• « Brassez les éléments et puis juxtaposez vos esquisses. La solution vous apparaîtra. C'est peu de commencer, il faut finir. »

    Les Enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet, tome 12, La Pyramide de Glace ; Jean-François Parot

    Publié en 2015

    Editions 10/18 (collection Grands Détectives) 

    471 pages

    Douzième tome de la saga Les Enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire de police au Châtelet

    Résumé :

    1784 : l'un des plus rudes hivers du siècle accable Paris. Le peuple érige des monuments de glace en reconnaissance des actes de charité des souverains. Au dégel, l'une de ces pyramides révèle le corps dénudé d'une femme, parfait sosie de la reine. Pour Nicolas Le Floch, c'et le début d'une enquête haletante qui, à partir de maigres indices, le conduira à soupçonner une machination ourdie contre la réputation de Marie-Antoinette par un prince du sang. Entouré par ses amis, investi de la confiance de Louis XVI, aidé par les informations de Restif de la Bretonne, il remontera peu à peu la chaîne des présomptions, allant de surprise en surprise. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Entre 1783 et 1784, la France traverse un hiver très rude, semblable à bien des égards à celui qui accabla le royaume en 1709. A Paris, pour montrer sa reconnaissance au roi et à la reine qui ont fait preuve de charité, la population décide d'élever dans les rues des monuments de neige et de glace. Mais au dégel, voilà que ces pyramides et autres obélisques éphémères se mettent à fondre et l'un d'eux va révéler une bien macabre découverte : le corps d'une femme, entièrement prisonnier des glaces. La victime semble avoir été tuée bien avant d'y être placée et présente deux étranges blessures au cou. Mais ce qui laisse perplexes les enquêtes, Nicolas le premier, c'est que cette femme est un sosie parfait de la reine Marie-Antoinette...est-ce un hasard ? La présence redondante, à chaque étape de l'enquête, d'un prince du sang, j'ai nommé le duc de Chartres fait dangereusement pencher la balance vers un hasard qui n'en serait certainement pas un.
    C'est la douzième fois que nous retrouvons Nicolas Le Floch, commissaire aux affaires extraordinaires au Châtelet, pour une enquête criminelle qui ensanglante le Paris des Lumières et cette enquête-là, de part la ressemblance frappante de la victime avec la souveraine et la présence gênante du duc de Chartres, cousin du roi et chef de file de l'opposition au gouvernement, promet d'être ardue à démêler car c'est en effet sur des charbons ardents que les policiers doivent marcher afin de ne froisser ni la Couronne ni les vanités princières. Car, même si la même justice pour tous est censée être un droit au XVIIIème siècle, on se rend vite compte que ce n'est pas aussi facile à dire qu'à faire dans la pratique, surtout quand un prince, qui plus est apparenté à la famille royale, se retrouve mêlé de près ou de loin à une enquête criminelle. Mais c'est justement en s'affranchissant de tous préjugé et idée reçue que Nicolas, qui a acquis un véritable savoir-faire dans les résolutions d'enquêtes depuis ses débuts en 1761, va parvenir à démêler l'écheveau de cette nouvelle affaire qui se présente à lui. 
    Nous sommes en 1784, à un an de l'Affaire du Collier, à cinq ans seulement de la convocation des Etats Généraux. La situation politique et économique en France est instable, notamment à cause du déficit causé par la Guerre d'Indépendance américaine. Le peuple est pauvre, miséreux parfois et afflue dans les grandes villes pour espérer y trouver un logement et un travail ; les hommes y finissent bien souvent mendiants, relégués à l'hospice et les femmes, prostituées. La mortalité infantile est encore forte et les plus chanceux, si on peut dire, s'entassent dans des grabats et des taudis puants. Voilà un peu à quoi ressemble le Paris des années 1780 et on ne peut pas dire que le pays des Lumières soit forcément bien loti. Et, de fait, la colère gronde. Pour couronner le tout, le trône est éclaboussé de scandales et de pamphlets en tous genre, qui ternissent surtout l'image de la reine, aussi haïe qu'elle a pu être adulée par le peuple en son arrivée quatorze ans plus tôt. Mais Nicolas, en tant que commissaire de police mais aussi en tant que marquis de Ranreuil, deux casquettes qui ne font parfois pas bon ménage mais qui ont pu aussi lui servir en bien des occasions, est déterminé à protéger, à son échelle, avec ses maigres moyens, une couronne qu'il sert depuis le début des années 1760, par fidélité pour le souvenir de feu Louis XV, qui fut le premier à le recevoir à Versailles, mais aussi par fidélité et estime pour son successeur. 



    La situation, cependant, devient de plus en plus compliquée pour notre enquêteur préféré, qui se heurte à des préjugés hors d'âge mais aussi à des discours novateurs qui peuvent mettre à mal sa vision des choses. Si Nicolas reste attaché à l'ordre ancien des choses, à sa fidélité sans borne -et sans questionnement- à la couronne et à ceux qui se trouvent en-dessous, issue bien sûr de sa fonction mais aussi de son éducation auprès du marquis de Ranreuil, son père, voilà que son fidèle bras droit, l'inspecteur Bourdeau, issu lui du peuple, se met à prôner des idées philosophiques et rousseauistes qui ne manquent pas de se télescoper violemment avec les idées, non pas plus réactionnaires, mais disons plus surannées, plus traditionnelles, de Nicolas. Le commissaire doit donc s'accommoder de ces désaccords qui naissent de plus en plus souvent avec son subordonné, désaccords qui leur heurtent bien sûr à cause de l'amitié qu'il porte à Bourdeau, mais aussi au nom de la fidélité viscérale qu'il ne peut s'empêcher d'éprouver pour la monarchie, malgré toutes les injustices et irrégularités qu'il ne manque pas de constater de part sa fonction de policier. 

    Hormis cela, Nicolas commence également, non pas à être âgé, mais du moins à entrer dans l'âge mûr. Âgé d'environ quarante-quatre ou cinq ans en 1784, il est amené, et cela de plus en plus régulièrement, à se questionner sur sa propre existence, sur la société dans laquelle elle prend corps mais aussi sur l'avenir de son fils Louis, pour l'heure au service de Monsieur, frère du roi mais aussi sur le devenir de sa relation amoureuse et charnelle avec la jolie et fougueuse Aimée d'Arranet -qui est aussi un des signes de la modernité et de l'émancipation qui caractérisent la fin du XVIIIème siècle puisque Nicolas et Aimée, qui se fréquentent depuis de longues années, ne sont pas mariés pour autant. L'enquête qu'il mène également sur la mort de cette jolie femme qui ressemble si fort à une reine à qui il a promis aides et services ainsi que sa fidélité la plus entière, et qui le mène dans des entours noirs et sordides, ne sont pas non plus pour le rassurer sur la société des hommes et sur la moralité de ces derniers. En plus de vingt ans d'expérience, le commissaire à en effet pu prendre la mesure de la laideur, de la corruption et de la violence humaines, notions malheureusement universelles et intemporelles. On sent chez lui comme une certaine lassitude, une envie de retraite, qui peut être consécutive tant de son âge qui avance doucement mais aussi d'une certaine prescience de l'avenir, car en serviteur zélé de la couronne, Nicolas, qui côtoie aussi bien la Ville que la Cour peut-il encore s'illusionner sur le devenir de la royauté versaillaise, colosse aux pieds d'argile qui s'achemine lentement mais sûrement vers sa ruine 
    Pour autant, l'intrigue policière reste d'une qualité certaine. Jean-François Parot nous livre encore une fois et comme bien souvent, un très bon cru, car je dirais que, comme le bon vin, Nicolas tend à se bonifier avec le temps, malgré le spleen et la mélancolie qui commencent à caractériser, depuis quelques volumes, ses réflexions les plus intimes. Cette enquête-là, qui implique autant des bourgeois que des devineresses et même un prince de sang royal nous livre un large éventail de cette société de la fin du XVIIIème siècle, toute pétrie de nouveautés et de modernisme mais encore fortement engluée dans ses anciens principes et coutumes. Mêlant avec subtilité enquête, recettes de cuisine -qui sont en un peu la marque de fabrique de la saga- et humour, l'auteur, ancien diplomate mais aussi historien averti du XVIIIème siècle, nous laisse entre les mains un roman vraiment réussi, dans lequel on se plonge comme on ferait un voyage dans le temps. Car on la voit, cette ville de Paris de 1784, elle s'étend et prend vie sous nos yeux comme si nous avions été brutalement ramenés. La Pyramide de Glace est le douzième tome de cette saga hors-pair mais certainement pas lassant pour autant. C'est toujours un plaisir que de se plonger dans une enquête de Nicolas.

    En Bref :

    Les + : une enquête bien menée, toujours de qualité, des personnages que l'on prend plaisir à retrouver au fil des volumes.
    Les - :
    mais aucun ! 


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  • « A quoi nous servirait de nous être aimées en ce monde si nous devions être séparées toute une éternité ? »

    « Je meurs d'amour pour toi... » Lettres à l'archiduchesse Marie-Christine, 1760-1763 ; Isabelle de Bourbon-Parme

    Publié en 2010

    Editions Le Livre de Poche (collection La Lettre et à la Plume)

    256 pages

    Résumé :

    Isabelle de Bourbon-Parme, petite-fille de Louis XV, épousa en 1760 le futur empereur Joseph II. Cette jeune femme d'une intelligence exceptionnelle séduisit la cour de Vienne et tomba éperdument amoureuse de...sa belle-sœur, l'archiduchesse Marie-Christine.
    Ses lettres et billets, découverts par Elisabeth Badinter -qui les présente ici dans une passionnante introduction-, révèlent une personnalité hors du commun, douée d'un véritable talent d'écriture. Et l'on suit jour après jour les tourments de la passion de cette princesse pleine d'esprit qui mourra à vingt-deux ans. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Née le 31 décembre 1741 à Madrid, Isabelle est la fille de don Philippe, fils du roi d'Espagne Philippe V et d'Elisabeth de France, fille aînée de Louis XV -pour la petite anecdote, elle est le premier petit-enfant du roi de France qui devient ainsi grand-père à l'âge surréaliste de...trente-et-un ans ! !
    Espagnole par la naissance, doublement française par le sang -elle est Bourbon par son père comme par sa mère et descend deux fois de Louis XIV-, italienne et allemande par la culture, Isabelle de Bourbon-Parme est une princesse surprenante à bien des égards. Cosmopolite, polyglotte, européenne avant la lettre, elle est mariée à dix-neuf ans au futur empereur Joseph II, qui, contre toute attente, va tomber follement amoureux de sa jeune épouse, qui lui donnera une fille. Elle-même, prônant un féminisme presque violent, ne sera jamais amoureuse de son époux mais le fut sans aucun doute -ou du moins eut-elle une très forte amitié pour elle-, de Marie-Christine, sa belle-sœur.
    Sa correspondance qui, jusqu'ici n'avait été que peu exploitée voire censurée, pour la liberté de ton adoptée dans certaines lettres, est donc ici redécouverte et très bien présentée par Elisabeth Badinter, dans une excellente préface. Très endommagée par le naufrage du bateau qui la transportait et qui quitta les Pays-Bas en 1792, lors du soulèvement contre Marie-Christine et son époux Albert de Saxe-Teschen, gouverneurs de la province au nom de l'Autriche, la correspondance d'Isabelle de Bourbon-Parme est très incomplète, souvent non datée et archivée de façon tout à fait fantaisiste, ce qui conduit donc à un véritable casse-tête lorsqu'il s'agit de la publier. Les tâches et l'encre fanée ainsi que l'aisance d'Isabelle dans plusieurs langues qui la font ainsi passer de l'une à l'autre dans un même billet ou utiliser des tournures d'une langue dans une autre, n'ont pas non plus aidé au travail des personnes ayant travaillé à l'élaboration de cette édition moderne. Rafraîchie, ponctuée -ce qui n'était pas forcément évident au XVIIIème siècle-, et corrigée -l'orthographe de l'époque était en effet souvent assez fantaisiste voire phonétique malgré l'évident talent d'écriture de la jeune femme-, la collection La Lettre et la Plume nous livre donc ici un document rare et qui nous permet, sans voyeurisme aucun, d'entrer dans l'intimité d'une princesse qui mériterait d'être mieux connue. Très intelligente, dotée d'un sens critique acéré et de convictions tout aussi assurées, Isabelle eut un destin tragique mais elle aurait assurément, si elle avait vécu, été un digne successeur de Marie-Thérèse et une représentante irréprochable de l'Empire. Mais cette princesse que l'on pourrait presque penser maudite, mourut à vingt-deux ans. Elle laissa une famille adoptive inconsolable et un veuf éploré qui reporta toute son attention et son amour sur l'unique enfant que l'unique femme qu'il eût jamais aimé, lui donna. Cette mélancolie morbide qui transparaît sans arrêt sous la gaieté et l'humour apparents des lettres d'Isabelle sont peut-être un héritage de son grand-père maternel, Louis XV, connu pour avoir été un grand dépressif devant l’Éternel.

    L'Archiduchesse Marie-Christine (1742-1798), peinte en 1765, peintre anonyme


    Pour le reste, ses lettres sont relativement redondantes, des déclarations toujours très enflammées envers sa belle-sœur Marie-Christine à qui, on le sent, Isabelle s'était très attachée. De celle-ci, nous ne savons que peu de choses, du moins pour ce qui est de sa psychologie, il est donc difficile de savoir si les deux jeunes femmes, qui n'avaient que cinq mois de différence, se sont retrouvées dans une analogie de caractères et de pensées. Mais on sait que Marie-Thérèse s'attacha très vite à sa petite belle-fille, comme elle l'était aussi de sa fille Marie-Christine, dont elle était proche. La preuve s'il en est, elle fut la seule archiduchesse à pouvoir se marier selon son corps tandis que toutes ses autres sœurs -à commencer par la petite Marie-Antoinette-, n'étaient, malgré l'affection de leur mère, considérées que comme des pions politiques et des moyens d'arracher des alliances aux puissances voisines. Y'avait-il donc chez les deux jeunes femmes une certaine ressemblance qui les a réunies dans l'affection et l'estime de l'Impératrice et, tout naturellement, à fait d'elles des amies ? Car malgré la présentation, qui fait d'Isabelle une femme amoureuse d'une autre femme, je pense qu'il faut plutôt voir dans cette relation entre Isabelle et sa belle-sœur une grande amitié, peut-être mâtinée d'humour et de joutes sexuelles épistolaires -certaines lettres d'Isabelle sont en effet assez lestes- et l'absence des réponses de Marie-Christine, méconnues à ce jour et certainement perdues, ne permet malheureusement pas de mettre les lettres et les billets d'Isabelle en exergue et de les analyser ainsi à travers un prisme différent. Alors Isabelle et Marie-Christine ont-elles réellement entretenu une relation saphique, ont-elle passé le pas de la simple correspondance ? On sait que Marie-Christine fut amoureuse deux fois au cours de sa vie et deux fois d'hommes. Le premier, dont elle fut très éprise, Louis de Wurtemberg, fut éconduit par ses parents mais elle parvint à arracher à l'Impératrice la promesse de pouvoir choisir son mari et ce fut donc certainement par affection, par inclination, que Marie-Christine choisit finalement, en 1766, d'épouser Albert de Saxe-Teschen. Il est donc difficile de voir en Marie-Christine une femme attirée par une de ses semblables. Pour ce qui est d'Isabelle, par contre, le doute peut effectivement subsister. Victime d'un mariage arrangé, comme beaucoup de princesses du temps, elle n'a pas de mots assez durs pour dénoncer ce sacrifice et surtout, après sa mort, dans ses papiers, furent découverts de violentes diatribes comme les hommes, papiers dont l'Impératrice prit connaissance mais qu'elle refusa toujours de montrer à Joseph II tant ils recelaient de violence contre les hommes. Alors la princesse Isabelle, une lesbienne ? Pourquoi pas. Même si le mot n'existait pas encore et que l'on avait du mal à l'époque à imaginer deux femmes se livrant ensemble à la sexualité, le saphisme n'était pas nouveau pour autant et l'on en accusera plus tard Marie-Antoinette dans des pamphlets ce qui prouve que, même si l'on croyait la chose inconcevable, on n'y pensait pas moins pour autant. Le doute perdurera sans doute toujours mais, malgré cela, ce sont de belles lettres qui nous est donné de lire, de belles preuves d'amitié, de gaieté et d'un certain optimisme, malgré l'ombre omniprésente de la mort qui plane au-dessus d'Isabelle...Cette correspondance apporte encore une autre facette à un siècle qui n'en est donc que plus riche.

    Isabelle de Bourbon-Parme par Jean-Marc Nattier

    En Bref :

    Les + : une correspondance presque inédite et intéressante, marquée par le réel talent d'écriture d'Isabelle.
    Les - :
    des lacunes qui rendent parfois la lecture laborieuse ; des redondances.


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  • In My Mail Box - Novembre 2015

     

     

    Lizzie Martin, tome 3, Un Assassinat de Qualité ; Ann Granger

    Editions 10/18, Collection Grands Détectives

    Date de parution : 2015

    Sujet : Enquête Policière, XIXème siècle, Epoque victorienne

    * * * 

    Lizzie Martin, tome 4, Un Flair infaillible pour le Crime ; Ann Granger

    Editions 10/18, Collection Grands Détectives

    Date de parution : 2015

    Sujet : Enquête Policière, XIXème siècle, Epoque victorienne

    * * * 

    Les Deux Premières Enquêtes de Soeur Fidelma : Absolution par le meurtre suivi de Le Suaire de l'Archevêque ; Peter Tremayne 

    Editions 10/18, Collection Grands Détectives

    Date de parution : 2015

    Sujet : Haut Moyen Âge, Enquête Policière, Irlande

    La Couleur du Lait ; Nell Leyshon

    Editions 10/18, Collection Littérature étrangère

    Date de parution : 2015

    Sujet : Histoire sociale, XIXème siècle, Angleterre, Témoignage

    * * * 

    Le Maître des Peines, tome 1, Le Jardin d'Adèle ; Marie Bourassa

    Editions Pocket

    Date de parution : 2013

    Sujet : Moyen Âge, Société, Histoire, Justice

    * * *

    Le Maître des Peines, tome 2, Le Mariage de la Licorne ; Marie Bourassa

    Editions Pocket

    Date de parution : 2013

    Sujet : Moyen Âge, Société, Histoire, Justice

    * * *

    Le Maître des Peines, tome 3, Le Salut du Corbeau ; Marie Bourassa

    Editions Pocket

    Date de parution : 2013

    Sujet : Moyen Âge, Société, Histoire, Justice


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  • « C'est en aidant les autres qu'on s'aide soi-même. »

    Retour à Tinténiac ; Eric Le Nabour

    Publié en 2011

    Editions France Loisirs

    334 pages

    Résumé :

     

    En Bretagne, à l'aube du XXe siècle, la soif de vengeance d'un enfant bafoué.

    En 1905, un inconnu, Adam Guillemot, accompagné d'une petite fille muette s'établit dans le manoir de Tinténiac, non loin d'Auray dans le Morbihan. Il ne reçoit personne à l'exception de l'institutrice du village à laquelle il confie l'éducation de l'enfant.
    En investissant dans la pêche et les conserveries de sardines, Guillemot s'attaque aux intérêts du baron de Saint-Victor, un riche et puissant notable, qui use de tous les moyens pour l'abattre. Qui est cet étranger, d'où provient son immense fortune ? Quel lien les unit ? 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    A la fin du XIXème siècle, un jeune homme, au service du baron de Saint-Victor depuis de nombreuses années et subissant ses humiliations et ses sévices, s'échappe et disparaît sans laisser de traces. Puis, onze ans plus tard, au début du XXème siècle, en pleines revendications ouvrières et syndicalistes et crise sardinière dans le Morbihan et dans le reste de la Bretagne, voilà qu'un mystérieux industriel venu de Paris avec sa petite fille, rachète le manoir de Tinténiac, inhabité depuis quelques années et se met ensuite à investir petit à petit sa fortune qui semble colossale dans les entreprises poissonnières de la côte morbihannaise, d'Auray à Douarnenez. Philanthrope, l'homme promet à ses ouvriers des conditions de travail moins pénibles, des salaires plus élevés en pleine crise et des avantages qui les dissuadent ainsi de partir vers la concurrence. Cet homme, Adam Guillemot, mystérieux, tant sur sa vie privée que sur la manière dont il a créé sa fortune, s'attire l'hostilité des entrepreneurs de la région, à commencer par Saint-Victor, et suscite le questionnement de la population. Très vite, cependant, les ennuis vont apparaître pour Adam Guillemot, ce mystérieux industriel parisien, et des bribes de son passé sont révélées...son passage risque donc de marquer à jamais la région d'Auray d'une trace indélébile et de changer à jamais la vie des habitants et la conception du pouvoir qu'on peut aller dans la région, Guillemot prouvant que la noirceur et la laideur peuvent se retrouver dans toutes les couches de la société et surtout dans celles qui n'ont jamais eu besoin de se battre pour vivre et assurer l'avenir des leurs...
    Ce roman dort dans ma bibliothèque depuis un moment, de nombreuses années, même, et je me suis donc décidée à le sortir enfin et à le découvrir et je n'ai vraiment pas été déçue. Roman régional, du terroir, mâtiné cependant d'un soupçon de suspense qui peut rappeler un roman policier ou même un thriller, des personnages travaillés et complexes, ce roman est intéressant et surtout, bien écrit. Ceux qui ont lu Les Ombres de Kervadec, autre roman breton d'Eric Le Nabour, aimeront certainement celui-là également. Les Ombres de Kervadec est d'ailleurs mon premier roman de l'auteur, que j'avais
    beaucoup aimé et il en a été de même pour Retour à Tinténiac. On sort des codes de la littérature du terroir tout en retrouvant aussi le beau portrait d'un pays donné, qui en fait sa caractéristique première. Chez Eric Le Nabour, la Bretagne du début du XXème siècle reste un sujet d'inspiration inépuisable, ses paysages, ses villages, ses villes, ses habitants, ses légendes, ses coutumes...Historien de formation, il reste également au plus près de la chronologie et toute son histoire repose sur une trame de revendications ouvrières syndicalistes, d'anarchie sur fond de polémique quant à la réhabilitation proche de Dreyfus. Le Morbihan est encore à l'époque une terre très sauvage, pas très riche où les habitants, survivant essentiellement grâce à la mer et ouvriers pour la plupart, se tuent à la tâche pour nourrir les leurs et échapper à la famine. Des entrepreneurs peu scrupuleux comme Saint-Victor, baron local avec lequel Adam Guillemot semble avoir un contentieux personnel à régler, en fait partie -on comprend en effet très vite, car aucun mystère n'est vraiment fait autour de cet aspect de l'intrigue, que le jeune homme qui fuit, un matin de 1894, le château de Saint-Victor et Adam Guillemot sont en fait une seule et même personne. Ces riches qui veulent prospérer quoi qu'il arrive, aux dépens même des personnes qu'ils emploient, d'où aussi l'agitation ouvrière qui marque, en Bretagne, ces premières années du XXème siècle et les dernières avant le grand basculement de Quatorze. La grande véracité, l'authenticité du contexte historique et la teneur certaine des personnages font de Retour à Tinténiac un roman qui mérite d'être lu et qui ne laisse assurément pas insensible.

    En Bref :

    Les + : une histoire bien écrite à la teneur inattendue mais certaine.
    Les - :
    aucun, c'est un très bon roman.


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  • « La mémoire est une cruelle maîtresse avec qui il nous faut tous apprendre à valser. »

    Le Jardin des Secrets ; Kate Morton

     

    Publié en 2008 en Australie ; en 2014 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Forgotten Garden

    704 pages

    Résumé : 

    1913. Sur un bateau en partance pour l'Australie se trouve une petite fille de quatre ans, seule et terrorisée. Le navire lève l'ancre et se retrouve à Brisbane. Si le secret de son débarquement est religieusement gardé par ses parents adoptifs, ceux-ci décident, le jour de ses 21 ans, de révéler à Nell les circonstances étranges de son arrivée dans la famille. Les questions se bousculent alors. Bouleversée, elle va devoir entreprendre un long voyage vers ses origines. Une quête difficile pour lever le voile sur près d'un siècle d'histoire familiale. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1913, en Angleterre, une petite fille disparaît. Ce n'est pas la première, ce n'est malheureusement pas la dernière, mais ce sont les conditions de sa disparition qui sont étranges...il est rare, même à la veille d'une guerre mondiale qui voit la population d'Europe émigrer vers des continents moins agités, comme l'Océanie, de voir embarquer toute seule une toute petite fille de quatre ans. Le bateau lève l'ancre et l'enfant se retrouve à Brisbane en Australie, où elle sera finalement recueillie par une famille compatissante. Devenue Nell Andrews car ne se souvenant pas de son nom, elle vivra dans une famille aimante et unie jusqu'à ses vingt-et-un ans, quand son père adoptif décide de lui révéler la vérité. L'existence jusqu'ici réglée et stable de Nell va voler en éclats car, avec cette révélation, celle qu'elle était jusque-là disparaît à jamais et le vide béant de ses origines devient obsédant pour elle. Elle finit par se lancer, sur le tard, dans une longue quête qui la mènera jusqu'en Angleterre, jusqu'au château de Blackhurst, en Cornouailles, où tout semble s'être joué des décennies avant.
    Puis, à la mort de Nell, c'est sa petite-fille Cassandra, une autre cabossée de la vie, qui a eu son lot de peines et de déceptions, qui reprend les recherches de sa grand-mère et qui se rend finalement compte que cette dernière n'avait pas quitté l'Angleterre avec toutes les clés en main. Et c'est finalement près de cent ans après la disparition de Nell sur ce paquebot que la vérité sur sa petite enfance va se faire jour. Cassandra, qui part en Angleterre sur les traces de cette grand-mère qui s'est révélée à elle, qu'elle a beaucoup aimée et à qui, elle le sent, elle doit quelque chose, même si c'est de façon posthume, va s'y trouver des amis, une maison, peut-être même une bonne raison de rester. Elle va surtout réussir à faire tomber complètement le voile qui opacifiait encore le passé de Nell et par là même, le sien, et comprendre petit à petit ce qui a pu emmener, avant elle sa grand-mère puis elle-même, à tel ou tel choix...Profondément bouleversée, c'est dans cette quête de ses origines et dans sa propre réflexion que Cassandra se propose de nous emmener, tout au long du Jardin des Secrets.
    Ce roman à secrets est encore un très bon cru ! J'avais beaucoup aimé Les Brumes de Riverton et Les Heures Lointaines et je dois dire que j'ai aussi été très très agréablement surprise par Le Jardin des Secrets. Construit sur la même base que les autres, à savoir un secret de famille qui sera élucidé des années plus tard, en général par une héroïne féminine un peu paumée dans sa vie et qui se raccroche justement à cette quête pour donner un sens à son existence, ce roman se déroule de façon si linéaire, si fluide, qu'on se voit à peine tourner les pages. Bien ficelé, malgré les nombreux flash-backs et les juxtapositions d'époques, de pays et de personnages, assis sur de bonnes connaissances et notamment sur un portrait au vitriol mais réaliste de cette société victorienne du début du XXème siècle, qui commence à sentir la décadence, Le Jardin des Secrets, malgré quelques longueurs, emporte le lecteur dans son histoire intéressante, même si on peut regretter, peut-être, que le personnage de Cassandra ne soit pas plus exploité. Au fil des pages, on apprend que la jeune femme -dont on ne sait pas vraiment l'âge- a vécu un drame et que, depuis, elle n'a plus jamais été la même...mais pour se concentrer sur son intrigue autour du secret de famille de Nell, l'auteure est passée de façon un peu plus superficielle sur les personnages qui ne sont pas vraiment attachants même si on compatit pour eux et qu'on comprend rapidement que leurs épreuves leur ont aussi créé des carapaces qui les protègent et les rendent parfois hermétiques et froids, même au lecteur. Quant aux membres de la famille Mountrachet, qui se trouve au centre du récit plus historique, propriétaire de Blackhurst au début du XXème siècle, il est facile de savoir que Kate Morton a concentré en eux toute la flétrissure d'un monde condamné et dans lequel, parfois, comme dans souvent dans les hautes sphères, il se passe les choses les plus laides et les plus sales. Et elle nous montre aussi comment un tel secret, jalousement gardé pendant des années, peut finir par exploser à la figure de ceux qui l'ont autant couvé et à ceux qui finissent par être brutalement mis en présence de la vérité. Ce secret, il va briser le père adoptif de Nell, qui sait que, en lui révélant une telle chose, il risque de la perdre pour toujours...et il va briser Nell qui se trouve soudain, d'une vie bien remplie et enracinée dans une histoire, à une vie sans plus aucun repère et surtout, l'horrible impression qu'elle a été suffisamment négligeable pour qu'on puisse l'abandonner de cette manière sans aucun regret...cependant, l'histoire s'avère bien plus complexe que cela et c'est finalement grâce à Cassandra que l'on connaîtra la fin mot de l'histoire et la jeune femme, tout en reconstruisant le passé de sa grand-mère et par là même le sien, va aussi se reconstruire doucement et panser ses blessures secrètes sur les terres de ses ancêtres...
    Ce roman est captivant, bien écrit, intéressant des premières pages aux dernières. Dès le début, on est accroché car la disparition de cette petite fille est si invraisemblable, si romanesque aussi, que l'on veut savoir pour quelle raison elle se trouve sur un paquebot, à quatre ans, en partance pour une destination aussi lointaine que l'Australie...et puis, au fil des pages, comme Cassandra, comme Nell avant elle, on se prend de passion pour ce secret qui a empoisonné une famille pendant des années, jusqu'au point de non-retour. On se rend compte combien ces secrets de famille peuvent bouleverser des existences, en changer certaines à jamais, en bien comme en mal, même si la seconde est malheureusement la plus courante...on se rend compte aussi qu'ils peuvent en briser certains sans espoir de retrouver un jour une vie normale. Car c'est bien cela qui se passe avec Nell et qui conditionnera ensuite toute son existence. Le Jardin des Secrets est une belle réflexion, sans concession pour autant, sur l'humanité, la force et la puissance destructrice du secret et un portrait amer mais juste d'un monde corrompu et sur le déclin.
    Une très bonne lecture que je conseille à tous les amateurs de romans à clés et à ceux qui aiment Kate Morton !

    En Bref :

    Les + : une intrigue embrouillée, mais bien maîtrisée, un suspense savamment distillé et un secret de famille sordide mais tellement intéressant à découvrir !
    Les - : des longueurs. 


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