• « N'était-il pas étrange que Dieu nous ait chargés de garder l'un des plus grands trésors de l'humanité et le plus grand à coup sûr du peuple juif, nous qui portons en nous le sang des rois de Jérusalem, des empereurs de Byzance et du grand Saladin ? »

     Couverture Les chevaliers, intégrale : Le roi lépreux, La malédiction, Les trésors templiers

     Publié en 2018

     Editions Plon 

     960 pages 

     Comprend : Le Roi Lépreux ; La Malédiction ; Les   Trésors Templiers

     

     

     

     

     

     

    Résumé : 

    La trilogie des Chevaliers compte parmi les séries à succès de la reine du roman historique français.
    A travers les trois héros templiers que sont Thibaut -ami et écuyer du prince Baudoin IV avec qui il partage le pouvoir en secret alors que la lèpre ronge ce dernier-, Renaud -accusé de parricide et en chemin pour la septième croisade - et Olivier - qui, voulant devenir à son tour templier, fait la désolation de ses parents, le Temple ayant été chassé de Terre Sainte-, Juliette Benzoni s'attaque ici à l'histoire des croisades, de 1176 à 1320, et met en scène trois générations à la recherche des trésors perdus des religions monothéistes : la Vraie Croix, l'Arche d'Alliance et le Sceau de Mahomet.

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En cette période un peu particulière de confinement, je me suis dit que c'était le moment ou jamais de sortir de ma PAL ce gros bouquin de presque mille pages qui est en fait une intégrale d'une vieille saga de Juliette Benzoni, Les Chevaliers.
    Si vous la connaissez, si vous la lisez, vous savez que Benzoni écrit plus volontiers sur l'époque moderne et notamment le XVIIème siècle, époque où elle a situé la plupart de ses intrigues.
    Ses romans se passant au Moyen Âge sont rares mais je m'étais aperçue qu'ils étaient très bons, à la lecture de Un si Long Chemin, il y'a quelques années. Par rapport à d'autres sagas un peu plus inégales, j'avais trouvé ce roman vraiment très agréable à lire même s'il faut être honnête, je n'ai jamais vraiment déçue par un roman de Benzoni.
    Ici, l'auteure se propose de nous raconter, en à peu près 150 ans, le destin d'une lignée de chevaliers, de la Terre Sainte du XIIème siècle jusqu'à la France des derniers Capétiens directs, au début du XIVème siècle.
    À Jérusalem dans les années 1160, Thibaut de Courtenay est le fils bâtard de Jocelin de Courtenay, oncle du jeune roi Baudouin dont Thibaut est le compagnon dévoué. Mais ce garçon si beau et qui incarne les espérances des États latins d'Orient porte en lui un mal terrible, terrifiant et incurable : la lèpre. Dans un pays gangrené par les luttes de pouvoir, les ambitions personnelles et la soif de conquête musulmane, portée par Saladin, Baudoin IV le roi lépreux conduira son royaume jusqu'au bout, malgré la maladie qui le ronge vivant et lui interdit le mariage et même d'être touché pour ne pas transmettre son mal. Après sa mort, dans un pays à l'avenir instable où les seigneurs chrétiens d'Orient comme d'Occident se disputent les mânes du roi lépreux en autour de ses deux sœurs, héritières du royaume, Thibaut restera fidèle au souvenir de celui qui a été son compagnon d'enfance et à la dame qui occupe ses pensées, la jolie Isabelle.
    À l'époque de Louis IX alors que les cathares de Montségur brûlent sur le grand bûcher érigé en bas du pog, le jeune Renaud des Courtils échappe à un bailli malhonnête qui lui veut du mal. Seul au monde, il trouve refuge au fond de la forêt, chez un ermite, ancien Templier et qui lui apprend ses origines et sa naissance en Terre Sainte. Devenu homme d'armes de Robert d'Artois, puis de son frère le roi de France, Renaud les accompagne en croisade et notamment en Egypte où il assistera à la terrible défaite de La Mansourah. Amoureux de la douce reine Marguerite de Provence, Renaud va apprendre à louvoyer dans le monde des grands nobles qui est tout sauf tendre et à vivre dans l'ombre d'un roi guerrier mais déjà en odeur de sainteté.
    Au début du XIVème siècle, c'est le petit-fils de saint Louis qui règne : celui que Maurice Druon a surnommé « le roi de fer », Philippe le Bel. Olivier, le fils de Renaud, est devenu Templier malgré l'opposition de ses parents. En 1307, il échappe à l'arrestation massive des chevaliers du Temple par le roi et se cache mais n'aura de cesse de contrer le pouvoir royal.

    Description de cette image, également commentée ci-après

    La bataille de Montgisard, en 1177 qui oppose le royaume de Jérusalem et Saladin (Charles-Philippe de La Rivière, 1844, collection du château de Versailles)


    Ce roman est une intégrale : vous trouverez rassemblé en un seul gros volume les trois livres qui composent à l'origine cette saga. Pour moi, ce type de livres a les défauts de ses qualités : l'avantage indéniable, c'est de pouvoir lire des romans plus forcément réédités et difficiles à trouver. Mais en ce qui me concerne, j'ai du mal à me dire que je lis trois livres bien définis et à faire une pause entre chaque. Du coup c'est vrai que ce fut une lecture longue et laborieuse par moments sans que j'aie, toutefois, envie de laisser tomber. J'ai peut-être été plus captivée par le premier tome mais dans l'ensemble ce fut une lecture très sympathique.
    Juliette Benzoni est une bonne conteuse. Et même si parfois le style s'affaiblit un peu, l'auteure arrive toujours a capter l'attention de son lecteur. Ici, j'ai préféré le premier tome, Le Roi Lépreux, parce c'est un pan de l'Histoire que je connais moins bien : le règne presque saint d'un jeune roi très beau et plein d'abnégation, qui met de côté sa souffrance personnelle et la perspective d'être condamné à plus ou moins brève échéance pour faire corps avec la souffrance de son royaume de Jérusalem mis à mal par les ambitions de conquête du charismatique Saladin. Sa mort et les successions qui s'ensuivent, mettant ses deux sœurs Sybille et Isabelle au cœur de véritables crises dynastiques voire matrimoniales qui vont conduire petit à petit à la disparition des États latins d'Orient. On y découvre aussi la vie là-bas, curieux mélange de culture chrétienne d'autant plus forte qu'elle est menacée mais mâtinée malgré tout de cet art de vivre à l'orientale que les croisés arrivés d'Occident découvrent avec émerveillement : on ne partage pas la religion des musulmans mais on vit comme eux à bien des égards et cela fond insidieusement les peuples entre eux.
    Je ne m'attarderai pas sur le tome deux qui est intéressant à sa manière mais m'est surtout apparu comme un tome de transition entre Le Roi Lépreux et Les Trésors Templiers.
    Ce dernier a peut-être davantage capté mon intérêt parce qu'il démarre à une époque que j'apprécie énormément depuis que j'ai lu Les Rois Maudits de Druon en 2008 : c'est le début du XIVème siècle, le règne de Philippe IV le Bel et ceux de ses trois fils, qui marquent la fin des Capétiens directs et annoncent déjà la Guerre de Cent ans. Dans son roman, Druon dit que la fin de la lignée née avec Hugues Capet découle de cette malédiction qu'aurait proférée Jacques de Molay, Grand Maître du Temple mort sur le bûcher en mars 1314 : il aurait maudit ceux qui l'ont condamné, autrement dit le pape Clément V, le roi Philippe et le garde des sceaux, Guillaume de Nogaret. En reprenant à son compte cette légende forgée de toutes pièces par l'esprit génial d'un auteur incomparable, Juliette Benzoni nous propose donc une plongée dans un Moyen Âge puissant et mystique, entre légendes et réalités historiques (légendes parce qu'on sait bien aujourd'hui que les trésors templiers n'existent pas et qu'aucune malédiction n'a été lancée par Jacques de Molay au moment de sa mort). En prenant comme héros une lignée imaginaire mais rattachée aux puissants seigneurs de Courtenay qui donnèrent notamment un empereur de Constantinople, l'auteure évoque cette chevalerie si puissante au Moyen Âge centrale, consubstantielle du mode de vie féodal et qui est en train de connaître son apogée avant de décliner doucement jusqu'à la Renaissance.
    Si vous aimez le Moyen Âge, ses intrigues, ses mystères, ses personnages haut en couleurs, alors n'hésitez plus ce livre est fait pour vous mais armez-vous de patience : c'est un gros bouquin où il se passe plein de choses et il se lit lentement. Mais il en vaut la peine : clairement dans une saga comme celle-ci, Juliette Benzoni nous fait une belle démonstration de la maîtrise qu'elle a de son art d'écrivain, qui est bien plus évident que dans certains autres de ses livres, notamment ces livres que j'appelle catalogues qui sont des compilations de plusieurs époques et de plusieurs destins et qui ne permettent pas à son talent de s'exprimer pleinement.
    On passera sur deux ou trois petites approximations qui sont à mon avis des erreurs d'étourderie ou de frappe et qui, au regard de la densité du livre ne sont vraiment que mineures. 

     

    Exécution des dignitaires du Temple, Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay en mars 1314 (miniature, vers 1380)

    En Bref :

    Les + : Juliette Benzoni nous emmène dans une chevauchée fantastique, une véritable épopée médiévale, des déserts arides de la Terre Sainte jusqu'au Paris de Philippe le Bel. C'est assez passionnant même si ma lecture a été très longue du fait du nombre de pages. 
    Les - :
    deux ou trois approximations et une erreur dans le résumé, mais au regard de la teneur du volume, ce n'est pas très grave.

     

     


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  • « Vous n'avez pas le choix, Lucia. Si vous voulez retrouver un avenir, vous allez devoir dépasser vos limites et marcher sur les cendres de votre passé. »

    Les Lionnes de Venise, tome 1 ; Mireille Calmel

     

     

     

     Publié en 2018

     Editions Pocket 

     352 pages 

     Premier tome de la saga Les Lionnes de Venise

     

     

     

     

     

     

     

    Résumé : 

    Venise, campo Santa Fosca, octobre 1627. Lucia, jeune et espiègle Vénitienne, se retrouve au milieu des flammes qui dévastent la modeste imprimerie familiale. Sous ses yeux, son père est enlevé par trois hommes armés. Qui donc se cache derrière ce crime ? La veille, la magnifique Isabella Rosselli, la plus rouée des espionnes de la cité des Doges, est venue faire reproduire une étrange gravure... 
    Lucia est décidée à percer cette énigme et à sauver son père. Dans une quête effrénée, elle s'immisce parmi les puissants, se mêle au bal des faux-semblants du carnaval, s'enfonce dans les arrière-cours des palais. 
    Une Venise fascinante, oppressante, où le pouvoir se confond avec l'amour, où les étreintes succèdent aux duels, et les baisers aux complots. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1627 à Venise, la jeune Lucia coule des jours heureux auprès de son père, imprimeur. Jusqu'à ce jour d'octobre où une belle et mystérieuse femme apporte à Giuseppe de Seva, le père de Lucia, une gravure qu'il semble reconnaître comme celle pour laquelle son propre père a disparu sans laisser de traces, vingt-sept ans plus tôt. Une gravure aussi mystérieuse que dangereuse et les de Seva sont en passe de s'en rendre compte d'amère manière.
    Un matin, Lucia découvre l'imprimerie en feu et son père emmené par des hommes masqués. Contrainte de laisser derrière elle sa maison réduite en cendres et tous ses souvenirs, Lucia se lance dans une course folle destinée à libérer son père et se venger de leurs ennemis, dans une Venise sulfureuse et vénéneuse où des prostituées peuvent se cacher derrière les voiles de pudiques nonnes et les pires malfrats derrière les ors de beaux costumes et de hautes dignités. En quelques jours, Lucia va devoir apprendre à s'en sortir seule, à déjouer les pièges de ses ennemis et à la jouer plus fine qu'eux pour sauver ce qui lui est cher. Quand en plus de cela, la ville est en proie à une Acqua Alta sans précédent, l'expérience se corse et la jeune femme s'expose à bien des dangers.
    Sur le papier, ce roman de Mireille Calmel avait tout pour me plaire : en lisant le résumé j'ai pensé aux récits vivants et enlevés de Juliette Benzoni, j'ai supposé que ce roman allait totalement me convaincre mais voilà... il m'a manqué un petit quelque chose pour trouver cette lecture autre que divertissante. C'était sympa mais peut-être pas aussi approfondi que je l'aurais souhaité. Surtout je suis ressortie de cette lecture sans aucune réponse à toutes les questions que ma lecture m'a fait me poser. Pour cela, il faut peut-être lire le deuxième tome, ce que je ferais avec plaisir mais surtout pour obtenir des réponses. Cette mystérieuse gravure, quelle est-elle et pourquoi suscite-t-elle tant de convoitises ? Quel est son lien avec les de Seva ?
    L'apparent mystère du roman, ressenti dès le début, a accroché mon attention mais n'a au final qu'embrouillé mon esprit, ce que je regrette parce que je n'ai pas réellement profité de cette lecture et je ne peux donc rien vous en dire de plus que : ce fut une lecture divertissante mais pas la lecture du siècle malheureusement. Pourtant j'aurais vraiment souhaité qu'il en soit autrement parce que le roman est prometteur. Seulement ça va vite, trop peut-être pour pouvoir s'attacher aux personnages, assimiler tous les rebondissements qui se succèdent et qui, ça c'est sur, rendent le récit hyper dynamique. On court, on vole, des palais de Venise où vient de s'ouvrir le carnaval en fêtes débridées et lumineuses jusqu'aux ruelles populeuses et dangereuses de la Sérénissime. Dans une ville en proie aux montées des eaux spectaculaires de l'automne, le sentiment d'urgence s'accroît, nous gagne aussi.
    Ce serait vous mentir si je vous disais que je n'ai pas du tout être captivée par ce roman. J'ai été un peu déçue parce que je ne m'attendais pas à ça, je n'ai pas eu exactement ce que je voulais. Mais je n'ai pas détesté le roman pour autant. J'aime ces intrigues qui s'articulent autour d'un document recelant mystères et dangers... malheureusement j'ai ressenti un gros manque d'approfondissement : les personnages sont survolés et je n'ai réussi à m'attacher à aucun. L'intrigue en elle-même, concentrée sur quelques jours seulement, va peut-être trop vite aussi. Je n'aime pas les longueurs mais leur exact opposé non plus : un juste milieu est cent fois plus appréciable.
    Moi qui avais beaucoup aimé le roman La Marquise, dont l'héroïne est l'épouse du marquis de Sade, je m'attendais avec Les Lionnes de Venise à une intrigue dans la même veine. J'ai été détrompée, tant pis pour moi. J'espère être plus emballée par le second volume et le trouver un peu plus que simplement divertissant !

    En Bref :

    Les + : l'intrigue tournant autour d'un mystérieux document aussi vénéneux que dangereux, les pièges et les plaisirs d'une Venise corrompue...le roman est dynamique et enlevé...
    Les - :
    ...malheureusement, le roman a peiné à me convaincre entièrement malgré des qualités indéniables et cette magnifique couverture qui donne envie de tourner la page et regarder ce qui se cache dans le roman !

     

     Les soeurs Brontë : la Force d'Exister ; Laura El Makki

    Thème de mars « Petit nouveau », 3/12


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  • « La force des hommes, c'est de faire croire aux femmes qu'elles ne sont pas capables. Elle fera comme nous toutes, elle apprendra. »

    Perline, Clémence, Lucille et les autres... ; Jeanne-Marie Sauvage-Avit

     

     

     

     Publié en 2017

     Editions Pocket

     828 pages 

     

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    En 1914, le destin des femmes est scellé par les hommes. Mais la guerre éclate. Aux champs comme à la mine, dans les transports et les administrations, les maris, fils et pères sont réquisitionnés. Alors les femmes s'organisent. Perline, Clémence, Lucille et les autres relèvent leurs manches. Pendant que les tragédies se déclinent à l'infini -mort, peur, attente, deuils-, elles doivent réinventer leur vie, pour elles comme pour le pays tout entier. 
    Pour ces héroïnes d'un nouveau genre, il faut agir, produire, récolter. L'heure de l'émancipation et de l'affranchissement du joug des hommes a sonné. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1914, quand éclate la guerre, les femmes se retrouvent en première ligne. C'est le cas de celles du village de Saint-Jean, près de Saint-Etienne. Jeunes ou moins jeunes, elles vont devoir faire face, supporter la tristesse de voir partir les hommes, continuer à s'occuper des enfants et de la maison tout en faisant tourner la ferme, l'usine (notamment les usines d'armement où travailleront celles que l'on appellera les munitionnettes) ou le commerce. Clémence Bonnefont et sa fille Perline voient partir les hommes de la famille, qu'elles vont devoir remplacer. Lucille, elle, est une petite orpheline de l'Assistance Publique qui sera placée chez les Bonnefont avec son frère Mathias. Pendant quatre ans ils vont vivre les uns à côté des autres, partageant les joies comme les deuils, la tristesse, l'angoisse...ils vont maintenir les villages, ils vont continuer de vivre malgré tout.
    Surtout, les femmes se trouvent brutalement privées de la tutelle des hommes. D'abord démunies devant ce brusque départ, elles se rendent rapidement compte qu'elles sont capables de faire aussi bien qu'eux, de prendre des décisions et de mener leur barque. Paradoxalement, ce conflit qui va laisser exsangue les pays d'Europe a eu, si je puis dire, un effet positif sur l'émancipation des femmes. Celles-ci n'ont pas attendu la Première guerre mondiale pour revendiquer leurs droits, il n'y a qu'à voir le mouvement des suffragettes en Angleterre au début du siècle. Mais pour la première fois, les femmes se trouvent absolument libres et se rendent compte de l'asservissement domestique dans lequel les retiennent les hommes, souvent sans méchanceté mais parce qu'ils obéissent en cela à des injonctions séculaires et qu'on n'aurait pas l'idée de remettre en cause...et ces nouveautés, ces nouvelles prérogatives, les femmes ne sont pas prêtes à les abandonner quand l'armistice est signée. Pourtant, elles seront, parfois avec beaucoup d'amertume et de tristesse, obligées de redonner leur place aux hommes qui reviendront et reprendre une position de discrète obéissance.
    Mais certaines, comme les femmes Bonnefont, ne sont pas prêtes à redevenir de discrètes ménagères. Après avoir été institutrice avant la guerre puis comptable dans une usine textile de Saint-Etienne pendant le conflit, Perline décide d'être indépendante et de mener sa vie comme elle le souhaite.

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    Un atelier de munitionnettes en Auvergne pendant la Première Guerre Mondiale


    Pourtant, les femmes libres et émancipées se heurtent encore aux interdits de la société et aux qu'en-dira-t-on : une grossesse hors mariage est vécue comme une honte et, dans les années 1920, il est encore interdit d'avorter, surtout quand le gouvernement vous demande de faire des enfants pour repeupler un pays qui a laissé des millions d'hommes sur les champs de bataille de la Marne, de l'Argonne ou de la Somme. Le conseil de famille continue de prendre en charge les femmes dont les maris ou les pères ne sont pas revenus de la guerre. Éternelles mineures, les décisions ne leur appartiennent pas et la société très conservatrice du début du XXème siècle ne leur tolère qu'un seul destin : le mariage et la maternité et peu importe si elles aspirent à autre chose.
    Mais dans les années 1920, les temps changent petit à petit et si le mariage reste la norme et de plus en plus de femmes assument de vouloir autre chose ou, du moins, pas que ça.
    Le roman de Jeanne-Marie Sauvage-Avit est un gros roman historique extrêmement bien documenté et donc très riche. C'est une très fine description de la société et du mode de vie de l'époque. L'auteure situe en plus son récit dans une région intéressante et qui présente à elle toute seule les deux visages de cette France de 1914 : un pays rural et très traditionaliste mais aussi un pays industrialisé, plus moderne peut-être où les ouvriers, syndiqués, revendicatifs, ne vivent pas comme les agriculteurs. Ils ne vivent peut-être pas mieux mais assurément différemment. La guerre de Quatorze, qui s'apprête à rebattre les cartes, va bouleverser ces rouages bien huilés. La ruralité va progressivement céder le pas à la vie citadine, le pays se moderniser, l'agriculture se mécaniser, les villages se vider doucement. Cette France délicieusement surannée, celle de Colette ou d'Henri Troyat dans Les Semailles et les Moisson, de Courbet, de Millet est en train de disparaître...En plus de voir se transformer les différents destins des héros du roman, on voit la société changer. La fracture est importante entre les années 1910 et les années 1920.
    Vous l'aurez compris, d'un point de vue historique, ce roman a su me convaincre je dirais même qu'il m'a agréablement surprise, notamment de part cette fine restitution d'une époque, d'un contexte, d'une ambiance.
    Les personnages m'ont plu eux aussi, parce qu'ils sont authentiques et même si je ne me suis pas spécialement identifiée à Perline, je l'ai trouvée intéressante et courageuse : et il leur en a fallu, à ces femmes, du courage pour prendre la place des hommes, supporter les drames personnels, continuer à faire tourner le pays.

    Simone Menier, infirmière major et administratrice de l'hôpital de Chenonceau pendant une opération, entre 1914 et 1918


    Étrangement, ce qui m'a surprise c'est l'omniprésence du discours sur l'émancipation des femmes : paradoxalement, même si je m'attendais à ce que le roman tourne autour de ça, j'ai trouvé que parfois, c'était un peu trop présent. Que ce soit un sujet parmi d'autres m'aurait peut-être moins lassée. Bien sûr c'est important et l'époque s'y prête mais il y'a beaucoup de changements sociaux dans les années qui suivent la Première guerre mondiale et qui auraient pu être traités tout autant, alors que là, la condition féminine prend le pas sur tout le reste et cela a fini par me barber un peu (et pourtant, c'est un sujet par lequel je me sens concernée).
    Mais soyons clairs, ce n'est pas gênant outre mesure non plus et ceci n'est qu'un avis personnel, peut-être ne ressentirez-vous pas du tout la même chose en lisant ce roman.
    Toujours est-il que ce roman ne peut pas laisser indifférent, il est très émouvant et j'ai trouvé que l'auteure, en peu de mots, avec pudeur, parvenait à bien retranscrire les sentiments de ses personnages et j'ai souvent eu les larmes aux yeux. Il est vrai que la Première guerre mondiale est un conflit encore relativement récent, à l'échelle de l'Histoire : cela ne fait que cent-deux ans que l'armistice a été signée et nous avons tous, dans les albums de famille, dans des tiroirs un peu poussiéreux, dans de vieilles boîtes, des photos de nos arrière-grand-pères en uniforme, de nos arrière-grand-mères en robe noire, portant le deuil d'un fils, d'un mari, d'un père, d'un frère, de petits enfants en culottes courtes dont les photos étaient envoyées sur le front. Je crois que ce conflit nous touche particulièrement, non seulement de part sa brutalité mais parce qu'encore aujourd'hui, beaucoup de choses nous ramènent à lui : les monuments aux morts et surtout ces souvenirs familiaux qui nous paraissent lointains mais sont au final si proches. Je crois que ce roman peut trouver une résonance chez chaque lecteur, un écho peut-être différent selon la personne mais un écho malgré tout. Il est clair qu'il saura toucher quelque chose chez vous.
    Si le roman est essentiellement centré sur les femmes, ce n'est pas pour autant qu'un roman de femmes et l'auteure a pris soin, malgré tout, de laisser une place importante aux hommes. Sans jugement, sans révolte ni contresens, elle décrit cette profonde inégalité entre hommes et femmes qui est alors la norme mais qui est en train de se relâcher doucement et qui, surtout, ne définit pas tous les ménages non plus et heureusement.
    Bref, malgré deux ou trois petits bémols, je dois dire que cette lecture a été une bonne lecture. Oui, vraiment. Il y'a dans ce roman une spontanéité et une sincérité qui rend les personnages simples et accessibles, l'intrigue touchante. Oui, en lisant ce roman on se sent concerné par l'Histoire, on se sent devenir partie prenante : ce n'est plus l'Histoire des manuels scolaires mais celles de personnes de chair et de sang qui auraient pu être nos aïeux. Pour moi, ce roman, en plus d'être une fiction, est un document intéressant pour découvrir la vie des Français pendant la guerre et dans les premières années qui ont suivi la fin du conflit. 

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    Les femmes remplaçant les hommes aux champs : image du film Les Gardiennes de Xavier Beauvois (2016)

    En Bref :

    Les + : un roman bien documenté qui, par son aspect social très poussé, est un véritable journal de la vie quotidienne des Français pendant la Première Guerre Mondiale et après. C'est aussi un bel hommage aux femmes qui ont fait tourner le pays pendant l'absence des hommes et ont jeté, à force de ténacité les bases de l'égalité entre les sexes. 
    Les - : paradoxalement, même si je savais qu'il serait prépondérant, j'ai fini par me lasser de l'omniprésence des discours féministes des différentes héroïnes. 


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  • « Le train, comme la vie, doit continuer d'avancer jusqu'à son terminus. Peut-être les paysages traversés ne seront-ils pas toujours très beaux mais, si on baisse le store, la beauté comme la laideur vont nous manquer. »

    La Dame de l'Orient-Express ; Lindsay Ashford

     

     

     Publié en 2016 en Angleterre 

     En 2020 en France (pour la présente édition)

     Titre original : The Woman on the Orient-Express

     Editions de l'Archipel 

     396 pages 

     

     

     

     

     

     

    Résumé : 

    Octobre 1928. Son divorce lui a laissé un goût amer. Partout, Agatha Christie croit voir le fantôme d'Archie, son ex-mari. Jusque dans les couloirs de l'Orient-Express, où elle vient de prendre place sous une fausse identité.

    Elle se sait pourtant privilégiée. Le Meurtre de Roger Ackroyd l'a rendue célèbre. Et rien ne l'oblige à rester en Angleterre pour écrire son dixième roman.

    Elle a trente-huit ans. À bord de ce train mythique qui doit la mener à Istanbul, elle fait la connaissance de deux femmes, Nancy et Katharine. Elles aussi cachent leur passé.

    La première fuit un mari violent. La seconde part rejoindre son futur époux sur un site de recherches archéologiques. Et c'est à Ur, en Mésopotamie, qu'un drame se noue... aux répercussions inattendues.

    Inspiré d'un épisode méconnu de la vie d'Agatha Christie, La Dame de l'Orient-Express explore l'amitié féminine forgée par les épreuves partagées et le pouvoir des secrets.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1928, fragilisée par un divorce douloureux qu'elle voit comme un échec personnel, Agatha Christie, déjà célèbre pour ses romans policiers qui rencontrent un grand succès, décide de laisser l'Angleterre derrière elle et de voyager. Elle embarque dans le mythique Orient-Express, qui lui inspirera un roman, direction la Mésopotamie, où les archéologues européens s'activent dans les ruines des temples, villes et palais sumériens engloutis dans les sables du désert.
    Dans le train qui l'emmène vers le Moyen-Orient à travers l'Europe, de l'Angleterre à Venise en passant par Paris, Agatha rencontre deux autres femmes qui semblent cacher ou fuir quelque chose : la belle Katharine, qui regagne le chantier de fouilles de la ville d'Ur et cache un secret intime sous des airs de guerrière et de femme fatale ; et la fragile et jeune Nancy qui dit fuir un mari violent mais qui a aussi bien des non-dits sur le cœur. Les trois femmes, très différentes les unes des autres vont pourtant se lier d'amitié, se découvrir et ce voyage va changer leur vie à jamais.
    En prenant pour base de son roman un véritable voyage de la romancière à Bagdad, l'auteure Lindsay Ashford a brodé un récit mêlant fiction et réalité. Des personnages fictifs en côtoient d'autres qui ont existé, comme Agatha ou encore Katharine. Et son récit fonctionne ! Bien écrit, intéressant, ce roman fait la part belle aux recherches scientifiques qui, en ce début de XXème siècle, permettent de redécouvrir les civilisations et les richesses du Croissant Fertile. On découvre aussi un pays où l'influence britannique est forte, qu'on appelle encore la Mésopotamie mais qui va un jour devenir l'Irak : blotti aux confins de l'Orient et de l'Occident, le pays oscille entre les deux et on y voit autant de mosquées que de terrains de golf.
    Et le roman tourne autour de cette amitié féminine qui naît entre trois personnes qui se trouvent à des tournants de leurs vies et chacune à leur manière acculées, au pied du mur et devant réagir coûte que coûte : on a l'impression que ces trois femmes, dans les épreuves qu'elles traversent, se reconnaissent et une certaine sororité instinctive se met en place. Les secrets se dévoilent petit à petit, à mesure que leur amitié et leur confiance grandissent. On découvre les épreuves que Nancy, toute jeune encore, a déjà dû traverser et ses désillusions sur la vie, même si celles-ci ne l'empêchent pas de croire encore un peu en l'avenir. Pour Katharine, pas forcément très attachante au départ parce que trop sûre d'elle, on se surprend à l'apprécier quand la carapace se fissure et qu'on comprend ce qu'elle cache sous des airs bravaches et combatifs. Quant à Agatha, ce voyage décidé sur un coup de tête, qui a tout l'apparence d'une fuite mais qui la fait aussi culpabiliser parce qu'elle a laissé en Angleterre sa fille unique, Rosalind, aura au moins le mérite de remplir ses objectifs : la guérir de ce mariage raté qui lui laisse un goût amer d'inachevé et d'échec personnel et la faire s'interroger sur ce qui est vraiment important pour elle.
    Je ne sais pas si on peut qualifier La Dame de l'Orient-Express de roman d'évasion mais, si une chose est sûre, c'est qu'il nous fait voyager et nous dépayse ! Le Moyen-Orient de cette époque est une région du monde très exotique pour les Occidentaux, pour moi un peu semblable à l'Inde, où le mode de vie britannique côtoie des croyances et des coutumes ancestrales. J'ai senti les odeurs épicées du souk, les vapeurs saturées de parfums des hammams, les senteurs minérales du désert, à perte de vue, où poussent les camps nomades des archéologues et scientifiques. Je suis ressortie de ce roman en ayant eu l'impression, moi aussi, de traverser l'Europe et la Turquie de 1928 à bord de l'emblématique Orient-Express ! Ce périple, je l'ai fait aux côtés de nos trois héroïnes et je ne les ai quittées qu'à regret.
    Oui, je crois que je peux dire que ce roman m'a surprise, parce qu'il m'a offert quelque chose auquel je ne m'attendais pas. Parfois, on est déçu et parfois, on se dit que le livre est allé au-delà de nos espérances et c'est effectivement ce qu'il s'est passé avec La Dame de l'Orient-Express. Je ne pensais pas aimer autant et finalement, ce voyage au Moyen-Orient m'a entièrement convaincue et enthousiasmée ! ! Ne connaissant, en plus, que très succinctement Agatha Christie, que je n'ai encore jamais lue, j'ai aimé découvrir la femme derrière l'auteure, une femme encore jeune, qui vient de se prendre une belle claque mais cherche à rebondir et à faire de cette épreuve personnelle une force. Ancienne infirmière pendant la guerre de 14-18, romancière reconnue, Agatha Christie, en 1928, n'en est pas moins, comme bon nombre de ses consœurs, encore enfermée dans un carcan de moralité et de bonnes mœurs dont elle essaie tant bien que mal de sortir.
    La Dame de l'Orient-Express est un roman comme je les aime, qui mêle habilement fiction et réalité, dans un cadre historique captivant : je me suis prise de passion, au cours de ma lecture, pour le travail des archéologues qui, en exhumant les trésors enfouis d'une civilisation disparue, tentent de comprendre ses modes de vie et de fonctionnement. Enfin, la figure tutélaire d'une légende de la littérature, mais ramenée ici à son simple rôle de femme comme les autres, pas à l'abri des épreuves et des embûches, domine La Dame de l'Orient-Express et j'ai trouvé très judicieuse l'idée de Lindsay Ashford de faire d'Agatha Christie l'héroïne de son roman, comme une savoureuse mise en abyme particulièrement réussie et efficace ! Un roman à conseiller, sans aucun doute. 

    Merci à Mylène et aux éditions de l'Archipel qui m'ont permis de lire ce livre en avant-première !

    En Bref :

    Les + : roman efficace et réussi, qui mêle habilement fiction et réalité et se passe dans un cadre habituellement absent de la littérature : la Mésopotamie, futur Irak, terre exotique, fertile et à l'Histoire très riche.
    Les - :
    Aucun point négatif à soulever en ce qui me concerne.


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  • « Vers la fin de sa vie, quand Mary n'aurait plus rien d'autre à faire qu'à penser à son comportement quand elle était encore jeune, surtout à ces mois-là, ou elle approchait de la fin de sa jeunesse et commençait, finalement, à être vieille, elle se demanderait pourquoi elle avait passé tant de son précieux temps à essayer de changer les choses. »

     

    La Cuisinière ; Mary Beth Keane

     

     

     Publié en 2013 aux Etats-Unis

     En 2016 en France (pour la présente édition)

     Titre original : Fever

     Editions 10/18

     449 pages 

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Immigrée irlandaise arrivée seule à New York à la fin du XIXe siècle, Mary Mallon travaille comme lingère avant de se découvrir un talent caché pour la cuisine. Malheureusement, dans toutes les maisons bourgeoises où elle est employée, les gens contractent la typhoïde. Mary, quant à elle, ne présente aucun symptôme de la maladie. Au contraire, sa robustesse est presque indécente. Un médecin finit par s'intéresser à elle, et les autorités sanitaires, qui l'estiment dangereuse, l'envoient en quarantaine sur une île au large de Manhattan. Commence alors pour cette femme indépendante et insoumise un combat à armes inégales pour sa liberté...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    À la fin du XIXème siècle, à New York, Mary Mallon, immigrée irlandaise, est une cuisinière réputée qui a travaillé pour plusieurs maisons bourgeoises de la ville. En 1899, elle travaille pour les Kirkenbauer quand la typhoïde se déclare, atteignant le petit garçon et sa mère. Employée ensuite chez les Bowen, une nouvelle épidémie se déclare dans la maisonnée, touchant tout le monde...Sauf Mary qui va toujours extrêmement bien et semble être immunisée à la maladie alors qu'elle ne l'a jamais eu...
    C'est ainsi que commence cette affaire sanitaire dans laquelle Mary aura un rôle central : une histoire vraie, qui va mettre en lumière la notion de porteur sain. En gros, Mary Mallon fabrique en elle les bacilles de la typhoïde...Elle est en porteuse et devient donc contagieuse, au contact des aliments qu'elle manipule puis qu'elle sert à ses employeurs. A tel point que la maladie semble la suivre et semble presque immanquablement se déclarer dans chacune des maisons où elle passe, sans qu'elle fasse le lien avec elle-même, cela dit, étant totalement ignorante de cette particularité qui est la sienne, particularité assez tragique au demeurant, puisque Mary sème la maladie et la mort sur son passage, sans rien y pouvoir et surtout, sans le vouloir.
    Bientôt son cas intéresse la science et celle que les hournaux vont rapidement surnommer Mary Typhoïde est placée en quarantaine sur une petite île isolée au large de Manhattan : North Brother. Là, elle doit se soumettre à des tests réguliers destinés à mettre en lumière les mécanismes de son corps et la manière dont elle transmet cette toxicité qu'elle fabrique à l'intérieur d'elle.
    Le cas de Mary Mallon est assurément un cas de la médecine. C'est aussi un destin à part et un destin un peu tragique quand on pense que cette femme a passé de nombreuses années quasiment en captivité, traitée comme une criminelle, soumise à des tests humiliants. Comment accepter d'être enfermé, isolé, quand on est innocent et à plus forte raison, ignorant de la chose que l'on nous reproche ? Et en même temps, comment ne pas se sentir coupable quand les médecins vous disent que vous avez provoqué la maladie et la mort de certaines personnes ? Comment accepter de porter en soi une maladie dont on ne souffre pas mais que l'on transmet et qui influe si brutalement sur notre vie quotidienne ?
    Si la manière dont l'auteure a traité son personnage ne m'a pas forcément permis de m'attacher à Mary, que j'ai souvent regardée d'un œil assez distant, malgré tout je me suis mise à sa place : comment rester de marbre devant une telle chose, une telle histoire ? Comment ne pas se dire que ce qui est arrivé à Mary aurait pu arriver à d'autres, à nous, peut-être ? J'ai aussitôt compris l'horreur que cela pouvait être elle de se retrouver du jour au lendemain coupée de sa vie, des lieux familiers qu'elle fréquentait, de l'homme avec qui elle vivait, foncièrement innocente mais regardée comme coupable par les médecins.
    J'ai été sidérée aussi par cette médecine du début du XXème siècle, qui semble à un carrefour : déjà tournée vers la modernité mais encore loin des techniques de pointe et semblant toujours s'exercer, parfois, de manière pleine d'obscurantisme. Mary est un peu comme une lépreuse moderne, isolée de la société parce qu'on ne comprend pas son cas mais que l'on est conscient qu'elle présente un danger. Alors, pour préserver des millions de personnes, les habitants de cette ville tentaculaire qu'est déjà New York, on en sacrifie une et ma foi, le sacrifice n'est pas bien grand : Mary n'est-elle pas qu'une simple cuisinière, après tout ? Et, qui plus est, une immigrée et en plus, une femme ? Ce n'est franchement pas grand chose !
    Ce roman m'a rappelé celui de Gaëlle Nohant, La Part des Flammes, qui se passe sensiblement à la même époque. On constate une certaine toute-puissance de la médecine et la non prise en compte du patient -ou, ici en l'occurrence, l'objet d'études- en tant que sujet. Dans La Part des Flammes, c'est la psychiatrie qui est abordée, de manière assez glaçante quand on se rend compte de la manière dont on considérait les patients à l'époque...Dans La Cuisinière, Mary devient pour ses médecins, peut-être pas une bête de foire mais un véritable cobaye dont on va user pour comprendre cette notion de porteur sain, qui semble encore bien nébuleuse. La médecine, qui est censée être là pour nous sauver, nous soulager, devient ici une sorte d'entité que l'on craint, qui enferme, qui humilie et qui dicte sa loi.
    Je crois que ce roman est d'autant plus fort que c'est une histoire vraie. Même si, comme je le disais plus haut, je n'ai pas vraiment éprouvé de sympathie pour Mary, malgré tout, je n'ai pas pu m'empêcher de me mettre à sa place et j'ai parfaitement compris sa panique, son impuissance, quand elle est mise en quarantaine : North Brother devient une sorte de huis-clos suffocant et convoque nos peurs instinctives les plus enfouies...la peur de clamer son innocence et de ne pas être cru, la peur d'être enfermé sans possibilité de sortir ou de communiquer avec l'extérieur... Je n'ai pas toujours été très à l'aise en lisant ce roman, même si la sensation s'est vite dissipée.
    Enfin, ce roman est un beau portrait de cette ville de New York du début du XXème siècle. C'est déjà une ville tentaculaire mais, évidemment, on est encore loin de la mégapole ultra-moderne que l'on connaît aujourd'hui. New-York est une ville cosmopolite qui vit à mille à l'heure et se développe tout aussi rapidement...c'est aussi une ville sale, où misère et pauvreté cotoient richesse et propreté des beaux quartiers. On est loin de l'american dream si cher aux Européens de l'époque, qui émigrent en masse, notamment les Irlandais et les Italiens. On est loin aussi de cet eldorado que ce monde que l'on considère encore comme nouveau, semble promettre et bien des destins sont brisés, à l'instar de ceux de Mary et d'Alfred, par la fatalité, par la faute à pas-de-chance, parce que l'Amérique est un ogre qui dévore et qui broie et qui ne laisse pas sa chance à tout le monde.
    Enfin, pour finir, je dirais que La Cuisinière est un roman riche et bien documenté, qui aborde un destin tombé dans l'oubli et c'est tout à l'honneur de l'auteure de réhabiliter Mary, considérée comme une coupable en son temps, alors qu'elle ne pouvait tout simplement rien y faire. Son aspect médical est intéressant, même pour quelqu'un qui ne s'y connaît pas forcément.
    En bref, je ne regrette pas d'avoir découvert ce roman même si je n'y ai pas tout aimé et que j'ai trouvé le personnage de Mary pas vraiment facile à aborder. Si vous aimez les romans historiques qui tiennent la route, avec un sujet percutant, vous ne serez sûrement pas déçu par celui-ci.

    En Bref :

    Les + : le roman est riche, dense et bien documenté, d'autant plus fort qu'il évoque une véritable affaire et un véritable destin. 
    Les - : une certaine distance est instaurée entre le lecteur et les personnages. Personnellement, je n'ai réussi à m'attacher à aucun et cela m'a un peu manqué. 


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