• Mémoires : du règne de Louis XVI à 1820 ; Adèle d'Osmond, comtesse de Boigne

    « Je crois à l'éducation du manteau de la cheminée. Lorsqu'on a passé son enfance à entendre les principes d'une saine morale, simplement professés, et à les voir sans cesse mettre en pratique, il se forme autour d'une jeune personne un réseau d'adamant dont elle ne sent ni le poids ni la force mais qui devient comme une seconde nature. »

     

     

     

           Publié en 1999

       Date de parution originale : entre 1921 et 1923 en     texte intégral

       Éditions du Mercure du France (collection Le temps     retrouvé)

       764 pages

       Premier tome des Mémoires de la comtesse de Boigne

     

     

     

    Résumé :

    Couvrant près de soixante-dix ans, les Mémoires de la comtesse de Boigne occupent une place à part dans la littérature de souvenirs, ne serait-ce que par la richesse de leur information et la qualité exceptionnelle de leur style. Document irremplaçable sur toute la période qui va des dernières années de l'Ancien Régime à la révolution de 1848, ces Mémoires ont fait de la comtesse de Boigne, depuis leur première publication en 1907, un personnage quasi mythique. Elle passe pour le caustique avocat du diable de tous les procès en canonisation de ses contemporains, la plus célèbre de ses victimes étant Chateaubriand. Ces Mémoires sont également l’œuvre d'une extraordinaire psychologue, impitoyablement lucide, qui démonte les rouages d'une société qu'elle a si bien observée et dénonce sans relâche la bêtise de sa classe sociale. Proust, qui en fut l'un des premiers lecteurs, s'enthousiasma pour les Mémoires de la comtesse de Boigne dont il salua la publication et dont il s'inspira directement pour son œuvre personnelle.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Si vous aimez le XVIIIème siècle, vous avez déjà sûrement croisé le nom d’Adèle d’Osmond, comtesse de Boigne, qui se vante dans ses mémoires, d’avoir été « élevée sur les genoux de la reine Marie-Antoinette ». A l’instar de Saint-Simon qu’il est difficile de ne pas citer lorsqu’on parle du règne de Louis XIV, le souvenir de la comtesse de Boigne est souvent convoqué par les historiens lorsqu’il s’agit d’évoquer le règne de Louis XVI, mais aussi la Révolution, l’Empire et la Restauration, jusqu’à la monarchie de Juillet.
    Adèle d’Osmond, qui devient comtesse de Boigne par son mariage en 1798, est aussi connue pour avoir la dent dure et égratigner plus souvent qu’à son tour ses contemporains d’une plume acérée et efficace et notamment son contemporain Chateaubriand, autre célèbre mémorialiste.
    Publiés entre 1921 et 1923 à la suite d’une longue bataille judiciaire (en effet, les ancêtres de certains personnages peu ménagés par la comtesse de Boigne dans ses Mémoires, demandaient le retrait de la vente des volumes), ses célèbres Mémoires, rassemblés ici en deux volumes par Le Mercure de France, n’auraient normalement pas dû dépasser le cercle familial : en effet, la comtesse de Boigne, sous la monarchie de Juillet, entreprend de les rédiger pour ses neveux, sous le titre très simple de Récits d’une tante. Au départ, ses mémoires ne devaient pas être lus par le grand public et n’étaient pas destinés à être publiés.
    Découverts avec enthousiasme au début du XXème siècle, les Récits d’une tante d’Adèle d’Osmond ont été lus avec délices par Marcel Proust (dans une version expurgée publiée en 1907-1908), qui s’en inspira pour A la recherche du temps perdu et prit la comtesse de Boigne pour modèle de son personnage de Mme de Villeparisis.
    Née en 1781, Adèle d’Osmond est la fille de René Eustache, quatrième marquis d’Osmond et d’Eléonore Dillon, d’origine irlandaise. Par son père, elle est issue de la bonne noblesse française, installée dans les colonies : en effet, son père est né en 1751 à Saint-Domingue, l’une des plus florissantes colonies antillaises françaises au XVIIIème siècle. Il fut ensuite envoyé en France par son propre père pour y parfaire son éducation de gentilhomme et fera une carrière dans la diplomatie, en occupant notamment le poste d’ambassadeur de Londres sous Louis XVIII, à la fin des années 1810.
    Lorsque Adèle naît, au début des années 1780, on ne sait pas encore que la monarchie est moribonde et n’a plus qu’une dizaine d’années à vivre. Ses parents sont proches du cercle des tantes du roi, Mesdames Adélaïde et Victoire : élevée près d’eux, ce qui est plutôt rare à l’époque et dans ce milieu, la petite fille va être amenée à fréquenter la famille royale et notamment les enfants du couple royal. Contemporaine du premier Dauphin, le petit prince Louis-Joseph, mort à Meudon en juin 1789, elle sera sa compagne de jeu et connaîtra aussi dans leur prime enfance Madame Royale et le petit prince Louis-Charles, le malheureux Louis XVII. Prise très au sérieux par son père, l’éducation d’Adèle est soignée et relativement poussée pour l’époque, la jeune fille étant notamment initiée par son père aux subtilités de la politique et de l’économie.
    Mais l’insouciance sera de courte durée : la petite Adèle a huit ans quand éclate la Révolution. La proximité de ses parents avec la famille royale et notamment le cercle des tantes du roi, décide René Eustache et Eléonore d’Osmond à quitter le pays et à émigrer. Adèle expérimente donc ainsi avec ses parents la vie itinérante pendant quelques mois avant que les Osmond ne se fixent à Londres, où la jeune fille va passer la fin de l’enfance et les primes années de son adolescence. Elle n’a pas encore vingt ans lorsque, en 1798, elle épouse Benoît de Boigne, aventurier d’origine savoyarde et de trente ans son aîné, avec lequel elle entretient dès les noces des liens si distendus que le couple ne tarde pas, d’un commun accord, à se séparer. Proche de ses parents et tout particulièrement de son père (la comtesse de Boigne dira d’ailleurs dans ses Mémoires que son époux concevait une véritable jalousie de la relation privilégiée qu’elle entretenait avec son père), laissée libre par son époux revenu s’établir en Savoie dès 1802, Adèle suivra les d’Osmond à Turin puis Londres lorsque son père sera nommé ambassadeur et partagera longuement leur existence. Revenue en France sous l’Empire, malgré son royalisme (mâtiné toutefois de libéralisme anglais, du fait des longues années passées outre-Manche), elle se lie notamment avec Mme de Staël et Mme Récamier.
    Témoin de premier choix d’une époque riche et pleine de bouleversements, il aurait été dommage que les Mémoires de la comtesse de Boigne ne restent qu’une « affaire de famille » et ne soient pas diffusés au grand public.
    Dans ce premier tome, la comtesse se consacre à la fin du XVIIIème siècle et aux vingt premières années du XIXème. Par sa naissance illustre, sa proximité avec la famille royale puis avec la famille d’Orléans, ses activités de salonnière, Adèle de Boigne touche du doigt les cercles du pouvoir et y côtoie les grands de ce monde. Loin de s’étendre sur sa propre vie, même si évidemment, il est difficile de ne pas partager ses souvenirs, essayant le plus possible de faire preuve d’objectivité, la comtesse s’attelle à la rédaction d’un récit dense, riche d’événements et de personnages (on y croise ainsi Louis XVI, Marie-Antoinette, des révolutionnaires, des généraux d'Empire, l'Empereur Napoléon lui-même, le vieux roi George III et ses enfants, Louis XVIII, ses neveux et nièces, les diplomates, les hommes politiques, les salonnières...). Sa plume est-elle si acérée comme on le dit souvent ? Dans ce premier volume, je ne l’ai pas trouvée aussi tranchante qu’on n’a bien voulu le dire même si, forte de son éducation « à l’anglaise », Adèle ne s’embarrasse pas de circonlocutions et appelle un chat, un chat.
    Ce qu’on retient surtout, c’est le récit : s’il est difficile, quand on a lu Chateaubriand précédemment, de ne pas comparer les célèbres Mémoires d’Outre-tombe et ceux d’Adèle de Boigne, on se rend compte assez vite qu’ils sont très différents. Évidemment, en tant que femme, la comtesse ne peut accéder à la carrière politique et diplomatique qui sera celle de Chateaubriand…ce n’est donc pas à travers le même prisme que les deux mémorialistes voient et analysent les mêmes événements. Enfin, s’ils partagent une même sensibilité royaliste, la comtesse sera bien moins légitimiste forcenée que son illustre homologue breton.

    Adélaïde d'Osmond,comtesse de Boigne par Jean-Baptiste Isabey.jpg

    Portrait de la comtesse de Boigne par Jean-Baptiste Isabey (XIXème siècle)


    Cette lecture est exigeante et demande une véritable concentration. On ne lit pas des Mémoires, à plus forte raison vieux de plus de cent-cinquante ans et écrits dans un langage très soutenu qui n’est plus le nôtre, aussi vite qu’un roman. Mais je me suis souvent fait la réflexion, au cours de cette lecture, que j’aime de plus en plus les Mémoires, notamment parce qu’ils sont un bon complément aux biographies historiques, que j’apprécie aussi de lire régulièrement.
    Alors je ne vous dirais pas que j’ai toujours été captivée et que ce fut une lecture fluide de bout en bout. Il y a certains passages qui m’ont paru plus flous, plus obscurs que d’autres. Pour autant, j’ai pris plaisir à lire ce premier volume, même si j’y ai passé près de trois semaines (oui, oui : si vous aimez lire vite, passez votre chemin). La comtesse de Boigne écrit très bien et j’ai apprécié qu’elle se mette volontairement de côté pour ne se concentrer que sur les événements, les personnages, la description du quotidien dans les Cours de France ou d’Angleterre ou, de façon plus large, la société à Londres ou Paris. Il n’est pas évident de se laisser ainsi volontairement au bord du chemin, alors qu’il est tentant (et assez humain, il faut bien le dire) de raconter sa vie et de céder à l’égocentrisme. J’ai été aussi sensible au fait que la comtesse de Boigne rappelle bien souvent qu’elle essaiera, dans la mesure du possible, d’être objective, ce qui aujourd’hui est l’un des principes de l’historien, qui doit toujours manipuler les sources avec recul et circonspection. Évidemment que la comtesse n’est pas toujours objective et ne peut pas l’être ! En tant que royaliste, elle ne sera évidemment pas une admiratrice fanatique de Napoléon et de l’Empire…et pourtant, bien souvent, la comtesse a une subtilité et une finesse politique suffisamment fortes pour analyser les choses avec justesse, au-delà des luttes de partis et des sensibilités personnelles et rendre à César ce qui est à César : on peut être royaliste et condamner les agissements du parti (notamment les ultras menés par Monsieur), tout en relevant et louant le comportement honorable des Impériaux, quand cela est le cas et doit être souligné, sans se draper dans une fausse loyauté qui pourrait passer pour de la mauvaise foi. J’ai ainsi retrouvé ce récit nuancé que j’avais déjà pu trouver chez Mme d’Oberkirch, par exemple, proche de Marie-Antoinette et qui analysa sans indulgence les excès de la fin de la monarchie et les faux-pas qui finirent par mener à la détestation et ce, malgré son amitié pour la reine de France.
    Adèle de Boigne nous offre ainsi un récit plein de rigueur, qui peut être sans nul doute considéré comme une source de premier plan, à l’instar de Châteaubriand. Même si je vais attendre un peu, je sais d’ores et déjà que c’est avec plaisir et intérêt que je lirai le deuxième volume, consacré au règne de Charles X (marqué par la toute-puissance du parti ultra, qui mènera à la Révolution de 1830) et à la Monarchie de Juillet.

    En Bref :

    Les + : une lecture dense mais exigeante...J'y ai passé du temps mais je ne regrette pas. La comtesse de Boigne mérite d'être considérée au rang des meilleurs mémorialistes français, offrant un récit nuancé et agréable à lire. 
    Les - :
    pas vraiment de points négatifs à soulever. J'ai vraiment eu l'impression de lire une source historique de premier plan.


    Mémoires : du règne de Louis XVI à 1820 ; Adèle d'Osmond, comtesse de Boigne

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

    Envie de découvrir d'autres célèbres mémorialistes ? 

     

    Découvrez mon billet sur les Mémoires de la baronne d'Oberkirch juste ici

     

    Et mes billets sur les monumentaux Mémoires de Chateaubriand : 

     


    Tags Tags : , , , , , ,
  • Commentaires

    1
    Dimanche 2 Octobre 2022 à 17:03

    Je suis très tentée par cette lecture, même si elle n'est pas facile comme tu le soulignes. J'ai plusieurs livres de cette collection, des mémoires qu'il faut que je prenne le temps de lire, passionnée par le XVIIIe siècle que je suis ! :-) Je ne connais pas la comtesse mais ce sera un moyen de le savoir !

      • Mardi 4 Octobre 2022 à 22:02

        Ce n'est jamais facile, les Mémoires, mais c'est tellement passionnant. C'est sûr que ça ne se lit pas aussi vite ni aussi facilement qu'un roman mais bon...je suis sûre que ça pourrait te plaire. ^^ Même carrément, même si ce premier tome brosse un portrait assez rapide de la fin du XVIIIème siècle.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :