• #41 Portraits de quatre épouses d'Henry VIII : Catherine d'Aragon, Jane Seymour, Anne de Clèves et Catherine Parr

     

    I. La princesse espagnole : Catherine d'Aragon 

    #41 Portraits de quatre épouses d'Henry VIII : Catherine d'Aragon, Jane Seymour, Anne de Clèves et Catherine Parr

    Fille cadette des Rois Catholiques, Catherine naît à Alcala de Henares en décembre 1485. Lorsqu'elle voit le jour, ses parents, les célèbres Isabelle la Catholique et Ferdinand d'Aragon ont quasiment achevé la reconquête de l'Espagne sur les musulmans qui l'occupent depuis le VIIème siècle. Seule une enclave dans le sud leur résiste encore : Grenade. Dès se naissance, Catherine est considérée comme un bon parti à marier avantageusement. Il est vrai que la petite princesse a une ascendance illustre et, tandis que sa soeur Jeanne épousera le fils de Maximilien de Hasbourg Philippe, donnant ainsi naissance à la puissante lignée qui règnera sur une partie de l'Europe dès le XVIème siècle, Catherine elle, fera souche dans les brumes de l'Angleterre...mais penchons-nous d'abord un peu sur l'illustre famille de la princesse : par sa mère Isabelle de Castille, elle est apparentée à la famille du Portugal et on retrouve même une lointaine ascendance anglaise, une princesse Plantagenêt ayant épousé le roi du Portugal au XIVème siècle. Par ses deux parents, elle est issue de l'illustre maison de Trastamare, qui régna sur la Castille, l'Aragon et le Léon, mais aussi la Navarre, Naples et la Sicile.
    Très vite donc, on songe à marier la jeune princesse à des fins politiques et diplomatiques. En effet, ses parents doivent sceller l'alliance entre leur royaume et celui d'Angleterre où les Tudors viennent de s'emparer du trône, laissé vacant par les Lancastre (descendants des Plantagenêt) à l'issue de la mort du roi Richard III, qui met un terme à la Guerre des Deux-Roses. La petite Catherine, dès l'âge de deux ans, est promise au fils aîné du roi Henry VII Tudor, Arthur, même si les rois espagnols ont tout de même émis quelques réserves quant à ce mariage...la situation politique en Angleterre est en effet tendue et le pouvoir des Tudors menacé...des descendants de la branche légitime sont encore en vie et pourraient menacer le trône malgré la fin de la guerre civile. Isabelle et Ferdinand craignent donc, à juste titre, de marier leur fille à un roi susceptible d'être renversé. Par contre, pour le roi anglais, l'alliance avec l'Espagne contribuerait à reserrer les liens qui existent déjà entre les deux royaumes et à faire ainsi front commun contre la France, ennemie naturelle des deux pays. Catherine va donc épouser Arthur Tudor.
    Elle arrive en 1501 en Angleterre pour rencontrer sa future famille mais surtout, son promis. Arthur est le fils aîné d'Henry VII Tudor et Elizabeth d'York. Il est né en 1486, il doit succéder à son père et faire donc de sa future épouse espagnole une reine d'Angleterre. En arrivant, la jeune princesse a reçu l'ordre de garder son visage voilé, ce qui va perturber le roi Henry VII lorsqu'il vient rencontrer sa future belle-fille. La jeune fille était couchée et ne pouvait pas le recevoir, il ordonna donc qu'on la réveille pour qu'elle se montre à lui mais elle garda obstinément son voile sur le visage ce qui contraria fort le souverain anglais qui craignit de s'être fait duper. Il eut peur que la jeune princesse garde un voile pour cacher une difformité ou une laideur que ses ambassadeurs lui auraient caché, par souci de ménagement.
    Mais lorsque Catherine enlève enfin son voile, son beau-père comme son futur époux sont charmés par elle. Il faut dire que la jeune Espagnole a en effet beaucoup de charme et de grâce. Son mariage est célébré rapidement, le 14 novembre 1501 en la cathédrale Saint-Paul de Londres. Ce sera pour une très courte durée puisque à Ludlow Castle, en Pays de Galles, les deux jeunes époux tombent soudainement et gravement malades. Si Catherine s'en sort, il n'en va pas de même d'Arthur, qui meurt, le 2 avril 1502, très probablement de la suette. Arthur a quinze ans à peine lors de sa mort...par la suite, on dira que son mariage n'a pas été consommé, ce que Catherine d'Aragon va confirmer elle aussi par la suite.
    Veuve, Catherine aurait pu rentrer dans son pays, l'Espagne, d'autant que son mariage n'a très certainement pas été consommé. Mais Henry VII ne souhaite pas ce retour de la princesse dans son pays natal car il se verrait en effet dans l'obligation de rendre au couple royal espagnol l'importante dot de Catherine et cela ne lui plaît guère. Après avoir caressé un temps l'idée d'épouser lui-même la jeune princesse - la reine Elizabeth d'York étant décédée en couches en février 1503 - ce qu'elle aurait refusé avec hauteur, préférant plutôt l'état de pauvreté dans lequel elle est alors gardée, Henry VII a l'idée d'arranger un nouveau mariage entre la jeune veuve et le frère cadet d'Arthur, Henry, devenu le nouvel héritier du trône d'Angleterre, qui a six ans de moins que Catherine mais semble observer cette belle-sœur d'un œil appréciateur. Or, les canons de l’Église interdisent formellement un remariage avec un beau-frère. Alors, que faire ? Pour pouvoir passer outre, il faut absolument prouver que le premier mariage n'a pas été consommé et que la mariée est encore vierge. Pour des raisons obscures -voudrait-on cacher quelque chose ?- une demande de dispense du constat de virginité, examen visant à prouver que la mariée est intacte, est demandée au pape Jules II qui, compréhensif, accepte de la délivrer sans examen préalable. Il délie ainsi Henry et Catherine du « lien d'affinité ». Le remariage est donc désormais possible puisque avalisé par le pape lui-même. Henry épouse son ex belle-sœur le 11 juin 1509, après la mort de Henry VII. Catherine a épousé le nouveau roi, qui va régner jusqu'en 1547 sur le royaume d'Angleterre, sous le nom de Henry VIII. Elle est donc, de fait, reine d'Angleterre.
    De leur mariage vont naître plusieurs enfants, six précisément, mais seule une fille surviendra et parviendra à l'âge adulte. Il s'agit de Marie, qui règnera de 1553 à 1558, sous le nom de Marie Ière Tudor. Au début, le couple semble connaître un certain bonheur conjugal ou, tout du moins, une certaine harmonie. Catherine et Henry s'entendent bien...Mais, dès 1514, des rumeurs se propagent : le roi voudrait se séparer de son épouse en la répudiant parce qu'elle ne lui a pas donné le fils qu'il désire tant pour asseoir sa succession. En 1519, sa maîtresse Elizabeth Blount accouche d'un petit garçon que le roi prénommé Henri FitzRoy, ce qui est tout à fait révélateur...Et, en 1525, il confère même le titre de duc de Richmond à son bâtard !!
    C'est vraisemblablement à cette époque-là que le roi remarque l'une des suivante de la reine, une certaine Anne Boleyn, dont il va tomber fou amoureux. Un an plus tard, en 1527, le roi n'ayant toujours pas d'héritier légitime mâle -d'un point de vue de la succession, Henry FitzRoy, le fils de lady Blount ne compte pas-, se voit dans l'obligation d'entamer une procédure de répudiation, qui verra son mariage avec Catherine d'Aragon purement annulé : cette union va devenir nulle et non avenue. On a souvent dit que la rencontre avec Anne Boleyn avait était à l'origine la décision du roi : en réalité, il semble qu'Henry pense depuis un moment déjà à se séparer de Catherine, qui ne parvient pas à lui donner de fils. Sa rencontre avec la jeune aristocrate du Kent, qui a passé sa jeunesse en France et dans les Pays-Bas espagnols, ne fait probablement que précipiter les choses mais ne les conditionne pas. Commence alors la Grande Affaire du roi, c'est-à-dire la procédure qui doit instruire son divorce et qui amènera le roi jusqu'au point du rupture : non seulement le divorce d'avec sa femme mais aussi avec la papauté. Car le moins que l'on puisse dire, c'est que l'instruction traîne : les juristes seront occupés pendant pas moins de six années de cette affaire dans laquelle le roi se heurte à fortes parties - non seulement le Saint-Siège mais aussi le neveu de Catherine, le puissant Charles-Quint qui voit d'un mauvais œil le traitement réservé à sa tante et à sa jeune cousine Marie.
    Voyant que les choses n'avancent pas, notamment du côté de la papauté, Henry prend les devants. En 1532, il répudie Catherine, contre l'avis du pape, mais aussi des sujets d'Angleterre, qui aiment énormément leur reine, pieuse et charitable avec eux. Cette répudiation va être à l'origine du Schisme d'Angleterre et de la création de l’Église d'Angleterre ou Église Anglicane, le roi Henry VIII se proclamant chef suprême de l’Église tandis que la papauté ne reconnaît ni ce nouvel état de fait, ni la répudiation de la reine Catherine et donc, le nouveau mariage d'Henry avec Anne Boleyn, qui est parvenue à ses fins. Le roi estimant qu'il n'a plus à en référer au pape pour quoi que ce soit, charge le nouvel archevêque de Canterbury, Thomas Cranmer, de prononcer l'annulation de son mariage avec Catherine. Le 25 Janvier 1533, Henry VIII épouse secrètement Anne Boleyn, probablement déjà enceinte de la princesse Elizabeth qui verra le jour au moins de septembre suivant.
    Catherine d'Aragon, reine déchue, est tout d'abord traitée avec les égards dus à son rang, d'autant plus qu'elle est la tante de l'un des plus grands alliés d'Henry VIII, Charles-Quint, qu'il est prudent de ménager. Mais comme elle n'accepte pas la situation et ne s'y soumet pas comme le souhaiterait Henry, il lui retire bien vite tous les avantages qu'il lui avait octroyés jusque ici. Catherine d'Aragon est alors reléguée au château de Kimbolton, dans le Cambridgeshire. Elle y meurt le 7 Janvier 1536, après de longues semaines de maladie, abandonnée de tous puisqu'elle on ne lui a pas même donné le droit de revoir une dernière fois sa fille, lady Marie. A la cour, l'astre de sa rivale Anne Boleyn - qui se réjouit de la mort de l'ancienne reine - commence cependant à pâlir : ce même mois de janvier, le roi fait une lourde chute lors d'une joute, dont il ne se remettra jamais vraiment. Choquée, Anne perd son enfant, un fœtus de sexe masculin, à la fin du mois de janvier, précipitant sa disgrâce. Quatre mois après Catherine, Anne meurt à son tour, exécutée à la Tour de Londres.
    Très rapidement, des rumeurs courent : et si l'ancienne reine, dont la popularité qui ne s'est jamais démentie gêne le roi et sa nouvelle épouse, avait été empoisonnée ? Aujourd'hui, des examens récents suggèrent plutôt que Catherine d'Aragon aurait succombé à un cancer. Catherine d'Aragon est enterrée dans la cathédrale de Peterborough, dans le Cambridgeshire : même dans la mort, on lui refuse les honneurs, puisqu'elle ne sera pas inhumée en tant que reine, mais en tant que princesse de Galles.

     

    II. La douce épouse : Jane Seymour 

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    Jane Seymour, parfois appelée Jeanne en français, est née vers 1508, mais sa date de naissance exacte n'est pas connue. Troisième épouse d'Henry VIII, elle sera la mère de son héritier, le jeune prince Édouard qui deviendra le roi Édouard VI d'Angleterre. Il sera le seul garçon survivant du roi, lui qui souhaitait tant un fils, à tel point que cette question de succession était devenue une véritable obsession.
    Issue d'une famille plutôt modeste, Jane est la fille de Sir John Seymour de Wiltshire et de Margaret Wentworth. Ils possèdent le manoir de Wolf Hall, où Henry VIII fera plusieurs séjours au début de la faveur de leur fille Jane. Ses deux frères, Édouard et Thomas Seymour occuperont tous deux une place particulièrement importante dans l'entourage du petit roi Édouard VI après la mort du roi, en 1547 : Thomas Seymour fut même désigné comme Lord Protecteur de son neveu durant sa minorité et Édouard, réputé à la Cour pour son charme, épousera la veuve du roi, Catherine Parr. On dit même qu'il aurait tenté de séduire la jeune princesse Elisabeth, alors âgée d'une quinzaine d'années. Mais ceci est une autre histoire....
    On ne connaît pas la date de naissance exacte de Jane Seymour mais les historiens la situent généralement vers 1508 ou 1509. Dans son roman The Six Wives of Henry VIII, Alison Weir, romancière et historienne britannique, mentionne que le cortège funéraire de Jane Seymour était composé de 29 femmes : la coutume voulant que l'on marque par là l'âge de la défunte, Jane aurait eu 29 ans lors de sa mort en 1537, ce qui situe sa naissance, selon elle, en 1508.
    Jane n'a pas reçu une aussi bonne éducation que Catherine d'Aragon ou Anne Boleyn, élevée à la Cour de France, très cultivée et ouverte aux nouvelles idées du temps. Sachant à peine lire et écrire, on mentionne cependant que Jane avait reçu une éducation religieuse soignée et savait tenir une maison : il s'agissait souvent des seuls enseignements que l'on considérait comme importants pour les femmes. En 1532, elle arrive à la Cour, devenant fille d'honneur de la reine Catherine, dont le règne est alors sur le point de se terminer. Jane conserve sa place lorsqu'Anne Boleyn succède à Catherine. Les relations entre Henry VIII et sa nouvelle épouse sont orageuses : Anne est connue pour avoir un tempérament volcanique et elle n'hésite pas à tenir tête au roi, ce que celui-ci supporte mal. Les murs des palais royaux résonnent souvent de leurs disputes. De plus, Henry qui avait répudié Catherine pour avoir un fils, s'impatiente : en 1533, Anne a donné naissance à une fille, Élisabeth, causant la déception du roi. Même s'il a octroyé à sa fille le titre qu'il refuse à son aînée, Lady Marie et lui a constitué une maison selon son rang, Élisabeth n'est qu'un pis-aller. Henry VIII veut un fils et vite, seulement Anne comme Catherine, ne parvient pas à lui donner de fils vivant. Selon certaines sources, le roi aurait souhaité se séparer d'Anne relativement tôt, peut-être dès la fin de l'année 1533 ou 1534. Il recommence à entretenir des liaisons, dont la rumeur parvient à Anne, qui lui fait des scènes. Il semblerait que la relation du roi avec Jane Seymour commence en 1535 : à cette date, il rend visite plusieurs fois à John Seymour à Wolf Hall. La cour bruisse de questions : le temps des Boleyn serait-il révolu pour laisser la place aux Seymour ? Une chose est sûre, c'est que si le clan de la reine Anne s'est montré ambitieux et rapace, à commencer par son oncle et son père, le duc de Norfolk et Thomas Boleyn, la famille de Jane Seymour n'est pas en reste et voit bien évidemment dans la faveur naissante de la douce Jane une carte à jouer. Anne surprit-elle un jour Jane et Henry en pénétrant sans s'annoncer dans les appartements du roi ? Toujours est-il qu'elle entre dans une folle colère lorsqu'elle apprend que son époux la trompe avec sa fille d'honneur, qui fait elle aussi les frais de la colère de sa maîtresse. Mais les jours d'Anne Boleyn sont comptés : après une dernière fausse couche, le ciel s'effondre sur sa tête au printemps 1536 quand elle est arrêtée pour trahison, adultère et sorcellerie et est conduite à la Tour de Londres. Le 19 mai 1536, devant le peuple assemblée, la reine déchue, monte à l'échafaud. Henry VIII est libéré de cette femme qu'il a beaucoup aimée mais dont il s'est lassé tout aussi vite. Il n'est pas question pour lui de porter le deuil de la mère de sa fille - Élisabeth va d'ailleurs, comme son aînée Marie, être privée de toutes ses prérogatives après la mort de sa mère. Le 20 mai, Henry se fiance officiellement avec Jane Seymour et l'épouse dix jours plus tard. Le 4 juin, Jane est proclamée reine d'Angleterre mais elle ne sera jamais couronnée car la ville de Londres est alors en proie à une épidémie de peste. Il se pourrait également que le roi, échaudé par son expérience avec Anne Boleyn, ait choisi de ne la faire couronner qu'à la suite de la naissance de l'héritier tant attendu.
    L'attitude de Jane contraste avec celle d'Anne Boleyn : on dit la reine assez discrète, effacée même tout en étant relativement stricte. Elle garde une certaine distance avec ses dames d'honneur, à l'exception de sa propre sœur et de sa belle-sœur Anne Stanhope, avec lesquelles elle entretient des relations un peu plus informelles. Les fastes extravagants du temps d'Anne Boleyn n'ont plus le droit de cité et Jane s'enferme dans une ambiance plus terne et austère, qui surprend cette Cour délurée par essence. Un exemple est assez éloquent : la reine fait édicter un véritable code vestimentaire pour les femmes, allant jusqu'à détailler le nombre de perles qu'il leur est permis de porter sur leurs tenues et la mode à la française, très prisée d'Anne Boleyn qui avait été élevée à la Cour des Valois, est tout simplement bannie.
    Finalement, on peut dire que la nouvelle reine est plutôt conservatrice, là où Anne Boleyn, peut-être plus curieuse et intelligente, savait se montrer ouverte à la modernité. La seule intervention politique notoire de Jane a lieu en 1536 lorsqu'elle demande au roi la grâce des personnes impliquées dans la Révolte du Pèlerinage de Grâce, un soulèvement religieux contre les nouvelles réformes décidées par le roi qui avaient abouti à la création de l'Eglise d'Angleterre. Le roi refusa tout net cette grâce et, agacé, rappela simplement à la reine ce qui était arrivé à la précédente lorsqu'elle avait voulu se mêler de ses affaires. Jane se le tint pour dit. Cependant, le roi aimait sa femme, ou, tout du moins, il lui vouait une grande affection, accrue d'autant lorsque Jane tombe enceinte au début de l'année 1537. Enfin, le fils tant attendu est peut-être en route. Prudente, la reine se retire de la Cour. Le roi se montre empressé envers elle, lui passant ses caprices de femme enceinte : par exemple, lorsqu'elle se prend soudainement de passion pour les colombes, Henry n'hésite pas à en faire venir de Calais ou même des Flandres. Entrée en confinement à l'automne 1537, le 12 octobre, la reine accouche enfin de cet enfant mâle tant espéré. Le petit garçon est vigoureux et en bonne santé, causant une joie immense à son père. Le 15 octobre, le petit garçon est baptisé à Édouard et devient officiellement l'héritier du trône, devant ses demi-sœurs dont les prérogatives et les prétentions sont considérées comme nulles depuis que le roi s'est séparé de leur mère respective.
    Mais si le petit garçon se porte bien, ça n'est pas le cas de la reine, dont l'état de santé se détériore assez vite après son accouchement. Certains historiens avancent l'hypothèse d'une mauvaise hygiène des sages-femmes à l'époque qui auraient pu transmettre à leur patiente une infection. La reine souffre d'une fièvre puerpérale : le roi comprend très vite que l'état de Jane est désespéré car c'est de cette même affection que sa mère, la reine Elizabeth d'York était morte en 1503. Cette affection existe encore de nos jours même si elle est très rare dans les pays développés : historiquement, c'est l'une des complications de l'accouchement les plus répandues. L'infection était causée par des bactéries qui pénétraient l'utérus après la naissance puis se diffusaient ensuite à tous les organes abdominaux. L'infection s'accompagne d'un état fébrile qui évolue très souvent en septicémie mortelle. Chez les femmes qui survivent, on constate bien souvent une stérilité, conséquence de l'infection. Faute de traitement adapté, Jane Seymour ne peut être sauvée : l'infection gagne du terrain et, douze jours après la naissance de son fils, elle meurt, le 24 octobre 1537 à Hampton Court. Éploré, Henry VIII lui réserve des funérailles somptueuses : elle est inhumée à la chapelle Saint-Georges de Windsor. Le roi revêt le deuil pendant trois mois après la mort de son épouse. Mais le deuil n'est pas l'apanage des rois : après tout, la succession du roi reste fragile, avec un seul enfant mâle vivant. Un remariage est très vite évoqué. Pourtant, ce n'est que trois ans plus tard qu'Henry se remarie de nouveau - il est vrai que sa réputation le précède et que les princesses européennes se montrent frileuses à épouser cet homme qui a répudié une épouse et en a conduite une autre à l'échafaud. Toutefois, on peut noter qu'à sa mort dix ans plus tard, c'est près de Jane que le Barbe-Bleu anglais, peut-être sentimental envers cette femme qui lui avait donné ce qu'il attendait tant, décidera d'être inhumé.

     

    III. « Ma très chère sœur » : Anne de Clèves 

    #41 Portraits de quatre épouses d'Henry VIII : Catherine d'Aragon, Jane Seymour, Anne de Clèves et Catherine Parr

    Trois ans après la mort de Jane Seymour, il est temps pour Henry de se remarier. Ce ne sera jamais que sa quatrième épouse. Mais voilà, les tractations sont laborieuses, les princesses européennes ne se bousculant pas au portillon. On dit que la princesse Marie de Guise aurait dit qu'elle n'avait pas un cou assez long pour devenir reine d'Angleterre, référence à la mort par décapitation d'Anne Boleyn ! La princesse Catherine de Danemark, veuve de François Sforza, considérée un temps comme une prétendante sérieuse, aurait elle aussi décliné : Si j'avais eu deux têtes, j'en aurais volontiers mis une au service du roi d'Angleterre, aurait-elle dit avec esprit.
    Les regards se tournent vers la petite principauté de Clèves, en Allemagne. Le duc de Clèves a deux soeurs : Anne (Anna en allemand) et Amélie. Ils sont les enfants de Jean III de Clèves, comte de Mark et de Ravensberg et de son épouse Marie de Jüdlich-Berg. Anne est née le 22 septembre 1515 à Dusselfdorf. Au moment de la Réforme, la famille se scinde, le père et le fils se convertissant au protestantisme, tandis que la mère et les filles restent fidèles au catholicisme. A l'âge de douze ans, Anne est pressentie pour épouser François, le futur duc de Lorraine mais ces fiançailles sont rompues en 1535, du fait du trop jeune âge du garçon, qui n'avait que dix ans lorsque son mariage fut arrangé par sa famille.
    Anne est donc entièrement libre lorsque les ambassadeurs anglais tournent leurs yeux vers Clèves. Le conseiller d'Henry VIII, Cromwell, n'est pas hostile à une alliance entre l'Angleterre et cette principauté protestante et fait part de ses vues à Henry VIII qui semble le suivre. Le peintre Holbein est envoyé à Clèves, avec pour mission de réaliser le portrait des deux sœurs du duc, Amélie et Anne. Le peintre a-t-il enjolivé ses peintures ? Toujours est-il que la curiosité du roi est piquée par le portrait d'Anne et celui-ci emporte les suffrages. C'est décidé, Henry va épouser Anne de Clèves et en faire sa reine ! Menées par Cromwell, les tractations en vue du mariage s'intensifient à partir de 1539 et ces négociations se soldent, le 4 octobre, par l'établissement d'un traité officialisant le mariage. Il est temps pour Anne de quitter Clèves pour rejoindre l'Angleterre. Impatient de découvrir enfin la jeune femme, dont il ne connaît que le portrait, le roi se porte à sa rencontre et la rejoint à Rochester. Et là, c'est la douche froide : Anne ne parle pas l'anglais et surtout...elle ne plaît pas du tout au roi, qui se sent lesé. L'a-t-on trompé ? Non, Anne de Clèves n'est assurément pas la jeune personne charmante représentée par Holbein et dont les atouts étaient chaleureusement vantés par Cromwell. Le point de vue du roi pourrait s'avérer subjectif mais il semble que la jeune femme n'ait pas fait une grande impression générale, puisque l'ambassadeur de France en Angleterre écrire qu'Anne de Clèves est une « beauté moyenne d'une contenance assurée et résolue ». La mauvaise maîtrise de la langue anglaise d'Anne et le fait qu'Henry ne parle pas allemand rendent aussi les échanges du couple difficiles. Henry aura ce jugement lapidaire : Elle ne me plaît pas. Il ne pourrait pas être plus éloquent.
    Henry se trouve dans une impasse : casser les fiançailles ? Certes, mais cela signifie aussi renoncer à l'alliance avec Clèves. Le roi se résout donc, la mort dans l'âme, à épouser cette homme qu'il a aussitôt prise en grippe. Le mariage a lieu le 6 janvier 1640 au palais londonien de Placentia, après qu'Anne se fut convertie à l'anglicanisme, conformément au souhait de Henry. Mais leur mariage n'est valide que sur le papier puisque le roi ne le consommera jamais. Le 24 juin 1640, six mois après son mariage et après de nombreux mois d'incertitude et d'angoisse pour Anne, elle est sommée de quitter la Cour. Moins d'un mois plus tard, on lui annonce que Henry a décidé de faire annuler leur union. Sans hésiter, la jeune femme consent à tout et l'annulation est officielle le 9 juillet. Pour que cette annulation soit acceptée, Henry invoquera la non consommation ainsi que le précédent contrat de fiançailles unissant Anne à François de Lorraine. Le roi ira même jusqu'à insinuer que la jeune femme n'était pas vierge au moment de son mariage avec lui...
    Comme Anne, docile et peut-être échaudée par le sort précédent des épouses d'Henry VIII, ne fait pas de difficultés, le roi se montre plutôt clément envers elle : on lui octroie le palais de Richmond ainsi que le château de Hever, demeure d'enfance d'Anne Boleyn. Si le roi n'avait aucune affinité amoureuse avec Anne, pour autant il se montrera par la suite amicale avec elle, la faisant revenir régulièrement à la Cour où elle fait des séjours comme n'importe quel membre de la famille. Le roi l'appelle même avec familiarité ma chère sœur et il ne semble pas qu'Anne ait eu envie de rentrer à Clèves, ce à quoi l'annulation de son mariage l'autorisait. Cette appellation chaleureuse et informelle devient même un titre à part entière puisque désormais, Anne de Clèves n'est plus connue que comme Sœur aimée du Roi. Pour autant, l'échec de ce mariage, imputé à Cromwell vaudra à ce dernier une disgrâce brutale et une exécution pour trahison en 1540.
    Le 28 juillet 1540, moins de trois semaines après l'annulation de son mariage avec Anne de Clèves, Henry VIII prend une cinquième épouse : elle est très jeune, espiègle et volubile et se nomme Catherine Howard. Cousine d'Anne Boleyn, la jeune fille connaît une faveur aussi éclatante qu'éphémère et le même destin tragique : reconnue coupable d'adultère et donc de trahison - là où les doutes demeurent concernant Anne Boleyn, il semble que Catherine Howard ait bien entretenu une liaison avec un jeune homme du nom de Thomas Culpeper -, elle est exécutée en février 1542.
    Une nouvelle union entre Anne de Clèves et le roi, voulue en sous-main par le frère de cette dernière, aurait alors été évoquée mais Henry VIII l'aurait refusée. Sa dernière épouse sera Catherine Parr, qui survit au roi avant de mourir à son tour en 1548. Anne de Clèves reste donc la seule des six épouses à avoir survécu au roi.
    A la mort du roi Henry en janvier 1547, le Conseil Privé du nouveau roi Édouard VI demande à Anne de Clèves de céder sa demeure de Bletchingley et de s'installer à Penshurst, la maison étant réquisitionnée pour Thomas Cawarden, maître des cérémonies du roi. En 1553, à la mort du jeune roi à l'âge de seize ans, Anne assiste à Londres à l'entrée des filles du roi, Marie et Élisabeth. Elle est présente pour les y accueillir et elle assiste également au couronnement de Marie Tudor à Westminster. C'est sa dernière apparition publique. Connue pour son catholicisme fervent, à l'instar de sa mère Catherine d'Aragon, Marie Ière rétablit la foi catholique comme religion d'Etat. Anne de Clèves se convertit sans hésiter. Elle ne manque pas d'adresser une lettre de félicitations à la nouvelle reine lorsque cette dernière épouse Philippe II d'Espagne. Mais Anne reste finalement discrète et ne fréquente plus guère la Cour sous le règne de Marie Tudor.
    Lorsque celle-ci est informée de la santé chancelante d'Anne, elle l'autorise à emménager à Chelsea Manor, la maison où Catherine Parr avait vécu après son remariage et où elle était morte en 1548. C'est là qu'en juillet 1557, Anne dicte son testament et fait part de ses dernières volontés. Dans ce testament sont cités son frère le duc de Clèves mais aussi sa sœur Amélie, tout comme Élisabeth, la fille d'Henry VIII, la duchesse de Norfolk et la comtesse d'Arundel. Elle laisse une somme d'argent à partager entre ses serviteurs et demande à Marie et Elisabeth de les employer dans leurs propres maisons après sa disparition.
    Anne meurt à Chelsea Manor le 16 juillet 1557, quelques semaines seulement avant son quarante-deuxième anniversaire. Il est probable qu'elle ait été atteinte d'un cancer. Le 3 août, elle est enterrée à Londres, en l'abbaye de Westminster. Seule des six épouses d'Henry VIII inhumée à Westminster, elle est aussi la dernière à mourir, après Catherine Parr disparue neuf ans plus tôt.

    IV. La survivante : Catherine Parr 

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    A la fin de sa vie, Henry VIII est un homme usé, bien loin de l'image du jeune homme athlétique, sportif et séduisant de sa jeunesse. Pesant près de 178 kilos, souffrant de la goutte et affligé d'ulcères purulents aux jambes, au roi et tyrannique avec son entourage, Henry VIII est devenu un roi obsessionnel et violent. Pas de quoi vraiment faire rêver une jeune femme, à plus forte raison lorsqu'on est amoureuse d'un autre...pourtant, Catherine Parr n'aura pas le choix et c'est la mort dans l'âme qu'elle épousera Henry VIII en 1543.
    Elle est née vers 1512 : sa date de naissance n'est pas connue. Catherine est la fille d'un contrôleur de la Maison Royale, un certain sir Thomas Parr de Kendal. En premières noces en 1527 - elle a alors quinze ans -, elle se marie avec le second baron Bouroug of Gainsborough puis épouse en 1534 John Neville, baron Latymer. Très instruite et intelligente, Catherine s'intéresse à beaucoup de sujets et notamment à la religion. Or, c'est un domaine dangereux sous le règne d'Henry VIII et la jeune femme s'attire ses foudres. Le roi songea même un temps à la faire arrêter et exécuter avant de se raviser. Sa mort en janvier 1547 sauvera Catherine d'une mort certaine mais malheureusement pas d'un destin tragique sur lequel nous allons revenir.
    Nous sommes en juillet 1543, au château de Hampton Court. Henry VIII convole en justes noces pour la dernière fois. Comment a-t-il rencontré Catherine Parr ? On ne le sait pas exactement mais il est certain que, pour Catherine, ce mariage est un mariage forcé et probablement douloureux car la jeune femme, amoureuse de Thomas Seymour, souhaitait se marier avec lui avant que les volontés du roi ne soient connues. Elle va cependant faire face avec courage, essayant d'aimer son nouveau mari comme elle le peut.
    Ses premiers pas de reine se font dans une atmosphère lugubre de fin de règne : Henry VIII souffre sans cesse, sa santé ne cesse de se dégrader et son caractère est au diapason de sa déliquescence physique. Le roi fait vivre un véritable calvaire psychologique à ses proches, qui se tiennent sur leurs gardes pour ne pas subir les foudres du vieux tyran. Il semble que la première chose à laquelle Catherine, en tant que nouvelle reine, va s'atteler, est la réconciliation véritable d'Henry avec ses deux filles. Déclarées bâtardes après la disgrâce de leurs mères, les deux princesses entretiennent des relations assez complexes avec leur père. Elle favorisa une meilleure entente entre le roi et les deux jeunes femmes et se montra aussi attentive à Édouard, tout jeune encore et orphelin de mère. Catherine sera également nommée régente du royaume pendant trois mois, à l'été 1544, tandis que le roi participait à une énième et infructueuse campagne contre la France. Entourée de Thomas Seymour et de l'évêque Thomas Cranmer, elle sut diriger efficacement le royaume et tint avec fermeté les rênes du pouvoir, contrôlant les provisions nécessaires pour les troupes comme les finances. Elle signa de sa main cinq proclamations royales et sut garder un oeil avisé et prudent sur la menaçante Écosse. On dit que les actions de Catherine Parr en tant que régente influencèrent beaucoup par la suite sa belle-fille, Élisabeth, dont elle était proche.
    Mais le sujet, ô combien dangereux, qui passionne la reine est la religion. Nous l'avons dit, Catherine est fine, dotée d'une grande intelligence et d'une riche instruction. Levée dans la foi catholique, elle s'intéresse assez rapidement à la Nouvelle Foi, autrement dit, la foi protestante. S'est-elle convertie ? Si tel est le cas, elle le fait dans le courant des années 1540. Elle a aussi entretenu des liens avec la protestante Anne Askew, brûlée vive pour avoir renié publiquement le principe de la transsubstantiation. Lors de son interrogatoire, Anne Askew refuse de dire quoi que ce soit qui puisse incriminer la reine. Plutôt discrète, Catherine Parr ne se dévoile pas mais ce n'est bientôt un secret pour personne que la reine aspirerait à une traduction en anglais de la Bible, afin de la rendre accessible au plus grand nombre, ce qui n'est pas le cas de la Bible en latin. Peut-être désireux de perdre la reine dans l'opinion du roi, des conseillers de ce dernier, comme l'évêque Gardiner ou encore, le chancelier Thomas Wriothesley, répandent des rumeurs sur Catherine et ses liens étroits avec Anne Askew ne jouent pas en sa faveur. Après tout, cette femme a professé publiquement une hérésie contre la doctrine catholique, on peut donc supposer que la reine a aussi quelque chose à se reprocher. Cette dernière se retrouve alors dans une position complexe : son intérêt un peu trop dangereux pour la religion et notamment pour le protestantisme, a suscité la colère du roi. Catherine vit alors plusieurs semaines d'angoisse et d'incertitude. Henry VIII aurait songé un temps à la faire arrêter et peut-être exécuter mais Catherine, plaidant sa cause, parvient à faire revenir le roi à plus de clémence. Ils se réconcilieront même après cet épisode qui a valu bien de la frayeur à la reine.
    Le 31 janvier 1547, Henry meurt, le corps usé et fatigué. Si elle ne le montra pas, on peut supposer que Catherine fut soulagée par la disparition du roi. Soulagée et délivrée, car elle peut désormais épouser qui elle veut et...la veuve est toujours amoureuse de Thomas Seymour. Lord Haut Amiral et premier baron Seymour de Sudeley, Thomas Seymour est le frère de Jane Seymour et par conséquent, oncle d'Edouard VI dont il est proche. Elle s'installe dans un premier temps à Chelsea Manor, demeure qui lui avait été accordée à vie en 1544. Remariée rapidement, Catherine a la surprise, à trente-cinq ans, de tomber enceinte, alors que ses précédents mariages sont restés stériles. Éprise de son époux, remarque-t-elle l'attention un peu trop soutenue de ce dernier envers la jeune princesse Élisabeth que Catherine, après la mort du roi, a pris sous son toit ? Peut-être pas.
    Le 30 août 1548, Catherine met au monde une petite fille, Marie Seymour, au château de Sudeley. Elle meurt le 5 septembre suivant, six jours seulement après son accouchement, probablement d'une fièvre puerpérale, comme la défunte reine Jane Seymour. Catherine ne verra pas mourir son époux Thomas, décapité moins d'un mois plus tard pour trahison, laissant ainsi leur petite fille totalement orpheline. On sait peu de choses de Marie Seymour, il semble qu'elle disparaisse assez jeune, après avoir été recueillie par une amie proche de Catherine, la duchesse douairière de Suffolk.
    Son cercueil est redécouvert en 1782 dans les ruines de la chapelle du château de Sudeley, où elle avait été inhumée. L'homme qui redécouvre le corps de Catherine Parr, John Locust, a la surprise de se trouver face à un corps très bien conservé. Après avoir prélevé quelques cheveux de la reine, Locust fit refermer le cercueil et le replaça dans la tombe. Mais dans les années qui suivent, le cercueil de Catherine est ouvert plusieurs fois et probablement si mal réenterré qu'en 1817, lorsqu'on rouvre la sépulture, il n'y a plus qu'un squelette. On fit alors déplacer définitivement les restes de la dernière reine d'Henry VIII vers la tombe familiale de Lord Chandos, propriétaire du château de Sudeley à ce moment-là. Un monument et un gisant furent érigés pour marquer l'emplacement de la tombe de Catherine Parr.

     © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour aller plus loin : 

    - La princesse espagnole, Philippa Gregory. Roman.
    - L'héritage Boleyn, Philippa Gregory. Roman.
    - Les Tudors, Liliane Crété. Essai historique.
    - Les Tudors : la naissance de l'Angleterre, Jane Bingham. Essai historique.
    - Les Reines Maudites, tome 1, Catherine d'Aragon, Alison Weir. Roman historique.
    - The Six Wives of Henry VIII, Alison Weir. Essai historique.


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  • #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État

    #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État

     

    I. 1er janvier 1515 : François Ier monte sur le trône et sa mère triomphe


    Le 1er janvier 1515, le roi Louis XII meurt à Paris, à l'âge de cinquante-trois ans. Malgré trois mariages, il disparaît sans descendance masculine et ne laisse que deux filles, nées de son union avec Anne de Bretagne : Claude, née en 1499 et qui, fiancée l'année précédente avec son cousin François d'Angoulême, devient reine de France et Renée, âgée de quatre ans et demi et qui deviendra quelques années plus tard duchesse de Ferrare.
    La reine Anne était morte le 9 janvier 1514 à l'âge de trente-sept ans, des suites de la gravelle et, malgré la peine sincère du roi qui perdait son épouse à laquelle il était très attaché, l'espoir d'avoir enfin un héritier mâle était le plus fort : Louis XII avait donc contracté une troisième union avec Mary Tudor, la sœur du roi d'Angleterre Henry VIII. La jeune femme apporta un vent de fraîcheur à la cour de France et sa beauté en séduisit plus d'un, à commencer par le jeune François d'Angoulême, qu'une sèche semonce de sa mère devait remettre dans le droit chemin...malheureusement, il n'y eut point d'enfant royal et le roi, déjà affligé d'une mauvaise santé, vit son état se détériorer rapidement...d'aucuns ont dit que la belle Anglaise avait épuisé son royal époux dans la couche conjugale, tant Louis XII fut ardent à honorer sa belle et jeune épouse ! Pourtant, c'est peine perdue puisque Mary Tudor ne tomba pas enceinte. Il semblerait surtout que Louis XII ait succombé à des d'hémorragies intestinales mais aussi de la goutte, maux dont il avait été affligé toute sa vie. 
    La mort du roi, après dix-sept ans de règne, consacre le triomphe de la famille de Valois-Angoulême puisque c'est le jeune cousin de Louis XII, François, qui devient roi de France sous le nom de François Ier. Dans l'ombre, une femme triomphe, on pourrait même dire qu'elle exulte : c'est sa mère, Louise de Savoie, qui voit couronnées de succès toutes ces années où elle a patiemment attendu, préparant son « César », à la fonction suprême et s'attirant aussi l'inimitié de la reine Anne de Bretagne, qui considéra dès lors Louise de Savoie comme une dangereuse rivale...
    Pour comprendre comment est né ce duel féminin au sommet de l'Etat, il faut d'abord remonter dans le temps et découvrir les origines respectives d'Anne et de Louise. Car si l'une était destinée à régner, ce n'était pas le cas de l'autre...


    II. Anne de Bretagne : l'hermine et la France

    #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État


    Anne naît en janvier 1477 à Nantes. Elle est la fille du duc François II de Montfort et de son épouse Marguerite de Foix. Par son père, elle est issue de la maison de Montfort-l'Amaury qui règne sur la Bretagne depuis 1365. Sa mère, la duchesse Marguerite est quant à elle apparentée à la maison de Foix-Béarn et à la maison de Navarre. Elle a épousé le duc de Bretagne en 1471 à Clisson.
    Si rien n'empêche les femmes d'hériter des terres de leur père - on a l'exemple d'Aliénor d'Aquitaine au XIIème siècle ou encore celui de la comtesse Ermengarde de Narbonne à la même époque - contrairement au trône de France qui ne peut se transmettre que par primogéniture mâle, le couple ducal souhaite évidemment un fils, qui ne viendra jamais. Le duc François craint en effet que sans héritier mâle, des troubles successoraux ne viennent secouer son duché, ce qui était déjà arrivé au siècle précédent, au moment de la guerre de Succession de Bretagne. Et si sa maîtresse Antoinette de Maignelais lui donne un fils bâtard, François d'Avaujour, la duchesse Marguerite n'accouche que de deux filles : Anne, l'aînée puis Isabelle, entre 1478 et 1480. Anne est officiellement reconnue comme héritière du duché de Bretagne en 1486.
    Mais la situation politique de la Bretagne est instable et le duché, divisé de l'intérieur, est lorgné à ses Marches par son puissant voisin, le royaume de France. Il est vrai que François II ne se tient pas tranquille et s'est engagé dans la Guerre Folle, contre la France et sa régente, Anne de Beaujeu. A plusieurs reprises, il a reçu le duc Louis d'Orléans qui s'est lui-même retourné contre la couronne de France.
    En 1488, François II et ses partisans sont défaits à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier et le duc est contraint de signer l'humiliante paix du Verger. Une clause de ce traité se révélera particulièrement importante par la suite comme nous allons le voir : l'héritière de Bretagne ne pourra se marier sans l'accord du roi de France. La défaite du duc François est totale et la France triomphe. Quelques semaines plus tard, en septembre 1488, le duc meurt des suites d'une chute de cheval et Anne devient, à onze ans, duchesse en titre.
    Les premières années de pouvoir de la jeune fille sont compliquées : trahie par son propre frère et par des nobles bretons, certains désignés par le duc François avant son décès pour conseiller sa fille, comme la famille d'Albret ou encore le maréchal de Rieux, Anne est aux abois, d'autant plus que la France se mêle des affaires bretonnes et défait les armées de la duchesse qui, quant à elle, reste fidèle à la promesse faite à son père de ne jamais céder à l’assujettissement au royaume de France. En 1489, Anne est officiellement couronnée duchesse de Bretagne.
    Mais sa situation ne s'améliore pas. En 1490, cherchant par tous les moyens un appui, Anne se tourne vers Maximilien de Habsbourg, qu'elle épouse par procuration au mois de décembre de cette année-là, provoquant alors la colère de la France. En effet, par ce mariage, la duchesse a violé le traité du Verger. En 1491, malgré les renforts anglais et castillans, la duchesse est assiégée dans sa ville de Nantes par le roi de France en personne, qui commande ses troupes. Charles VIII est venu personnellement lui faire entendre raison et la persuader de renoncer à son mariage avec Maximilien de Habsbourg. Acculée, comprenant que son peuple va au devant de maux terribles, à commencer par la famine, la duchesse Anne décide de se rendre et envoie plusieurs messages en ce sens au roi de France. Toutefois, elle persiste encore à refuser le mariage.
    Autre conséquence de cette union non consentie par le roi de France : ce dernier rompt son alliance avec Maximilien de Hasbourg en répudiant sa jeune fiancée, la petite Marguerite d'Autriche, la propre fille de Maximilien, élevée depuis ses trois ans en France pour devenir reine. Afin de conclure la paix avec la Bretagne, il n'y a plus qu'une solution : l'annulation du mariage d'Anne avec Maximilien - qu'elle n'a par ailleurs jamais vu - et une nouvelle union avec Charles VIII, qui consacrerait ainsi l'alliance du duché et du royaume. Ironie du sort, en renonçant à son mariage avec Marguerite d'Autriche pour épouser la duchesse de Bretagne, Charles VIII fait précisément ce qu'il a reproché à Anne : se parjurer, puisqu'en répudiant Marguerite, il viole le traité de Francfort.
    Courant novembre 1491, Charles VIII et Anne de Bretagne se rencontrent. Le roi est surpris de se trouver en présence d'une jeune fille plutôt charmante, alors que la duchesse de Bretagne lui avait été décrite comme peu jolie et bancale (boiteuse). Anne quant à elle, n'est pas séduite : habituée à une cour raffinée et instruite, elle est plutôt indifférente à ce jeune homme qui n'est pas très beau et se montre même un peu rustaud...
    Le 6 décembre 1491, à Langeais, Anne de Bretagne épouse Charles VIII qui, quelques semaines plus tôt à Baugé, a signifié à Marguerite d'Autriche sa répudiation. La jeune fille rentrera auprès de son père après la signature du traité de Senlis en 1493. Amère, défaite, la duchesse de Bretagne devient reine de France, où ses premiers pas ne sont pas des plus faciles, la jeune fille se heurtant notamment à l'hostilité de sa belle-sœur, la puissante Anne de Beaujeu, qui avait été régente du royaume après la mort de son père Louis XI.
    Mais Anne est intelligente et, à force de patience, elle parvient à se faire sa place à la cour de France. Si son mariage avec Charles VIII n'est qu'un mariage de convenance, elle parvient cependant à se rapprocher de son mari et une certaine entente naît entre eux deux, renforcée notamment par plusieurs naissances. En tout et pour tout, de 1492 à 1498, Anne sera mère six fois. En 1492 naît un petit Dauphin, prénommé Charles-Orland. Le petit prince est élevé au château d'Amboise, la pouponnière des rois de France, où son propre père est né et a grandi. Dans ce palais des bords de Loire, l'air est réputé pur et bénéfique à la croissance des enfants.
    Si Charles VIII et Anne de Bretagne se montrent attachés à leur premier-né et attentifs à son confort et sa santé, ils sont des souverains de leur temps, itinérants et qui doivent tenir leur cour. Ce ne sont pas eux qui prennent soin du bébé mais une armada de nourrices et de gouvernantes, avant que le prince ne passe aux hommes et ne commence sa véritable éducation, à l'âge de sept ans. Mais le petit Charles-Orland n'atteindra jamais cet âge-là, puisqu'il meurt à l'âge de trois ans, probablement des suites d'une rougeole. Ses parents se montrent sincèrement affligés, à commencer par le roi qui surnommait affectueusement son fils "mon bel écuyer".
    Malheureusement, la succession d'Anne de Bretagne et de Charles VIII s'arrête là : les fils qui naîtront après verront le jour prématurément ou seront morts nés et le dernier enfant, qui naît en mars 1498 est une fille, Anne, qui ne vit pas. Le règne de Charles VIII s'achève brutalement quelques semaines plus tard : le 7 mars 1498, alors que la cour se trouve à Amboise, le roi et la reine circulent dans une galerie afin d'aller voir une partie de jeu de paume. En franchissant une porte basse, le roi se cogne violemment le front au linteau. Un peu étourdi, il chancelle mais semble se remettre de la commotion, assiste à la partie tout en devisant avec ses compagnons. L'incident pourrait vite devenir un mauvais souvenir quand soudain, quelques heures plus tard, le roi se sent mal et fait un malaise. Il perd connaissance et meurt peu après, allongé sur une paillasse apportée à la hâte dans une galerie humide et puante du château d'Amboise. Il meurt sans descendance et Anne est veuve à vingt-et-un ans. Sans enfant, reine douairière, son seul avenir est de revenir en Bretagne, ce qu'elle fait...elle ne le sait pas encore, mais ce ne sera pas pour longtemps.


    II. Louise de Savoie : jamais sans mon fils

    #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État

    Les enfants de Louise à l'âge adulte : Marguerite d'Angoulême devenue reine de Navarre et François, premier roi de la dynastie des Valois-Angoulême


    En décembre 1491 quand Anne de Bretagne devient reine de France, une autre jeune femme loin de là, en son château de Cognac, attend de devenir mère : Louise de Savoie est enceinte de cinq mois et attend son premier enfant pour le mois d'avril prochain. Le bébé sera une fille, prénommée Marguerite et destinée à un éminent destin. Future reine de Navarre, celle que l'on surnommera la Marguerite des Marguerites est encore connue aujourd'hui pour sa vaste culture et son érudition. Elle est notamment l'autrice de L'Heptaméron et sera l'un des fleurons de la cour de son frère... Mais n'allons pas trop vite en besogne et concentrons-nous d'abord sur sa mère.
    Louise de Savoie est née en 1476 au château de Pont-d'Ain. Princesse de la maison ducale de Savoie, elle est une exacte contemporaine d'Anne de Bretagne, qu'elle retrouvera plusieurs années plus tard à la cour de France : elles n'ont en effet que quatre mois d'écart.
    Le père de Louise est le futur duc de Savoie Philippe de Bresse, dit sans Terre et sa mère est Marguerite de Bourbon. Quand cette dernière meurt en 1483, la petite fille de sept ans est confiée à une cousine de sa mère, Anne de Beaujeu, alors régente du royaume de France, qui prend entièrement son éducation en charge. Au cours des années qui suivent, on aperçoit par exemple Louise à Gien, chez les Beaujeu. En 1488, alors qu'elle a presque douze ans, Louise est unie au comte d'Angoulême, Charles d'Orléans. Ce dernier est un cousin du roi de France : c'est aussi un cousin du turbulent duc d'Orléans Louis, qui aura une influence si grande par la suite sur les destins respectifs d'Anne et de Louise. Par son père Jean d'Orléans, Charles est un descendant de Louis Ier d'Orléans - le frère de Charles VI - et de Valentine Visconti.
    Louise de Savoie va quitter la cour d'Anne de Beaujeu pour l'Aunis où se trouve le château de Cognac, où elle s'installe. Son époux Charles est connu pour entretenir de nombreuses liaisons. On dit que lorsque Louise arriva à Cognac elle trouva au château deux maîtresses installées et leurs enfants respectifs qui vivaient tous dans une joyeuse promiscuité. Cette anecdote est-elle vraie ? En tout cas, elle est représentative si besoin en est, de la vie relativement dissolue que mène le comte d'Angoulême avant son mariage. Il semblerait qu'il ne soit pas plus fidèle à Louise après leur mariage mais le couple aura tout de même deux enfants : Marguerite en 1492 et le petit François, qui naît en septembre 1494. Deux ans plus tard, en 1496, le comte d'Angoulême meurt, laissant une jeune veuve de dix-neuf ans et deux enfants de quatre et deux ans.
    Louise de Savoie n'est pas une mère conventionnelle pour l'époque. Leur isolement dans un château de province, loin de tout puis son veuvage et probablement leur proximité en âge - elle a seize ans de plus que Marguerite, dix-huit de plus que François - fait de la mère et des deux enfants une triade particulièrement soudée. Louise se montre très attachée et attentive à son jeune fils, qu'elle aime beaucoup mais ne néglige pas non plus l'éducation de sa fille Marguerite. Aidée par son confesseur Cristoforo Numai de Forli, elle prend à bras le corps l'éducation des deux jeunes princes et, fidèle à sa devise Libris et liberisPour des livres et pour des enfants »), elle fait oeuvre de mécénat en commandant de nombreux ouvrages et manuscrits destinés à l'éducation de Marguerite et François.
    En 1498, à la mort de Charles VIII sans descendance mâle, c'est son cousin et beau-frère Louis d'Orléans qui monte sur le trône. L'ancien prince rebelle devient roi sous le nom de Louis XII et l'une de ses premières décisions est...de se séparer de son épouse, Jeanne de France. Celle-ci est la soeur de Charles VIII et d'Anne de Beaujeu et lorsque Louis XI avait donné en mariage sa fille au duc d'Orléans il aurait eu cette phrase : « Je gage que les enfants qu'ils auront ensemble ne leur coûteront guère à nourrir. » faisant référence à la stérilité de Jeanne, affligée également de malformations handicapantes (elle était boiteuse et bossue entre autres choses). Louis d'Orléans avait considéré ce mariage comme une humiliation, voire un affront et prend donc pour prétexte la stérilité de son épouse pour annuler leur mariage lorsqu'il devient roi. En effet, il a besoin d'un héritier mâle pour asseoir et consolider sa lignée. Le 8 janvier 1499, il se remarie et peu de temps après, invite à la cour sa cousine Louise de Savoie et ses deux enfants, dont il est le tuteur depuis la mort de Charles d'Angoulême.


    III. La rivalité de deux femmes pour le trône


    En entamant les démarches d'annulation de son mariage avec Jeanne de France, Louis XII ne fait que respecter les clauses du contrat signé entre Charles VIII et Anne de Bretagne en 1491 : si le roi venait à mourir sans descendance, son successeur devrait alors épouser sa veuve, à condition qu'il parvienne à faire annuler son mariage dans un délai d'un an.
    Anne, en attendant, ne reste pas inactive. Puisque les démarches en annulation peuvent durer un moment, elle décide (selon une clause de son contrat de mariage qui l'y autorise) de rentrer en Bretagne et de reprendre les rênes de son duché. En octobre 1498 elle est à Nantes, après avoir échangé une promesse officielle de mariage avec Louis XII le 19 août, à Étampes.
    Entre avril 1498 et son second mariage en janvier 1499, la duchesse fait acte de souveraineté en restaurant notamment la chancellerie de Bretagne qu'elle confie à l'un de ses plus fidèles conseillers, Philippe de Montauban et nomme Jean de Chalon lieutenant général de Bretagne. Elle convoque les états de Bretagne, fait émettre une monnaie à son nom et sur laquelle figure son effigie et nomme son écuyer Gilles de Texue gouverneur du château de Brest. Les liens avec la cour de France ne sont probablement pas rompus et il est presque certain qu'Anne, entre l'été 1498 et le début de janvier 1499 reste informée de l'avancée de la procédure en annulation lancée par Louis XII.
    Le 8 janvier 1499 à Nantes, la veuve de Charles VIII épouse son successeur et redevient reine de France, moins d'un an après être devenue veuve. Tous les espoirs sont à nouveau permis et Anne souhaite plus que tout donner un fils au trône.
    Si le mariage avec Charles VIII, sans être très harmonieux a finalement été relativement heureux, il semblerait que l'union avec Louis XII le soit plus rapidement, même si elle est contractée au départ pour des motifs bassement prosaïques. Il faut dire aussi que la donne a changé : Anne est plus âgée, a plus d'expérience, elle n'est plus la petite duchesse humiliée et vaincue de 1491. Le contrat de mariage avec Louis XII lui est d'ailleurs relativement favorable. En d'autres termes, Anne joue dans la même cour que son époux et est capable d'en imposer s'il le faut.
    Le couple s'entend bien, malgré leur différence d'âge - Louis a quinze ans de plus qu'elle. Le roi surnomme affectueusement son épouse sa « Brette » (sa Bretonne). Peu de temps après le mariage, Anne est enceinte. Une grossesse qu'elle mènera seule puisque Louis XII s'est lancé, comme son prédécesseur Charles VIII, dans la conquête de l'Italie. Descendant de Valentine Visconti, le roi fait notamment valoir ses droits sur le Milanais. Quand la petite Claude de France naît en octobre 1499, son père est d'ailleurs en pleine campagne militaire dans le Nord de l'Italie.
    Louise de Savoie assiste-t-elle à la naissance royale en qualité de dame d'honneur d'Anne de Bretagne ? C'est probable, dans la mesure où la reine accouche dans sa propre maison de Romorantin, où le roi avait transporté la Cour avant son départ d'Italie pour cause d'épidémie de peste à Blois. Louise était revenue à la Cour dès avril 1498 et petit François, qui est alors le plus proche parent mâle du roi tant que celui-ci n'a pas de fils, est fait duc de Valois en 1499.
    La famille d'Angoulême s'installe à Amboise, où Louise continue de superviser l'éducation de ses deux enfants, entourant François de tout son amour et de sa prévenance, à l'instar de Marguerite, qui se montre très attachée à son jeune frère. Quand Louis épouse Anne de Bretagne, elle est naturellement nommée dame d'honneur de la reine.
    A Amboise, Louise doit composer avec le maréchal de Gié, gouverneur du petit duc de Valois. Mais les relations entre la mère et le gouverneur sont électriques, Louise désapprouvant manifestement les méthodes d'éducation du maréchal : il semble que le roi soit même intervenu pour aplanir les relations.
    Les relations d'Anne et Louise se tissent à l'occasion des séjours de la duchesse d'Angoulême à la cour. En tant que dame d'honneur de la reine, elle fait partie de son cercle rapproché, mais cela ne signifie pas pour autant qu'elles partagent une certaine intimité ou même, de l'amitié. Louise et Anne ont pourtant au moins un point commun : leur caractère trempé par l'adversité et les épreuves. Cela pourrait les rapprocher mais va se transformer, en ce qui les concerne, en rivalité pour la succession au trône...
    La naissance de Claude de France, si elle réjouit ses parents, est néanmoins une déception. De plus, Anne tremble pour cette enfant plutôt chétive et fragile. Louise, quant à elle, est satisfaite : tant que la reine ne parvient pas à donner de fils au roi, l'héritier mâle le plus proche est le petit duc de Valois, son fils. Dès lors, la duchesse d'Angoulême ne va plus vivre que pour cela : ambitieuse certes, elle ne l'est pas pour elle-même mais uniquement pour son fils. Ainsi, à chaque grossesse d'Anne, les deux femmes tremblent et espèrent, mais pas de la même façon : tandis que la reine prie pour que lui naisse un fils, Louise de Savoie elle, ne veut que le contraire...En 1500, 1503 et 1512, la reine donne naissance à trois fils qui ne vivront pas et devra supporter entre 1505 et 1509 l'épreuve de plusieurs fausses-couches qui la minent. A l'occasion de l'une de ses naissances malheureuses, tandis que la reine pleure son échec, Louise écrit à propos de la mort du petit prince : « Il ne pouvoit retarder l'exaltation de mon César, car il avoit faute de vie ».
    Il semblerait qu'Anne ait vite compris les espérances et les ambitions de Louise, d'où l'amertume de la reine envers sa cousine par alliance et envers son fils, enfant turbulent, espiègle et surtout, en bonne santé qui lui rappelle sans cesse qu'elle n'a pas de fils. En effet, dans la mesure où les femmes sont écartées de la succession royale, celle-ci est relativement simple : si le roi régnant n'a pas de fils, on désigne le cas échéant son frère ou ses neveux pour lui succéder. S'il n'en a pas, on cherchera le plus proche héritier mâle de la lignée ou dans les branches cadettes : c'est ainsi qu'aux Capétiens directs ont succédé les Valois directs en 1328...c'est encore une fois du fait de cette loi de primogéniture mâle que le duc d'Orléans, cousin du roi, a succédé à Charles VIII en 1498 car il était son plus proche parent masculin. En toute logique, le jeune prince d'Angoulême est le premier dans l'ordre de succession tant que Louis XII n'a pas de garçon.
    En 1510 naît une fille en bonne santé, baptisée Renée, qui survivra. Mais en onze ans de mariage, aucun fils n'a encore vécu et Louis XII et Anne se désespèrent. Ils ont beau mener grand train et entretenir une cour brillante (à Blois notamment, le château natal du roi, qu'il fait remanier au goût du jour avec une aile gothique flamboyante ) où Anne fait preuve d'un véritable mécénat, il leur manque l'essentiel. Les attentions du roi envers François suscitent évidemment la colère de la reine et ses relations avec Louise n'en sont que plus houleuses.
    En 1512, la dernière naissance finit de briser les rêves des parents, avec la naissance d'un fils qui ne vit pas. Anne de Bretagne ne sera plus jamais enceinte après cela et sa santé commence à se dégrader. A trente-six ans, la reine souffre de la gravelle (aujourd'hui appelée lithiase urinaire), aussi appelée maladie de la pierre : il s'agit en fait de calculs rénaux qui occasionnent des douleurs importantes (les fameuses coliques néphrétiques) et des troubles urinaires. Si aujourd'hui la plupart des cas sont curables car les symptômes sont connus et pris en charge rapidement, ce n'est pas le cas au XVIème siècle. Épuisée par de nombreuses grossesses, Anne meurt au matin du 9 janvier 1514 à Blois, sans avoir pu empêcher que sa fille Claude, âgée de quatorze ans et demi, soit promise à son cousin François d'Angoulême, qu'elle épousera d'ailleurs quelques mois après la mort de sa mère.
    La mort de la reine enlève à Louise de Savoie le poids qui pesait sur ses épaules : Louis XII et Anne de Bretagne n'ayant pas eu le fils tant espéré, la voie de la succession s'ouvre toute grande devant son fils. Le destin de son César est marche !
    Et pourtant...

    #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État

    Charles VIII et son successeur, le roi Louis XII ont tous les deux épousé Anne de Bretagne, respectivement en 1491 et 1499 


    IV. Une dernière épreuve avant le triomphe final

    #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État

    Mary Tudor, sœur du roi Henry VIII, épouse Louis XII en octobre 1514 : elle sera une reine éphémère puisque le roi meurt le 1er janvier suivant


    Coup de théâtre : Louis XII, à cinquante-deux ans, lui aussi usé par une mauvaise santé, décide pourtant de se remarier ! Ce choix provoque la stupeur à la cour de France qui voit débarquer, en octobre 1514, une jolie princesse d'outre-Manche, Mary Tudor, âgée de dix-huit ans. Celle-ci est la fille d'Henry VII Tudor et de son épouse Elizabeth d'York. Elle est surtout la sœur du futur rival politique de François Ier, le jeune roi Henry VIII, monté sur le trône d'Angleterre en 1509.
    A la cour, la jolie reine ensorcelle les jeunes gens à commencer par François Ier qui se montre très séduit et la courtise sans vergogne. Prévenue, Louise de Savoie entre dans une violente colère contre son fils ! Où a-t-il la tête ? Et s'il mettait la reine enceinte et que celle-ci accouche d'un fils ? Sa paternité en serait aussitôt attribuée au roi et François serait automatiquement évincé de la succession. Or, Louise de Savoie ne peut se résoudre à cela : non, elle a trop tremblé pendant toutes ces années, à attendre avec angoisse les délivrances d'Anne de Bretagne, à remercier le Ciel qu'il n'ait pas daigné envoyer au couple royal le fils tant espéré, elle a tant travaillé dans l'ombre pour son propre enfant, son César, qu'il ne va pas tout gâcher maintenant pour une princesse anglaise un peu trop jolie ! Rappelé à l'ordre, François se le tient pour dit.
    De toute façon, le comte à rebours est enclenché : Mary Tudor ne sera qu'une reine éphémère puisque la maladie rattrape le roi. Entouré des siens, il meurt le 1er janvier 1515 et François accède enfin au trône. Il prend le nom de François Ier et devient le premier souverain de la dynastie des Valois-Angoulême. Il garde auprès de lui comme conseillère privée sa mère, Louise de Savoie, qui deviendra régente du royaume à plusieurs reprises, sans avoir été reine, ce qui est inédit. Le roi décide de lui accorder un titre nouveau et à sa juste valeur : Louise de Savoie devient Madame, mère du roi et sera titrée duchesse d'Angoulême, duchesse d'Anjou et comtesse du Maine et Beaufort-en-Vallée ainsi que baronne d'Amboise à l'occasion de l'accession au trône de son fils. Soutien à toute épreuve, principal artisan de la paix des Dames (ou paix de Cambrai) en 1529, elle aura droit à des funérailles royales, à sa mort qui survient en 1531.
    Louise de Savoie lorsqu'elle disparaît à cinquante-cinq ans a sans nul doute triomphé entièrement sur son ancienne rivale. Certes, elle n'a jamais été reine en titre mais elle a été bien plus que cela et, par-dessus tout, elle avait ce qu'Anne de Bretagne n'a jamais eu : un fils suffisamment fort et en bonne santé pour fonder et perpétuer sa propre dynastie.

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    - Pour aller plus loin : 

    - Les reines de France au temps des Valois : le Beau XVIe siècle, Simone Bertière. Biographie. 
    - Anne de Bretagne, Mireille Lesage. Biographie romancée. 
    - Anne de Bretagne, Joël Cornette. Biographie.
    Sur les pas d'Anne de Bretagne, Geneviève-Morgane Tanguy. Biographie. 
    - Charles VIII, Didier Le Fur. Biographie. 
    - Louis XII, Didier Le Fur. Biographie. 
    - François Ier et la Renaissance, Gonzague Saint-Bris. Essai historique. 
    - François Ier, Pascal Brioist. Biographie. 
    - Louise de Savoie : régente et mère du roi, Aubrée David-Chapy. Biographie. 


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  • #43 [SPÉCIAL HALLOWEEN] Le vampire de l'horreur au glamour : histoire d'un mythe 

     Description de cette image, également commentée ci-après

     

    Imaginez...une créature vêtue de noir, sortant de son tombeau au crépuscule pour aller se nourrir du sang de ses victimes. Le vampire se faufile dans la chambre d'un humain endormi et le mord au cou pour se nourrir de son fluide vital.
    La figure du vampire est probablement l'une des créatures du folklore les plus connues, popularisée notamment par des romans ou des films. Le vampire est aussi le nom que l'on donne aux grandes chauve-souris d'Amérique du Sud qui sucent le sang du bétail.
    C'est un personnage noir, inquiétant, qui suscite immédiatement la crainte mais peut aussi receler un potentiel de séduction certain : la morsure au cou, la lascivité des vampires féminins, comme les trois femmes du château de Dracula qui séduisent tout autant qu'elles font peur à Jonathan Harker...tout s'allie pour faire du vampire une créature dont la vision évolue de siècle en siècle, tantôt être ni tout à fait vivant ni mort, objet de terreur et de répulsion dont il faut absolument se prémunir, jusqu'à devenir un être immortel mais attirant, comme chez Anne Rice.
    C'est Halloween, découvrons ensemble...l'histoire du vampire.

     

    I. A l'origine du mythe du vampire : premières religions et antiquité gréco-romaine


    Si une créature buveuse de sang est commune à de nombreuses civilisations à travers le monde et renvoie souvent à des divinités anciennes, le mot vampire quant à lui est issu des langues slaves : en effet, en Europe orientale, la figure du vampire, provoquant terreur et dégoût, est très présente et ce n'est peut-être pas un hasard si Bram Stoker au XIXe siècle, situera l'intrigue de son roman Dracula en plein cœur de la région des Carpates, rurale, reculée et encore marquée par de fortes croyances païennes et superstitions.
    En Inde, on peut ainsi associer le vampire à la figure de la déeesse Kâlî, qui se repaît du sang des humains, mais aussi aux vetalas, sortes de goules qui prennent possession des corps et que l'on retrouve mentionnées dans des textes anciens. L'Antiquité perse a elle aussi ses vampires : des tessons de poterie représentant des créatures buveuses de sang ont ainsi été retrouvées. En Egypte ancienne, on peut rapprocher la figure du vampire de celle de la déesse Sekhmet, qui prend la forme d'une lionne et terrifie la population.
    Les mythologies grecques et romaines - dont on sait que la seconde découle quasiment en droite de la première - ne sont pas non plus dénuées de leurs vampires : ainsi, en Grèce comme à Rome, on parle d'empusa, de lamia ou encore de stryge. Ce mot s'est d'ailleurs popularisé pour arriver jusqu'à nous : dans les croyances anciennes, la stryge est un être hybride, mi-oiseau mi-homme, avides de sang et qui s'attaquaient aux enfants. L'empusa quant à elle, est la fille de la déesse Hécate, divinité sombre, associée à la lune et figure tutélaire de la magie. L'empusa s'introduit dans les maisons la nuit et suce le sang des personnes endormies tandis que la lamia s'attaquait quant à elle uniquement aux enfants.
    Des figures connues des mythes greco-romains peuvent être associées aux vampires, telles Circé - aussi considérée parfois comme la première sorcière - qui prépare des philtres à base de sang humain ou encore Médée, épouse de Jason et magicienne, usant d'un philtre rajeunissant lui aussi préparé avec du sang. Ainsi, en Grèce antique, on pense que les ombres et spectres qui vivent aux Enfers sont friands de sang, comme l'évoque Homère dans l'Odyssée. Comme plus tard les chrétiens qui craindront l'errance de l'âme des enfants qui n'ont pas eu le temps d'être baptisés ou des suicidés, les Grecs de l'Antiquité ont peur de l'errance de leur âme sur Terre, sans possibilité pour elle de trouver le repos : ainsi, un corps auquel on refuse une sépulture, comme celui de Polynice dans l'Antigone de Sophocle, peut devenir une âme errante et sans repos, qui peut alors se laisser attirer par l'odeur du sang. Les philosophes antiques, tels Aristée, Platon ou Démocrite débattirent très sérieusement de ce sujet. Le poète grec Théocrite comme plus tard Ovide, mentionne dans son oeuvre les empuses, spectres polymorphes pouvant tantôt se muer en créatures repoussantes et violentes soit en créatures attirantes et lascives que l'on appelle alors démons de midi.
    La naissance de cette crainte d'un être pas tout à fait mort, mais plus tout à fait vivant non plus et qui reviendrait hanter le monde terrestre, va conduire à chercher des solutions pour s'en prémunir : ainsi, en Crète, il n'est pas rare qu'un clou soit enfoncé dans le crâne d'un défunt, pour l'empêcher de revenir.
    Rome, à son tour, va chercher à se protéger du vampire, figure menaçante et insaisissable : pour ce faire, le Jus Pontificum, droit réglementant le culte et la religion romaine, stipule que les corps ne doivent en aucun cas être laissés sans sépultures. Les tombes doivent être protégées, contre les voleurs et les profanateurs, qu'ils soient naturels ou surnaturels. A Rome, la figure du vampire est associé au personnage féminin de la lamia, sorte de goule qui dévore les fœtus et effraie les enfants dans leur sommeil. La lamia est ambivalente, comme les empuses grecques : soit monstrueuse, présentant des pieds de cheval et des yeux de dragons, soit lascives, séduisante et avide de stupre, séduisant et attirant les hommes par divers artifices et maléfices.
    La stryge, démon femelle ailé et muni de serres mais aussi les onoscèles, démons aux pieds d'âne qui s'attaquent aux voyageurs sont connues à Rome et partagent des caractéristiques similaires avec la lamia.
    L'Antiquité tardive est marquée par l'expansion du culte chrétien qui, d'abord réprimé au Ier siècle de notre ère, devient religion impériale par l'édit de Milan de 313. La Bible elle aussi à son vampire, en la personne de Lilith - même si celle-ci n'y est mentionnée qu'une fois, dans le Livre d'Isaïe -, démon féminin de la tradition juive, présentée comme la première épouse d'Adam. Née comme lui du limon, elle fut finalement remplacée par Ève, après avoir refusé de se soumettre à l'autorité de son époux. Le personnage inspirera énormément le courant romantique : ainsi, poètes, auteurs et peintres s'inspireront de Lilith, dont on retrouve la trace dans d'autres civilisations, comme chez les Akkadiens ou dans la région de l'Euphrate.

                                            undefined    Circe invidiosa — Wikipédia   undefined

    La lamia, la magicienne Circé ou encore le personnage de Lilith, issu de la mythologie juive sont des inspirations anciennes et primitives du vampire


    II. La figure du vampire au Moyen Âge et pendant la Renaissance


    L'Antiquité tardive et le début de l'ère médiévale marquent en Europe la régression des croyances anciennes et des mythes païens au profit d'une christianisation presque totale des sociétés : pour autant, dans certaines régions, les croyances ancestrales ne disparaissent pas. C'est ainsi le cas en Europe de l'Est, où la mythologie slave s'efface devant la religion chrétienne, mais connaît de nombreuses résurgences. Ainsi, on retrouve dans ces régions les figures démoniaques et éthérées des Domovoï (un esprit du foyer), Rusalka (une sorte de naïade), Vila (une nymphe proche de la nature), Kikimora (un esprit de la maison aux pieds de poule, parfois présent comme le pendant féminin du Domovoï), Poludnitsa (un esprit de la nature que l'on peut rapprocher des fées ou des lutins) ou encore Vodianoï (un être qui vit dans les eaux), qui peuvent interagir avec le monde des vivants. Ces créatures étranges et malfaisantes peuvent apparaître sous des formes diverses et sont réputées pour aspirer l'énergie vitale, notamment en consommant le sang des vivants. Mais le Domovoï comme la Kikimora peuvent aussi se montrer bons : ainsi, dans une maison bien tenue, la Kikimora s'occupera de la basse-cour, tandis qu'elle prendra un malin plaisir à effrayer les enfants la nuit si la tenue de la maison ne lui convient pas.
    Ainsi, dans les croyances slaves, l'âme du défunt persiste après la mort et peut évoluer sur terre pendant quarante jours avant de rejoindre l'au-delà. Pour cette raison, en Europe orientale, on laisse ouverte une porte ou une fenêtre après un décès pour que l'âme puisse s'échapper librement et ne reste pas prisonnière. Toutefois, si tous les rituels funèbres ne sont pas respectés, l'âme est supposée avoir le pouvoir de réintégrer le corps ou de revenir hanter les vivants. Des rites précis d'enterrement permettent alors de se protéger d'une telle éventualité.
    L'esprit médiéval est confronté à un véritable problème avec le cas des morts violentes : un enfant non-baptisé, un décès subit sans avoir reçu les derniers sacrements ou celui d'un pécheur n'ayant pu faire acte de contrition (un meurtrier ou un sorcier par exemple) sont autant de cas où l'âme va refuser de quitter le corps et peut revenir hanter les vivants. On croit également en la possibilité d'une possession d'un vivant par une âme en peine qui cherche à se venger. De toutes ces superstitions va bientôt découler l'image du vampire, manifestation d'une âme en peine possédant un corps. Bien souvent, on voit le vampire comme un être horrible, un corps en décomposition mais doué d'une forme de vie, se levant la nuit de son tombeau pour venir visiter les vivants et aspirer leur énergie vitale en les mordant au cou. Très souvent, le potentiel vampire est celui qui, de son vivant, a mené une mauvaise vie. Malfaisant dans la mort, le vampire revient pour se venger de la communauté, du village dont il est issu.
    Le Moyen Âge est également en proie à des épidémies, souvent soudaines et très meurtrières, du fait de l'absence de traitements efficaces. Ainsi, l'épidémie de Peste Noire au XVIe siècle fera des millions de morts partout en Europe : les périodes d'épidémie coïncident souvent avec une frénésie anti-vampire. Mal comprises, ces épidémies qui sont souvent considérées comme des châtiments divins -on ne connaît pas alors la notion de contagion et de propagation de germes pathogènes - conduisent les populations apeurées à chercher des coupables dont peuvent faire partie les vampires, accusés de répandre le mal. Des tombes sont ainsi forcées et des corps mutilés post-mortem.
    Au Moyen Âge, on a aussi peur du manducator (littéralement le « mâcheur »), un être repoussant connu pour dévorer son linge mortuaire en produisant un bruit de mastication inquiétant. Il semblerait que ce personnage en particulier ait abouti à la fixation du mythe du vampire tel qu'on le connaît aujourd'hui. Le manducator est lui aussi souvent lié à des périodes d'épidémies, notamment de peste.
    Si l'Occident médiéval est marqué par des cas de croyances dans les vampires, en Europe ou en Allemagne, c'est sans commune mesure avec les croyances qui restent vivaces en Europe de l'Est (Bohême, Moravie, région de la Bulgarie actuelle etc.)
    Est-ce donc un hasard si les deux figures historiques authentiques que l'on associe souvent au mythe du vampire viennent de cette région ?. On peut citer bien entendu le fameux Vlad Tepes Dracul, dit « l'empaleur », qui vécut dans les Carpates au XVe siècle mais aussi la terrifiante Élisabeth Báthory, dite « la comtesse sanglante ».
    Historiquement, Vlad III Basarab est un prince chrétien orthodoxe fils de Vlad II dit le Dragon - il était melbre de l'Ordre du Dragon, d'où ce surnom, prononcé " dracul " en ancien roumain. La famille règne sur la principauté de Valachie et Vlad III est connu pour une certaine violence, dont son surnom d'empaleur est le reflet : il était réputé en effet pour empaler ses ennemis sur des pieux affutés - l'image cruelle du prince de Valachie est aujourd'hui nuancée toutefois. C'est le roman de Bram Stoker, Dracula, qui a créé au XIXe siècle un amalgame entre cette figure historique authentique et documentée (il vécut entre 1429 et 1476) et la figure mythique de Dracula. Ainsi, Vlad Tepes Dracul ne fut jamais un prince des Carpates ou de Transylvanie, ni même le propriétaire du fabuleux château de Bran, souvent considéré comme le château de Dracula. Cela n'a aucune valeur historique.
    Au XVIe siècle, une aristocrate hongroise aux pratiques plus que douteuses a défrayé la chronique et nourri la tradition vampire : Elisabeth (ou Erzsébet en hongrois) Bathory est née vers 1560 en Hongrie actuelle. Après son mariage avec Ferenc Nadasdy, ce dernier lui offre le château de Čachtice, près de la ville de Trenčín. C'est là qu'Elisabeth va se livrer à une véritable tuerie de masse, pour laquelle elle sera d'ailleurs condamnée à un emprisonnement à perpétuité. La comtesse, que l'on appelera bientôt plus que « la Comtesse Sanglante » aurait attiré chez elle de nombreuses jeunes filles de la région, peut-être pour leur proposer un poste à son service. Une fois prisonnières de la comtesse, les infortunées, étaient assassinées et disparaissaient tout simplement de la ciruclation. Certains témoignages rapportent que la " Comtesse Sanglante " commettait ces meurtres afin de recueillir le sang des jeunes filles dans lequel elle se baignait pour conserver sa jeunesse. S'il semble que les meurtres aient une certaine authenticité historique, la plupart des historiens réfutent aujourd'hui la croyance des bains de jouvence dans le sang de jeunes filles vierges. Pour autant, la légende a la vie dure et associe durablement la figure de la comtesse Bathory au mythe du vampire.

                                         Vlad Tepes bust statue also know as Dracul Dracula Photos | Adobe Stock  Élisabeth Báthory — Wikipédia

    Le prince de Valachie Vlad III Tepes et la comtesse hongroise Elisabeth Bathory sont deux figures historiques authentiques ayant alimenté le mythe du vampire 


    III. Au XVIIIe siècle, l'Europe centrale en proie à la fièvre vampirique

    Lithographie Le Vampire par René de Moraine, pour la couverture du roman de Paul féval


    Au XVIIIe siècle, avec l’avènement des Lumières qui se piquent de rationalité, on pourrait imaginer que les mythes et superstitions anciennes disparaissent, mais ce n'est pas le cas - paradoxalement, c'est justement à ce moment-là que les croyances dans les vampires sont les plus tenaces.
    Ainsi, si l'Europe de l'Ouest reste toujours peu marquée par les croyances vampiriques - même si on constate quelques cas ici ou là, ces superstitions ancestrales sont notamment battues en brèche par les philosophes qui se piquent de rationalité - l'Europe orientale est toujours secouée par des affaires semblant impliquer des vampires. Ainsi, dans les années 1720 en Autriche, le paysan Arnold Paole serait mort dans son champ, où il faisait les foins, après avoir été attaqué par un vampire. Après sa mort, de nombreuses personnes dans les environs décèdent à leur tour, suscitant une psychose. On pense que ces personne ont été victimes de l'esprit de Paole venu se venger. Cette affaire donne lieu à deux véritables « épidémies » de vampirisme, qui remonteront jusqu'à l'Empereur lui-même, puisqu'on sait que Charles VI de Hasbourg suivra attentivement l'affaire.
    C'est au XVIIIe siècle aussi que le mot vampire, notamment en Angleterre, prend son sens politique, le mot désignant un tyran suçant le sang de son peuple. Pour Voltaire, le terme prend un tour nettement anticlérical avant l'heure, le philosophe assimilant le vampire aux moines qui mangent, aux dépends des rois et des peuples.
    Il semblerait que l'Europe centrale ait été une région propice au développement de telles croyances - ou à leur survivance - du fait des nombreux conflits qui l'ensanglantèrent entre les XVIIe et XVIIIe siècles : en effet, le Saint-Empire romain germanique et les régions voisines furent souvent le théâtre de batailles violentes et de conflits longs, comme la Guerre de Trente Ans, la Guerre de Succession d'Espagne, ou encore, les Guerre de Succession de Pologne ou d'Autriche, qui entraînèrent la mort de nombreuses personnes. Les cadavres ne pouvaient pas tous recevoir de sépulture décentes et les populations étaient alors confrontées à des manifestations étranges qu'elles ne comprenaient pas alors et qui ont depuis était expliquées et rationnalisées par la médecine légale. Si l'ensevelissement rapide des victimes de ces batailles pouvait parfois conduire à l'inhumation par erreur de personnes encore vivantes - selon des médecins, il est possible de survivre encore plusieurs heures sous terre avant de mourir asphyxié - et donc à des cris étouffés ou des bruits sourds qui faisaient peur car on ne pouvait les expliquer, il est aussi avéré que le processus de décomposition d'un corps entraîne la dégradation des tissus et donc la production de gaz qui peuvent donner l'illusion d'une manifestation vitale avec des tissus qui semblent bouger... On peut aussi constater sur un cadavre du sang qui suinte, ce qui, pour les populations à l'époque, était un signe évident de vie, d'où la terreur de voir un corps mort doté d'une certaine form de vie. Le vampire devient donc l'explication toute trouvée pour justifier ces manifestations, parfaitement explicables aujourd'hui mais totalement mystérieuses et, on s'en doute, terrifiantes à l'époque. Des cas de vampirisme sont mentionnés tardivement, jusqu'à l'époque du règne de Marie-Thérèse d'Autriche, la mère de Marie-Antoinette (entre 1755 et 1780).
    Aujourd'hui, la médecine avance également comme explications la méconnaissance de certaines maladies et leur origine, comme la tuberculose, la rage ou encore, la porphyrie, trouble du métabolisme qui se caractérise notamment par des douleurs abdominales mais aussi des troubles nerveux et psychiques et qui auraient pu alimenter ce mythe du vampire, tout comme le vampirisme clinique, avéré, qui affecte certains tueurs en série.


    IV. Popularisation de la figure du vampire : Sheridan Le Fanu et Bram Stoker s'emparent du mythe

    Carmilla — Wikipédia

    Gravure illustrant le roman Carmila de John Sheridan Le Fanu : il met en scène une femme vampire et, au-delà d'aborder le mythe, le roman s'intéresse aussi aux amours féminines et lesbiennes


    Au XIXe siècle, la littérature et les arts s'emparent de la figure de vampire. On l'a vu ainsi avec le courant romantique qui s'inspire notamment du personnage de Lilith.
    Deux auteurs britanniques vont particulièrement populariser la figure du vampire dans les romans : il s'agit de Bram Stoker et de Sheridan Le Fanu, qui signent respectivement Dracula (1897) et Carmilla (1872).
    Né en 1814 à Dublin, Joseph Sheridan Le Fanu est un écrivain irlandais réputé pour ses romans et nouvelles fantastiques. Son roman Carmilla est donc l'une des premières histoires de vampire, bien avant Bram Stoker ou encore, Anne Rice.
    Publié en 1872 dans le recueil In a Glass Darkly (Les créatures du miroir), Carmilla est un court roman appartenant au mouvement gothique très en vogue au Royaume-Uni depuis le XVIIIe siècle et dont l'héroïne est une vampire.
    La fille unique d'un gentilhomme anglais installé en Styrie, du nom de Laura, recueille avec bonté une jeune fille du nom de Carmilla, à la suite d'un accident. Laura tombe sous le charme de la vénéneuse Carmilla, tandis que des signes vampiriques apparaissent dans la région...inquiet pour sa fille, l'aristocrate anglais déploie de nombreux efforts pour tenter de soustraire sa fille à ce charme maléfique mais en vain : Laura devient de plus en plus apathique, paralysée par l'amour délétère de Carmilla, monstre mi-femme mi-vampire qui la tue lentement...
    L'oeuvre est alors l'un des romans gothiques - et vampires - les plus connus, vantée notamment pour son atmosphère très puissante et mystérieuse. Laura y incarne la parfaite héroïne gothique, connue pour sa naïveté. Carmilla, quant à elle, est un personnage ambivalent, énigmatique et dangereux, au potentiel sexuel très fort. Dans son roman, au-delà du mythe du vampire, Sheridan Le Fanu aborde également la question de l'homosexualité féminine, présentée ici comme sombre, venimeuse et exaltée.
    Carmilla et Sheridan Le Fanu, qui précèdent de peu Bram Stoker ont inspiré le romancier irlandais - compatriote et quasi-contemporain de Le Fanu donc - pour la rédaction de son fameux roman Dracula, devenu aujourd'hui un classique de la littérature fantastique et horrifique. Né à Dublin, Bram Stoker passe plusieurs années de sa petite enfance alité, à cause d'une maladie invalidante mais inconnue, dont il guérira étrangement au seuil de l'adolescence. Immobilisé malgré lui, l'enfant développe un imaginaire puissant, notamment nourri par les histoires que lui raconte sa mère, où il est question de maladies - l'épidémie de choléra de 1832 avait durement touché l'Irlande - mais aussi de légendes.
    Devenu adulte, Bram Stoker visite la ville de Whitby, au nord de l'Angleterre. La cité est agréable, construite en bord de mer et surplombée par les ruines d'une très vieille abbaye. A la bibliothèque de la ville, Stoker découvre un vieux texte qui le captive : il y est question d'un prince de la fin du Moyen Âge, voïvode de Valachie, le fameux Vlad Tepes Dracul, dont nous avons déjà parlé. L'imagination de l'auteur se met en branle : Vlad Tepes devient Dracula, un mystérieux comte transylvanien qui accueille en son château un jeune notaire anglais, Jonathan Harker, qui sera témoin de mystérieuses manifestations et troublé par le potentiel de séduction de trois stryges, aussi attirantes que dangereuses. A Whitby, contemplant le port, Bram Stoker a l'idée de l'arrivée d'un vaisseau fantôme, le Demeter, dont l'équipage a été décimé par Dracula lui-même. La présence d'un chien noir sur le port fait naître alors la métamorphose du comte, qui débarque sur le sol anglais sous cette forme, tandis que c'est sur un petit banc face à la jetée que Dracula séduit la jeune Lucy Westenra, amie de Mina Harker.
    Le roman est assis sur une base solide de recherches effectuées par l'auteur, pour décrire au plus près la vie quotidienne, les croyances et le folklore des Carpates, où il n'est jamais allé.
    Son roman rencontre un succès certain et sera à l'origine de nombreux films de vampires qui, au XXe siècle, s'inspireront plus ou moins de l'oeuvre de Stoker. Récemment, Dracula été doté d'une suite, rédigée par des descendants de Stoker : Dracula l'Immortel, écrite par l’arrière-petit-neveu de Bram Stoker et un préquel, intitulé Dracula, les origines signé également par l'arrière-petit-neveu de l'auteur.

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    Le Dracula de Bram Stoker publié en 1897 et qui connut depuis un succès sans cesse renouvelé est sans nul doute l'histoire de vampire la plus connue au monde, maintes fois adaptée


    V. Vision moderne du vampire : entre répulsion et glamour, le vampire séduit autant qu'il inquiète

    Nosferatu le vampire—Mucem

    L'acteur Max Schreck incarne l'inquiétant vampire de Nosferatu le vampire, le film de Murnau en 1922


    Au XXe siècle, c'est le cinéma qui s'empare de la figure du vampire et relativement tôt d'ailleurs. Après des adaptations théâtrales, notamment du Dracula de Stoker, le cinéaste autrichien Friedrich Murnau produit ainsi son Nosferatu le vampire en 1922. Dix ans plus tard, on peut citer le film du danois Carl Theodor Dreyer, Vampyr, ou l'étrange aventure de David Gray : un certain Allan Gray s'installe un soir dans l'auberge du village de Courtempierre où, pendant la nuit, il reçoit la visite d'un mystérieux vieillard qui lui confie un grimoire traitant de vampirisme et les moyens de s'en protéger. Dès lors, le héros va être aux prises avec une femme vampire dont il doit déjouer les pièges.
    Mais l'un des plus célèbres interprètes de vampires au début du XXe siècle est probablement l'acteur américano-hongrois Bela Lugosi, qui renouvelle le genre avec son interprétation dans l'adaptation de Dracula par Tod Browning.
    Le cinéma s'est donc emparé de la figure du vampire et ne la lâchera plus, produisant ainsi de manière régulière et avec plus ou moins de succès de nombreux films dont la plupart puisent leurs sources dans l'oeuvre de Stoker, devenue un incontournable. En 1992, Francis Ford Coppola, le réalisateur d'Apocalypse Now, signe probablement l'adaptation la plus connue de Dracula, avec Gary Oldman dans le rôle du comte Dracula. L'atrice Monica Bellucci y tient le rôle de l'une des stryges sensuelles, concubines de Dracula, qui tentent de séduire Jonathan Harker (Keanu Reeves) dans le château inquiétant du comte en Transylvanie.
    Mais le XXe siècle compte aussi ses romans de vampires, qui participeront d'ailleurs à la « glamourisation » d'un personnage noir, sombre et suscitant le dégoût : l’interprétation des personnages par Brad Pitt et Tom Cruise dans l'adaptation cinématographique d'Entretien avec un vampire n'y est peut-être pas pour rien.
    Entretien avec un vampire est un roman de l'autrice américaine Anne Rice (1941- 2021), connue pour ses romans fantastiques et nouvelles érotiques entre autres. Elle se fait connaître en 1976 avec le roman Entretien avec un vampire, qui renouvelle le genre. Entretien avec un vampire est doté d'une suite en plusieurs tomes. Les romans d'Anne Rice sont vendus à près de 100 millions d'exemplaires, partout dans le monde.
    De nos jours, à San Francisco, un jeune homme, journaliste de formation, est convoqué dans une chambre d'hôtel pour y entendre le plus mystérieux des récits : Louis de Pointe du Lac, un vampire qui a traversé les siècles, se propose de lui raconter son incroyable histoire et sa rencontre avec Lestat de Lioncourt. Le roman est adapté en 1994 par Neil Jordan : Louis de Pointe du Lac est interprété par Brad Pitt, Lestat par Tom Cruise.
    Les oeuvres de fiction ayant des vampires comme héros ne s'arrête pas là. Ainsi, dans les années 2000, les adolescents dévorent-ils la série Buffy contre les vampires, racontant la lutte d'une jeune lycéenne américaine contre des créatures maléfiques et l'autrice Stephenie Meyer renouvelle-t-elle à son tour le genre en signant sa saga Twiligth, portée à l'écran avec Robert Pattinson dans le rôle d'Edward Cullen, un vampire qui séduit la jeune Bella Swann.
    Actuellement, l'image du vampire est orientée vers une vision bien plus aseptisée et lisse que celle que percevaient nos lointains ancêtres, pour qui le vampire était un être redoutable, dont il fallait absolument se protéger - d'où ces tombes parfois recouvertes de grilles ou ces squelettes que l'on retrouve les pieds et les mains liés ou bien une brique enfoncée dans la bouche.
    Toujours est-il qu'il s'agit de l'une des plus lointaines croyances au monde, qui puise ses sources dans des religions très anciennes, bien antérieures aux premiers monothéismes et même aux mythologies antiques et qui ne cessa jamais d'évoluer dans le temps. Contrairement aux croyances dans les elfes, les fées et autres créatures fantastiques, le vampire est bien plus tangible et, quelque part, beaucoup moins imaginaire. Aujourd'hui, nous savons que cette croyance est médicalement explicable et acceptable, notamment du fait d'un contexte historique propice au développement de telles légendes, notamment dans des territoires marqués par des conflits récurrents et très violents.

    Entretien avec un vampire»: 30 ans après le film avec Tom Cruise et Brad  Pitt, que vaut la nouvelle adaptation du roman d'Anne Rice?

    Dans les années 1990, Brad Pitt et Tom Cruise interprètent respectivement Louis de Pointe du Lac et Lestat de Lioncourt dans le film Entretien avec un vampire de Neil Jordan

     

     


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