• « Elle eut le tort de n'être pas celle qu'il fallait, quand il fallait, où il fallait. Et son caractère entier acheva d'envenimer les choses, car elle n'était pas de celles qui se plient aux concessions. »

    Marie-Antoinette, l'Insoumise, Simone Bertière

    Publié en 2003

    Editions Le Livre de Poche

    927 pages 

    Quatrième tome de la saga Les Reines de France au Temps des Bourbons

     

    Résumé : 

    De son vivant et au-delà, la personnalité de Marie-Antoinette n'a cessé de susciter des légendes, suppositions et calomnies. S'appuyant sur une lecture nouvelle et rigoureuse des sources, Simone Bertière restitue ici sa vérité psychologique et historique à la dernière de ses Reines de France
    Ni douce ni soumise, Marie-Antoinette fut au contraire une femme rebelle aux servitudes écrasantes de sa fonction, aspirant à une vie indépendante et conforme à ses goûts. La volonté et l'énergie dont elle fit montre longtemps pour des objets frivoles -sources de son impopularité- lui valurent d'atteindre, dans les épreuves, à une authentique grandeur. 
    Sa mère, l'impératrice d'Autriche, Louis XV vieillissant et la comtesse du Barry, Axel de Fersen, Mirabeau, et bien d'autres figures capitales de l'époque paraissent dans ces pages où revit un quart de siècle d'histoire, abordé hors de tout esprit partisan. Sur le roi Louis XVI, les documents analysés par Simone Bertière apportent des révélations et, pour la première fois, l'histoire du couple apparaît sous son vrai jour. 
    Le prix des Maisons de la Presse 2002 a couronné ce livre, sixième et dernier volume d'une fresque historique au succès croissant, qui a déjà valu à son auteur le grand prix d'histoire Chateaubriand -La Vallée-aux-Loups, le grand prix de la Biographie de l'Académie française et le prix des Ambassadeurs. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Qui est Marie-Antoinette ? La question hante les historiens depuis toujours et risque de les hanter encore pendant longtemps. Rares sont les personnages qui, comme elle, font couler autant d'encre, en bien ou en mal et continuent de diviser, plus de deux cents ans après leur mort. Personnage ambivalent, ambigu, paradoxal, Marie-Antoinette a cristallisé, de son vivant, une haine pas toujours justifiée, comme elle concentre aujourd'hui sur sa personne un engouement qui n'est peut-être pas forcément plus mérité non plus. Et si, aimer Marie-Antoinette, se passionner pour elle, c'était finalement, plutôt que l'encenser, se situer prudemment entre les deux : évitons l'écueil de la damnatio memoriae comme de l'hagiographie, car elle ne mérite ni l'un ni l'autre. Ce qui, à mon sens, fait de Marie-Antoinette, un personnage aussi passionnant, c'est justement ses imperfections et ses erreurs qui la rendent humaine. Profondément humaine et, en cela, proche de nous. Aujourd'hui, plus de deux cents ans après la Révolution, nous bénéficions d'un recul suffisant pour enfin aborder ce grand destin comme il se doit : en scientifiques, en gardant la tête froide, sans se laisser aller ni à la haïr ni à l'aimer outre mesure, parce que, comme n'importe lequel d'entre nous, elle n'est ni toute noire ni toute blanche.
    Née en 1755, petite archiduchesse d'Autriche répondant au prénom d'Antoine dans son enfance, Maria Antonia Josepha Johanna est la quatorzième et dernière fille née du couple formé par François de Lorraine et Marie-Thérèse de Habsbourg. Élevée comme une petite princesse du temps, dans une Cour où l'étiquette est lâche et peu observée, au milieu d'une importante fratrie, influencée par des sœurs plus âgées et qu'elle verra petit à petit partir, pour ne jamais revenir, vers leur patrie d'adoption quand sonne l'heure du mariage, la future Marie-Antoinette reste malgré tout un pion politique, interchangeable, que sa mère utilisera pour conforter telle ou telle alliance, s'assurer telle ou telle fidélité. Pour elle, ce sera la France et son mariage sera le gage de l'alliance de 1756, inédite, puisqu'unissant deux puissances ennemies depuis des lustres -c'est ce que l'on appelle le renversement des alliances, l'Autriche se désolidarisant de son allié traditionnel, l'Angleterre, pour s'associer à la France, qu'elle a beaucoup combattue.
    En 1770, Marie-Antoinette, quatorze ans, épouse le Dauphin Louis-Auguste, qui en a quinze. A la mort de Louis XV, en 1774, ils montent sur le trône à respectivement dix-neuf et vingt ans. Ils en descendront brutalement moins de vingt ans plus tard, quand la Révolution aura achevé de faire basculer le trône pluriséculaire des Bourbons, mettant fin à plus de mille ans de monarchie héréditaire. Guillotinée en 1793, à la suite d'un procès sommaire où lui seront pêle-mêle reprochés ses dépenses et train de vie, son hypothétique trahison ou même de pratiquer l'inceste avec son jeune fils de huit ans, Marie-Antoinette meurt honnie par le peuple de France mais sa dignité et sa grandeur dans la mort inversent rapidement la tendance : si certains souffrent depuis toujours d'une tenace légende noire, Marie-Antoinette, très vite, se verra réhabilitée, d'abord timidement et plus franchement depuis plusieurs années. Il est vrai que l'historiographie a fait des progrès mais peut-être sont-ils le plus visibles et le plus évidents quand on étudie le cas Marie-Antoinette, qu'on pourrait presque, pour utiliser un terme très anachronique, qualifier de superstar. Popularisée par le cinéma, par les romans, par son image utilisée dans des publicités, Marie-Antoinette est un personnage très familier, évoluant dans un cocon de pastel et croquant des macarons - l'image, si elle n'est pas forcément très historique, a au moins le mérite de parler à tout le monde et d'évoquer quelque chose à chacun.

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     L'un des portraits les plus connus de Marie-Antoinette, par Elisabeth Vigée-Lebrun


    Et quand on prend le temps de gratter un peu et de regarder sous cette image d’Épinal, le personnage qui apparaît, loin d'être superficiel comme on pourrait le penser, est d'une teneur et d'une profondeur ahurissante. Marie-Antoinette n'aura pas eu, ou si peu, la possibilité de se révéler mais on peut supposer que si l'Histoire lui en avait laissé le temps, elle aurait pu faire de grandes choses, à son échelle. Non dépourvue d'intelligence, malgré une éducation enfantine bâclée, excellente mère, consciente malgré tout de son rang et de ce qu'elle était, la question est permise : si elle avait été plus sérieuse, qui aurait-elle été ? Quelle femme, quelle reine aurait-elle été ? Mais, sans partir dans des conjonctures improbables, on peut déjà se demander : qui est-elle vraiment ? Et à cette question, les historiens ont aujourd'hui toutes les clés ou presque, pour y répondre.
    Cette conséquente biographie n'est pas la première que je lis. Si vous me suivez depuis longtemps, vous avez pu le remarquer et, d'ailleurs, une blogueuse avec qui j'échange depuis de nombreuses années s'est étonnée, dernièrement, que je n'ai pas lu ce livre ! Eh non...je l'ai gardé toutes ces années en en redoutant un peu la lecture -c'est le point final d'une formidable anthologie sur les reines de France aux temps modernes que j'étais un peu triste de quitter pour toujours- mais dans laquelle je me suis glissée avec malgré tout beaucoup de plaisir.
    Vous connaissez peut-être cette fameuse devise en italien, « Tutto a te mi guida », que l'on peut traduire par « Tout me conduit vers toi » et qui aurait été imprimé sur le sceau secret de la correspondance entre la reine et Fersen et peut-être même sur des bagues...Elle est on ne peut plus vraie en ce qui me concerne parce que j'ai l'impression que tout, fatalement, me ramène à Marie-Antoinette et même, que ma passion pour le XVIIIème siècle découle, à la base, de mon intérêt pour cette reine, qui est arrivé un peu par hasard, il est vrai, puis s'est pérennisé. Elle m'accompagne depuis des années, surtout par le biais des travaux de l'historienne Evelyne Lever et, jusqu'ici, je n'ai ressenti aucune lassitude : sans tout connaître d'elle, je pense pouvoir dire que Marie-Antoinette n'est plus une inconnue mais, malgré tout, j'ai toujours l'impression d'en apprendre un peu plus à chaque livre lu.
    Et avec ce livre de Simone Bertière, cela s'est confirmé : l'auteure s'attache, avec une vision féminine et chaleureuse, à montrer derrière la reine, derrière la fonction et le statut, la femme que pouvait être Marie-Antoinette, trait d'union entre les anciens temps et les temps modernes. Fille et descendante de rois, élevée dans la dignité de son rang, Marie-Antoinette est malgré tout influencée par l'époque dans laquelle elle vit et le XVIIIème siècle et peut-être celui où les bouleversements intellectuels et sociétaux sont les plus significatifs et les plus marquants et tout, dans sa vie, s'en ressent : la quête folle de la liberté, l'envie de vivre sans entraves et sans être dirigée, l'engouement pour les œuvres de Beaumarchais, puis, plus tard, la manière même dont elle envisagera l'éducation à donner ses enfants, pur produit de l'influence rousseauiste du moment. Marie-Antoinette est ambivalente : peut-être pas un Janus aux deux visages, parce que j'ai l'impression que c'est une seule et même personne qui évolue au fil du temps, mais oui, il y'a des paradoxes et une certaine ambivalence chez elle et c'est assez révélateur. En essayant d'analyser sa personnalité, son psychisme, Simone Bertière apporte des réponses universelles à un comportement que l'on s'est autorisé à juger sévèrement parce qu'il ternissait la fonction royale que Marie-Antoinette personnifiait.
    Il n'est pas question de la dédouaner ou de lui refaire un procès, ici. Pas du tout et c'est ce que j'ai apprécié dans ce livre - ce que je m'attendais à trouver, aussi, connaissant Simone Bertière. Finalement, en sortant de cette lecture, on se pose cette question : et si Marie-Antoinette fascinait justement pour ce que l'on ne dit pas ou peu souvent, si elle intéressait justement parce qu'au fond, elle est plus particulièrement humaine dans toutes ses imperfections ? Elle s'est trompée, elle s'est même trompée sur toute la ligne et lourdement puisqu'elle le paiera de sa vie, ce qui est d'ailleurs peut-être un peu excessif, mais cela appartient à l'Histoire. Marie-Antoinette a commis des erreurs, comme nous tous. Elle a navigué à vue et elle n'a pas toujours pris les bonnes décisions, comme nous tous. Seulement, on ne lui a pas fait de cadeaux, parce qu'elle occupait une place où l'erreur n'est pas tolérable et que, par son comportement, somme toute justifiable, notamment par son âge à son arrivée en France puis à son accession au trône, elle a participé à l'effondrement de la dignité monarchique et a sûrement précipité le délitement d'un régime millénaire et qui avait fait ses preuves. Elle n'en est pas pour autant l'entière responsable ; si Louis XVI et son épouse ont eu la malchance et le malheur de voir s'effondrer l'édifice alors qu'ils régnaient, la Révolution n'en est pas pour autant un phénomène spontané et réagissant contre eux...pas entière, du moins, puisqu'elle trouve son origine bien plus tôt, dans les affrontements de la Fronde, notamment... Enfin, mais c'est pousser bien loin, la monarchie n'était-elle pas, en France, vouée à disparaître dès lors qu'elle devenait absolue ?

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    Marie-Antoinette conduite sur les lieux de son exécution le 16 octobre 1793


    Et si Marie-Antoinette n'avait finalement été qu'une femme comme les autres ? Accablée par le poids d'une vie dont elle n'a pas voulu, manipulée par des intérêts multiples et en premier ceux de l'Autriche, qui l'empêchèrent de devenir entièrement française dans sa jeunesse, commettant des erreurs et des faux pas, elle sut malgré tout se réveler dans l'adversité, soutenir sans faillir le roi, élever et aimer ses enfants d'un amour inconditionnel, se défendre avec grandeur lors d'un procès inique scellé d'avance. Marie-Antoinette n'est ni toute noire, ni toute blanche : elle a commis des erreurs et refusé parfois de changer d'attitude, en cela, elle est coupable. Mais ne cédons pas à la grande tentation de la dénigrer en bloc : l'image qui nous est parvenue d'elle est encore grandement marquée par la Révolution et les libelles qui ont émaillé le règne. Tâchons de l'entrapercevoir telle qu'elle a pu être, avec ses défauts et ses qualités, ses bons comme ses mauvais côtés. Tâchons aujourd'hui de la réhabiliter, pour ne pas oublier, humainement, les souffrances de la famille royale, en premier lieu des enfants. Aujourd'hui, plus de deux cents ans après la Révolution, Marie-Antoinette, comme tous les autres protagonistes de cette époque, d'ailleurs, appartient plus que jamais à l'Histoire et l'Histoire exige de l'objectivité : encenser et haïr n'y ont pas leur place mais juger avec raison est le devoir de l'historien. C'est ce que fait Simone Bertière dans ce livre, avec toutefois beaucoup de chaleur. Elle sait se montrer critique quand il le faut, pointer les travers de la reine mais reconnaître aussi ses points forts. Marie-Antoinette revit sous sa plume et acquiert une teneur, une profondeur peu communes. Elle redevient un être de chair et de sang, une fille, une épouse, une sœur, une mère, une reine. En un mot, une femme et on est toujours plus sévère avec les femmes. Oublions ce qu'on a pu lire, ce que l'Histoire instrumentalisée par la politique a pu nous faire penser...la Révolution est une période extrêmement compliquée à appréhender parce que, inconsciemment, elle fait partie de nous intrinsèquement. Mais étudier l'existence de ceux que la Révolution a combattus est tout aussi intéressant et édifiant parce que, dans leur humanité la plus intime et la plus innée, ils redeviennent un instant proches de nous, compréhensibles et justifiables. Je remercie les auteurs qui, comme Simone Bertière ici ou bien encore Evelyne Lever, ont, petit à petit, grâce à leurs travaux, amené ceux qui les ont lus à aiguiser leur esprit critique, à mieux comprendre et à mieux voir.
    Ce livre est à mettre entre les mains de tous les amoureux d'Histoire, à tous les passionnés. Nul doute que vous passerez un excellent moment et que vous serez, comme moi, ravis de voir Marie-Antoinette revivre sous la plume de Simone Bertière. Une chose est sûre, c'est qu'elles se sont bien trouvées toutes les deux.

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    Marie-Antoinette et Madame de Polignac, incarnées respectivement par Diane Kruger et Virginie Ledoyen dans le film Les Adieux à la Reine, de Benoît Jacquot 

    En Bref :

    Les + : biographie dense et riche, qui s'appuie sur les sources mais aussi sur des précédents travaux d'historiens, elle réhabilite Marie-Antoinette et nous fait entrevoir, derrière les ors de la fonction, la femme qu'elle a pu être et sa psychologie.
    Les - :
     mais aucun, bien sûr !

     

    Les Enquêtes de Quentin du Mesnil, Maître d'Hôtel à la Cour de François Ier, tome 1, Le Sang de l'Hermine ; Michèle Barrière 

    Thème de mai, « Mémoires », 5/12


    2 commentaires
  • « A quoi ressemble la frontière entre vérité et mensonge ? Elle est perméable et floue, car elle est pleine de rumeurs, de bavardages, d'incompréhensions et de déformations. La vérité peut faire tomber les murs, elle peut hurler dans la rue ; mais à moins que la vérité ne soit plaisante, agréable et facile à aimer, elle est condamnée à ne jamais voir le jour. »

    Le Conseiller, tome 2, Le Pouvoir ; Hilary Mantel

     

    Publié en 2012 en Angleterre ; en 2015 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Wolf Hall, book 2, Bring Up the Bodies 

    Editions Pocket 

    596 pages 

    Deuxième tome de la saga Le Conseiller

     

    Résumé :

    1535. A l'ombre des Tudors, grandir demande une prudence de tous les instants. Nommé secrétaire d'Henri VIII en reconnaissance de ses manœuvres, Thomas Cromwell touche enfin le pouvoir du doigt. Après le scandaleux divorce royal et le schisme qui en a découlé, l'Angleterre vit pourtant des heures troublées. Jamais le royaume n'a été plus menacé, les intrigues de cour plus venimeuses, le roi plus insatiable. Les têtes ne tiennent plus qu'à un fil. A commencer par celle d'Anne Boleyn, reine en disgrâce prise à son propre piège. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Fin 2014, j'ai lu le premier tome de cette saga d'Hilary Mantel, qui était alors une illustre inconnue pour moi et, contre toute attente, j'avais trouvé cette lecture formidable. Mais c'était aussi une lecture qui faisait un peu figure d'OVNI dans le paysage littéraire auquel je suis habituée. Roman historique mais pas que, A l'Ombre des Tudors, qui raconte l'ascension d'un obscur avocat, Thomas Cromwell, à la Cour d'Henry VIII, m'avait ravie de bout en bout.
    Comme vous pouvez le constater, j'ai mis le temps pour découvrir le deuxième tome, mais je ne regrette pas, au contraire, parce que j'ai eu l'impression d'en profiter encore plus. Entre-temps, j'ai pu découvrir l'adaptation de ces deux romans, la série Wolf Hall, avec Damian Lewis dans le rôle d'Henry et Claire Foy, de The Crown, dans celui de la reine Anne Boleyn, une série de qualité d'ailleurs, très fidèle au roman et que je recommande.
    Dans ce deuxième tome, nous sommes en 1535 et nous continuons de suivre les événements au travers du regard de Thomas Cromwell, plus proche du roi et influent que jamais. Si on devait faire une comparaison avec un homme politique français, j'opterais sans hésitation pour Richelieu : je les trouve assez semblables sur pas mal de points, même si Cromwell n'était pas un homme d'Eglise. Mais, tous deux ont su tirer parti de la chute de leur mentor -le cardinal Wolsey pour Cromwell, la reine Marie de Médicis pour Richelieu-, ils se sont élevés mais en flirtant toujours avec une disgrâce possible, ils se sont heurtés à des maîtres fluctuants et versatiles mais ont su en tirer parti avec habileté et réussir. Cromwell est un personnage passionnant et je trouve l'idée d'Hilary Mantel d'aborder l'époque Tudor à travers lui très intéressante et cohérente, peut-être plus intéressante encore que si elle avait choisi la facilité en abordant l'époque à travers Henry ou Anne. Secrétaire du roi, Master of Rolls (Maître des Rouleaux, c'est-à-dire, le troisième plus important juge du Royaume-Uni, après le Président de la Cour Suprême du Royaume-Uni et le Lord Chief Justice), lord du Sceau Privé, chevalier de la Jarretière et j'en passe, son ascension est rapide, fulgurante, flamboyante, aussi sa chute, qui intervient en juillet 1540, n'en sera que plus dure. Artisan de la réforme religieuse en Angleterre, tout dévoué à son roi, il s'est employé à défaire son union avec Catherine d'Aragon, pour tisser celle avec Anne Boleyn, qu'il a détissée de même quand il l'a fallu en jetant le roi dans les bras de la jeune Jane Seymour. Et c'est justement cet épisode qui est au centre du récit du Pouvoir.
    D'ailleurs, le titre français de ce deuxième tome ne pouvait être mieux choisi car, entre 1535 et 1536, le pouvoir, c'est finalement ce qui caractérise le mieux Cromwell, personnage incontournable, qui a l'oreille du roi -ce qui n'est pas, bien sûr, sans susciter quelques jalousies et malveillances- et un pouvoir qui paraît, en un sens, illimité.
    L'intrigue du roman est finalement assez ramassée dans le temps, entre la fin de l'été 1535 et le début du suivant et, entre-temps, la physionomie de la Cour d'Henry VIII a été profondément changée. Cette période marque un tournant, le début de la faveur de la timide et discrète Jane Seymour, la seule qui lui donna un fils mais en mourut, et celui de la disgrâce et de la chute de la piquante reine Anne Boleyn, pour qui le roi avait répudié sa précédente épouse, Catherine d'Aragon, déclarée bâtarde Mary, la fille qu'il avait eue avec elle et surtout, entamé un divorce avec l'Eglise catholique, qui aboutit à la création de l'Eglise anglicane. A la fin de l'année 1535, pourtant, cinq mois seulement avant sa mort à la Tour de Londres, la reine Anne est au sommet de son pouvoir, de sa faveur et de son charme. Trop, peut-être, parce que des rumeurs malveillantes commencent à circuler : on remet en doute la légitimité de l'unique enfant qu'elle a pu, pour le moment, donner à Henry, la petite Elizabeth, âgée de deux ans, on dit que la reine est une sorcière, qu'elle a envoûté le roi et surtout, qu'elle a de multiples amants. Qui ? Oh, cela n'est pas bien difficile à trouver... Et lorsqu'en janvier 1536, elle perd un nouvel enfant, à quelques mois de grossesse, un enfant qui s'avère être un petit garçon, mais non viable, la roue de la fortune, pour les Boleyn commence irrémédiablement à tourner vers le bas. Confondue pour adultère et surtout trahison et avec elle plusieurs serviteurs d'Henry VIII, Norris, Brereton, Smeaton, Weston, Anne Boleyn est arrêtée, emprisonnée à la Tour de Londres puis finalement décapitée le 19 mai 1536, à la suite d'un procès qu'on pourrait qualifier aujourd'hui de procès instrumentalisé et à charge. Et qui est l'artisan de la chute de la reine qu'il avait pourtant participé à faire quelques années plus tôt ? Mais Cromwell, bien sûr.

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     L'acteur Mark Rylance incarne Thomas Cromwell dans l'adaptation de la saga Wolf Hall par la BBC


    C'est avec fascination qu'on assiste au lent délitement du règne d'Anne Boleyn, qui passe d'une influence certaine à l'impuissance la plus totale, se faisant traîner comme une criminelle en prison puis jusqu'à l'échafaud où elle meurt dans la honte d'avoir été une épouse infidèle et une traîtresse. Les derniers chapitres du roman sont haletants, même si on en connaît le dénouement : il n'y a pas besoin d'être spécialiste de l'époque pour savoir que la reine Anne Boleyn a fini sa vie sur l'échafaud. Son destin brisé à suffisamment inspiré les auteurs, les cinéastes, les créateurs de séries télévisées. Et pourtant, on se laisse prendre par ce procès, pourtant totalement instrumentalisé, qui a pour seul but de faire dire à la reine qu'elle a trahi le roi avec ses proches, qu'elle a eu des amants, que sa fille n'est peut-être pas celle du roi, qu'elle a contracté, avant son mariage avec Henry, une union secrète avec Harry Percy, qu'elle s'est livrée, avec sa soeur, à la débauche lorsqu'elle se trouvait à la Cour de France.
    Et derrière tout cela, il y'a Cromwell. Cromwell qu'on retrouve, au début du roman, auprès du roi à Wolf Hall, la demeure des Seymour, où naît la faveur inattendue de la jeune Jane Seymour, puis à Londres dans les différents palais royaux et chez lui ; à Kimbolton, auprès de Catherine, la reine déchue et enfin, au pied de l'échafaud où Anne Boleyn se vide de son sang. Il pourrait être un personnage glaçant, froid, impersonnel, opportuniste et pourtant, il n'en est rien -enfin si, un petit peu quand même, mais finalement ce n'est pas ça qui prime. Au final, Cromwell ne fait ni plus ni moins que ce que l'on demande, à cette époque, à un homme politique, un diplomate, un homme tout dévoué à son roi et sa proche faveur dépend parfois de la disgrâce des autres.
    Rigoureusement basé sur des faits historiques, sur les charges réelles occupées par Cromwell auprès d'Henry VIII, le récit d'Hilary Mantel n'en est pas moins une interprétation. Que sait-on vraiment du Cromwell historique, sinon pas grand-chose ? Derrière le personnage, derrière le conseiller du roi, que sait-on de l'homme ? On est bien forcé de dire que l'on ne sait rien ou presque, ce qui laisse ensuite aux auteurs le loisir de broder et de s'orienter dans une voie ou dans une autre.
    Et je dois dire que l'image qu'Hilary Mantel donne de lui m'a beaucoup plu. Froid et déterminé, avancant sans se retourner et sans se justifier, entièrement dévoué à son roi, à son pays et à leur grandeur, il est le ministre par excellence, le conseiller zélé et dévoué sur lequel on peut compter, pour tout même pour le sale boulot.
    Mais il est aussi un homme très seul, surtout absorbé par son travail, ses papiers, sa mission. Evoluant surtout dans un univers très masculin -son fils, ses propres conseillers et les jeunes hommes qu'il forme et que l'on retrouve tout au long du récit à ses côtés-, il manque des femmes autour de lui, à commencer par les plus importantes, son épouse et ses deux filles, mortes de la suette en 1529. Dénué de scrupules peut-être mais pas de sentiments, doutant par moments mais feignant d'être toujours sûr de lui, Cromwell est comme un acteur, un personnage assez polymorphe et qui évolue selon les situations qui se présentent à lui : on le découvre ainsi paternel et bienveillant ou alors, effrayant de détermination et menaçant ses ennemis sans aucun tremblement dans la voix.
    On ne peut s'empêcher d'admirer un personnage de cette trempe, je ne sais pas si on s'attache vraiment à lui parce que cet homme, tel qu'il est présenté par Hilary Mantel n'est pas vraiment charmant, ni attirant mais il a beaucoup d'aura, il occupe tout le récit, il l'habite et le rend vivant, même si je n'ai pu me défaire, tout au long de ma lecture, de l'idée que, si à cet instant précis, Cromwell travaille activement à la chute de la reine Anne Boleyn, il est aussi en train de travailler à la sienne, qui n'intervient finalement que quelques années plus tard et sera d'ailleurs assez semblable et aussi brutale que celle de la reine, puisque privé de toutes ses dignités, il sera traîné à l'échafaud et décapité. Finalement, comme Anne et comme tous ceux dont il sera le juge en mai 1536, il est le dépendant et suspendu au pouvoir instable et brutal d'Henry VIII, comme son mentor Wolsey avant lui, il personnifie tous ces serviteurs qui s'oublient pour ne plus être que zèle mais dont la place n'est jamais assurée, dont la place est suspendue aux fils traîtres retenus par les mains d'un monarque qui se pense tout-puissant, fait en sorte de l'être et peut faire et défaire un destin à sa guise, favoriser comme faire s'abattre la hâche du bourreau.
    Avant de conclure cette chronique, j'aimerais quand même dire un mot du style de l'auteure. Certes, je n'ai pas lu roman en VO mais j'ai trouvé la traduction absolument remarquable et permettant de saisir aussitôt le style initial de l'auteure : au travers du travail de Fabrice Pointeau, le traducteur, c'est la plume d'Hilary Mantel que l'on entrevoit parfaitement et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle de grande qualité. Malgré tout, c'est un style assez particulier, qui donne une certaine lenteur au récit, le rend planant, qui se fait caressant comme plus trivial. Hilary Mantel ne s’embarrasse pas de circonlocutions, appelle un chat un chat et traite chaque sujet comme il le mérite : la maladie est laide et sale, la déchéance aussi, la faveur est glorieuse, flamboyante et triomphante. C'est un style qui plaît ou pas. En ce qui me concerne, j'avais été séduite depuis le premier tome et cela s'est confirmé dans Le Pouvoir. A mon avis, peut-être même plus que le sujet choisi -même s'il est passionnant, soyons honnêtes-, ce qui fait la force de ce récit et le rend si particulier, si unique, c'est le style de l'auteure. Oui, parfois c'est étrange et on peut avoir du mal à s'y faire... moi-même je me suis parfois sentie un peu perdue, ne sachant plus qui était en train de parler et qui répondait : Cromwell ? Son interlocuteur ? Ou bien quelqu'un d'autre encore ? Mais malgré ça, je m'en suis délectée, je l'ai lu avec beaucoup de plaisir. Choisir les mots justes n'est pas toujours évident mais c'est le propre d'un auteur et Hilary Mantel, en cela est talentueuse. Même si elle n'est pas facile d'accès au premier abord, il faut persévérer, s'habituer à cette manière d'écrire très personnelle et, si comme moi, vous aimez les romans historiques et la Renaissance anglaise, si vous avez vu la série The Tudors et que vous avez aimé les romans de Philippa Gregory, nul doute que vous ne serez pas déçus. Il est difficile de vendre une saga comme celle-là parce qu'elle est finalement dépendante de la manière dont chaque lecteur l'abordera, bien plus que d'autres romans. Le Conseiller, c'est un univers à part entière : certains y adhéreront complètement, comme moi et d'autres le rejetteront. Mais pour se faire une idée, le meilleur moyen est de le lire. Je ne peux donc que vous conseiller chaleureusement ce roman et son prédécesseur, A l'Ombre des Tudors. Pour ma part, c'est avec une petite pointe de nostalgie que je quitte ces personnages... Y'aura-t-il un troisième tome,ceci dit ? Va-t-on quitter Cromwell au sommet du pouvoir de son héros ou bien assisterons-nous à la chute, aussi amère qu'irrémédiable ? Apparemment, un troisième tome serait en cours d'écriture...

    En Bref :

    Les + : Excellent, comme le premier tome, cet ultime volume de la saga Le Conseiller brosse un portrait sans concession de l'ère Tudor, en pleine Renaissance anglaise qui, sous la plume d'Hilary Mantel s'avère passionnante. Complots, trahisons, assassinats, exécutions...le règne d'Henri VIII est flamboyant, violent et ô combien fascinant pour les lecteurs. Une lecture assez jubilatoire.
    Les - :
    Aucun, bien sûr.

     

     

    Le Conseiller, tome 2, Le Pouvoir ; Hilary Mantel


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  • « Comme souvent, le talent et les actes ne suffisent guère à se créer un renom. Pour cela, le bruit qu'on fait est souvent plus important que la portée de ce qu'on a réalisé. Il n'est pas rare de voir le succès aller à ceux qui ont fait le plus d'éclats et non à ceux qui ont fait le plus d'exploits. »

    Philis : une Héroïne, une Femme ; Alex Charréard

     

    Publié en 2019

    Editions Librinova (livre numérique)

    249 pages 

     

    Résumé :

    Philis de la Charce vivait au XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIV, et fut le premier résistant à être reconnu par son chef d’Etat. À cette époque pourtant, on se moquait des « femmes savantes » et les soulèvements étaient réprimés dans le sang. Entreprenante, libre d’esprit et chef de guerre quand les circonstances l’ont imposé, Philis aurait été une référence pour les femmes si elle avait été connue. Féministe avant l’heure, elle a été effacée des livres d’histoire par les hommes du XIXe siècle et est totalement oubliée aujourd’hui. Le portrait romancé de cette héroïne est celui d’une femme qui construit son chemin, non sans difficulté, entre ses valeurs et ses sentiments, entre amour et devoir. Femme d’action et de pouvoir dans un monde dominé par les hommes, elle n’en reste pas moins fidèle à elle-même, avec toute sa sensibilité.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Quand j'ai été sollicitée il y'a quelques temps par les éditions Librinova pour lire ce roman, évidemment, j'ai été très attirée par le résumé et par le fait que l'héroïne est un personnage historique authentique et oublié. J'ai laissé de côté les a priori que j'ai concernant la lecture numérique pour me lancer dans ce roman assez court de 250 pages à peine. Je ne vous dirais pas que ces lectures numériques vont me pousser à aller acheter de ce pas une liseuse, certainement pas, mais de temps en temps, pourquoi pas ?
    Donc, vous devez vous poser la question : mais de quoi peut bien parler ce roman ? Eh bien, c'est tout simple : en 1692, alors que l'Europe se ligue en une coalition appelée la Ligue d'Augsbourg, contre la France de Louis XIV, le duc de Savoie, certes allié par des liens de parenté au roi de France, décide de s'allier à l'empereur et d'envahir les territoires frontaliers aux siens, à commencer par le Dauphiné. Là-bas, les troupes françaises menées par Nicolas de Catinat tentent d'échafauder un plan pour repousser les troupes de Victor-Amédée, emmenées par le prince Eugène, son cousin, militaire de génie tandis que les habitants s'inquiètent de l'approche des Savoyards.
    Philis a trente ans. Depuis la mort de son père, elle est reconnue comme le chef de la famille et administre ses terres et ses biens avec la fermeté d'un homme. Issue d'une très puissante et ancienne famille, les La Tour du Pin, convertie au catholicisme après la révocation de l'édit de Nantes, elle voit avec inquiétude mais aussi avec colère l'avancée des Savoyards dont l'intention est très claire : annexer le Dauphiné, ce que Philis refuse. Alors, reprenant à son compte les anciens devoirs féodaux, qui commandaient aux seigneurs et châtelains de protéger leurs gens et leurs terres, elle se met à la tête de ces farouches Dauphinois qui refusent la mainmise des Savoyards sur leurs terres et participent à plusieurs combats de guérilla contre Victor-Amédée et ses soldats.
    Maintenant, la question, c'est : qui est Philis de la Charce ? Au final, à part quelques mentions dans des lettres, dans les écrits de Voltaire puis dans ceux d'historiens du XIXème siècle, celle que l'on surnomma parfois la Jeanne d'Arc du Dauphiné est assez peu connue hors des limites de sa région d'origine. Donc, on peut évidemment se demander qui est la Philis historique, mais finalement, les informations sont maigres. Le postulat de départ de l'auteur est donc le suivant : puisqu'on ne sait pas grand-chose sur elle, il a brodé à partir du peu d'informations historiques que l'on a pour écrire un roman historique qui s'apparente finalement plus à une fiction qu'à une véritable biographie historique, même si le contexte y est que l'on croise beaucoup de personnages authentiques et eux, pour le coup, assez connus, de Victor-Amédée de Savoie en passant par Madame de Sévigné, Ninon de Lenclos, Madame de Maintenon et Louis XIV lui-même.

    Résultat de recherche d'images pour "philis de la charce"

     

    Statue de Philis de la Charce à cheval 


    Déjà, dans le roman, Philis est pas mal rajeunie : celle qui est, selon les sources, née en 1645 à Montmorin, devrait donc avoir quarante-sept ans au moments des faits, ce qui est assez cohérent finalement... On imagine qu'une femme de cet âge-là est peut-être plus à même qu'une femme plus jeune à se faire écouter, respecter et à pouvoir prendre la tête des populations révoltées. J'avoue que, au cours de ma lecture, l'idée m'a traversé l'esprit fugacement que cette jolie femme de trente ans parvient un peu trop facilement à en imposer à des hommes plus âgés, qui pourraient être son père, peut-être trop facilement pour que cela soit crédible, mais je ne m'y suis finalement pas attardée tant que ça parce que son courage et sa détermination effacent tout. Finalement, la motivation première de Philis n'est pas de conserver ses propres terres, son château, ses biens, mais de protéger les possessions de ses gens et ses gens eux-mêmes contre une invasion brutale qu'ils ne reconnaissent pas et qu'ils refusent. Héroïne par la force des choses, mais héroïne tout de même, elle surprend, parce qu'elle prend le contre-pied de ce que sont les femmes à cette époque-là, elle s'immisce dans un milieu qui leur est normalement interdit et où elle brillera, parfois même mieux que des militaires de carrière. Donc, finalement, qu'elle ait trente ans ou dix-sept de plus ne change pas grand-chose : cette femme qui a dit non et qui a pris les armes pour le faire fermement savoir force l'admiration quoi qu'il en soit.
    Ensuite, tout ce que l'auteur développe autour de la préparation des combats et des combats même est certainement aussi de la fiction dans la mesure où ne savons que peu de chose de l'existence menée par Philis : elle n'a pas été mariée et n'a pas eu d'enfants mais a-t-elle, comme dans le roman, connu malgré tout brièvement l'amour avec un jeune soldat tout droit arrivé de Versailles -on peut en douter. Etait-elle une amie de Madame de Grignan, la fille de la célèbre épistolière, Marie de Sévigné ? Après tout, pourquoi pas ? A-t-elle vraiment rencontré le roi Louis XIV à Versailles ? Peut-être.
    Au final, l'image que livre Alex Charréard dans son roman est cohérente, vraisemblable et on se prend à penser que Philis était peut-être une femme de ce genre, conquérante, émancipée en quelque sorte, peut-être par la bonne éducation qu'elle a pu recevoir dans sa jeunesse et par la mort de son père qui l'a précipitée à la tête de la famille faute de fils et qui l'a poussée à devoir se conduire et réagir en homme. Toujours est-il que son action de résistance a déstabilisé les troupes savoyardes, perdues dans une région inhospitalière, grandiose et austère et qu'elles ont finalement repassé la frontière, laissant invaincu le Dauphiné et victorieuses les troupes du roi de France. On peut penser que Philis n'y est peut-être pas pour rien.
    Depuis le début de cette chronique, je vous dis que Philis agit et raisonne souvent en homme et c'est vrai : le cloisonnement très fort à l'époque entre les deux sexes explique cela. Aujourd'hui, les femmes peuvent être militaires et il y'en a beaucoup : je ne dis pas que c'est toujours facile pour elles de s'intégrer mais elles ont la possibilité de mener une carrière dans l'armée si elles le souhaitent. A la fin du XVIIème siècle, une époque très guerrière quoique fastueuse, cela ne va pas du tout de soi et la guerre est l'apanage des hommes et surtout du roi. Philis est donc assez ambivalente, parce qu'elle se comporte certes comme un homme et comme un chef de guerre mais aussi comme une femme de son temps et surtout comme une Précieuse, courant féminin par excellence, caractérisé par des salons, une production littéraire importante, tant en romans qu'en lettres -on peut penser à Mademoiselle de Scudéry, à Mesdames de La Fayette ou Sévigné- et qui a marqué l'Histoire. Morte en 1703, à l'aube du XVIIIème siècle, sans mari, sans enfants, portant le nom d'un personnage du roman L'Astrée, d'Honoré d'Urfé, éduquée et librement pensante, Philis peut être considérée comme partie intégrante de ce grand mouvement culturel que Molière a tourné en ridicule mais qui s'avère malgré tout particulièrement important et consubstantiel au Grand Siècle français.
    Vous l'aurez peut-être compris en lisant cette chronique, j'ai été dans l'ensemble assez agréablement surprise par ce roman, bien documenté et complet, quoique assez court : les lieux sont particulièrement bien décrits, on s'y voit dans ce Dauphiné austère et froid, dominé par de hautes montagnes, pays rude de vallées encaissées mais aux paysages grandioses, le contexte est assez finement relaté aussi. Peut-être le style aurait-il pu être un peu plus dynamique parce que j'ai eu l'impression parfois d'un récit assez linéaire et un peu lisse mais dans l'ensemble, le récit d'Alex Charréard a des qualités indéniables et il ne manquera pas d'intéresser ceux qui, comme moi, aiment l'Histoire et les personnages oubliés par nos manuels. Quelques erreurs de ci de là émaillent le roman mais elles sont pardonnables...
    La chose qui m'a finalement le plus dérangée, comme lors de ma lecture du roman Amitiés rouge Sang, en octobre et qui m'avait lui aussi été proposé par Librinova, c'est la récurrence des coquilles. Les premiers chapitres n'en avaient presque pas et je me suis prise à espérer que cela continuerait comme ça mais malheureusement, ce ne fut pas le cas. Certes, une ou deux (ou trois) erreurs d'impression, des petites erreurs d'accords ou de mot pour un autre peuvent parfois passer à la trappe mais là, c'est trop fréquent et un peu dommage : on a l'impression de lire des épreuves non corrigées or, les différents romans proposés par Librinova ne sont pas présentés comme tels, on pourrait donc s'attendre à une correction un peu plus méticuleuse, quand même.
    Malgré tout, j'ai apprécié de découvrir ce destin assez exceptionnel et malheureusement trop mal connu aujourd'hui. Au cours de mes recherches pour écrire cette chronique, j'ai vu qu'un film sur sa vie avait été tourné en 2015 -l'actrice Alexia Carr, que je ne connais pas du tout d'ailleurs, y incarne Philis- mais il n'a pas dû marquer les esprits parce que je n'en avais, personnellement, jamais entendu parler et que quelques écrits lui ont été consacrés mais peut-être pas suffisamment pour la faire connaître, ce qui est dommage. Depuis que j'ai démarré cette lecture, je n'arrive pas à me rappeler si j'ai déjà, pour ma part, entendu parler de Philis de la Charce : le nom me dit quelque chose mais j'aurais été bien en peine de savoir ce qu'elle avait fait et qui elle était. Peut-être ai-je croisé la mention de son nom au détour d'une lecture et je l'avais oubliée aussi vite que je l'avais connue, en fait. Ce roman aura eu le mérite de me rafraîchir la mémoire et de me faire me rappeler de cette femme déterminée et admirable, qui a dit non à sa manière en prenant les armes et qui, comme Jeanne d'Arc en son temps, a pris la tête d'une troupe uniquement masculine pour aller repousser l'ennemi et le mettre en défaut.


    Je termine cette chronique en remerciant les éditions Librinova pour m'avoir permis de découvrir ce roman qui m'a agréablement surprise. 

    En Bref :

    Les + : un récit aux qualités indéniables...il est bien écrit et bien documenté mais...
    Les - :
     ...les coquilles trop nombreuses gâchent un peu le plaisir de la lecture. Dommage.


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  • « Le monde est ainsi, Lizzie. Les innocents paient pour les crimes des coupables. »

    Lizzie Martin, tome 6, Le Brouillard tombe sur Deptford ; Ann Granger

     

    Publié en 2016 en Angleterre ; en 2017 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Dead Woman of Deptford

    Editions 10/18 (collection Grands Détectives) 

    360 pages

    Sixième tome de la saga Lizzie Martin

     

    Résumé : 

    Londres, époque victorienne. Par une froide nuit de novembre, le docker Harry Parker trébuche sur un cadavre dans une ruelle de Deptford. Que venait faire Mrs Clifford, si chic, si bien vêtue, dans cette partie peu fréquentable de la ville ? Chargé de l'enquête par Scotland Yard, l'inspecteur Ben Ross ne trouve aucun témoin. De son côté, sa femme Lizzie tente d'étouffer un scandale : Edgar Wellings, un ami de la famille, souffre d'addiction au jeu. Mais le pire reste à venir : Wellings semble être le dernier à avoir vu Mrs Clifford vivante...Et que penser de son excellente raison de la tuer ? 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Quel plaisir de retrouver Lizzie et Ben pour une nouvelle enquête ! Surtout que ça faisait plusieurs années que je n'avais pas lu un roman d'Ann Granger et j'avais hâte de retrouver cette ambiance si familière qui me plaît beaucoup.
    On la compare beaucoup à Anne Perry, qui est un peu la maîtresse du genre, si je puis dire et qui s'est taillé une solide réputation avec sa très conséquente série des Charlotte et Thomas Pitt. C'est vrai qu'il y'a pas mal de points communs entre leurs deux univers et en même temps, il y'a un petit quelque chose chez Lizzie et Ben qui me les rend plus sympathiques que Charlotte et Thomas.
    Evidemment, c'est avec beaucoup d'attentes que j'ai entamé la lecture de cette sixième enquête, qui porte un titre énigmatique et les éditions 10/18 ont illustré d'une très belle couverture, tout aussi intrigante...
    Par une froide soirée de novembre, dans le quartier londonien de Deptford, quartier d'entrepôts, de docks et de chantiers navals, le corps de Mrs Clifford, une respectable cinquantenaire correctement vêtue est retrouvé gisant dans la rue et elle a visiblement succombé à un coup violent porté à la tête. Quant à ses bijoux, ils ont disparu. A-t-elle été détroussée à cause d'eux et le vol a-t-il mal tourné ? Ou bien, parce que Mrs Clifford faisait profession de prêteuse, les motifs de l'assassin sont-ils autres ?
    Appelé à la rescousse par l'inspecteur de Deptford, Ben Ross de Scotland Yard, flanqué de son fidèle Morris, va se charger d'une enquête qui ne manque pas de se compliquer quand les policiers se rendent compte que la dernière personne à avoir vu Mrs Clifford vivante n'est autre que Edgard Wellings, le frère de Patience, la fiancée de Frank Carterton, cousin de Lizzie.
    Alors, que s'est-il passé ? Edgar, qui visiblement faisait appel à Mrs Clifford parce qu'il a besoin d'argent, est-il son meurtrier ?
    Eh bien, pour le savoir, il va falloir lire Le Brouillard tombe sur Deptford et si vous aimez les romans policiers mâtinés d'un soupçon d'Histoire et qu'en plus vous appréciez l'Angleterre victorienne, nul doute que vous serez séduit. Attention, avec Ann Granger -comme avec Anne Perry, d'ailleurs- on est loin des romans policiers parfois franchement crades ou flippants qui sont à la mode en ce moment. Rien de tout ça ici et je dirais même qu'elles sont toutes deux de la vieille école, sans condescendance aucune. Mais elles se placent dans la droite ligne de ces auteurs britanniques qui ont su donner ses lettres de noblesse au style policier. Les intrigues sont assez traditionnelles, peut-être un peu convenues parfois mais elles permettent aussi de pointer du doigt les inégalités et les injustices de l'époque victorienne et Ann Granger n'a pas son pareil pour brosser un portrait parfois peu amène mais crédible d'une société très cloisonnée où l'on peut être très riche ou très pauvre et où se côtoient les plus fabuleuses richesses et la misère la plus noire.
    Ici, dans ce roman, c'est le monde interlope des mariniers, des matelots, des ouvriers des chantiers navals qu'Ann Granger met à l'honneur, même si Mrs Clifford n'en fait partie. Elle vit cependant dans un quartier qui s'est développé depuis le XVIème siècle grâce au fleuve et au commerce et qui continue de faire vivre des centaines de familles, plus ou moins bien, et souvent moins que plus, d'ailleurs. Ben Ross et ses agents se trouvent confrontés au dénuement des habitants de Deptford, au travail des enfants obligés de se comporter comme des adultes et qui n'hésitent pas à recourir à l'escroquerie ou aux vols, à l'angoisse terrible de perdre un emploi quand on en a un, aux maladies entraînées par la misère et par le travail très dur et souvent effectué depuis le plus jeune âge.
    Et puis, en miroir, l'auteure nous décrit les préoccupations des plus aisés, à commencer par la famille d'Edgard Wellings, scandalisée à l'idée qu'il ait été la dernière personne à voir la prêteuse sur gages vivante, d'autant plus que cela en fait, pour la police, le principal suspect. Crainte futile du scandale et du qu'en dira-t-on, ternissement irrémédiable de l'image sociale s'opposent ainsi de façon presque risible et pathétique à la vraie déchéance et souvent à la dignité qui l'accompagne et à laquelle les pauvres se raccrochent de toutes leurs forces pour ne pas déchoir complètement.
    Cette sixième enquête de Lizzie et Ben n'est pas la plus enlevée et, dans celle-ci, j'ai eu l'impression que Lizzie s'effaçait un peu pour laisser le devant de la scène à Ben. J'ai regretté qu'on ne les voie pas plus souvent ensemble parce qu'ils forment un petit couple sympathique mais c'est malgré tout toujours aussi agréable de les retrouver. Lizzie qui, dans le premier tome, m'avait légèrement agacée, est un peu plus nuancée depuis quelques tomes et elle apporte parfois des suggestions pleines de bon sens à Ben.
    Malgré tout, Le Brouillard tombe sur Deptford est agréable à lire, bien écrit, émaillé par moments de saillies ironiques et pince-sans-rire typiquement britanniques. Le roman n'est pas très long, même si on a l'impression pendant un moment, que l'enquête stagne et n'avance pas. On découvre en même temps que les policiers et avec intérêt, ce quartier de Deptford, où vivent des miséreux et des gens d'une classe sociale un peu plus élevée, comme Mrs Clifford, par exemple ou Mr Morton. On découvre le Londres sale de cette fin de XIXème siècle, souvent noyé du brouillard jaune qui monte de la Tamise et se mêle aux fumées des cheminées et des usines. Ce quartier qui sent la vase et le bitume nous met mal à l'aise à plusieurs reprises, comme si on s'attendait à voir apparaître un assassin à chaque coin de rue. Et la froidure d'un mois de novembre anglais n'arrange rien.
    Cette sixième enquête est bien ficelée et efficace parce qu'elle a le mérite d'illustrer ce que l'indigence et le désespoir peuvent conduire à faire en dernier recours et qu'un meurtre peut parfois découler du plus grand désarroi et pas d'une volonté forcément meurtrière au départ : quand on n'a plus rien, parfois, on tombe dans le crime sans même s'en rendre compte et c'est avec tristesse et amertume que Ben, ancien petit mineur du Derbyshire, en fait la constatation.
    Après avoir terminé ce roman, je n'attends plus qu'une chose : un septième tome. En espérant qu'il y'en ait un. 

    En Bref :

    Les + : Ann Granger n'a pas son pareil pour pointer du doigt les paradoxes d'une époque qui a marqué l'Histoire. Dans une intrigue bien ficelée, elle nous emmène dans les bas-fonds du Londres victorien, dans le sillage de personnages attachants que l'on suit maintenant depuis plusieurs années.
    Les - : j'aurais presque aimé que le roman soit plus long ! !  

    Lizzie Martin, tome 6, Le Brouillard tombe sur Deptford ; Ann Granger


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  • « Rien ne nous arrêtera. Du moment que nous sommes ensemble. »

    Cavendon Hall, tome 3, L'Héritage de Cavendon ; Barbara Taylor Bradford

    Publié en 2016 en Angleterre ; en 2018 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Cavendon Luck 

    Editions Le Livre de Poche 

    456 pages 

    Troisième tome de la saga Cavendon 

     

    Résumé : 

    Eté 1938. Cecily et Miles Ingham s'apprêtent à reporter leurs vacances familiales à Zurich, la situation sur le continent étant devenue très préoccupante. Cecily décide cependant de s'y rendre, accompagnée de sa belle-sœur Diedre, qui travaille dans les renseignements, afin de sauver les proches de son assistante, Greta, d'origine juive allemande. De là, elles parcourent le pays pour exécuter leur plan, sous couvert d'assister à une soirée donnée à Berlin par l'ambassade britannique. 
    Une fois la guerre déclarée, frères, fils et pères sont appelés à servir. Restées seules au château, victimes des bombardements et des privations, les femmes Ingham et Swann - leurs domestiques - abolissent les barrières sociales pour s'entraider et se protéger. Des deux côtés de la Manche, chacun se bat pour ses idéaux, espérant entendre bientôt résonner de nouveau les rires à Cavendon. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Voilà, je viens de terminer le troisième tome de Cavendon, la saga de Barbara Taylor Bradford et avec un ressenti beaucoup moins mitigé que lors de ma lecture des deux premiers tomes, l'année dernière.
    Je ne vous dirai pas que l'auteure m'a convaincue pleinement cette fois et je reste encore assez hermétique à sa manière d'écrire et à ses dialogues qui sonnent un peu faux -disons qu'ils passent relativement bien à l'écrit mais qu'on a du mal à imaginer quelqu'un les prononcer et cela fait perdre en crédibilité au récit, je trouve.
    Pour autant, l'aspect historique a su me captiver et j'ai finalement oublié les petits désagréments qui m'ont effectivement agacée parfois, au cours de ma lecture, mais qui sont des défauts mineurs : la Seconde Guerre Mondiale est une période qui m'a toujours intéressée...je ne suis pas une passionnée mais j'aime les romans qui s'y passent.
    Et ce troisième tome démarre justement en 1938, neuf ans après la fin du deuxième tome Les Femmes de Cavendon Hall -et à l'aube de la guerre- et on y retrouve tous les anciens personnages mais aussi des enfants qui ont grandi ou sont nés dans ce laps de temps. Des événements tragiques ou heureux ont jalonné la vie des Ingham et des Swann pendant ces neuf années qui les ont amenés du krach boursier de 1929 à l'aube de la Seconde Guerre Mondiale mais auxquels le lecteur n'a, évidemment, pas assisté, ce qui peut perturber un peu, mais sans plus.
    Nous retrouvons, au cours de ce bel été de 1938, la famille Ingham au complet : Miles, Cecily et leurs enfants vivent sur le domaine familial en compagnie du père de Miles, le sixième comte de Mowbray Charles Ingham et sa seconde épouse, Charlotte Swann. Ils partagent les lieux avec Daphné, la sœur de Miles, son époux Hugo et leurs enfants, notamment Charlie, qui aspire à devenir religieux et Alicia, qui, elle, rêve de devenir actrice. La soeur aînée Diedre, qui a débuté pendant la guerre de 1914-1918 une carrière au War Office, continue d'y travailler et elle est l'un de leurs meilleurs agents. Quant aux deux autres sœurs, DeLacy vit à Londres, où elle papillonne sans jamais vraiment se fixer. Et la petite dernière, Dulcie, trente ans maintenant et découverte toute petite dans le premier tome, elle est mariée à James Bretenwood, un acteur en vogue et vit avec lui de l'autre côté de l'Atlantique, à Los Angeles, où son mari est accaparé par plusieurs projets et notamment le tournage du film Autant en emporte le vent, où joue l'un de ses amis, le célèbre Clark Gable.
    Malgré tout, nos personnages sont loin d'être sereins, car, en ce milieu de l'année 1938, la guerre avec l'Allemagne nazie n'a jamais été si proche ni si inéluctable. Pour Diedre et ses collègues du War Office commence une course contre la montre et leur combat pour faire sortir Juifs et dissidents d'Allemagne devient haletant, tandis qu'à Cavendon, l'on s'inquiète des possibles répercussions sur le domaine d'une guerre sur le continent, qui, certainement, n'épargnera pas l'Angleterre...
    C'est finalement plus sur cette période-là, quand tout le monde oscille entre espoir et expectative, quand la guerre est proche tout en restant encore suffisamment lointaine, que l'auteure se focalise et l'on passe rapidement du début de l'année 1939 aux mois de mai-juin 1940, au moment de l'offensive de l'Allemagne sur la Belgique, les Pays-Bas et la France : l'auteure nous y raconte les fameux embarquements sur les bateaux britanniques depuis les plages de Dunkerque bondées de soldats qui ont reflué en désordre, puis le Blitz à Londres, qui n'épargnera ni les Ingham ni les Swann mais finalement, j'ai eu l'impression qu'elle s'attardait plus sur l'avant, ce qui n'est pas plus mal : on perçoit la tension qui s'installe petit à petit, notamment chez Diedre, aux premières loges, l'espoir qui le dispute à l'idée résignée qu'une guerre est inévitable de toute manière et que la question maintenant n'est pas si mais quand elle éclatera.
    Quant à Cavendon, au milieu de cette tourmente, le domaine entre petit à petit dans une ère moderne et si la Première Guerre Mondiale avait commencé à sonner le glas du mode de vie des aristocrates anglais, la Seconde finit de bouleverser complètement leurs existences et leurs habitudes et les grands domaines sont obligés de revoir complètement leur manière de fonctionner pour espérer subsister : les Ingham d'ailleurs incarnent bien toutes ces familles qui à l'aube d'une époque nouvelle, changent des coutumes immuables, comme Dulcie, mariée à un acteur de renom et qui vit au cœur d'une ville qui, dans les années à venir, deviendra la nouvelle cité royale, celle des stars du cinéma, qui sont considérés aujourd'hui et adulés comme pouvaient l'être les têtes couronnées d'autrefois. Les enfants d'Hugo et Daphné eux aussi, aspirent à une vie professionnelle qui leur correspond et sont prêts à se battre pour ça. Les femmes sont plus libres et indépendantes et n'ont pas peur de le revendiquer et de choisir une autre vie que celle d'épouse ou de mère au foyer ou alors, seulement quand elles le décident et avec qui elles veulent.
    Dans L'Héritage des Cavendon, nos personnages ont évidemment tous vieilli et les jeunes gens que l'on avait rencontrés dans les années 1910 ont bien changé et s'acheminent doucement vers la maturité... On sent bien qu'une page s'est tournée, que quelque chose s'est passée mais ce n'est pas vraiment mélancolique ni nostalgique : c'est juste le chemin naturel et immuable de l'existence et les nouvelles générations bousculent les anciennes pour prendre leur place. Parfois, j'ai été un peu perdue parce que ces nouvelles têtes sont un peu moins connues et je ne savais plus qui était l'enfant de qui, hormis Charlie et Alicia, bien identifiés dès le départ. Au-delà de ces petits détails, j'ai apprécié de découvrir Diedre dans son quotidien d'agent du War Office, en contact direct avec l'espionnage et le contre-espionnage de l'Allemagne nazie et donc la mieux à-même de prendre la mesure de la dangerosité du régime de Hitler. J'ai apprécié de découvrir les femmes de Cavendon et des villages alentour, tous dévoués au domaine qui les a faits fructifier depuis plusieurs décennies, déterminées à le porter à bout de bras et s'affirmant comme les dignes héritières de leurs aînées qui, déjà en Quatorze, l'avaient fait quand les hommes étaient partis au combat.
    L'Héritage de Cavendon est un roman historique agréable et plutôt bien documenté : mon avis sur le style de l'auteure est subjectif et peut-être serez-vous plus captivé que moi. C'est d'ailleurs ce que je vous souhaite et je dois bien dire que j'ai passé plutôt un moment agréable avec cette lecture. J'ai retrouvé cette ambiance anglaise inimitable et bien des fois, j'ai eu l'impression de voir évoluer devant moi les personnages de la série Downton Abbey, tant les ambiances sont proches : même époque, un domaine dans le Yorkshire...je me demande même si l'auteure n'a pas été grandement inspirée par cette très fameuse série et, si c'est le cas, on ne peut que lui donner raison parce que c'est une belle reconstitution historique.
    Encore une fois, je déplore ce style un peu artificiel ou ces longueurs : quel intérêt de savoir que tel personnage se lève, prend son sac, ouvre la porte de la main droite puis s'avance dans la rue, file son collant et marche dans une flaque ? Ce n'est qu'un exemple mais j'ai vraiment eu l'impression que l'auteure développait trop et nous donnait des détails qui ne servaient pas à grand chose. Quant aux dialogues, non, toujours rien à faire, je n'arrive pas à les trouver convaincants mais j'ai réussi à me sentir plus proche au cours de cette lecture des personnages, plus fins et plus nuancés, et je les retrouvais tous avec plaisir. Même Diedre, plutôt brusque et pas très aimable dans les premiers tomes, s'est révélée et si elle reste parfois un peu froide, elle a de la présence, du charisme et elle force l'admiration. J'ai apprécié de la retrouver plus présente dans ce roman et à l'aube de vivre une nouvelle histoire, après un veuvage brutal qui l'a beaucoup meurtrie. On voit peu Dulcie mais lorsqu'elle revient, elle emplit le roman de son pétillement et de ses sautillements : elle m'a énormément fait penser au personnage d'Anne-Sophie dans Les Héritiers de Kervalon.
    Bref, si vous aimez les ambiances anglaises, les scones et le tea time, les intrigues qui se déroulent dans les landes et au milieu des bruyères, vous aimerez sûrement cette saga et si, comme moi, elle ne parvient pas à vous convaincre pleinement, vous y trouverez certainement des points positifs.
    Ce troisième tome n'est pas le dernier comme je le pensais et le quatrième se passe plusieurs années après la fin de la guerre, en 1949. Je pense le lire... quand, je ne sais pas, mais son titre intrigant, Le Dernier Secret de Cavendon, évidemment, pique ma curiosité. 

    En Bref :

    Les + : l'ambiance, le contexte, les personnages qui donnent à ce troisième tome une véritable consistance. Une vraie fresque historique dans une Angleterre délicieusement surannée... c'est le genre de livres que je verrais bien adaptés par la BBC ! ;) 
    Les - : un style qui peine toujours à me convaincre et ces dialogues que je trouve vraiment artificiels...  

     

    Cavendon, tome 3, L'Héritage de Cavendon ; Barbara Taylor Bradford


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