raconte tout cela, on suit pas à pas l'existence d'Einar et de son épouse et des bouleversements que, peu à peu, sa prise de conscience implique, tant pour lui que pour elle. Si Einar est affligé d'une mélancolie de plus en plus envahissante et qui se traduit aussi physiquement, par un étiolement de son corps et divers malaises, Greta, elle, soit assister à une chose bien trop puissante pour qu'elle puisse rien y faire mais qui, elle le sait, va faire disparaître une existence et une personne, qu' elle aime et dont elle devra bientôt porter le deuil.
    En parallèle, grâce à des flash-back en forme de souvenirs on en apprend un peu plus sur le passé des personnages, leur enfance, leur adolescence, à l'opposé l'une de l' autre.
    Le seul bémol que je soulèverais, comme d'autres lecteurs d'ailleurs, c'est les réactions des différents protagonistes, qui m'ont parfois parues étranges... la plupart des membres de l'entourage proche de Greta et Einar -puis Lili-, acceptent avec une facilité déconcertante le nouveau statut de la jeune femme. Or, ce n'est pas quelque chose d'anodin qui se passe sous leurs yeux et si on parle pas mal aujourd'hui, ce n'était pas le cas à l'époque. Du coup j'ai trouvé parfois les réactions des personnages un peu lisses... il n'y aucun rejet, ce qui m'a paru assez étrange, car dans une société encore très conventionnelle et patriarcale, si sévère pour les fille-mères par exemple ou les femmes divorcées, j'ai trouvé que les réactions suscitées par le cas d'Einar étaient bien trop douces, bien trop compréhensives, peut-être pas forcément en accord avec l'état d'esprit des années 1920-1930.
    À part ça, j'ai trouvé le roman beau et touchant. David Ebershoff s'est approprié une histoire vraie pour en faire un roman : on n'est pas ici dans une biographie d'Einar Wegener, bien au contraire. Si Einar a existé, si l'auteur s'est basé sur ses propres écrits (notamment Man into Woman, la correspondance de Lili, éditée par Neils Hoyer) pour décrire ses malaises physiques, sa transformation, sur les lieux fréquentés par Einar ou Lili, il a cependant brodé autour de ca pour créer une atmosphère totalement romanesque. Hormis Einar, tous les autres personnages sont fictifs. Il a cependant donné une image assez vraisemblable de lui puis de Lili et de la lente transformation qui a amené un homme à devenir la première femme transformée de l'Histoire, autrement dit un transsexuel, loin du simple travestissement. Danish Girl est un roman fort, subtil et touchant, avec quelques inégalités, mais il m'a séduite. 

    En Bref : 

    Les + : une belle histoire, l'auteur explorant avec subtilité les bouleversements dans la vie de Greta et Einar et la lente métamorphose de ce dernier.
    Les - :
    une fin un peu brutale ; les réactions des personnages, parfois trop bienveillantes pour apparaître complètement vraisemblables. 

     

     

     

    Danish Girl ; David Ebershoff

    Lu dans le cadre du Club Lecture Our Pretty Books Club de Little Pretty Books 

     

    Danish Girl ; David Ebershoff

    Bingo littéraire du printemps 

     

     

     


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  • « Il est dit que tous les hommes croient en Dieu sur le champ de bataille. »

    La Religion ; Tim Willocks

    Publié en 2006 en Angleterre ; en 2011 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Tannhauser Trilogy, book 1, The religion

    Editions Pocket

    950 pages

    Premier tome de la saga Trilogie Tannhauser 

    Résumé : 

    « La Religion », c'est le nom que se donne l'ordre des Hospitaliers, mais c'est aussi la bannière sous laquelle se rallie parfois la folie des hommes. En 1565, claustrés sur leur petit archipel au sud de la Sicile, les chevaliers de Malte s'apprêtent à recevoir les furieux assauts de l'armée ottomane. A un contre cinq, les chrétiens tiennent le siège au prix de combats effroyables. Un déchaînement de violence dans lequel se trouve entraîné Mattias Tannhauser, un ancien janissaire qui a connu les deux camps. Pour les beaux yeux de la comtesse Carla La Penautier, le trafiquant d'armes et d'opium embarque pour l'enfer...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    La Religion, c'est le titre sobre, épuré, percutant que le romancier britannique Tim Willocks a choisi pour le premier livre de sa trilogie en forme de fresque historique, Tannhauser Trilogy -ou Trilogie Tannhauser, en français. À ce jour, seuls le premier et le deuxième volume, Les Douze Enfants de Paris, qui se déroule à Paris pendant la Saint-Barthélémy, ont été publiés en France. La Religion, c'est aussi que le nom que les Hospitaliers se donnent. 
    Ce livre a créé beaucoup de remous dans la sphère littéraire à sa sortie, que ce soit chez les professionnels ou bien chez les blogueurs. Ce livre a été aimé, beaucoup ou détesté, vraiment. Quelques lecteurs se situent entre ces deux extrêmes, mais il y'en a peu... Apparemment, La Religion est de ces livres qui suscitent des réactions tranchées. On aime ou on aime pas.
    Personnellement, je ne savais pas vraiment quoi dire de ce livre, un bon pavé de près de mille pages, qui m'a fait passer un moment de lecture... intense, je dois dire. Intensité comme bien peu de romans m'en ont donnée, je dois l'avouer. Il y'a des millions de manières de vivre intensément une lecture : ici, le simple rythme de la fresque qui se déploie sous nos yeux nous promet une lecture forte et palpitante et cela, dès le départ. Je ne savais donc pas quoi en dire, jusqu'à refermer les dernières pages et me dire qu'au final, l'avis mitigé que je craignais avoir, n'a pas été. Je ressors de cette lecture avec, au contraire, un sentiment positif, un peu minoré par quelques défauts, certes, mais j'ai aimé ma lecture. 
    La Religion est pour moi un OVNI littéraire... je n'ai pas eu l'impression de lire un roman historique, même si le contexte est fortement présent. J'ai eu l'impression que les personnages étaient tous des sur-hommes, des super héros alors qu'ils ont tous des failles, des doutes et des blessures anciennes qui en cela, en font des êtres essentiellement humains.
    Pour essayer de se mettre un peu dans l'ambiance, revenons-en à ce fameux contexte sur lequel tout le reste du roman s'appuie, de bout en bout. L'ambiance, dès le départ, est très médiévale et pourtant, nous sommes en 1565, sur un petit rocher pelé en pleine Méditerranée, au sud de la Sicile : il s'agit de l'île de Malte, le repaire des Chevaliers Hospitaliers, depuis le Moyen Âge. C'est le dernier ordre chevaleresque existant, après l'élimination au début du XIVème siècle de l'Ordre des Templiers.
    En cette année 1565, les Hospitaliers et les habitants de Malte s'apprêtent à livrer une bataille désespérée contre la flotte du sultan de la Porte, le fameux Soliman, dont le règne, long et bien rempli, est émaillé de diverses conquêtes. Alors que l'Europe se déchire et que l'hérésie luthérienne gagne du terrain, provoquant un schisme en Angleterre et des guerres intestines en France tandis que les notables et nobles des Provinces-Unies et d'Allemagne se convertissent à tour de bras, à Malte, les défenseurs de la Chrétienté, eux, se préparent à affronter les Lions de l'Islam et à mourir pour la seule vraie foi.
    Au milieu de ce chaos, nous faisons connaissance avec le mystérieux Mattias Tannhauser, ancien janissaire devenu négociant en Sicile. Mattias, nous l'avons déjà rencontré, tout jeune alors, au début du roman. Dans les années 1540, le jeune adolescent a connu une tragédie qui a fait de lui ce qu'il est alors, un homme désabusé, qui n'a plus peur de rien. Formé parmi ce qu'on pourrait appeler la garde prétorienne du sultan, au milieu d'autres jeunes chrétiens progressivement transformés en soldats et convertis à l'Islam, il est donc devenu un janissaire mais les a quittés vraisemblablement sans que l'on sache pourquoi...
    À Messine, il fait la connaissance de la belle Carla, comtesse française mais née en Sicile, porteuse d'un secret et d'une quête qui la pousse à gagner Malte coûte que coûte, malgré la menace croissante de la flotte turque. Flanquée d'une étrange fille d'honneur, un peu devineresse, Carla de La Penautier va solliciter l'aide de Mattias et l'entraîner alors dans un tourbillon contre lequel ils ne peuvent rien et, bloqués dans Malte, assister à la lutte désespérée et sans merci des défenseurs du Christ et de ceux d'Allah.

     

    Le Grand Maître des Chevaliers de Saint-Jean en 1565 : le Français Jean Parisot de La Valette. Vue d'artiste, tableau d'Antoine Favray (XVIIIème siècle)


    Ce contexte est tout à fait authentique. Nous sommes alors dans une conjoncture assez particulière, d'expansion de la suprématie turque sur la Méditerranée. Après avoir chassé les Chevaliers de Saint-Jean de Rhodes, en 1522, ceux-ci ont trouvé refuge sur l'île de Malte en 1530. En 1565, c'est La Valette, un Français, qui est à la tête de l'ordre et doit de nouveau affronter les velléités de Soliman le Magnifique, sultan emblématique de la période. Le siège de Malte, de mai à septembre et la victoire de l'Ordre des Hospitaliers sont authentiques. Tim Willocks s'appuie donc sur un contexte riche et vrai, ce qui n'est pas négligeable.
    Alors, voilà... maintenant, le plus dur est arrivé, c'est-à-dire, parler de ce roman, qui ne m'a certes pas laissée indifférente mais... il est très difficile pour moi d'y mettre des mots qui puissent vraiment décrire mon ressenti. C'est surtout vrai en ce qui concerne les personnages...
    Commençons déjà par mon ressenti général... je n'ai pas détesté ce roman, au contraire, il fut une lecture prenante et que je n'oublierai sûrement pas de sitôt. La Religion est une grande saga historique : le roman serait situé en pleine Antiquité qu'on pourrait sans hésiter le qualifier de péplum !
    Grande fresque sale et poisseuse, noircie par la poudre des armes et salie du sang des morts, La Religion est assurément un livre qui fait mouche dans la vie d'un lecteur.
    Tout d'abord, dès les premières pages, j'ai été sidérée par le style, d'une poésie rare, au point que je me suis surprise à lire les premiers chapitres à mi-voix, pour savourer davantage les mots. J'avais presque l'impression de les psalmodier et de m'en imprégner complètement... mais très vite, ça se gâte... la violence arrive rapidement et, dès lors, ne nous quitte plus. Je n'ai rien contre, en soi... nous sommes dans un contexte de guerre et de grande instabilité, par toute l'Europe, qui induit la violence. C'est fatal. Seulement j'ai eu rapidement le sentiment que certains épisodes auraient pu être édulcorés voire carrément supprimés : à mon sens, l'auteur est tombé dans l'écueil de la violence pour la violence et du vulgaire pour le vulgaire. C'est dommage... pas catastrophique, mais j'aurais apprécié que le roman, parfois, soit moins détaillé et ne me donne pas autant la nausée. Au cours de ma lecture, je suis allée me renseigner sur l'auteur et j'ai découvert que Tim Willocks est en fait médecin de formation : j'ai alors mieux compris la profusion de détails corporels sanglants. On sent en effet toute la précision d'un homme qui a une profonde et parfaite connaissance du corps humain et de son fonctionnement, tant interne qu'externe. Personnellement, je n'aurais pas été fâchée d'en rester aux connaissances succinctes que j'ai en ce domaine et qui me suffisaient amplement !

    La prise du fort Saint-Elme lors du siège de Malte : fresque de Matteo Perez d'Aleccio (XVIème siècle)


    Heureusement que beaucoup d'aspects positifs viennent ensuite contrebalancer ces ressentis plutôt mitigés... car oui, j'ai aimé La Religion et pour plusieurs raisons.
    D'abord je dois dire que, même s'ils m'ont laissée relativement indifférente, les personnages sont une grande force du récit.
    Pourtant, je ne les ai pas ressentis comme très humains, pas dans le sens où ils n'ont aucun sentiment ou sont cruels, non, mais plus dans le sens où j'ai eu le sentiment qu'ils étaient un peu en dehors de la norme, en marge, un peu au-dessus. D'ailleurs, le nom de guerre de Mattias n'est sûrement pas anodin, Tannhauser étant celui d'un héros de la mythologie germanique. Voilà comment j'ai envisagé les personnages : comme des êtres un peu héroïques et différents, vraiment romanesques en somme, humains certes, émouvants parfois mais peut-être pas vraiment de notre monde, peut-être pas vraiment de notre trempe. J'ai été intriguée par Mattias, le premier personnage que l'on rencontre et qui nous est donc très familier, dès le départ. Il a une aura mystérieuse et un aspect physique qui force le respect. Il représente un vrai socle pour le roman. J'ai aimé le triangle amoureux qui s'instaure peu à peu et rend donc les personnages plus humains, au-delà de leurs considérations parfois un peu triviales et crues, qui m'ont dérangée parfois.
    Des passages très poignants et presque philosophiques, un peu transcendants, viennent adoucir les chapitres plus violents et apportent un vrai relief au roman, avec des considérations justes sur l'humain, la religion, l'amour, l'amitié, la mort, les souvenirs et le passé.
    La Religion est un roman historique intéressant, fort et intense. On est immergé dans une ambiance très glauque et assez collante, dont on a du mal à se dépêtrer. Il a quelques inégalités, des longueurs parfois, des chapitres violents ou crus un peu superflus. Mais l'histoire est prenante et bien menée et le contexte historique est bien étudié et relaté. Ce contexte post Concile de Trente, en pleine Contre-Réforme est riche mais peu souvent exploité de cette manière.

    En Bref :

    Les + : une histoire intéressante, pleine d'aventures, basée sur un contexte historique authentique et bien maîtrisé par l'auteur ; des personnages qui font tout le sel du récit.
    Les - : beaucoup de violence, des épisodes vraiment insoutenables et, à mon sens, superflus. Le roman aurait pu être très bon sans autant de détails crus. 

     

     

     

     


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  • « Je ne sais pas, encore aujourd'hui, ce qui pour un marin est le plus fort, ou le plus difficile : aborder le sol ou affronter la mer. »

    L'Enigme de la Diane, tome 2, Des Antilles aux Mascareignes ; Nicolas Grondin

    Publié en 2015

    Editions Pocket

    512 pages

    Second tome de la saga L’Énigme de la Diane 

    Résumé : 

    1781. Cela fait quelques mois que le jeune Basile a été embarqué de force sur un quai de Brest. C’est désormais avec fierté qu’il officie, comme élève garde, sous les ordres du capitaine Selcy, au service de Sa Majesté Louis Le Seizième. Toujours poursuivie avec une férocité peu commune par l’irascible « Captain Jaws », la Diane met le cap sur l’océan Indien, pour une mission des plus embrouillées… C’est que les cales de la frégate sont affrétées de lourds secrets, plus explosifs encore que la poudre à canon…

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    L'intrigue de ce deuxième tome démarre quelques jours seulement après la fin du premier. À Fort-Royal, le chevalier de Selcy, capitaine de la Diane, frégate de la flotte française, s'est vu confier par l'Amirauté un paquet de documents confidentiels à convoyer jusqu'au Cap puis doit rallier l'Île Bourbon, île sucrière, dans l'Océan Indien, autrement dit, l'Île de la Réunion, colonie française ayant d'abord appartenu à la Compagnie des Indes et alors directement administrée par l'État, après avoir été rachetée par l'administration de Louis XIV au début du XVIIIème siècle. Île la plus à l'est de l'archipel des Mascareignes, elle prendra le nom qu'on lui connaît au XIXème siècle et deviendra par la suite un département français.
    Mais revenons-en à notre Diane, si vous le voulez bien ! Auparavant, elle doit gagner le Cap, petite colonie hollandaise à l'extrême sud de l'Afrique, où elle va retrouver Suffren, vice-amiral de la Marine Royale et son escadre.
    La Diane et ses matelots se retrouvent donc à voguer vers le Sud mais cela ne se fera pas sans mal, ni sans pertes. Non seulement le navire va devoir faire face au temps capricieux qui sévit dans cette partie du monde mais il est aussi pris en chasse par le HMS Wizard, frégate anglaise commandée par le terrible capitaine Andrews, surnommé par ses hommes Captain Jaws. Mi-pirate, mi-matelot de la Navy, Andrews a fait de la Diane son ennemie mortelle et est bien décidé à la défaire et à faire mordre la poussière à Selcy et à son équipage. Voici donc la Diane poursuivie par l'inquiétante ombre du navire britannique qui s'attache au moindre de ses pas.
    Entre secrets, batailles et apprentissages, la vie de Basile, le narrateur, continue sur la Diane. Comme dans le premier tome, Nicolas Grondin prête sa plume à un Basile plus âgé qui raconte son adolescence et son expérience à bord d'un navire de la Royale, au début des années 1780, dans un contexte particulièrement troublé, puisque Français et Anglais, profitant de la Guerre d'Indépendance américaine où chaque royaume soutient une des factions, s’écharpent à qui mieux mieux sur les mers du globe et en profitent pour se chiper respectivement leurs possessions d'outre-mer -la paix ne sera signée que deux ans plus tard en 1783, avec le Traité de Paris, qui met fin à la Guerre d'Indépendance américaine. 
    En ce début de second volume, Basile, jeune mousse embarqué de force sur la Diane, au mois d'avril 1781, pour une raison bien précise que nous avons apprise en même temps que lui, parfait son apprentissage de parfait matelot. Devenu élève-garde, il est en passe de devenir officier et parfait son apprentissage sous la férule, au demeurant bienveillante, de Segalen, le second de la Diane.
    Mais la vie n'est pas de tout repos sur la Diane. Entre secrets du temps passé et du temps présent, que Basile, avec sa curiosité naturelle soupçonne sans pour autant en saisir toute la teneur et le fameux capitaine anglais qui leur empoisonne la vie, l'apprentissage de Basile n'est pas un long fleuve tranquille. Au-delà de connaissances purement techniques, c'est aussi l'apprentissage de la vie que Basile fait sur ce navire, en côtoyant des hommes d'origines diverses mais qui se respectent. Au milieu de paysages idylliques mais parfois aussi inquiétants, dans un univers hostile qu'il découvre avec ses yeux de novice, des amitiés parfois inattendues se nouent, des hostilités se créent aussi, parce que l'une ne va pas sans l'autre. C'est donc grandi que l'on retrouve Basile au début de ce second tome, bien plus mature que lorsqu'il vivait encore à Pont-Croix et était destiné à devenir le patron des conserveries de son oncle, en somme un bourgeois à l'avenir tout tracé et à la vie terne et prévisible. Sur ce navire, il s'est accompli, est presque devenu un homme et surtout a appris des informations plus qu' importantes quant à son passé, qui pourraient influencer son avenir de bien des manières...

     

    L'Hermione, combattant au large de Louisbourg : L'Hermione, navire qui transporta Lafayette en Amérique, est une frégate. On peut supposer que la Diane de Nicolas Grondin lui ressemble un peu...


    Alors, ce second tome tient-il ses promesses ? Assurément, oui et je n'ai qu'un regret : que la saga s'arrête. On en redemande ! Non seulement parce que l'intrigue est passionnante : on a l'impression d'être dans un vrai film de pirates, les péripéties et rebondissements sont là et bien maîtrisés. On retrouve des personnages qu'on a découverts dans le premier tome, qu'on a appris à connaître, en même temps que Basile. Et surtout, l'arrivée dans la ligne de mire de la Diane du sinistre Captain Jaws instaure un surcroît de tension et d'appréhension que nous, lecteurs, ressentons avec une certaine délectation même si on ressent de l'angoisse pour la Diane et son équipage.
    Nicolas Grondin aurait pu tomber dans l'écueil qui arrive souvent, à savoir, accumuler les péripéties et, au final, se retrouver avec un bouquin lourdingue et qui donne faux. Mais il a une formidable maîtrise de son intrigue, de son déroulement... À cela il adjoint des personnages travaillés, qui ont tous un passé et une expérience de la vie différente... là-dessus, un soupçon d'aventures et vous obtenez le mélange parfait. C'est un véritable film qui se déroule sous nos yeux et les pages se tournent sans que jamais notre intérêt ne s’émousse ou que notre attention ne baisse.
    J'ai beaucoup aimé que l'auteur nous balade cette fois d'un camp à un autre, ne se cantonnant plus seulement à la seule relation des événements qui se passent sur la Diane. Le fait que l'univers soit bien posé maintenant et les personnages français familiers, l'auteur pouvait se permettre d'élargir un peu le point de vue et de nous laisser voir, en parallèle de l'existence de la Diane, celle du HMS Wizard, le navire anglais. On est toujours censé être dans un récit de voyage, celui de Basile, même si on a du mal à croire que les chapitres consacrés aux Anglais fassent vraiment partie de ses souvenirs à lui, à moins qu'on les lui ai rapportés par la suite. Cela ne m'a pas gênée, ceci dit, au contraire. J'ai trouvé l'idée bonne et tout à fait bienvenue. J'étais tellement prise par l'intrigue que j'avais limite le cœur qui s'emballait à chaque fois que je retrouvais nos fourbes Anglais, m’inquiétant presque pour la Diane et ses marins ! C'est là que je vois que ce roman est réussi et a tenu toutes ses promesses...quand le lecteur parvient à s'investir dans l'intrigue au point de vibrer avec les différents protagonistes est, à mon sens, un bon signe : un gage de qualité devrais-je dire.
    J'ai apprécié ce second tome tout autant que le premier. Je me suis totalement jetée dedans, avec beaucoup de curiosité et d'enthousiasme, consécutif à la forte impression que m'a faite le premier tome ! Je n'ai absolument pas été déçue et j' aurais bien voulu une centaine de pages en plus voire un troisième tome, histoire de faire durer le plaisir.
    Nicolas Grondin et sa saga maritime méritent vraiment d'être connus ! Même si je ne m'attendais pas vraiment à ça avant de commencer ma lecture -au vu du titre et de l'époque je m'attendais à une disparition de navire inexpliquée comme ce qui arrivera à La Pérouse quelques années plus tard-, je n'ai pas été déçue pour autant, bien au contraire. Encore une fois, l'intrigue est servie par le style impeccable de l'auteur et ses connaissances précises, notamment des termes de navigation. Personnellement, je n'y connais absolument rien et ne sait sûrement pas faire la différence entre une frégate et une flûte, par exemple ! Aujourd'hui, grâce à ce roman, j'arrive à faire la différence entre la proue et la poupe et bâbord et tribord ! Mais, je vous rassure, les lacunes que nous sommes sûrement nombreux à avoir, ne gênent en rien la compréhension du roman et un glossaire exhaustif en fin de roman est là pour venir à notre secours, en cas de besoin.
    A travers ce roman, j'ai aussi aimé découvrir de nouveaux paysages, de nouveaux continents et surtout les découvrir au travers du regard d'hommes du XVIIIème siècle. Bien qu'explorés depuis la fin du XVème siècle, tous ces territoires avaient encore un fort goût d'exotisme et de découverte pour tous ces navigateurs qui continuaient d'explorer ces terres et de découvrir encore bien des aspects ignorés de tous ces territoires aux ressources insoupçonnées.
    Bref, vous l'aurez compris, j'ai été transportée et je ressors de cette lecture vraiment enthousiaste et... contente ! Je vous conseille très chaudement cette saga. Lancez-vous !
    Nicolas Grondin, révélé en 2010 par Yann Queffélec et les Nouveaux Auteurs, mérite amplement d'être plus connu et reconnu. Lisez ces bouquins et vous ressortirez amoureux de la mer, des grands espaces et des bateaux... pardon, des navires.
    Une lecture à faire... l'une des meilleures pour moi depuis ce début d'année.

     

    En Bref :

    Les + : une histoire toujours aussi parfaite et bien maîtrisée par l'auteur ; un style impeccable et des personnages attachants et ciselés. Ce roman est une petite merveille du genre, que voulez-vous que je dise de plus ? 
    Les - : Aucun...évidemment ! 

     

     


    8 commentaires
  • « Tu fais partie des bâbordais de la Diane, mon gars. C'est désormais ta seule famille, et pour un moment, crois-moi ! »

     

    Publié en 2012

    Editions Pocket

    379 pages 

    Premier tome de la saga L’Énigme de la Diane 

    Résumé :

    En cette nuit de 1781, Basile, jeune Breton, est entraîné dans les rues malfamées de Brest par son oncle. Pour cet orphelin appelé à prendre sa succession à la tête des Conserveries pontécruciennes, la virée tourne mal : après une nuit d'ivresse, le voilà embarqué de force à bord de la Diane, frégate française en partance pour les Caraïbes. 
    Sous les ordres du capitaine Selcy, le garçon va faire le dur apprentissage du métier de marin. Une grande aventure à travers les mers du monde entier s'ouvre alors à lui...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1781, le jeune Basile, douze ans, est élevé par son oncle et parrain. Habitant à Pont-Croix, en Bretagne, ce dernier est un bourgeois bien installé, propriétaire de conserveries prospères dont Basile est l'héritier.
    Mais tout se complique lorsque, emmené par son oncle à Brest, celui-ci est arrêté par la maréchaussée. Échoué dans une taverne du port, Basile est saoulé par un marin puis se réveille le lendemain à bord d'un navire de la Royale, une frégate plus précisément, appelée la Diane et qui appareille de Bretagne vers les Antilles.
    À bord, Basile va apprendre le fonctionnement d'un navire de guerre, il va apprendre à naviguer aussi, à vivre sur l'eau mais aussi à faire le deuil de son ancienne vie, qui le destinait à devenir un bourgeois, comme son parrain. Mais il se pourrait que Basile n'ait pas été embarqué sur la Diane par hasard... alors pourquoi le jeune garçon plutôt qu'un autre ? Quel est son secret ? Sur ce navire, au milieu d'hommes devenus peu à peu ses compagnons et faisant le coup de feu contre les Anglais, Basile pourrait bien apprendre des choses édifiantes sur lui-même mais aussi sur ses parents, Fanch et Chanig, qu'il a perdus petit et avec qui il vivait heureux à Audierne.
    De l'Iroise aux Caraïbes est le premier tome de la saga en deux volumes L'Énigme de la Diane, écrite par Nicolas Grondin. Né en 1963, l'auteur a notamment été libraire avant de devenir auteur. Il a été découvert en 2010 par Les Nouveaux Auteurs, avec L'Énigme de la Diane, justement et est soutenu par Yann Queffélec lui-même, qui lui a permis de se faire connaître et n'hésite pas à dire ceci de ce premier tome : « J'ai été bluffé, happé par l'histoire...Que vous aimiez la mer ou non, ce livre est un formidable roman d'hommes et d'horizons lointains. [...] GENIAL. »
    Alors, après lecture, suis-je aussi enthousiaste que lui ? Après avoir trouvé très belles les couvertures des deux romans (c'est vrai qu'elles sont belles, vous ne trouvez pas ?), ai-je bien fait de me laisser tenter ? Eh bien la réponse est un grand oui. Oui oui oui et encore une fois oui ! Je valide, j'achète, j'adhère. Il y'a longtemps que je n'avais pas été emportée aussi vite et aussi fort dans un roman d'aventures. Là, on a affaire à un roman peu connu mais qui a tout d'un grand, comme son auteur. Nicolas Grondin mérite d'être reconnu et d'être lu ! Bluffée ? Je l'ai été, indéniablement. Et je confirme : je crois que, que l'on aime la mer ou pas, on parviendra à se plonger dans l'ambiance de ce roman sans aucun problème. Qu'on s'y connaisse en navigation ou pas, on vibrera avec les héros de la Diane. Si au départ, j'ai été un peu perdue, par la grande multiplicité des personnages, qu'il m'a fallu un moment pour replacer et associer chacun à son nom et à sa fonction, une fois tout ceci mis à plat, ce fut un réel plaisir.

    La Lutine, une frégate française du XVIIIème siècle 


    Ce premier roman est d'une qualité époustouflante : fin, précis, le style est juste et racé. Les personnages, presque tous masculins, sont ciselés et finement travaillés. Le roman est extrêmement technique, peut-être trop pour quelqu'un qui, comme moi, n'y connaît rien en matière de navigation et d'organisation de la Marine Royale au XVIIIème siècle. Heureusement, un glossaire très détaillé est disponible en fin de volume. Je vous avouerais néanmoins que certains termes, même après lecture de la définition, sont restés quelque peu confus et abstraits pour moi. Pour autant, je n'ai pas été gênée plus que ça... le roman n'est pas totalement incompréhensible, malgré sa technicité. Il ne faut rien exagérer. Tout bien sûr, ne repose pas là-dessus... le roman est aventureux et les péripéties et rebondissements bien amenés, vraisemblables... quant à l'aspect humain du roman, je l'ai trouvé subtilement traité : Grondin parvient à retranscrire assez fidèlement ce que devait être la cohésion et la solidarité sur un navire de ce genre, l'union qui se crée entre des hommes des conditions et origines diverses, qui se battent pourtant et se démènent pour la même chose : pour survivre et pour servir le roi, malgré les doutes, malgré la peur, malgré les dangers innombrables, rendus plus effrayants encore sur les navires qu'au sol. Surtout, leur amour et leur respect pour le navire qui les porte, la Diane, est palpable, comme si elle était un camarade à part entière, dont il faut prendre un grand soin.
    Petit à petit, Basile va s'habituer à cette vie bien particulière, va s'attacher lui aussi à la frégate, connaître le baptême du feu et montrer qu'il a toutes les qualités requises pour devenir un bon marin de la Royale et même s’éveiller pour la première fois aux délices de l'émoi amoureux... Aux Antilles, il découvrira aussi un mode de vie différent et la dure loi de l'esclavage et des plantations.
    Le fait que le récit soit à la première personne nous rend Basile, le héros et narrateur, très attachant et ce, dès le départ. En ouvrant le livre, j'avais un peu peur, je ne savais pas si je parviendrais à m'attacher à un personnage si jeune, à peine un adolescent. Au final, oui, parce que c'est un Basile plus âgé qui se raconte. Parfois, la narration se fait plus omnisciente mais il s'avère que c'est toujours Basile qui raconte, comme s'il relatait alors des souvenirs auxquels il est étranger, qu'on lui a racontés, et qu'il retranscrit ensuite : j'ai aimé l'habileté de l'auteur à passer d'un style direct à un qui l'est subtilement beaucoup moins. Le style d'écriture de l'auteur n'en est pas simplifié ou réduit, au contraire, ce qui aurait pu advenir s'il avait prêté sa plume à un jeune narrateur : j'ai aimé la façon d'écrire de l'auteur, ses phrases sont dynamiques, elles virevoltent. Grondin est autant à l'aise avec les traits d'humour que dans la narration d'une prise de port. Sa plume sait se faire touchante ou plus incisive...
    Bref, ce premier tome de L'Énigme de la Diane a été une bonne surprise. J'avais envie de voyager, j'avais envie d'exotisme. J'ai eu les deux, en me plongeant dans ce roman. Le fait que l'histoire se passe, avec en toile de fond, un contexte riche n'est bien sûr pas pour me déplaire. Nicolas Grondin situe son roman au début des années 1780, alors que la Guerre d'Indépendance américaine fait rage, Anglais et Français en profitant pour s'écharper sur les mers et se disputer leurs colonies respectives... C'est une époque riche mais pas souvent abordée depuis le point de vue choisi par l'auteur, à savoir, celui des marins. 
    Bref, vous aurez sûrement compris que j'ai été séduite par ce roman ! J'y ai tout aimé et n'ai pas trouvé le moindre petit défaut !
    Alors vous m'excuserez mais il faut que je vous laisse maintenant pour aller me plonger sans plus tarder dans le deuxième tome ! 

    Combat de la Belle Poule, navire français et de l'Arethusa, navire anglais, en 1778

    En Bref :

    Les + : un roman enlevé et précis, d'une grande technicité, ce qui le rend hautement crédible, bien évidemment ; le style de l'auteur également.
    Les - : Aucun. 


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