• Les Déracinés, tome 4, Un invincible été ; Catherine Bardon

    « Je me disais que décidément notre bout du monde était un havre des exilés de leur terre de naissance, de leur destin, de leur histoire. »

    Couverture Les déracinés, tome 4 : Un invincible été

     

     

     

      Publié en 2022

     Éditions Pocket

     464 pages 

     Quatrième tome de la saga Les Déracinés

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Depuis son retour à Sosúa, en République dominicaine, Ruth se bat aux côtés d'Almah pour les siens et pour la mémoire de sa communauté, alors que les touristes commencent à déferler sur l'île. Passionnée, sa fille Gaya affirme son indépendance et part étudier aux Etats-Unis, où Arturo et Nathan mènent leurs vies d'artistes. 
    La tribu Rosenheck-Soteras a fait sienne la maxime de la poétesse Salomé Ureña : C'est en continuant à nous battre pour créer le pays dont nous rêvons que nous ferons une patrie de la terre qui est sous nos pieds.
    Mais l'Histoire, comme toujours, les rattrape : de l'attentant du World Trade Center au terrible séisme de 2010 en Haïti, en passant par les émeutes en République dominicaine...chacun devra tracer son chemin, malgré les obstacles et la folie du monde. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Avec Un invincible été (qui tire son nom d’un texte d’Albert Camus, L’Été) se termine la saga historique et familiale Les Déracinés, commencée en 1940 avec l’exil d’Almah et Wilhelm Rosenheck, deux Juifs autrichiens qui quittent leur pays après l’annexion par le IIIème Reich. Trouvant refuge en République dominicaine, où ils seront à l’origine, avec d’autres pionniers, de la colonie de Sosúa. C’est là que naît en 1940 leur fille cadette Ruth, qui sera la narratrice de la suite de l’histoire, jusqu’à son achèvement en 2013.
    Ce quatrième tome couvre donc une période allant du début des années 1980 jusqu’au début des années 2010. Les générations se bousculent alors que l’île commence à entrer dans la modernité, à se frotter à un tourisme de plus en plus galopant qui, quarante ans plus tard, a endommagé les plages et la nature dominicaines. L’époque contemporaine est aussi celle des traumatismes, avec l’attentat du World Trade Center en 2001 puis le séisme qui détruit Haïti en 2010. La République dominicaine elle-même n’en a pas fini avec ses vieux démons : après les « règnes » dictatoriaux de Trujillo (qui, paradoxalement, fut celui qui offrit l’asile à des centaines de Juifs européens au début de la Seconde guerre mondiale) et de son successeur Balaguer, l’île a du mal à voir la démocratie s’installer durablement et la corruption et le banditisme continue de gangréner sa politique. Et les touristes américains et européens voisinent avec des populations locales au mode de vie modeste pour ne pas dire pauvre.
    Pourtant, la République dominicaine est le havre de paix du clan Rosenheck-Soteras, des enfants d’Almah et Wil et de leurs petits-enfants. En ces années 1980, Ruth aborde l’âge mûr et connaît une dernière maternité, avec la naissance de son dernier fils Tomàs, en 1980. Elle voit sa fille Gaya, pleine d’idéaux, quitter le nid pour tourner son regard vers les Etats-Unis, comme elle-même l’avait fait dans les années 1960, assistant à des événements aussi marquants que la marche pour les droits civiques de Martin Luter King. Avec avant-gardisme, Gaya s’intéresse et se préoccupe de la sauvegarde de la nature et des espèces animales, étudiant la biologie pour vivre son rêve : travailler aux plus près des baleines, qui la fascinent depuis toujours. A l’inverse, son frère cadet David embrasse une carrière dans la haute finance, s’installant à New York, où il occupe un poste éminent dans une banque réputée de Wall Street : jusqu’au jour terrible du 11 septembre 2001, qui remet tout en cause pour le jeune homme…Tomàs, le dernier fils de Ruth et Domingo est quant à lui un terrien comme son oncle Frederick, attaché à sa terre dominicaine et ne souhaitant qu’une chose, reprendre l’activité agricole de son oncle…
    La famille Rosenheck est un formidable exemple de cette transplantation européenne réussie sur un petit caillou des Caraïbes. Car ce que raconte Catherine Bardon dans sa saga familiale, si c’est un récit fictif, est basé malgré tout sur une histoire authentique : alors que font rage en Europe les lois anti-juives, des centaines de Juifs allemands et autrichiens fuient leur pays. Comme Almah et Wil, des familles s’installent en République dominicaine, fondant des communautés hybrides qui, peu à peu, vont se fondre dans la culture locale. On y parle allemand et yiddish mais aussi espagnol, on y vit à l’heure caribéenne et on y danse aussi bien le merengue que les valses viennoises.

    Instants de célébration à Sosua, dix ans après l’installation de la colonie juive d’El Batey.

    1950, dix ans après l’installation de la colonie juive d’El Batey, des célébrations ont lieu à Sosúa

    Paradoxalement, alors qu’elles fuyaient la dictature violente d’un fou en Europe, c’est d’un autre dictateur que viendra leur salut : Rafael Trujillo, président totalitaire de la République dominicaine offrira aux exilés juifs des terres et la possibilité de s’installer dans son pays. Ce n’est pas une œuvre philanthropique pour autant, loin de là. Il est très probable que l’idée première du dictateur ait été de « blanchir » la population dominicaine. Il proposera d’accueillir près de 100 000 Juifs européens lors de la conférence d’Evian de 1938. Au final, avec l’aide financière du Joint (American Jewish Joint Distribution Committee), ce sont 645 personnes qui seront accueillies à Sosúa et y feront souche, créant ainsi une petite communauté polymorphe et aux racines multiples.
    En s’intéressant à l’histoire de ces familles, ces échoués de la vie, ces exilés, Catherine Bardon a imaginé sur plus de soixante-dix ans l’existence d’une famille d’origine viennoise, dont la réalité couchée sur papier a été celle de centaines de gens ayant bel et bien existé : quand s’ouvre Un invincible été, bien des pionniers ont disparu ou quitté la République dominicaine. Pour eux s’ouvre l’ère de la vieillesse et l’urgence de la mémoire. Pour leurs descendants, alors que les décennies les séparent de plus en plus des traumatismes de la Seconde guerre mondiale, c’est le besoin pressant de réponse à leurs questions, de connaître leurs racines ou de renouer avec elles, qui les poussent parfois, à entreprendre une sorte de pèlerinage sur les terres d’enfance et de jeunesse des leurs. Pour les Rosenheck, le lien avec l’Autriche va se renouer via Ruth et Gaya.
    Comme toujours, les petites histoires des Rosenheck et des autres (Myriam, Aaron, Nathan, Arturo…) se déroulent en filigrane de la grande Histoire. Si l’époque contemporaine s’accompagne de grands progrès, elle est aussi symbole de morosité et d’incertitudes : tandis que l’île s’ouvre au reste du monde dans les années 1980, le spectre du sida fait craindre à des millions de gens pour leur vie, les années 1990 sont marquées par une instabilité politique forte qui fait suite aux longs mandats dictatoriaux de Trujillo puis de Balaguer. Les années 2000 confrontent le monde entier à l’horreur terroriste avant l’attentant du 11-septembre et les premières inquiétudes pour le climat et les changements qu’entraîne un réchauffement global de la terre apparaissent, en même temps que des revers financiers et des récessions qui font suite aux temps d’insouciance de l’après-guerre.
    Mais l’actualité morose voire anxiogène qui est le lot de tous aujourd’hui laisse parfois la place à des moments de bonheur pur : de simples réunions de familles, des naissances, des mariages, des gens qui tombent amoureux…comme partout ailleurs, le cœur de Sosúa bat vite et s’emballe bien souvent, comme pour conjurer le mauvais sort.
    Aussi beau que nostalgique et mélancolique (parce que ce dernier tome est aussi celui des adieux et de la vieillesse), Un invincible été m’a souvent beaucoup émue et serré le cœur. La nostalgie qui tapisse ses pages n’a rien de pathétique pour autant mais elle vous prendra parfois aux tripes sans prévenir. Les personnages que nous avions suivis depuis le début ont vieilli, certains, on le pressent, vont disparaître…c’est le cycle inexorable de la vie avec ses naissances, ses morts, ses joies les plus intenses comme ses peines les plus tristes.
    Il est certain que les trois tomes qui suivent Les Déracinés ne sont pas aussi riches que le tout premier. Celui-ci est sans nul doute l’une de mes plus belles lectures de l’année 2020, si ce n’est la plus belle lecture. J’ai trouvé que L’Américaine puis Et la vie reprit son cours et enfin Un invincible été, que je viens de terminer, sont moins denses, quoique tout aussi bien documentés. Pour autant, ces quatre tomes, je pense ne vont pas l’un sans l’autre et je remercie Catherine Bardon de nous avoir donné la possibilité de connaître la suite. Après tout, elle aurait pu s’arrêter au bout des Déracinés et nous offrir une simple fresque historique. Ici, à la fresque historique, elle ajoute aussi la saga familiale, développant toute une communauté, nous la faisant aimer, nous faisant sentir presque partie prenante d’elle et j’ai beaucoup aimé ce voyage dominicain d’abord en compagnie d’Almah et Wil puis de leur fille Ruth, viscéralement attachée à sa terre, plus dominicaine qu’autrichienne, pure produit de cette acculturation qui ne s’est pas faite par choix mais aura donné des bourgeons d’espoir, parce que souvent de la laideur naît aussi de la beauté.
    Je termine ce tome le cœur un peu serré parce que je sais que je ne les retrouverais plus. Pour autant, est-ce que cela aurait eu du sens d’aller plus loin ? Peut-être pas. En mettant un point final à saga en 2013, Catherine Bardon nous laisse imaginer la suite…et on espère encore une longue vie à Ruth, Gaya et tous les autres, dans un avenir que nous sommes désormais seuls à pouvoir envisager.

    Le petit musée juif de Sosua concentre surtout des photos qui racontent les débuts de la colonie juive d'El Batey, dans le nord de l'île.

    Le musée juif de Sosúa

    En Bref :

    Les + : un dernier tome, plein de nostalgie et de souvenir. Je l'ai refermé avec regret, laissant derrière moi des personnages que j'ai beaucoup aimés. 
    Les - :
    des dialogues parfois un peu artificiels qui font perdre un peu de spontanéité au texte.


    Les Déracinés, tome 4, Un invincible été ; Catherine Bardon

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle  

     

    • Envie d'en savoir plus sur Les Déracinés ? Retrouvez ici mes chronique des trois premiers tomes :

     

    Les Déracinés

    L'Américaine 

    Et la vie reprit son cours


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