• « Satan nous ressemble, madame. Il prend toujours notre apparence pour nous séduire ou nous tromper. »

    Les Enquêtes de Louis Fronsac, tome 5, L'Homme aux Rubans Noirs ; Jean d'Aillon

    Publié en 2012

    Editions du Masque (collection Labyrinthes)

    450 pages

    Cinquième tome de la saga Les Enquêtes de Louis Fronsac

    Résumé : 

    Avec L'Homme aux Rubans Noirs, Jean d'Aillon nous entraîne au côté de son célèbre héros Louis Fronsac lors de cinq enquêtes sous la régence d'Anne d'Autriche. D'un atelier d'alchimiste à la cour des miracles, des coulisses du théâtre du Marais au coeur secret du Pont-Neuf, le notaire Louis Fronsac percera d'étonnants mystères dans une ville qui gronde contre Mazarin.

    Sous la plume savante et précise de Jean d'Aillon, on découvre la belle Roxane de Cyrano sous un jour nouveau et les tours de passe-passe d'un descendant de Nicolas Flamel ou encore les inspirations d'un jeune dramaturge qui deviendra Molière.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Dans ce cinquième tome, nous retrouvons Louis Fronsac quelques mois seulement après la résolution de l'enquête au centre de La Conjecture de Fermat mais aussi après l'enquête du sixième tome et même celle du septième, L’Exécuteur de la Haute Justice et L'Énigme du Clos Mazarin. Vous suivez ? La chronologie de cette saga est un peu étrange mais l'avantage est finalement qu'on peut assez facilement la lire dans le désordre ! Moi j'ai décidé d’être disciplinée et de suivre les conseils de l'auteur et L'Homme aux Rubans Noirs arrivant en cinquième position, je le lis donc en cinquième position ! Il était aussi possible de lire les tomes 6 et 7 et de revenir en arrière mais bon, c'était un peu laborieux et je n'ai pas retenu cette option.
    Quoi qu'il en soit, j'avais quand même la sensation, notamment dans la seconde partie du livre d'avoir vraiment loupé quelque chose car de fréquentes allusions à L’Exécuteur de la Haute Justice, notamment, ont été faites et j' avais vraiment l'impression d'avoir raté totalement un épisode ! C'est donc en essayant de faire abstraction de tout ça que je me suis concentrée avant tout sur le propos de L'Homme aux Rubans Noirs, dont nous allons parler maintenant puisqu'on est là pour ça !
    Avec ce cinquième volume des aventures de son notaire gentilhomme, Jean d'Aillon nous offre ici cinq enquêtes pour le prix d'une ! Pas mal, non ? J'ai d'ailleurs aimé cette découpe originale qui nous fait découvrir cinq univers en un seul et même roman. Là où une seule intrigue aurait été peut-être un peu longuette, cinq enquêtes donnent du dynamisme au livre.
    Elles se déroulent entre 1644 et 1647 et ont chacune une trame différente même si on retrouve ce qui fait le sel des romans de l'auteur en général : des personnages hauts en couleur, qu'ils soient fictifs ou non, un contexte historique ultra riche -et très très bien maîtrisé par l'auteur ce qui, vraiment, ne gâche rien- et des intrigues toujours prenantes. La Cour est presque pas ou peu présente, souvent uniquement mentionnée par les différents protagonistes sans être pour autant sur le devant de la scène et c'est ça aussi que j'aime dans cette saga : Aillon ne va jamais à la facilité, au plus documenté et il semble qu'il préfère et de loin la Ville et les humbles à la Cour et aux Grands -même s'il ne faut pas oublier que Louis Fronsac est un fidèle de Mazarin et du roi !
    On découvre en plus l'administration de l'époque, l'organisation de la police, institutions qui ont bien changé depuis et demandent donc une bonne maîtrise de la part de l'auteur : et c'est le cas !
    En compagnie de son ami Gaston de Tilly, commissaire de police au Châtelet, puis procureur du roi, Louis est toujours sollicité pour démêler les intrigues qui ne manquent pas de se tisser en ce début de régence. Et que se soient des enquêtes criminelles en plein cœur de Paris ou bien des intrigues plus scandaleuses -voire scabreuses- concernant la Cour, Louis est toujours aussi perspicace et efficace !

    L'Homme aux Rubans Noirs (tableau du XVIIème siècle) : le personnage aurait inspiré Louis Fronsac à l'auteur ! 


    La Lettre Volée, la première des enquêtes, concernant un pli du coadjuteur de Paris, Paul de Gondi, ayant mystérieusement disparu dans sa chambre et susceptible de faire des dégâts si elle était rendue publique ne m'a pas complètement convaincue et je ne sais même pas si on peut réellement parler d'enquête ! La nouvelle est très courte et ne laisse pas le temps à l'auteur de partir dans de grands développements. Celle-ci ne me laissera pas un souvenir impérissable, mais j'ai bien plus apprécié les suivantes qui, tout en étant plus synthétiques que les enquêtes précédentes, s'en rapprochent par la forme. J'ai beaucoup aimé l'enquête qui, au début de janvier 1646, conduit Louis à s'intéresser aux abandons d'enfants à Paris (L'Enfançon de Saint-Landry). Chroniques depuis le Moyen Âge, les abandons et ventes d'enfants étaient encadrés par des institutions parfois dépassées et qui ne pouvaient malheureusement accueillir tous les petits laissés pour compte. Cette enquête nous fait aussi visiter la Cour des Miracles, ces zones de non-droit en plein coeur du Paris de l'Ancien Régime et on est bien loin de l'image romantique des auteurs du XIXème siècle avec ses truands et sa pègre interne qui faisait régner une loi impitoyable.
    Louis Fronsac enquête aussi sur une mystérieuse confrérie religieuse qui s'attaque aux auteurs par trop audacieux comme le fameux Cyrano de Bergerac -à cette occasion on fait connaissance d'une Roxanne bien différente de celle d'Edmond Rostand- et sur une dame un peu illuminée qui exorcise ses victimes à coup de fouet (La Confrérie de l'Index et Le Maléfice qui tourmentait M. d'Emery) !
    Bref, il y'a beaucoup de diversité dans ce roman ce qui, comme je le mentionne déjà plus haut, donne un réel dynamisme à L'Homme aux Rubans Noirs. On ne s'ennuie pas une seule seconde !
    Je n'ai absolument aucun reproche à faire à ce cinquième opus ! Hormis la chronologie un peu fantaisiste qui m'a parfois un peu perturbée notamment en ce qui concerne les enquêtes se déroulant en 1646 et 1647... beaucoup d'événements et de faits sont très liés à ceux se passant dans les sixième et septième volumes... je ne comprends donc pas vraiment pourquoi elles ont été insérées dans le cinquième tome mais il s'agit d'un parti-pris de l'auteur que je ne contesterai pas. Je vais peut-être, du coup, découvrir avec un intérêt redoublé, les prochaines intrigues entrevues lors de cette lecture !
    Bref pour en revenir à ce que je disais un instant plus tôt, je n'ai vraiment pas grand chose à reprocher à ce livre, j'ai été captivée du début à la fin. Il m'est arrivé parfois de ressentir quelques lourdeurs dans les romans de Jean d'Aillon mais il n'en est rien ici ! J'ai trouvé son écriture fluide et très agréable ! Le roman est toujours assis sur des bases historiques solides qui feront toujours mon admiration ! L'auteur a le don pour nous dénicher des infos et des anecdotes géniales !
    Encore une fois une bonne découverte : Les Enquêtes de Louis Fronsac est une saga vaste, mais prometteuse

     

    En Bref :

    Les + : des enquêtes enlevées et toujours aussi captivantes ; un style fluide.
    Les - : 
    quelques coquilles d'impression. 


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  • « On ne remarque que ce que l'on cherche. »

    Lizzie Martin, tome 5, Le Témoignage du Pendu ; Ann Granger

    Publié en 2014 en Angleterre ; en 2016 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Testimony of the Hanged Man

    Editions 10/18 (Collection Grands Détectives)

    336 pages

    Cinquième tome de la saga Lizzie Martin

     

    Résumé :

    Un homme destiné à la corde dirait n'importe quoi pour sauver sa vie. Mais que faire si son témoignage était vrai ? Lorsque l'inspecteur Ben Ross est appelé à la prison de Newgate par un homme condamné à mort, il ne s'attend pas à accorder le moindre crédit à sa parole. Mais le récit d'un assassinat dont il a été témoin il y'a plus de dix-sept ans est si convaincant que Ben ne peut s'empêcher de se demander si ce qu'il a entendu est vrai. S'il est trop tard pour sauver la vie de l'homme, peut-il encore enquêter sur un crime passé inaperçu pendant toutes ces années ? 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Un soir de septembre 1868, l'inspecteur Ben Ross de Scotland Yard est appelé à la prison de Newgate pour prendre la déposition d'un condamné à mort. Mr Mills a été condamné à être pendu pour le meurtre de son associé et doit monter sur l'échafaud le lendemain mais prétend avoir, auparavant, des révélations à faire à la police concernant un assassinat perpétré dans une maison tranquille de Putney en 1852 à savoir... seize ans plus tôt ! L'homme n'avait jamais jugé bon en informer les autorités mais Ben Ross prend cependant au sérieux ce qui pourrait bien n'être pourtant que les élucubrations d'un homme promis à une mort certaine et qui cherche à y échapper.
    Pour couronner le tout, une respectable londonienne disparaît subitement avec sa petite fille de trois ans et le mari et père, riche négociant en vins et phobique du scandale ne cesse d'entraver l'enquête des policiers avec ses exigences et sautes d'humeur ! Une enquête qui pourrait bien faire oublier à Ben la malheureuse affaire de Putney si celle-ci ne venait pas, malheureusement, se rappeler à lui de la plus funeste manière...mais c'est sans compter sur la perspicacité de son épouse, Lizzie et de la curiosité maladive de leur bonne, Bessie ! Et les deux femmes vont alors, avec plus de succès, tenter de prêter main forte à Ben et enquêter sur le mystérieux défunt de Putney qui, comme l'avait affirmé Mills, n'est pas mort de sa belle mort. Et si effectivement, le futur pendu, n'avait pas menti ?
    Avec ce cinquième tome de la saga Lizzie Martin, nous retrouvons l'atmosphère si particulière du Londres victorien et des personnages que l'on apprend à connaître depuis cinq intrigues maintenant.
    Celle-ci diffère d'ailleurs très légèrement de ce qu'Ann Granger nous a habitués à lire depuis Un Intérêt Particulier pour les Morts. Certes, l'intrigue policière est toujours au centre du récit. Évidemment, me direz-vous, cela va de soi... mais cette fois nous ne nous concentrons pas sur une seule et même affaire mais bien sur deux, menées de front par Ben et le sergent Morris, son efficace bras droit. J'ai trouvé cette idée assez sympa même si, du coup, les deux enquêtes sont moins développées que si elles avaient été uniques. J'ai même pensé pendant un temps qu'elles étaient liées toutes deux pour me rendre compte que non, au final. Elles seront cependant élucidées toutes les deux grâce à l'efficacité de Ross et Morris et la logique impitoyable de Lizzie, qui a toujours le don d'aller se fourrer dans des affaires délicates, qui ne résistent cependant jamais à son flair de fin limier. Ceci dit en passant, j'ai encore une fois apprécié de la retrouver ! Lizzie se bonifie avec le temps et si elle m'avait un peu tapé sur les nerfs dans les premiers tomes, je la trouve de plus en plus digne d'intérêt ! ! 
    Au-delà de ça, l'auteure nous décrit toujours aussi bien cette période victorienne si riche en bouleversements et en inégalités. Lizzie et Ben, au cours de leurs pérégrinations et enquêtes sont souvent confrontés à des bourgeois aux revenus et aux demeures plus qu'enviables mais cette opulence assez ostentatoire côtoie également la misère la plus noire... à Londres par exemple, les quartiers de l'East End et des Docks sont majoritairement pauvres voire indigents, soumis à une forte natalité, une criminalité de plus en plus importante, un manque d'hygiène chronique, vecteur de maladies en tous genres et d'épidémies mortelles. C'est un immense fossé qui séparent alors les couches de la population, mais aussi les hommes et les femmes, les différences de traitement selon que l'on appartienne à un sexe ou à l'autre étant flagrantes. Le XIXème siècle reste donc une époque d'émulation et un siècle charnière, tant en Angleterre que certainement partout ailleurs en Occident au même moment, mais aussi une période extrêmement compliquée, l'essor industriel s'accompagnant d'un appauvrissement systématique des classes défavorisées. Ben Ross en est lui-même un bon exemple, étant un ancien enfant mineur du Derbyshire. 
    La société reste aussi extrêmement codifiée et pleine de conventions qu'il est scandaleux d'outrepasser. Ainsi la police se trouve parfois entravée par le souci de ne pas faire de vagues au risque, alors, de ne pas parvenir à faire toute la lumière sur les affaires qui lui sont confiées : l'affaire de disparition qui se trouve au centre de ce tome-là, et qui touche une famille respectable de la bourgeoisie londonienne, en est un bon exemple !
    Un peu moins palpitant que ses prédécesseurs, parce qu'on sent que les intrigues ont été moins fouillées et restent plus en surface, j'ai cependant trouvé l'idée de départ intéressante : enquêter sur un meurtre non élucidé depuis près de vingt ans en prenant le risque de s'appuyer sur le témoignage d'un criminel promis à la corde, voilà qui n'est pas commun ! Quant à L'intrigue parallèle, qui se concentre sur la disparition de l'épouse d'un riche négociant en vins et de leur fille, elle permet de mieux comprendre les codes de l'époque et d'en arriver à la conclusion que ceux-ci n'étaient alors vraiment pas tendres pour les femmes... ! En cela, notre héroïne Lizzie peut finalement se considérer comme relativement chanceuse !
    Bien qu'un peu moins enlevé que les précédents, Le Témoignage du Pendu reste un bon roman policier et il me donne envie de poursuivre ma découverte de cette saga prometteuse et aux qualités indéniables.

    En Bref :

    Les + : une bonne idée de départ, une ambiance toujours aussi ciselée et bien présente, une intrigue représentant objectivement une époque intéressante et riche. 
    Les - : un tome peut-être un peu plus lent et moins fouillé que les précédents. 

     


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  • « La recherche de la vérité est chose douloureuse et notre monde est cruel. »

    Récits Cruels et Sanglants durant la Guerre des Trois Henri ; Jean d'Aillon

    Publié en 2011

    Editions J'ai Lu

    472 pages

    Quatrième tome de la saga Les Aventures d'Olivier Hauteville 

    Résumé : 

    Durant la guerre civile entre Henri III, Henri de Guise et Henri de Navarre, le prévôt Nicolas Poulain et son ami Olivier Hauteville enquêtent : une jeune femme rencontrée à la foire Saint-Laurent porte une médaille d'exorcisme identique à celle trouvée sur un cadavre, des faux-monnayeurs sévissent à Paris, et un mystérieux loup-garou hante les montagnes du Béarn, s'attaquant aux pèlerins de Compostelle...

    Autant d'énigmes portées par la plume aiguisée de Jean d'Aillon, qui ranime l'époque cruelle et sanglante des Guerres de Religion. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Quel plaisir de retrouver Nicolas Poulain et son ami Olivier Hauteville pour de nouvelles aventures !
    Pendant les guerres de Religion qui ravagent la France, Nicolas Poulain, lieutenant général du prévôt d’Île-de-France et son ami Olivier Hauteville, qui participe à la bataille de Coutras et se voit adoubé par Henri de Navarre -alors qu'il est lui-même catholique convaincu... c'est vraiment ca qui est intéressant chez Jean d'Aillon ! Il nous trouve toujours des histoires qui sortent de l'ordinaire mais qui fonctionnent-, se voient entraînés dans tout un tas de péripéties plus ou moins aventureuses voire criminelles. Il faut dire que le contexte s'y prête : en temps de guerre civile, vols, rapines en tous genres, viols, meurtres se multiplient et reste parfois, malheureusement, impunis. Nicolas Poulain, magistrat zélé, va pourtant s'attacher, même en cette période troublée, à faire justice, sans tenir compte des camps et des idées de chacun et il est aidé en cela par l'intègre Olivier de Hauteville qui a vu l'un de ses proches assassiné par la Ligue, pour d'obscures raisons politiques, à la veille de la Saint-Barthélemy.
    On pourrait penser que, logiquement, Récits cruels et sanglants durant la Guerre des Trois Henri est le quatrième tome des Aventures d'Olivier Hauteville démarrée avec la trilogie La Guerre des Trois Henri. Les sagas à rallonge sont monnaie courante chez Jean d'Aillon il n'y a qu'à voir sa saga médiévale des Aventures de Guilhem d'Ussel ou ses Enquêtes de Louis Fronsac qui composent toutes de nombreux tomes !
    Mais en cours de lecture on comprend en fait que cet opus n'est pas le successeur, à proprement parler, de La Guerre des Trois Henri mais plutôt un complément. Les trois nouvelles qui composent ce tome viennent en effet s'intercaler dans les différentes intrigues de la trilogie. J'ai trouvé l'idée pour le moins originale et innovante et même si ma lecture de La Guerre des Trois Henri remonte un peu maintenant j'ai aimé retrouver les personnages principaux et l'ambiance particulière de cette saga qui, je m'en souviens, m'avait beaucoup emballée !
    Ces récits cruels et sanglants sont au nombre de trois et se déroulent sur une période allant de 1584 à 1587. Ils ont pour cadre Paris et sa région, la Champagne ou bien encore le Béarn. Dans la première nouvelle, Le Capucin exorciste, nous suivons les pérégrinations d'un moine en association avec des drapiers escrocs, qui manipule ses victimes en les faisant tomber en une transe proche de la possession démoniaque. Pourquoi et pour quelles raisons cet homme de Dieu joue-t-il des peurs ancestrales de la population ? La jeune Louise, tisserande rémoise dont la famille a été volée par les drapiers, sera l'une des victimes du moine mais parviendra à faire la lumière sur ses agissements...
    Dans Le faux-monnayeur bouilli tout vif c'est un vaste réseau de fausse monnaie qui est démantelé au début de l'année 1587 alors que ce crime est alors sévèrement puni. Et il se pourrait bien que cette affaire concerne des magistrats royaux voire des membres de la Ligue... et si cette entreprise n'avait finalement rien à voir avec la fausse monnaie et n'était destinée qu'à maquiller une autre affaire ? Nicolas Poulain, revenu de son voyage en compagnie de la reine-mère, enquête.
    Enfin, dans Mourir sur les chemins de Compostelle, nous retrouvons Olivier Hauteville, fraîchement adoubé et heureux détenteur d'un fief non loin de Saint-Jean-Pied-de-Port, dont il va prendre possession lorsqu'il croise la route d'une colonne de pèlerins arrivés de Normandie, en partance pour la Galice, mais qui semblent connaître bien des déconvenues depuis leur départ et ne sont, visiblement, pas au bout de leurs peines. Cette dernière enquête, la plus longue, qui nous fait voyager dans le Béarn protestant de Henri de Navarre est d'ailleurs celle qui m'a le plus emballée, je l'ai vraiment beaucoup aimée, elle est plus détaillée que les deux précédentes et on tombe des nues quand la vérité apparaît enfin.
    En mélangeant savamment, comme il le fait toujours, réalité et fiction, textes d'époque et enquête policière, personnages historiques ou imaginaires -voire un savant mélange des deux-, Jean d'Aillon nous fait immédiatement voyager dans le temps et nous fait revenirà cette période difficile de la fin du règne d'Henri III, de plus en plus isolé et décrié. Monsieur, le duc d'Anjou, son frère, est mort en 1584. Héritier de la couronne car le mariage du roi avec Louise de Vaudémont est resté stérile, sans postérité lui-même, le duc d'Anjou a emporté dans la tombe les derniers espoirs des catholiques de voir un prince de leur religion monter sur le trône. Et parce que la probabilité est grande que le roi et la reine n'engendrent pas, la couronne va donc échoir, à plus ou moins long terme, au dernier cousin en ligne direct et masculine du roi Henri III, c'est-à-dire Henri de Navarre qui, en plus d'être le roitelet d'un petit état près de la frontière espagnole, est en plus un protestant convaincu. En parallèle, la famille de Guise, princes lorrains et ultra catholiques, elle aussi cousine du roi et revendiquant une filiation directe avec Charlemagne, estime avoir aussi des droits à la couronne de France et se révulse à l'idée de voir un huguenot devenir roi de France tandis que la politique de balance d'Henri III va pousser le duc de Guise et ses frères à fonder la fameuse Ligue.
    Quant à la population du royaume, pressurée d'impôts, elle doit faire face aux pillages et exactions des armées qui traversent et ravagent les territoires et à une misère grandissante.
    Le XVIème siècle, commencé en France sous les auspices favorables de la Renaissance et de la douceur de vivre qui fait suite à la Guerre de Cent Ans, se termine dans la guerre et le sang.
    Le contexte est donc très propice à des récits cruels et sanglants et ceux-ci fonctionnent d'ailleurs très bien. J'ai apprécié le côté nouvelle, de changer de personnages, d'intrigue et de lieu par trois fois au cours de ma lecture. Les enquêtes sont bien sûr plus simples et l'auteur s'y attarde moins que d'habitude mais j'ai trouvé qu'elles tenaient la route et étaient maîtrisées. Elles sont peut-être moins haletantes mais restent intéressantes à lire, originales et toujours aussi bien documentées. C'est ça qui fait la force de l'univers de Jean D'Aillon à mon avis. Il va rechercher beaucoup d'information parfois méconnues et cela donne beaucoup d'authenticité à ses romans : je suis toujours fascinée par la précision des informations collectées par l'auteur et ses descriptions ! On dirait qu'il visite chaque lieu qu'il choisit pour situer ses intrigues ou même mieux, on dirait que Jean d'Aillon a le don de voyager dans le temps et d'aller parcourir les anciennes rues de Paris, les routes du royaume de France et de rencontrer les personnages qui vont venir émailler ses récits !
    Alors même si ses livres sont un peu inégaux au final ça passe et ils s'avèrent être très agréables à lire.
    Récit cruels et sanglants durant la Guerre des Trois Henri et finalement un roman très dynamique et que l'on prend plaisir à découvrir ! C'est en tous cas avec un grand plaisir qu'on retrouve Olivier et Nicolas même si j'aurais bien aimé les voir un peu plus ensemble.

    En Bref :

    Les + : trois enquêtes ciselées et passionnantes, situées dans un contexte travaillé et plus qu'intéressant ! 
    Les - : quelques coquilles d'impression. 

     


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  • « Les merveilles de la nature sont telles qu'on peut en jouer indéfiniment. »

    Amazon.fr - Meurtres au potager du Roy - Barrière, Michèle - Livres

    Publié en 2010

    Editions Le Livre de Poche (collection Policier)

    379 pages

    Résumé :

    Château de Versailles, mai 1683. La mode est aux jardins. Louis XIV raffole des légumes primeurs : asperges, petits pois, melons...
    Au Potager du Roy, puis chez un maraîcher du quartier de Pincourt à Paris, des champs de melons sont vandalisés, des jardiniers assassinés. L'existence d'un complot ne fait aucun doute. 
    Benjamin Savoisy -premier garçon jardinier du Potager-, mène l'enquête dans les coulisses de Versailles, où officient cuisiniers et maîtres d'hôtel. Elle l'entraînera jusqu'en Hollande, grande puissance coloniale réputée pour son commerce. Saura-t-il déjouer les manœuvres de séduction, percer à jour les traîtrises ? 
    Dans ce quatrième tome des aventures de la famille Savoisy, Michèle Barrière mêle une fois encore avec bonheur histoire, gastronomie et intrigue policière. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1683, Benjamin Savoisy est garçon jardinier au Potager de Louis XIV, à Versailles, sous les ordres du célèbre Jean-Baptiste La Quintinie, qui s'illustra dans l'adaptation de nouvelles techniques de culture des fruits, légumes et arbres du verger. A la Cour on adore les fruits et les légumes et Louis XIV leur voue un amour certain, on pourrait donc presque dire que le génie de La Quintinie égala celui de Le Nôtre !
    Les travaux du potager, en parallèle de celui du château et des jardins à la française, se déroula de 1678 à 1683. Il vient juste d'être terminé ou est en passe de l'être à l'époque où Michèle Barrière situe l'intrigue de son roman noir et gastronomique. Aujourd'hui le potager existe encore, c'est un jardin urbain de 9 hectares ouvert à la visite ; il produit encore également fruits et légumes qui sont proposés à la vente. On peut ainsi trouver, notamment dans des boutiques de Paris, des jus préparés à partir des productions du potager.
    A l'époque, cependant, le pari était difficile à relever et un peu fou, pourrait-on dire : comme le site de Versailles, entouré de marécages, l'endroit choisi pour aménager le futur potager royal n'avait rien d'exceptionnel, loin s'en faut et n'était, surtout, pas adapté à la culture des fruitiers et autres légumes. On fit ainsi venir de la bonne terre des coteaux proches de Versailles (notamment de Satory) et on draina les eaux stagnantes pour que les cultures n'en souffrent pas : il n'y a pas besoin de s'y connaître en fleurs ou en légumes pour savoir que les marais ne sont en effet pas un terrain propice au développement de beaux jardins ou de bons produits. En quelques années cependant, grâce aux soins du chef jardinier et de ses employés, le Potager du roi produisit de très bons fruits et d'excellents légumes grâce aux techniques novatrices de La Quintinie : on connaît tous, aujourd'hui, ses manières de tailler les arbres fruitiers afin qu' ils donnent plus, par exemple.
    C'est dans cette ambiance que travaille Benjamin Savoisy, garçon jardinier au service du chef jardinier. Il est marié avec Ninon, une jeune versaillaise qui travaille à la Cour comme bouquetière et fournit notamment en fleurs La Palatine, la belle-sœur du roi.
    Avec Benjamin c'est la première fois que je fais connaissance avec la famille Savoisy que l'on retrouve en fait, depuis le Moyen Âge, dans chaque roman de Michèle Barrière. Arrivé quelques années auparavant en France, Benjamin est en fait natif de Genève, où il a laissé le reste de sa famille : on comprend donc rapidement que la famille Savoisy est protestante, car à l'époque, Genève et huguenots sont intimement liés et certaines familles françaises trouveront d'ailleurs refuge là-bas après la révocation de l'Edit de Nantes, en 1685. Benjamin est plus ou moins brouillé avec les siens, d'ailleurs, parce que les Savoisy sont protestants et Benjamin a, pour épouser Ninon qui est catholique, abjuré.
    Une fois n'est pas coutume, je lis une saga dans le désordre, d'une part parce qu'elle s'y prête mais aussi parce que je ne possède pas les premiers volumes. Pour autant, ils semblent suffisamment bien différenciés les uns des autres pour être considérés comme des romans indépendants. Il est sûr qu'après avoir découvert Meurtres au Potager du Roy, je pense lire les autres romans de cette saga pour le moins originale et novatrice, qui mêle enquête policière et gastronomie. J'ai aussi trouvé très intéressant le carnet de recettes d'époque disponible en fin de volume ; il nous permet en effet de comprendre encore mieux les évolutions de la cuisine. Surtout que le XVIIème siècle est justement une période d'émulation en ce qui concerne la grande cuisine : les produits découverts en Amérique commencent à faire leur apparition sur les tables (pas toutes cependant et pas tous les produits non plus), la nourriture devient un véritable art au même titre que la peinture ou l'accommodement des jardins. Les sauces épaisses et très épicées des siècles précédents laissent place à des mets moins gras et plus savoureux. Le goût est mis en avant, on aime consommer les produits de la terre et la notion de bons produits est déjà bien présente à l'époque. Les cuisiniers commencent à faire preuve d'imagination et de créativité : la cuisine française prend doucement ses galons à l’époque et ne cessera plus, ensuite, d'évoluer.
    Quant à l'enquête policière, elle tourne, gastronomie oblige, autour des melons. C'est un fruit produit par La Quintinie dans son potager et que le roi adore. Afin de satisfaire le palais de son Royal client, le jardinier a mis en place une race de melons suffisamment résistante pour produire dès le début du printemps. Mais voilà que les melons du Potager royal sont saccagés ainsi que les plantations parisiennes. Que se passe-t-il donc et qui donc en veut ainsi aux melons de Sa Majesté ? L'affaire se complique quand, à la mise à sac des melonnières s'ajoute la mort de plusieurs personnes et notamment d'un jardinier du Potager... Benjamin va alors mener l'enquête, une investigation qui ne sera pas sans danger et l’emmènera jusqu'en Hollande, une contrée pour le moins dépaysante et en Angleterre, où il semblerait que les habitants n'aient pas exactement la même conception de la bonne chère que de l'autre côté de la Manche ! Il va se rendre compte alors qu'il a alors lamentablement été trompé par une vénéneuse séductrice et échappe de peu au bannissement perpétuel dans une lointaine colonie néerlandaise en Asie !

    Le Potager du Roy (gravure d'époque, issue de l'émission Le Grand Tour diffusée sur France 3 le 30 janvier 2013)

    Dans ce roman il y'a du bon comme du moins bon. Aborder la Cour de Louis XIV (qu'on aperçoit très peu au demeurant) à travers une intrigue tournant autour du Potager du Roy est vraiment une idée originale et intéressante d'autant plus que l'auteure s'est beaucoup renseignée, tant sur les rouages du Potager où les jardiniers travaillaient dur afin de satisfaire leur très royal premier client que sur ceux de la Maison royale, composée d'une foule d'officiers et de petites mains qui œuvraient dans le plus grand secret pour contribuer à la gloire universelle de Louis XIV.
    Le personnage de Benjamin est sympathique quoiqu'un peu naïf. Il n'est pas exceptionnellement attachant mais on apprécie en tous cas de le suivre dans ses pérégrinations et les aventures qui lui arrivent au cours de l'action nous font, nous lecteurs, nous sentir plutôt concernés. Il en naît donc un certain intérêt pour le personnage principal même si certains de ses choix nous font grincer des dents et envie de lui donner des baffes tant la tromperie est là, évidente, sous ses yeux et qu'il ne la voit pas !
    Quant à l'intrigue policière, elle ne m'a pas vraiment convaincue : elle est assez intéressante, certes, mais desservie par certains rebondissements pas forcément très crédibles et souffre d'un léger manque de relief. Comme le personnage de lord Chasclith, qui semble être présent juste pour accumuler les traductions littérales d'expressions populaires anglaises, ce qui donne d'ailleurs un langage fantaisiste et truculent, l'intrigue policière semble n'être qu'un prétexte et surtout, elle est quand même au service de l'intrigue culinaire qui reste au centre du récit et la plus importante. L'auteure s'est d'ailleurs énormément renseignée sur les inventions de l'époque, les scientifiques qui se piquaient d'horticulture, sur les cuisiniers à la mode et leurs écrits. L'intrigue policière manque peut-être un peu de teneur, c'est dommage, mais Meurtres au Potager du Roy reste un bon moment qui m'a beaucoup surprise et assez agréablement d'ailleurs, je dois dire : l'alliance de la cuisine à l'enquête policière n'a pas manqué, qui plus est, de me faire penser à la fameuse saga de Jean-François Parot, Nicolas Le Floch où l'on trouve aussi ce subtil mélange ! Et surtout ce roman m'a donné envie de m'intéresser plus sérieusement aux autres aventures de la famille Savoisy donc je pense que le défi est relevé et plutôt positivement ! !

     

    En Bref : 

    Les + : une idée originale et novatrice, une vision du XVIIème siècle et du règne de Louis XIV à travers un prisme inattendu mais intéressant, une intrigue aux bases historiques solides et fouillées. 
    Les - : 
    une intrigue policière qui manque un peu de teneur et de relief, dommage mais pas catastrophique non plus. 

     

     


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  • « Quand le jugement de Dieu s'abat sur la terre, toute âme humaine devrait s'agenouiller et prier pour être épargnée. »

    Les Âges Sombres ; Karen Maitland

    Publié en 2010 en Angleterre ; en 2014 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Owl Killers

    Editions Pocket (collection Romans Étrangers)

    763 pages

     

    Résumé : 

    1321, en Angleterre. Le village d'Ulewic est déchiré entre deux âges, entre légendes païennes et croyances chrétiennes, entre le manoir de Lord d'Acaster et la communauté nouvelle des soeurs béguines, jusqu'alors tolérées. Mais les choses commencent à changer. Des saisons rigoureuses, récoltes gâchées et troupeaux dévastés, réveillent des peurs ancestrales. Le besoin d'un bouc émissaire se fait sentir.                                                                                                                                         Un groupe d'hommes du village, dont on ignore l'identité, va en profiter pour s'en prendre aux béguines et semer la terreur, le meurtre et la superstition...faisant entrer Ulewic dans le temps des âges sombres. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Au XIVème siècle, quelque part en Est-Anglie, le modeste village d'Ulewic est la proie d'une lutte sans merci entre chrétiens et partisans des anciens rites païens et superstitions qui n'ont pas totalement été éradiqués à l'arrivée de l'Eglise catholique, qui a eu, de plus, du mal à s'implanter dans cette région pauvre et violente, battue par les vents de la mer du Nord.
    Dans cette même bourgade se sont installées, trois ans auparavant, une communauté de femmes venues de Flandres et que l'on appelle des béguines. Avant d'aller plus avant, peut-être vous dois-je quelques explications historiques car le béguinage est un mouvement finalement assez méconnu mais qui, justement au XIVème siècle, commençait à prendre tout son essor en Europe du Nord -il existait cependant depuis la fin du XIIème siècle, date à laquelle il est fait mention des premiers béguinages, qui se développèrent à la même période que certaines hérésies sévèrement réprimées par Rome, comme le catharisme ou les vaudois. Surtout répandu dans les anciennes Flandres -actuelle Belgique-, au Pays-Bas et en Allemagne, le mouvement du béguinage -begijnhof en néerlandais- se développe au Moyen Âge et perdure ensuite jusqu'à l'époque contemporaine. Il en existe encore de nos jours, notamment en Allemagne. C'était en général des communautés exclusivement féminines -bien qu'il en existât de mixtes aujourd'hui-, qui n'observaient aucune règle monastique existante ; de fait elles possédaient donc une grande liberté qui fut perçue négativement. Elles ne peuvent donc être considérées comme de réelles religieuses, bien que ces communautés se soient appuyées sur une observance assez rigoureuse de la religion et de ses rites : un béguinage est une communauté, mais laïque. Aucun vœu n'était requis des membres qui souhaitaient intégrer le béguinage, hormis celui de célibat, du moins le temps du séjour de la personne au béguinage que chacune pouvait quitter quand bon lui semblait. Les femmes avec enfants, veuves ou non mariées, étaient aussi accueillies sans ostracisme au sein des béguinages et ils étaient aussi un refuge, un bon compromis pour celles qui ne souhaitaient ni se marier ni prendre le voile. Elles subsistaient en pratiquant des activités artisanales, elles pouvaient aussi apporter des soins et un refuge aux malades et s'octroyaient parfois le droit d'aller prêcher dans les villages, traduire la Bible en langue vernaculaire et n'hésitaient pas à s'administrer les sacrements si d'aventure elles étaient excommuniées. Il arrivait qu'elles fassent du tort aux communautés masculines et l'Eglise vit l'expansion de leur mouvement d'un très mauvais œil.
    Il semble que ce mouvement ait été circonscrit à un territoire bien spécifique au Moyen Âge, s'étendant entre le Nord de la France, les Flandres et l'Allemagne du Nord. Le mouvement est mentionné en Espagne mais de façon assez marginale. Des béguines tentèrent de s'installer en Angleterre, apparemment sans succès car il ne reste aujourd'hui presque aucun souvenir de ces tentatives d'implantation. Il semblerait que le mouvement n'ait rencontré aucun succès outre-Manche, les communautés finissant par se déliter d'elles-mêmes au bout de quelques années, à l'image de celle d'Ulewic, qui est au centre du récit du roman de Karen Maitland. Les béguines installées à Ulewic et y ayant fondé leur communauté, dans l'espoir de la voir essaimer sur l'île toute entière, sont originaires du béguinage de Bruges, Le Vignoble, fondé par des jeunes filles pieuses vers 1125 et pris sous la protection de la comtesse de Flandres elle-même, Marguerite de Constantinople en 1245.
    Mais leur installation en Angleterre sera tout sauf tranquille : confrontées à l'hostilité de l'Eglise mais aussi des habitants et à la prévention instinctive que l'on nourrissait à l'époque contre les femmes, elles doivent en plus faire face à une recrudescence des anciens cultes païens, portés par une bande effrayante d'hommes du village, appelés les Maîtres-Huants, des hommes aux masques de chouette qui terrorisent la population pour l'inciter à faire ce qu'ils demandent. Placés sous la protection d'une créature mi-oiseau mi-humaine, l'Owlman, ils sèment le désordre et le chaos à Ulewic et font s'enfoncer le petit village isolé dans une période troublée, alors même que le climat se détraque et que tempêtes et inondations d'une rare violence s'abattent sur la côte ouest du Norfolk...très vite, les béguines cristallisent les haines et se retrouvent donc accusées d'avoir lancé une malédiction sur les terres d'Ulewic.
    Tout le roman tourne autour de la chouette et des croyances et superstitions qui sont rattachées depuis longtemps à cet animal. On la retrouve, inquiétante, dès la couverture, puis partout ensuite dans le roman. Le nom du village, déjà, est un rappel direct à l'animal : Ulewic signifie, en vieil anglais, le « lieu de la chouette » -c'est un village fictif, sorti tout droit de l'imagination de Karen Maitland. Les Maîtres-Huants, par leur surnom, rappellent directement le nom que l'on donne couramment à cet animal : chat-huant et portent, pour dissimuler leur visage, un masque de grand duc. Enfin, le personnage de l'Owlman, sorti tout droit des plus vieilles légendes anglaises, est une créature monstrueuse, assimilée à un démon par la religion chrétienne et qui serait même encore apparue, il n'y a pas si longtemps, à des touristes en Cornouailles...la chouette est donc, dans ce roman, tantôt porteuse d'une symbolique positive, pour ceux défendant les anciennes croyances, ou négative voire démoniaque pour les chrétiens. 
    Bref, vous l'aurez compris, l'ambiance du roman est tendue, poisseuse, brumeuse. Nous sommes plongés aussitôt dans une atmosphère particulière, au cœur d'un Moyen Âge violent et corrompu : l'Eglise a la haute main sur des villageois ignares et indigents mais doit malgré cela continuer de se battre contre des traditions anciennes qui ont la vie dure et qui, si elles poursuivent finalement le même but que les prêtres -pouvoir, domination- n'ont absolument pas les mêmes motivations. Pour autant, c'est une vision clairement négative -mais au final assez juste- de l'Eglise de l'époque que nous livre l'auteure : des hommes instruits qui profitaient de leur pouvoir intellectuel pour asseoir leur domination sur les populations qu'ils pressuraient alors. Ce n'est en effet un mystère pour personne que l'Eglise s'est toujours appuyée sur la richesse et la vénalité pour prospérer. L'auteure ne nous en donne qu'un exemple criant ici. Et au milieu de cela, les béguines se trouvent donc à devoir lutter contre des croyances qui les révulsent et leur sont inconnues, celles qui remontent à des temps anciens mais aussi à l'hostilité de plus en plus violente de l'Eglise, qui s'appuie à l'époque sur une arme redoutable et redoutée : la Sainte Inquisition.
    Le roman est un thriller historique assez bien mené et il faut dire que le Moyen Âge se prête à ce genre de romans, comme il se prête bien aux romans de fantasy. Les Âges Sombres flirte d'ailleurs parfois avec ce genre, tout en restant solidement assis sur ses bases historiques, très travaillées et maîtrisées par l'auteure. Une seule entorse à la chronologie est faite, au détour du roman : l'histoire est censée se passer en 1321. A cette époque, c'est encore Edouard II, qui règne, pour six ans -il mourra prisonnier en 1327-, sur l'Angleterre. Dans son roman, Karen Maitland le fait mourir bien avant, mais cette mort anticipée sert son propos, on lui pardonnera donc cette petite erreur -qui n'en est d'ailleurs peut-être pas une vraiment. L'auteure ne s'expliquant pas ensuite dans les notes historiques de fin de roman, le doute est permis.
    J'ai aimé les repères spatio-temporels qu'elle utilise également tout au long du roman. La seule mention claire d'une date se fait en début de roman, avec l'annotation Anno Domini 1321. Puis les jours s'égrènent ensuite, de mai -on commence l'intrigue avec les feux de Beltane, troisième des quatre grandes fêtes celtiques, célébrée aux alentours du premier mai- à janvier -elle se termine le jour de la Saint-Vincent de Saragosse-, sans plus d'indications que celle du saint fêté ce jour. Comme il s'agit aujourd'hui, pour la plupart, de personnages ayant disparu de nos calendriers, le doute plane, on ne sait jamais à quelle période du mois on est mais j'ai vraiment aimé ce manque de précisions, considéré comme tel aujourd'hui, mais qui était alors le système usité au Moyen Âge. On ne datait pas alors les jours grâce aux nombres et aux chiffres comme aujourd'hui mais grâce aux fêtes des saints. Cela nous immerge donc plus encore dans l'intrigue, on l'on croise ensuite toutes les personnages qui symbolisent la société médiévale : les paysans, les prêtres, les prélats, les seigneurs, les anachorètes etc...
    J'ai trouvé la fin des Âges Sombres peut-être un peu abrupte, mais je dois avouer que j'ai vraiment aimé cette plongée dans le monde d'Ulewic. J'ai au départ été déroutée par le nombre important de personnages et notamment lorsque les chapitres étaient racontés par une béguine car elles portent toutes le nom de Martha et ne sont différenciées que par leur fonction : Servante Martha, directrice du béguinage, Guérisseuse Martha, Bergère Martha, Marchande Martha etc...il est donc difficile, au départ, de définir clairement chaque personnage, au contraire de ceux qui portent des noms différents et que l'on peut donc assez clairement identifier en imagination, mais cela vient assez rapidement quand on s'est habitué à cette dénomination particulière.
    J'ai trouvé ce roman captivant, angoissant à souhait, perdu dans les brumes des landes pelées de l'est de l'Angleterre. Chaque personnage m'a plu, dans le sens où je les ai trouvés ciselés, bien travaillés. Mais certains, comme Lord d'Acaster ou le père Ulfrid, curé de la paroisse, sont, où détestables ou pitoyables, c'est selon. Les habitants du village, encroûtés dans leur pauvreté, leur ignorance et leurs terres crasseuses, suscitent une certaine répulsion mais c'est en même temps un portrait sans concession de ce qu'était la vie du peuple à l'époque : sale, dégoûtante, difficile. Certains chapitres sont d'ailleurs assez écœurants mais justes. Quant à l'intrigue autour des Maîtres-Huants et de l'Owlman, elle est juste terrifiante à souhait ! De tout temps, on a cherché à se faire peur et même si on redoute la frayeur, on la recherche au fond de nous et le roman de Karen Maitland fait d'ailleurs naître en chaque lecteur une certaine tension qui fait battre le cœur mais pousse à tourner les pages encore et encore.
    Les Âges Sombres m'a totalement convaincue et je ressors de cette lecture un peu décoiffée mais totalement ravie ! Moi qui adore le Moyen Âge, je n'ai pas été déçue.

    En Bref :

    Les + : l'intrigue, le contexte historique, l'ambiance. Ce roman est captivant de bout en bout !
    Les - : Aucun ! Enfin, si...la fin peut-être un peu abrupte mais ce n'est vraiment qu'un tout petit petit bémol ! sarcastic


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