• « Les Romanov, une histoire longue de trois siècles, scandés par douze règnes, une série de monarques intermittents, de faux tsars, des coups d'Etat, des complots, des meurtres : ne dirait-on pas là un extraordinaire roman policier ? »

    Les Romanov, une dynastie sous le règne du sang

     

    Publié en 2013

    Editions Le Club Histoire (collection Le Grand Livre du Mois)

    442 pages

    Résumé :

    En 1613, les Romanov ont été portés sur le trône de Russie à l'issue de siècles tragiques où le pouvoir a été transmis ou conquis par le meurtre. De 1613 à 1917, quinze souverains dont trois femmes ont incarné la dynastie. Les Romanov ont gouverné un empire devenu le pays le plus étendu du monde - ce qu'il est encore en 2013.                                                                                             Cette dynastie exceptionnellement brillante, certains empereurs -Pierre le Grand, Catherine II, Alexandre II- comptent parmi les plus hautes figures de l'histoire universelle, a permis à la Russie de devenir une très grande puissance européenne puis mondiale. Pourtant, le sang n'a cessé de couler au pied du trône. De là, trois questions, l'histoire russe a-t-elle créé les conditions de cette violence ininterrompue ? Le destin tragique de cette dynastie était-il écrit dans son passé : invasions, cultures, religions diverses qui se mêlaient sur la terre russe ? Ce rapport inédit du pouvoir légitime et de la violence conduisaient-ils inéluctablement à la tragédie finale et au système totalitaire dont la capacité de durer et la violence furent non moins exceptionnelles ?   

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Pierre le Grand, fondateur de Saint-Pétersbourg

    Les Romanov sont aujourd'hui indissociables de l'Histoire russe et pourtant, ils ne régnèrent sur ce grand empire eurasien que pendant trois siècles, de 1613 à 1917, avant que la Russie ne bascule dans l'ère du communisme. Mais cette dynastie, riche d'une histoire à part entière, faite de meurtres, de complots, de sang, est aussi une dynastie flamboyante, qui a livré au pays de grands souverains tels Pierre le Grand, contemporain de Louis XIV et Louis XV, Catherine II, Alexandre Ier, Alexandre II, qui abolit le servage dans la seconde moitié du XIXème siècle.
    Cette lignée est riche aussi en destins foudroyés qu'on pourrait presque croire inhérents à l'Histoire russe, tant celle-ci regorge de meurtres et autres morts plus ou moins violentes. Les Romanov, bien que se distinguant par certains aspects de leurs croyances et de leur administration, ne sont en fait que les successeurs des Riurikides, qui ont régné sur la Russie du IXème au XVIème siècle dont ils vont, peut-être inconsciemment s'inspirer. Les premiers, qui symbolisent la vieille Russie, ancestrale et traditionaliste ne manqueront jamais de réapparaître dans la façon de gouverner des seconds, comme autant de rappels du passé. Ainsi, même les plus éclairés des souverains Romanov, comme Pierre le Grand et Catherine II, définitivement tournés vers l'Occident, n'échapperont pas, parfois, à des accès d'obscurantisme qui ne sont pas sans rappeler les premiers tsars qui gouvernèrent dans la violence et le sang -on peut penser par exemple à l'emblématique figure d'Ivan le Terrible, avec qui s'achèvera d'ailleurs la dynastie des Riurikides, le tsar ayant, dans un accès de colère, assassiner son fils et héritier.

    Catherine II (Fiodor Rokotov, 1770)


    Les Romanov vont monter sur le trône après une période que les historiens appellent le Temps des Troubles et qui suivit la mort d'Ivan IV à la fin du XVIème siècle. Michel Ier fera figure d'un souverain réformateur, stable, qui apporta à son pays un apaisement bienvenu après le règne bouleversé de Boris Goudounov et le surgissement d'une multitude de faux tsarévitch Dimitri -le malchanceux fils d'Ivan IV. Ce mythe de la survivance, éminemment russe et que l'on retrouvera même à l'époque contemporaine, avec les pseudo-Anastasia, ne cessera jamais de réapparaître au cours des siècles, comme les sursauts de l'Eglise ou des paysans, tenants de la vieille Russie, face aux tsars Romanov qui s'occidentalisent de plus en plus.
    Hélène Carrère d'Encausse, de l'Académie Française et historienne réputée de la Russie, nous livre ici un livre intéressant et complet. En forme d'essai, découpé en plusieurs chapitres biographiques et chronologiques, nous y retrouvons des portraits des empereurs mais aussi tous les éléments géopolitiques et événements importants de leurs règnes respectifs : cet aspect là est d'ailleurs plus développé que les portraits disons plus privés des différents empereurs. On peut déplorer quelques passages un peu techniques parfois et qui peuvent nous paraître un peu confus mais ce livre permet aussi de prendre conscience d'une chose : c'est que la Russie, qui est pourtant notre voisine, reste un pays à part. Déjà, de part sa superficie, l'empire russe fut soumis et cela, depuis ses origines, à des influences diverses, au sein même de ses frontières. Et si l'ouest lorgne vers l'Occident, son grand rêve, le reste du pays, sauvage et souvent peuplé de rebelles, lorgne plutôt vers l'Asie et même l'Amérique -il ne faut pas oublier que seul le détroit de Behring sépare l'est de la Russie de l'Alaska. Si la religion orthodoxe et donc, l'héritage grec et byzantin persistent dans les croyances russes, les Romanov et leurs sujets devront aussi affronter des fois dissidentes, comme le catholicisme, le protestantisme et l'islam. Ouverte sur le monde qui l'entoure tout en se recroquevillant aussi sur son passé, les origines qui font son essence, la Russie est un pays ambivalent et définitivement différent des autres. Si on peut retrouver des analogies entre les développements des autres pays d'Europe, ce n'est pas le cas de ce grand empire du nord. Mais l'histoire de la Russie n'en est pas moins intéressante et, à travers les descriptions des règnes des Romanov, c'est aussi le portrait d'un grand pays qui s'esquisse, un pays à l'identité forte et marquée qui n'en reste pas moins écartelé entre ses désirs d'expansion et sa crispation instinctive sur ses traditions.
    Enfin, on ne peut que s'émouvoir de la montée du terrorisme politique qui coûta si tragiquement la vie à Alexandre II et à son petit-fils -ainsi qu'à toute la famille de celui-ci ainsi que ses serviteurs-, Nicolas II. Et si Pierre le Grand, sa fille Elisabeth Ière, l'inévitable Catherine II ou encore Alexandre Ier, vainqueur de Napoléon en 1812, personnifient l'aspect glorieux et flamboyant, d'autres, comme Pierre III, son fils Paul Ier, le malheureux Ivan VI ainsi qu'Alexandre II et Nicolas II, précédemment cités, symbolisent plutôt cette violence latente qui a agité la société russe, société qui n'hésite pas à recourir au meurtre pour faire entendre ses idées. Ce livre est intéressant, bien écrit, dépaysant et exotique par certains côtés. A conseiller aux amoureux d'Histoire en général et à ceux qui aiment la Russie en particulier.


    Nicolas II, l'impératrice Alexandra Feodorovna et leurs enfants, Alexis, Olga, Maria, Anastasia et Tatiana

    En Bref :

    Les + : un essai historique et biographique bien tourné, synthétique tout en étant complet et exhaustif.
    Les - : des passages un peu trop techniques.


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  • « La force et l'endurance des rêveurs est parfois comparable à celle des aliénés. »

    L'Eau des Collines, tome 1, Jean de Florette ; Marcel Pagnol

    Publié en 2004

    Date de publication originale : 1962

    Editions du Fallois (collection Fortunio)

    280 pages

    Premier tome de la saga L'Eau des Collines

     

    Résumé :

    Au village des Bastides Blanches, on hait ceux de Crespin. C'est pourquoi lorsque Jean Cadoret, le Bossu, s'installe à la ferme des Romarins, on ne lui parle pas de la source cachée. Cela facilite les manœuvres des Soubeyran, le Papet et son neveu Ugolin, qui veulent lui racheter son domaine à bas prix...

    Jean de Florette (1962), premier volume de L'Eau des Collines, marque, trente ans après Pirouettes, le retour de Pagnol au roman. C'est l'épopée de l'eau nourricière sans laquelle rien n'est possible.                                                                                                                                                         Marcel Pagnol y développe l'histoire du père de Manon, évoquée sous forme de flash-back dans le film Manon des Sources (1952). Les dialogues sont savoureux, et la prose aussi limpide que dans les Souvenirs d'enfance. Quant au Papet et à Ugolin, à la fois drôles et terrifiants, ils sont parmi les créations les plus complexes de Pagnol. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Nous sommes dans les années 1920 -la date n'est pas précisée-, quelque part en Provence. Ugolin, qui revient du service militaire, fait part à son oncle, le Papet, de son projet : il aimerait cultiver les œillets à grande échelle pour les revendre ensuite à la ville, à Aubagne et pourquoi pas, jusqu'à Marseille. La famille Soubeyran, dont le Papet et après lui Ugolin sont les derniers représentants, est riche et possède de bonnes terres sur la commune des Bastides Blanches mais dans ces terres arides des contreforts de la Provence, l'eau devient vite problématique pour une exploitation massive. C'est alors que le Papet a l'idée de racheter le mas des Romarins, qui appartient à Marius, dit Pique-Bouffigue, mas qui possède une belle source dans ses terres. A la mort de celui-ci, pourtant, Ugolin et le Papet ne parviennent pourtant pas à mettre à exécution leur plan, car un étranger arrive alors de la ville, avec femme et enfant. Cet homme, Ugolin l'apprendra vite, est le fils de Florette, des Bastide, qui s'était mariée dans le bourg voisin et ennemi de Crespin. Alors, parce que c'est un étranger et parce que les Soubeyran n'ont pas cessé de convoiter le mas et ses champs, ils vont boucher la source. Le nouveau venu, trop optimiste, va alors se tuer à la tâche pour des chimères, sous les yeux de plus en plus coupables d'Ugolin, indifférents du Papet et des gens du village qui estiment que les histoires des autres ne les regardent pas.

    Gérard et Elizabeth Depardieu (Jean et Aimée Cadoret) et Daniel Auteuil (Ugolin) dans l'adaptation de Claude Berri (1986)


    Jean de Florette est le premier tome, écrit en 1962, d'une saga en deux volumes, L'Eau des Collines, qui comprendra également, un an plus tard, le célèbre Manon des Sources. Une fois n'est pas coutume, le cinéma n'a pas adapté la littérature, mais le contraire : en effet, Pagnol s'est inspiré des films, tournés dix ans plus tôt, pour écrire cette petite saga, qui reviendra ensuite au cinéma dans les années 1980 avec des interprètes marquants comme Daniel Auteuil dans le rôle d'Ugolin, Yves Montand dans celui du Papet et Emmanuelle Béart dans celui de Manon adulte.
    Il décrit l'histoire cruelle de deux hommes qui ont de l'argent et qui sont prêts à tout pour en avoir plus ( « Mais moi, Papet, je l'aime, l'or ». comme le confessera Ugolin dans Manon des Sources sans qu'il ait besoin de le mentionner tant cela se sent dès le début). Et comme le dit le résumé, Ugolin et le Papet sont aussi drôles que terrifiants. Drôles parce qu'ils font partie de ces personnages ciselés, hauts en couleur, truculents, sortis de tout temps de l'imaginaire de Pagnol. Ils sentent la Provence, les lavandes, le chant des cigales...mais ils sont en même temps terrifiants, de par leur rouerie, leurs basses manœuvres visant à ruiner un homme jusqu'à l'irréparable. Et pour autant, on ne les déteste pas, parce qu'à un moment ou un autre, l'humanité, flagrante, déniée par eux pendant leurs terribles manigances, refait surface dans sa plus criante vérité. Pour Ugolin, le tragique accident qui arrive au propriétaire des Romarins, Jean de Florette, est un détonateur. Pour le Papet, cela arrivera plus tard, à la fin de Manon des Sources.
    Autour de ces deux personnages tourne ensuite toute une pléiade d'autres personnages tout aussi intéressants quoique plus secondaires. Tous sont très drôles et on croit entendre siffler leur accent provençal sur une place ombragée de platanes, tant ils sont aboutis : ainsi de Philoxène, le maire, qui est maire justement parce qu'il ne va pas à l'église et parce qu'il a le téléphone, Anglade, le plus croyant de la bande, Ange, le fontainier, Pamphile, le menuisier marié à la gouailleuse et extravertie Amélie, Casimir, Pique-Bouffigue le « fada » etc...purs représentants de cette Provence séculaire et traditionnelle, dans laquelle la famille Cadoret -les propriétaires des Romarins- font figure d'étrangers voire d'extraterrestres, corrompus par la ville.

    César Soubeyran dit Le Papet, interprété par Yves Montand dans le film de 1986


    Comme tout le monde, j'avais découvert Pagnol à l'école, notamment avec ses fameux Souvenirs d'Enfance. Mais je n'avais jamais réitéré l'expérience et je dois dire que j'ai bien fait car je ne regrette pas ! ! Jean de Florette, comme sa suite, Manon des Sources, m'a emballée. Le style est irréprochable, toujours juste, avec la pointe d'humour bien comme il faut quand il faut, la gravité et l'émotion qui surviennent toujours au bon moment. Ce roman est complexe, ambivalent : on balance toujours entre une certaine admiration devant les coups fourrés des Soubeyran toujours renouvelés pour arriver à leurs fins mais aussi une certaine répulsion innée devant des hommes qui, pour atteindre leur but, n'hésitent pas à regarder se tuer à petit feu un homme que, au moins l'un d'eux -Ugolin, qui reste finalement le plus stupide et donc le plus prompt à s'attendrir, au contraire de son oncle qui agit froidement et avec calcul- manipule tout en l'appréciant. Et bien sûr, on est ému par le sort de la famille Cadoret qui, d'année en année connaît une descente aux enfers irrémédiable et terrible.
    Quand on referme le livre, on attend la suite avec beaucoup d'impatience.

    En Bref :

    Les + : un roman dynamique, rythmé, avec une intrigue aboutie et des personnages impeccables ; rien à dire également sur le style !
    Les - : mais aucun ! ! 


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  • « Les plus grands crimes ne sont pas ceux que l'on voit dans les journaux...Beaucoup restent ignorés de la justice mais Dieu les connaît tous. »

    L'Eau des Collines, tome 2, Manon des Sources ; Marcel Pagnol

     

    Publié en 2009

    Date de parution originale : 1963

    Editions du Fallois (collection Fortunio)

    279 pages

    Second tome de la saga L'Eau des Collines

    Résumé :

    Après la mort du Bossu, et la vente des Romarins, Manon et sa mère s'installent dans la grotte de Baptistine. Quelques années plus tard, Manon trouve l'occasion de se venger...

    Pagnol s'est souvent adapté lui-même, passant aisément du théâtre au cinéma. Ici, il fait le chemin inverse, et adapte un film en roman : Manon des Sources (1963), deuxième partie de L'Eau des Collines, est la mise en roman du film éponyme, tourné dix ans plus tôt. On en retrouve tous les personnages, et on est émerveillé de voir que les dialogues,  qui sont souvent, mot à mot, les mêmes, s'entendent aussi bien sur la page que sur l'écran. Manon des Sources sera une sorte de testament : Pagnol ne réalisera jamais Jean de Florette, et n'écrira plus de fiction. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Quelques années ont passé depuis la mort de Jean Cadoret, le père de Manon. César Soubeyran, sous couvert de charité, a racheté à la ferme à sa veuve quelques temps après le terrible accident de son époux et la source des Romarins, bouchée par ses soins et celle de son neveu a été rouverte, afin de permettre d'irriguer les cultures d'oeillets d'Ugolin. Aimée Cadoret et sa fille, Manon, sont allées se réfugier au Plantier auprès de Baptistine, la vieille piémontaise un peu sorcière qui, avec son époux Giuseppe, avait aidé Jean de Florette dans sa course à l'eau désespérée. Manon a grandi, elle est devenue une très belle jeune femme, mais un peu sauvage, qui vit dans les collines avec son chien et son troupeau de chèvres. Au même moment, aux Bastides est arrivé un jeune instituteur, Bernard Olivier, qui apporte un peu de modernité au village.
    Ugolin a tout pour être heureux mais son oncle le presse de prendre une épouse, pour continuer la lignée des Soubeyran. Un jour, alors qu'il chasse dans les collines, il surprend la jeune Manon, nue, près d'un trou d'eau où elle se baigne. Il en tombe immédiatement fou amoureux mais la jeune fille, qui se souvient de ses manœuvres et de celles du Papet, après la mort de son père, le fuit. Et son aversion se transforme en véritable haine quand, un jour, dissimulée dans un taillis, elle surprend une conversation entre deux hommes du village qui parlent clairement de la source bouchée par les deux Soubeyran avant l'arrivée de la famille Cadoret aux Romarins, ce qui plonge le pauvre Ugolin dans les affres d'un amour passionné mais non partagé. Dans le même temps, Manon fait la connaissance du jeune instituteur qui cherche dans les collines des pierres afin de constituer une petite collection pour ses élèves et s'il se montre tout sauf indifférent à son charme, la jeune femme, elle non plus, ne semble pas désintéressée. Son esprit est cependant tout entier tourné vers la vengeance qu'elle pourrait faire peser sur ceux qui ont brisé son bonheur et son enfance. Alors qu'elle trouve par hasard la nappe souterraine qui alimente le village en eau, elle va à son tour la boucher pour priver les Bastides de sa denrée la plus précieuse.
    Puis le roman monte en intensité. Le secret des Soubeyran, déjà connu de beaucoup mais tu, sous le prétexte qu'en Provence, on ne se mêle pas des affaires des autres et qu'on ne va pas donner raison à un étranger venu de Crespin, est sur le point d'être révélé et la disparition de l'eau n'est pas sans échauffer les esprits, qui deviennent de plus en plus difficiles à maîtriser. Et la révélation d'un secret en entraînant un autre, le Papet apprend aussi de la bouche d'une vieille des Bastides mariée ailleurs et revenue au village y finir ses jours, que l'histoire d'amour qui a marqué sa jeunesse n'a peut-être pas eu la finalité qu'il croyait depuis tout ce temps.
    Tandis que Manon, auprès de l'instituteur, goûte enfin à un bonheur bien mérité, les Soubeyran, après avoir triomphé, boivent la coupe jusqu'à la lie.

    Manon, interprétée par Emmanuelle Béart dans le film de 1986


    Ce deuxième et ultime tome de L'Eau des Collines m'a vraiment emballée, peut-être plus encore que Jean de Florette, que j'ai cela dit beaucoup aimé ! ! Ce tome-là, bien plus sauvage encore que le premier, est marqué d'une forte idendité provençale ! Le langage est châtié et on se surprend presque à le lire avec l'accent ensoleillé des Provençaux ! ! On retrouve les personnages tellement drôles et ciselés de Pagnol...et même s'ils sont moins connus que Marius, Fanny, Panisse ou César, ceux qui émaillent L'Eau des Collines de leur présence, sont forts et bien aboutis.
    Mais surtout, dans ce tome-là, comme le titre l'indique, l'intrigue va essentiellement tourner autour de la figure de Manon. La petite fille qui apparaît dans Jean de Florette, en compagnie de ses parents, Jean et Aimée Cadoret, est devenue une très belle jeune femme. Elle n'a pas encore vingt ans mais elle fait parler d'elle ! Devenue bergère dans la garrigue, elle est convoitée par les jeunes hommes du village et même l'instituteur, nouvellement arrivé, n'est pas indifférent, au charme brutal et absolument pas policé de l'ancienne petite fille des villes. Mais Manon est aussi un sujet de discorde au village parce que, dans sa sauvagerie, elle semble fière et surtout, elle attise la curiosité des femmes qui ont vu leurs maris poser leurs yeux sur elle voire en parler de façon gaillarde. Et pour les Soubeyran, Ugolin et son oncle, le Papet, elle est celle qui représente et représentera jusqu'au bout l'acquisition peu orthodoxe des Romarins, parce qu'elle est la fille de Jean de Florette, celui qu'ils ont traîtreusement manipulé et ruiné pour lui prendre ses terres.
    Le personnage, à peine esquissé dans Jean de Florette, prend ici une teneur certaine puisque, même si l'intrigue reste assez souvent centrée sur Ugolin et le Papet, elle glisse souvent jusqu'à Manon, dont le pauvre Ugolin est tombé amoureux fou, comme pour expier cent fois plus fort son ancien forfait, qui a coûté la vie à un homme qu'il avait appris à apprécier. Manon est tout aussi aboutie et ciselée que les autres personnages, touchante dans sa rage et son désir de vengeance vifs et spontanés. A bien des égards, peut-être parce que l'ambiance s'y prête, que les lieux se ressemblent, elle m'a fait penser à Albine, la petite sauvageonne née de l'imagination de Zola dans La Faute de l'Abbé Mouret. Elles ont toutes les deux ce côté très animal, de belles filles grandies à l'ombre de la nature, où elles se sont créé un nid réconfortant, à l'abri des hommes et de la société. Face à ceux qui, civilisés, se montrent en fait corrompus et remplis de bas instincts, des personnages comme Albine ou Manon, presque virginaux, opposent en quelque sorte l'homme en son état de nature et donc, encore pur.
    Ce roman, comme le premier d'ailleurs, n'est pas qu'un vibrant hommage de Pagnol à sa région de naissance. C'est aussi un ouvrage qui explore à fond et avec beaucoup de justesse les relations entre les hommes, la beauté comme la laideur de l'humanité. C'est une belle histoire, touchante, effrayante par moments mais dans laquelle l'émotion gagne en intensité. Une vraie belle lecture, comme on en fait pas souvent.

     

     

    En Bref :

    Les + : l'intrigue est parfaite, le style également ; cette histoire émouvante et effrayante en même temps est un hommage à la Provence mais aussi un portait sans concession de l'humanité.
    Les -
    : que le roman n'ait pas été plus long de quelques pages ! ! 


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  • « L'orgueil de sa fonction sans la compétence est autant un péché que la compétence sans la confiance en soi. »

    Les deux premières enquêtes de Soeur Fidelma : Absolution par le meurtre suivi de Le Suaire de l'Archevêque ; Peter Tremayne

    Publiés en 1994 et 1995 en Angleterre ; 2015 en France (pour la présente édition)

    Titres originaux : Absolution by Murder ; Shroud for the Archbishop 

    Editions 10/18 (collection Grands Détectives)

    603 pages

    Comprend Absolution par le Meurtre et Le Suaire de l'Archevêque

     

    Résumé :

    En l'an 664, dans une Irlande où les Eglises romaines et celtique se déchirent, l'abbaye de Streoneshalh subit une série de meurtres. Mais soeur Fidelma n'est pas tout à fait une religieuse comme les autres...D'une obstination redoutable, elle est armée d'une rare intuition. Et quand une de ses amies est assassinée, ses talents d'enquêtrice éclatent au grand jour. Puis, en mission à Rome en compagnie de son ami, le moine Eadulf, Fidelma doit à nouveau élucider un sombre mystère : l'assassinat de l'archevêque de Cantorbéry. Un meurtre que l'intrépide duo est tenu de tirer au clair au plus vite. Car dans un contexte politique déjà tendu entre la nouvelle foi et les traditions irlandaises, cette sinistre affaire promet de mettre le feu aux poudres...

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Nous sommes en 664, dans ce qui sera un jour l'Angleterre. Mais au VIIème siècle, le futur Royaume-Uni et ancienne Britannia des Romains n'est qu'une mosaïque de royaumes et de peuples qui cohabitent plus ou moins harmonieusement. L'Irlande et l'Ecosse sont alors des pays bien à part, fortement marqués par leur héritage celtique et qui échappe ainsi à la mainmise des Saxons, qui occupent l'équivalent de l'Angleterre et du Pays de Galles actuel. Plusieurs royaumes ont déjà émergé : la Mercie, la Northumbrie, le Wessex, le Kent... Mais la méfiance creuse un fossé entre ces souverains dont les possessions ne sont parfois séparées que par le cours d'un fleuve. Et, malgré des alliances matrimoniales stratégiques, les relations ne sont pas au beau fixe et tendent à se dégrader. Et si, à cela, s'ajoutent en plus des conflits religieux, la situation des royaumes saxons semblent de plus en plus précaire.
    C'est pourquoi un concile est réuni à Witebia (Whitby) en 664. Ce concile a pour but d'unifier -il le fera, mais temporairement, cependant- les deux Eglises qui s'opposent alors en Bretagne : l'église apostolique et romaine, donc les catholiques, s'oppose aux tenants d'une foi plus traditionnelle obéissant aux préceptes de l'Eglise celtique. Leur doctrine n'étant en effet pas tout à fait la même, cela entraînait opposition et incompréhension entre religieux et prélats. Ainsi, à cette époque, alors que Rome songe de plus en plus sérieusement à abolir une bonne foi pour toutes le mariage pour ses prêtres, les partisans de la foi celtique, eux, ne le comprennent pas. Une harmonisation est donc nécessaire et ce concile doit donc y mener, de préférence, dans le calme et la sérénité.
    Mais voilà que l'abbesse Etain de Kildare, par ailleurs amie de l'enquêtrice, dont nous allons parler dans un instant, qui devait prendre part aux débats dans le camp de l'Eglise celtique, est retrouvée assassinée dans sa petite cellule de l'abbaye de Streoneshalh, où doivent se réunir les religieux. La mort ne fait pas de doute : l'abbesse Etain a eu la gorge tranchée, elle a donc été assassinée. Dès lors, une question se pose : le meurtre a-t-il un rapport avec le concile et les idées de la victime ? Est-ce un fidèle de la foi romaine qui a décidé de faire taire une bonne fois pour toutes un défenseur du camp adverse ? Ou bien, au contraire, est-ce un Irlandais qui aurait perprétré l'assassinat, histoire justement de faire accuser le camp adverse et donc, de le discréditer ou parce qu'il se murmurait que l'abbesse Etain était prête à traiter avec Rome ?
    L'enquête s'annonce trouble et c'est pourquoi elle est confiée à une proche d'Etain, l'une de ses religieuses de Kildare, soeur Fidelma, dont l'intuition, la culture et l'intelligence sont légendaires. La jeune femme, qui n'a pas trente ans, a suivi une formation très complète dans son pays natal, l'Irlande, et elle est devenue, au contact d'érudits en droit celtique, une très bonne avocate, à même de résoudre une telle enquête. Enquête qu'on lui confie, ainsi qu'à un moine saxon, Eadulf, de religion catholique. Ce sera donc l'occasion, pour l'un comme pour l'autre, de se heurter mais aussi de s'intéresser à des coutumes et des traditions qui diffèrent fortement de ce qu'ils ont toujours connu.
    Leur enquête sera cependant menée avec assez de brio pour que, quelques mois plus tard, à Rome, leur duo se reforme pour enquêter cette fois sur l'assassinat, au cœur même du palais pontifical du Latran, à Rome, de l'archevêque de Canterbury, Wighard. Le nouvel archevêque, ayant succédé à Deusdedit, mort pendant le concile de Whitby, s'achemine vers l'ancienne capitale impériale pour présenter au pape les cadeaux rassemblés par les royaumes saxons, désireux de montrer au Saint-Père leur toute nouvelle bonne volonté mais aussi pour recevoir de ses mais son intronisation. Mais il est retrouvé un peu plus tard, étranglé dans sa chambre par sa corde de prières et si tout semble accuser un moine irlandais, Fidelma, secondée par Eadulf, va creuser jusqu'à trouver que le nouvel archevêque de Canterbury avait bien des secrets, qui pourraient expliquer sa mort violente...

    Abbaye de Whitby ou de Streoneshalh où se tint l'important concile de 664


    La réunion des deux premières enquêtes de la foisonnante saga de Peter Tremayne -elle compte à ce jour plus de vingt volumes-, permet de se familiariser longuement avec une enquêtrice pas comme les autres et un contexte histoire qui ne l'est pas moins et peut même parfois s'avérer un peu déroutant. On est loin des sagas victoriennes d'Anne Perry et Ann Granger par exemple ou encore, des aventures en tricorne de notre héros national, Nicolas Le Floch ! ! Peter Tremayne, lui, a choisi de se focaliser sur une époque de bouleversements tant sociétaux que religieux, dans un pays, l'Angleterre, qui n'en est encore qu'à un stade embryonnaire -comme beaucoup d'autres pays européens, d'ailleurs. Les luttes pour le pouvoir sont âpres et violentes, la vie du peuple n'est pas facile et s'est même considérablement assombrie depuis la chute de l'Empire romain, qui n'a eu lieu que quelques deux cents ans plus tôt...toute la société est obligée de se réorganiser doucement, de changer et, même si l'héritage romain est encore fort dans les régions anciennement romanisées, le poids des traditions, notamment celtiques, ne le sont pas moins et ce début du Moyen Âge, loin encore de la renaissance culturelle carolingienne ou, après, de la flamboyance du Moyen Âge central et du Bas Moyen-Âge, est agité et compliqué. On peut donc porter à l'honneur de l'auteur de s'être énormément renseigné et d'avoir basé son récit sur des recherches qui tiennent la route. Il doit pourtant être difficile de s'y retrouver, entre tous les peuples, les royaumes, les courants religieux qui font alors la société de la future Angleterre. Mais on sent que Peter Tremayne connaît son sujet, tant politique, que religieux ou même juridique, puisque son héroïne, Fidelma est avocate dans son pays, l'Irlande.
    Justement, parlons de ce personnage avec lequel nous faisons connaissance dans ces premiers tomes et que nous continuerons à fréquenter au fil de la saga. Fidelma est donc une sœur irlandaise, suivant l'obédience traditionnelle irlandaise -l'Eglise celtique de Saint-Colomba dont le centre névralgique se situe sur la sainte île d'Iona, au large des Highlands- qui arrive du couvent de Kildare pour assister, justement en tant qu'avocate, au concile de Witebia, où elle a été sollicitée pour, éventuellement, apporter ses lumières sur quelques points juridiques. Jeune femme érudite et cultivée de vingt-huit ans, elle a étudié pendant neuf ans le droit brehon, c'est-à-dire l'ancien droit celte, à l'école de Tara. Formée tant en droit civil (Leabhar Acaill) qu'en droit criminel (Senchus Mor), elle a atteint le grade d'anruth, le dernier avant la plus haute distinction juridique d'Irlande. Elle est issue d'une famille royale irlandaise, son frère étant le roi de Munster mais elle est avant tout une fille de Dieu, fervente partisane de la foi celtique et jalouse des prérogatives que le droit irlandais lui procure et qui ne manquera pas, d'ailleurs, de créer quelques frictions avec l'adjoint qu'on lui impose pour la résolution de l'enquête de la mort d'Etain et qu'elle retrouvera ensuite, à Rome, pour élucider le mystère de la mort de l'archevêque de Canterbury. Cet adjoint est aussi éloigné d'elle, par les croyances comme par l'éducation, qu'elle l'est de lui. Alors que Fidelma se considère comme l'égale des hommes et légitime parce qu'elle a étudié et travaillé dur -en cela, elle a donc une vision plutôt moderne de la femme et de ses droits-, les Saxons, eux, et comme beaucoup d'autres peuples à l'époque et bien après, n'accordent aux femmes qu'une place mineure dans leur société ce qui n'est pas sans créer une réelle surprise quand ils assistent à cette enquête menée par une femme. Eadulf a cependant une bonne connaissance des droits et de la religion irlandais et il a même étudié, dans ce pays, la médecine, en l'école réputée de Tuaim Breccain. La collaboration, bien que tendue, va donc se passer relativement bien entre Fidelma et Eadulf et même si l'incompréhension domine parfois, on peut dire que le duo fonctionne plutôt bien.

    Le pape Vitalien pour le compte duquel Fidelma et Eadulf vont tenter d'élucider le meurtre de Wighard de Canterbury dans Le Suaire de l'Archevêque


    Je dois dire que le personnage de frère Eadulf m'a d'ailleurs emballée bien plus rapidement que Fidelma. Ces personnages qui ne doutent de rien et dont l'assurance peut parfois frôler l'arrogance me dérangent en général et j'ai donc du mal à les apprécier. La chose s'était passée, par exemple, avec Lizzie Martin, l'héroïne victorienne d'Ann Granger, que j'ai eu du mal à apprécier dès le début -il m'a fallu trois tomes pour cela. Ici, c'est presque pareil : il aura fallu que j'arrive au bout du second tome pour commencer à sentir un certain attachement poindre envers Fidelma, notamment quand le personnage a suffisamment de sincérité envers lui-même pour se rendre compte et de certaines choses et se les avouer. Et même si Fidelma, d'emblée, m'a plu notamment de part sa défense fervente des droits des femmes, je n'ai pas forcément eu d'affection pour elle, ce qui est dommage et je dois même dire qu'elle m'a parfois sérieusement tapé sur les nerfs ! ! Ceci dit, c'est avec brio qu'elle résout des énigmes compliquées et son intuition toujours juste force le respect. Finalement, au fil de ma lecture, je me suis sentie de plus en plus investie, tenue en haleine...je me suis habituée au caractère un peu hautain voire carrément désagréable de Fidelma comprenant que, pour elle, qui occupe dans une société fortement misogyne une place de premier plan, son attitude était peut-être aussi une façon de se défendre.
    Pour ce qui est ensuite des enquêtes, je dois dire que leur côté fortement religieux ne m'a pas dérangée plus que ça, au contraire, car on est surtout dans l'histoire, la discussion des dogmes et des doctrines, ce qui s'avère plutôt intéressant. Je ne connaissais rien de l'église celtique, du moins à l'église celtique primitive qui précéda notamment le monachisme irlandais des VIIIème et IXème siècles, et j'ai donc appris ce qu'elle était avec plaisir. J'ai trouvé les sociétés saxonnes et romaines de cette époque-charnière bien décrites par l'auteur et suffisamment vivantes pour y immerger le lecteur.
    Bref, au final, ces deux premières enquêtes de sœur Fidelma m'ont vraiment plu et m'ont donné envie de poursuivre mon incursion dans cette saga prometteuse et originale ! ! Le style de l'auteur, simple mais efficace, y est aussi pour quelque chose.
    Une bonne lecture.

    En Bref :

    Les + : des enquêtes originales situées dans un contexte historique qui ne l'est pas moins mais s'avère aussi très intéressant !
    Les - : deux, trois longueurs, mais rien de grave ! ! 

     


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  • «La joie fait quelquefois un effet étrange. Elle oppresse comme la douleur. »

    Le Comte de Monte Cristo, tome I ; Alexandre Dumas

    Publié en 2008

    Date de parution originale : 1845

    Editions Le Livre de Poche (collection Les Classiques de Poche)

    800 pages chacun

    Résumé :

    Tome 1

     1815. Louis XVIII rétabli sur le trône se heurte à une opposition dont l'Empereur, relégué à l'île d'Elbe, songe déjà à profiter. Dans Marseille livrée à la discorde civile, le moment est propice aux règlements de comptes. C'est ainsi que le marin Edmond Dantès, à la veille de son mariage, se retrouve, sans savoir pourquoi, arrêté et conduit au château d'If.
    Paru en 1844-1846, Le Comte de Monte-Cristo est une des œuvres les plus populaires de la littérature mondiale. L'abbé Faria, l'évasion inouïe, le trésor grâce auquel les bons seront récompensés et les traîtres punis : le destin d'Edmond Dantès possède la simplicité et la force des grands mythes.
    Conteur éblouissant, Dumas nous entraîne du cabinet du roi à la Méditerranée des contrebandiers, des îles toscanes aux catacombes de Rome, puis dans les salons parisiens où le mystérieux comte de Monte-Cristo se dispose à accomplir sa vengeance. 

    Tome 2

    1838. Un seigneur étranger, le comte de Monte-Cristo, intrigue le grand monde parisien par son faste extraordinaire, ses manières, raffinées et fantasques, la jeune femme orientale qui vit dans son ombre. Qui -hormis peut-être la belle et mélancolique comtesse de Morcerf- pourrait reconnaître en lui le pauvre marin Dantès, arrêté à Marseille vingt-trois ans plus tôt ?
    A travers les péripéties d'une vengeance implacable, c'est le Paris de Balzac qui revit dans ce second volume. Dandys, femmes du monde, personnages patibulaires ressurgis du bagne, se croisent autour d'inoubliables figures -le banquier politicien Danglars, le sévère procureur Villefort, le hautain comte de Morcerf, pair de France.
    Romancier de l'histoire, l'auteur des Trois Mousquetaires et de La Reine Margot révèle dans ce chef-d'oeuvre une autre facette de son génie : le roman de mœurs et de critique sociale, servi par un sens inégalé de l'action et du suspense.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Avec Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas s'éloigne un peu de sa ligne directrice, à savoir, le roman historique. On connaît son fameux cycle sur les derniers Valois, dont La Reine Margot est certainement le roman le plus connu et ses Trois Mousquetaires sont devenus incontournables. Grand changement donc, pour un auteur habitué à voyager à travers les âges, que de nous livrer une histoire se passant entre 1815 et 1838, alors que lui-même écrit dans les années 1840. Cependant, c'est avec brio, comme toujours, que Dumas s'essaie au roman de moeurs, mâtiné d'aventures et de merveilleux.
    L'histoire débute donc en 1815 avec l'arrivée, à Marseille, du navire marchand Le Pharaon. Le capitaine étant mort subitement pendant le voyage du retour, c'est son second, le jeune marin Edmond Dantès, qui a pris le commandement du bateau et le ramène donc à bon port, entre les mains de l'armateur Morrel, son propriétaire. Dantès, en cette année 1815, a tout pour être heureux : après un long voyage, il va retrouver son père et surtout Mercédès, sa jeune fiancée, jolie jeune fille d'origine espagnole, dont il est très amoureux et qu'il s'apprête à épouser.
    Mais Edmond Dantès, dans sa candeur juvénile, ignore que la place de capitaine, que le brave Morrel lui a promis et son prochain mariage, ont suscité des jaloux. Danglars, le comptable du Pharaon, voit d'un mauvais oeil la promotion dont le jeune homme a bénéficié et le cousin de Mercédès, lui, est amoureux fou de la jeune fille et se désespère de la voir en aimer un autre que lui. La haine de l'un, ajoutée à la jalousie de l'autre, vont précipiter la chute d'un homme qui, jusqu'ici, avait vécu modestement mais heureux. Le contexte historique s'y prête également : nous sommes au début de 1815...cela fait dix mois que l'Empereur, Napoléon Ier, a abdiqué à Fontainebleau et a été transféré à l'île d'Elbe. Louis XVIII, le frère cadet de Louis XVI, est monté sur le trône et la Première Restauration a suivi l'Empire...mais, comme on le sait, le séjour méditerranéen de Napoléon Bonaparte ne sera que de courte durée puisque, dès le mois de mars, grâce à un complot ourdi de façon on ne peut plus discrète et aux différents appuis qu'il conserve en France, l'Empereur va réussir à s'évader, débarquer à Golfe Juan et entamer ensuite une marche triomphale vers Paris, où il sera accueilli en héros tandis que les populations des provinces traversées l'ont acclamé avec ferveur. Quoi de mieux, donc, en cette période trouble et agitée, alors que l'on parle de complots, d'évasion, rumeurs auxquelles personne ne croit vraiment mais qui font tout de même peur, qu'une dénonciation anonyme, qui ferait de Dantès, un agent bonapartiste, dépêché à Paris avec un courrier secret ? Dès lors, la machine infernale se met en marche. Arrêté le jour de ses noces, Dantès est conduit au château d'If, au large de Marseille, forteresse du XVIème siècle, qui servit d'abord de forteresse de protection de la rade de Marseille puis de prison. Dantès, sur dénonciation calomnieuse, restera enfermé pendant quatorze ans entre ces murs imprenables. Les Cent-Jours se terminent avec le désastre de Waterloo ; Napoléon quitte l'Europe pour n'y plus revenir et mourra en 1821 à Sainte-Hélène. Dès lors, tout espoir de libération est perdu pour le prétendu agent bonapartiste, devenu un ennemi national sous la Restauration...Durant sa captivité, Dantès sera sauvé de son désespoir par un autre prisonnier, arrivé lui en 1811 : un prélat italien du nom de Faria, considéré comme fou par ses geôliers mais en fait possesseur du plus important des trésors : l'érudition, puisque c'est lui qui initiera Dantès à l'Histoire, à l'algèbre, aux langues, que le comte parlera ensuite avec brio. En parlant de trésors, l'abbé a aussi entre les mains un autre magot, bien plus palpable celui-là, bien plus concret, puisqu'il s'agit en fait l'héritage d'un cardinal de l'époque des Borgia, qui, avant d'être assassiné par le pape et son terrible fils, César Borgia, a dissimulé pièces d'or et gemmes dans la petite île isolée de Monte-Cristo, entre la Corse et l'île d'Elbe. Faria mourra avant d'être libéré ; dès lors, devenu son héritier, Dantès, qui parvient, au prix d'une évasion rocambolesque, à s'échapper de sa prison, n'aura de cesse de rechercher ce trésor qui, avant de lui assurer la richesse peut surtout lui permettre d'accomplir la grande oeuvre de sa vie : la vengeance. Car l'ancien prisonnier, grâce à l'aide de son compagnon, l'abbé Faria, a fini par comprendre que sa dénonciation était calomnieuse et surtout, fondée non pas sur des faits tangibles mais sur des haines et des ressentiments personnels, devenus des preuves dans une époque d'une grande tension politique.
    Celui qui est devenu le comte Monte-Cristo va alors patiemment poursuivre tous ceux qui ont permis que sa vie soit devenue un enfer : Villefort, le procureur du roi qui l'a fait condamner, Fernand Mondego, le cousin de Mercédès, qui avait envoyé la lettre, Danglars, qui l'avait rédigée, vont tomber les uns après les autres entre les mains du comte, qui va tout faire pour les briser, afin de racheter la mort de son père et la perte de Mercédès, volée par le fourbe cousin, qui n'aura de cesse de lui faire croire à la mort de Dantès. Mercédès, vingt-quatre ans après la disparition de son fiancée, sera d'ailleurs la seule à le reconnaître sous les traits du mystérieux comte italien.
    Dumas nous livre ici un roman dense et foisonnant -comme beaucoup de ses confrères du XIXème, Le Comte de Monte-Cristo fut à l'origine un roman feuilleton publié dans un journal, ce qui explique cette densité exceptionnelle-, avec quelques longueurs parfois il est vrai, mais que la qualité de l'intrigue et le style de l'auteur compensent cependant. L'histoire est en effet intéressante, innovante par rapport aux autres intrigues sorties de l'imagination de Dumas, mais différente aussi de toutes les autres productions contemporaines. On est loin du naturalisme qui caractérisera la littérature française de la fin du siècle, mais on est loin aussi des univers de Hugo, Balzac, Sue, qui écrivent au même moment. Au même titre que ces auteurs, Dumas est un grand écrivain aux talents multiples et qui mérite d'être aussi connu par une oeuvre comme celle-ci que par celles, plus historiques, qui tendraient à personnifier son oeuvre toute entière. D'autant plus que Dumas ne peut s'empêcher, en amoureux de l'Histoire qu'il est -ce qui ne l'empêche pas cependant de prendre parfois des libertés extraordinaires avec les faits et la chronologie !-, de nous faire malgré tout voyager dans différentes époques : il opte en effet pour un contexte historique riche, dont il fut certes le contemporain mais dont il avait certainement pris la mesure : les Cent-Jours puis la chute irrémédiable de Napoléon, le retour des Bourbons sur le trône ; la prison de Dantès est une vieille forteresse de trois cents ans, entre les murs de laquelle persistent des pans entiers d'histoires et d'Histoire ; à Rome, il nous conduit dans les ruines de la capitale des Césars, dans les catacombes des premiers chrétiens et les récits de l'abbé Faria fleuraient bon la cantarelle, le fameux poison de la famille Borgia...
    Cependant, Le Comte de Monte-Cristo n'est pas un roman historique - la forte part de merveilleux teinté d'orientalisme le rapproche également des Mille et Une Nuits et ferait presque de ce roman un conte philosophique - et c'est aussi pour cette raison qu'il est intéressant ; on connaissait le talent de conteur de Dumas, sa propension à réinventer les faits au besoin, son énorme facilité à passer d'un siècle à l'autre et d'une civilisation à une autre. Ici, l'auteur, par le biais de ses différents personnages, se penche sur un sujet qui n'en est pas moins complexe : les différents mécanismes et les rouages intrinsèques de l'humanité. Vaste programme que d'écrire un roman sur la jalousie, l'envie, la haine, l'orgueil, la vengeance mais aussi, l'amour, l'amitié, la bienveillance, qui peuvent caractériser l'essence complexe des êtres humains. On peut dire que Le Comte de Monte-Cristo est un roman peut-être un peu plus intime, dans lequel l'auteur, délaissant les grands récits, se recentre plutôt sur une description fine et pertinente de l'Homme, bien que parfois un peu manichéenne, le comte se dressant en ange vengeur et légitime, face à des hommes coupables à ses yeux et par là-même, flétris et indignes. 
    Ce roman se lit avec un tel plaisir que les quelques 1500 pages qu'il comporte se tournent avec une aisance folle ! ! On ne le voit pas passer, vraiment. Peu de descriptions, en général appréciées des auteurs classiques, et qui pourraient alourdir le récit ; au contraire, celui-ci rebondit d'une intrigue à une autre et son abondance de personnages permet aussi de ne jamais ressentir de monotonie bien au contraire.
    Ce roman m'attendait depuis longtemps dans ma bibliothèque et je ne suis vraiment pas déçue de l'en avoir sorti ! Au contraire, j'ai découvert un roman superbe et que j'ai trouvé extrêmement plaisant à lire.

    En Bref :

    Les + : une intrigue originale et innovante, un roman savamment maîtrisé et mené avec brio.
    Les - :
    beaucoup de coquilles dans le tome II, c'est dommage.


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