• « Il faut cependant disposer de prémisses correctes pour ne pas vous tromper. »

    Les Enquêtes de Louis Fronsac, tome 4, La Conjecture de Fermat ; Jean d'Aillon

    Publié en 2009

    Editions du Masque (collection Labyrinthes)

    551 pages

    Quatrième tome de la saga Les Enquêtes de Louis Fronsac

     

    Résumé :

    En ce mois d'octobre 1643, alors que la régence est affaiblie et que se négocie la fin de la Guerre de Trente Ans, le pouvoir est en émoi. Quelqu'un intercepte les dépêches codées expédiées aux ambassadeurs français. Y'a-t-i un traître au bureau du Chiffre ? Pire, les répertoires confidentiels servant à la codification sont-ils entre les mains de l'Espagne ? Le cardinal Mazarin va demander à l'ancien notaire, Louis Fronsac, d'enquêter. Au cœur des réseaux secrets de Paris, il aura bien du mal à distinguer amis et adversaires. Pour qui travaille l'ancienne espionne de Richelieu surnommée la Belle Gueuse ? Quels mystères abritent les sous-sols de l'hôtel de Guise ? Quant à Pierre de Fermat, sera-t-il capable de fournir un code inviolable à Antoine Rossignol, chef du bureau du Chiffre ? 

    Dans cette nouvelle aventure, menée tambour battant, où il paraît n'y avoir que des traîtres et des faux-semblants, Louis Fronsac parviendra-t-il à sauver le congrès de Münster ? 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    A la fin de l'année 1643, la régente, Anne d'Autriche, gouverne la France en binôme avec le cardinal Mazarin. Louis XIII est mort depuis un peu plus de six mois, Richelieu depuis presque un an, mais la situation du royaume ne s'en est pas redressée pour autant : les grands sont de plus en plus agités et contestataires -n'oublions pas que la Fronde éclatera moins de dix ans plus tard-, le peuple ne l'est pas moins. La cour est un vrai nid de serpents où s'affrontent inimitiés et ambitions personnelles.
    C'est dans ce contexte troublé que s'ouvrent alors les pourparlers préliminaires à la paix censée mettre fin, en Europe, à la terrible Guerre de Trente Ans, commencée en 1618 par le célèbre épisode de la Défenestration de Prague -la deuxième-, et qui prendra fin en 1648 avec la ratification des traités de Westphalie. Pour l'heure, deux conférences doivent s'ouvrir, l'une à Münster, entre l'Empire et les puissances catholiques, l'autre à Osnabrück, où l'Empire, toujours lui, rencontrera cette fois les plénipotentiaires protestants. Rien d'étonnant alors, que dans ce contexte, des lettres chiffrées soient dépêchées aux différents ambassadeurs. Le chiffre est une méthode ancienne, connue déjà en Grèce Antique et utilisée, à des niveaux plus élaborés, de nos jours, dans les services secrets ou en temps de guerre. Mais les techniques restent finalement assez semblables bien que nous ayons aujourd'hui l'avantage de la technologie et que des innovations, telles le morse, ont été inventées depuis.
    Au XVIIème siècle, le chiffre se base essentiellement sur une substitution de lettres ou syllabes par des chiffres ou des nombres. Bien que relativement compliqués, les codes ne sont jamais à l'abri d'être subtilisés et percés à jour et il semble que ce soit ce qui est arrivé, en cette fin d'année 1643, alors que les représentants du royaume de France s'apprêtent à gagner Münster : les correspondances secrètes de la France ont été piratées et les dépêches ne sont plus sûres. Est-ce des espions à la solde de l'Espagne, notre ennemie irréductible, qui menacent ainsi la sécurité du royaume au sein même de son administration et de ses services secrets ou bien le réseau travaille-t-il pour une autre puissance ? Le Vatican, par exemple, qui, représenté par le pape Urbain VIII, n'hésite pas à se mêler de politique. De toute façon, que les dépêches du Chiffre partent vers Madrid ou vers Rome, la situation est tout aussi grave et met en émoi le principal ministre, Mazarin, qui décide alors de faire reprendre du service à Louis Fronsac, ancien notaire parisien, qui s'est avéré plutôt doué, les années précédentes, dans la résolution d'enquêtes criminelles.
    Après avoir démantelé la Cabale des Importants, quelques mois plus tôt, Louis est allé s'installer sur ses terres de Mercy, non loin de Paris, en compagnie de sa maison et de son épouse, la jeune Julie de Vivonne, nièce de Catherine de Vivonne-Savelli, la fameuse précieuse et marquise de Rambouillet. Alors qu'il remet en état sa petite seigneurie, il est donc approché par les envoyés de Mazarin et Louis, en cette fin d'année 1643, va devoir, à ses risques et périls, plonger dans un monde souterrain et secret dans lequel tous les coups sont permis. Son enquête le mènera jusqu'à Toulouse, auprès du conseiller au Parlement et célèbre mathématicien Pierre de Fermat, qui mettre sa science au service d'Antoine Rossignol, pour créer un chiffre inviolable et capable de protéger la correspondance secrète de la France au cours des pourparlers de Münster.

    Le magistrat toulousain Pierre de Fermat (1601-1665), poète et mathématicien de talent


    Ce quatrième tome des Enquêtes de Louis Fronsac est légèrement ardu pour nous, pauvres lecteurs issus du commun des mortels et qui ne comprenons pas un traître mot aux conjectures et démonstrations mathématiques ! ! Et il est vrai que les codes font forcément, à un moment ou un autre, appel à des principes logiques et mathématiques pour se protéger d'un éventuel piratage -même si cela ne marche pas à tous les coups : le chiffre d'Antoine Rossignol sera finalement complètement percé à la fin du XIXème siècle. Du coup, comme le roman est essentiellement basé sur les services secrets, forcément, on ne peut pas y échapper ! Pour autant, le roman n'en est pas moins abordable, bien au contraire. Tout n'est pas facile à comprendre, mais Jean d'Aillon a pris soin de nous illustrer certaines techniques, qui les rendent donc un peu moins abstraites. On ne peut cependant s'empêcher d'être soufflé par la qualité des informations et des recherches de l'auteur, qui mêle habilement faits réels et fictifs dans son récit, mais tous assis solidement sur des bases historiques exhaustives et justes. Je suis parfois gênée par des tournures de phrases ou des parties narratives un peu lourdes dans les romans de Jean d'Aillon mais j'avoue ne les avoir que peu ressenties dans ce roman-là : j'ai été très vite accrochée par l'intrigue, qui m'a demandé beaucoup de concentration pour que je ne perde pas le fil, mais, dans l'ensemble, j'ai trouvé ce roman vraiment efficace et agréable à lire. Comme Jean-François Parot qui, dans ses Enquêtes de Nicolas Le Floch nous immerge totalement dans l'ambiance du Paris de la fin du XVIIIème siècle, Jean d'Aillon, avec Louis Fronsac, dresse un portrait vraiment humain et crédible de ce milieu de XVIIème siècle, qui s'extirpe doucement de la Renaissance et des guerres de Religions pour regarder vers le règne flamboyant qui s'annonce : celui de Louis XIV, qui n'est alors qu'un enfant mais deviendra bientôt le monarque le plus puissant d'Europe. On y vit, dans ce Paris agité, où se côtoient nobles, nobliaux, bourgeois, artisans et mendiants et qui rappelle celui de Dumas dans Les Trois Mousquetaires ou les romans de cape et d'épée en général. Mais ce XVIIème siècle, violent à bien des égards, n'en est pas moins aussi celui d'une émulation culturelle et littéraire certaine : c'est l'époque des Précieuses et de leurs fameux salons et des romans fleuve de La Calprenède...c'est une époque riche que Jean d'Aillon sait habilement présenter à travers ses multiples prismes, qui en font un siècle polymorphe et charnière à bien des égards.
    J'ai aimé retrouvé Louis Fronsac et Gaston de Tilly, son ami du collège de Clermont, devenu commissaire de police et auxquels on s'attache de plus en plus, à mesure que l'on suit leurs aventures. Une petite bande de personnages familiers se met en place depuis le second tome, que l'on prend plaisir à retrouver d'aventure en aventure : il s'agit bien sûr de la famille de Louis mais aussi celle de son épouse Julie, que l'on retrouve maintenant plus régulièrement depuis Le Mystère de la Chambre Bleue. J'ai aimé également le doute que l'auteur fait planer autour de son personnage : à l'heure qu'il est, je ne sais toujours pas si Louis Fronsac est bel et bien un personnage de fiction ou une figure historique réelle !!
    Bref, ce quatrième tome des Enquêtes de Louis Fronsac m'a convaincue. J'ai passé un très bon moment et je vous le conseille vraiment ! Pour ma part, je pense qu'il ne faut pas s'arrêter au côté mathématique et très logique du roman, qui peut en rebuter certains, moi la première ! Je dois vous avouer que j'ai été un peu terrifiée quand j'ai abordé les différentes techniques de chiffrement et les démonstrations mathématiques de Blaise Pascal et Pierre de Fermat mais au final, je m'en suis bien tirée ! Je n'ai certainement pas tout compris -c'est tout juste si je me souviens du théorème de Pythagore, alors voyez où en est mon niveau-, mais cela n'a absolument pas gêné ma lecture ! ! Une bonne découverte et j'ai hâte de poursuivre maintenant ma lecture des autres aventures de Louis Fronsac ! !

    En Bref :

     
    Les + : une enquête enlevée et bien documentée.
    Les - : quelques passages parfois un peu confus ; des péripéties un peu lourdes parfois. 


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  • « L'orgueil de sa fonction sans la compétence est autant un péché que la compétence sans la confiance en soi. »

    Les deux premières enquêtes de Soeur Fidelma : Absolution par le meurtre suivi de Le Suaire de l'Archevêque ; Peter Tremayne

    Publiés en 1994 et 1995 en Angleterre ; 2015 en France (pour la présente édition)

    Titres originaux : Absolution by Murder ; Shroud for the Archbishop 

    Editions 10/18 (collection Grands Détectives)

    603 pages

    Comprend Absolution par le Meurtre et Le Suaire de l'Archevêque

     

    Résumé :

    En l'an 664, dans une Irlande où les Eglises romaines et celtique se déchirent, l'abbaye de Streoneshalh subit une série de meurtres. Mais soeur Fidelma n'est pas tout à fait une religieuse comme les autres...D'une obstination redoutable, elle est armée d'une rare intuition. Et quand une de ses amies est assassinée, ses talents d'enquêtrice éclatent au grand jour. Puis, en mission à Rome en compagnie de son ami, le moine Eadulf, Fidelma doit à nouveau élucider un sombre mystère : l'assassinat de l'archevêque de Cantorbéry. Un meurtre que l'intrépide duo est tenu de tirer au clair au plus vite. Car dans un contexte politique déjà tendu entre la nouvelle foi et les traditions irlandaises, cette sinistre affaire promet de mettre le feu aux poudres...

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Nous sommes en 664, dans ce qui sera un jour l'Angleterre. Mais au VIIème siècle, le futur Royaume-Uni et ancienne Britannia des Romains n'est qu'une mosaïque de royaumes et de peuples qui cohabitent plus ou moins harmonieusement. L'Irlande et l'Ecosse sont alors des pays bien à part, fortement marqués par leur héritage celtique et qui échappe ainsi à la mainmise des Saxons, qui occupent l'équivalent de l'Angleterre et du Pays de Galles actuel. Plusieurs royaumes ont déjà émergé : la Mercie, la Northumbrie, le Wessex, le Kent... Mais la méfiance creuse un fossé entre ces souverains dont les possessions ne sont parfois séparées que par le cours d'un fleuve. Et, malgré des alliances matrimoniales stratégiques, les relations ne sont pas au beau fixe et tendent à se dégrader. Et si, à cela, s'ajoutent en plus des conflits religieux, la situation des royaumes saxons semblent de plus en plus précaire.
    C'est pourquoi un concile est réuni à Witebia (Whitby) en 664. Ce concile a pour but d'unifier -il le fera, mais temporairement, cependant- les deux Eglises qui s'opposent alors en Bretagne : l'église apostolique et romaine, donc les catholiques, s'oppose aux tenants d'une foi plus traditionnelle obéissant aux préceptes de l'Eglise celtique. Leur doctrine n'étant en effet pas tout à fait la même, cela entraînait opposition et incompréhension entre religieux et prélats. Ainsi, à cette époque, alors que Rome songe de plus en plus sérieusement à abolir une bonne foi pour toutes le mariage pour ses prêtres, les partisans de la foi celtique, eux, ne le comprennent pas. Une harmonisation est donc nécessaire et ce concile doit donc y mener, de préférence, dans le calme et la sérénité.
    Mais voilà que l'abbesse Etain de Kildare, par ailleurs amie de l'enquêtrice, dont nous allons parler dans un instant, qui devait prendre part aux débats dans le camp de l'Eglise celtique, est retrouvée assassinée dans sa petite cellule de l'abbaye de Streoneshalh, où doivent se réunir les religieux. La mort ne fait pas de doute : l'abbesse Etain a eu la gorge tranchée, elle a donc été assassinée. Dès lors, une question se pose : le meurtre a-t-il un rapport avec le concile et les idées de la victime ? Est-ce un fidèle de la foi romaine qui a décidé de faire taire une bonne fois pour toutes un défenseur du camp adverse ? Ou bien, au contraire, est-ce un Irlandais qui aurait perprétré l'assassinat, histoire justement de faire accuser le camp adverse et donc, de le discréditer ou parce qu'il se murmurait que l'abbesse Etain était prête à traiter avec Rome ?
    L'enquête s'annonce trouble et c'est pourquoi elle est confiée à une proche d'Etain, l'une de ses religieuses de Kildare, soeur Fidelma, dont l'intuition, la culture et l'intelligence sont légendaires. La jeune femme, qui n'a pas trente ans, a suivi une formation très complète dans son pays natal, l'Irlande, et elle est devenue, au contact d'érudits en droit celtique, une très bonne avocate, à même de résoudre une telle enquête. Enquête qu'on lui confie, ainsi qu'à un moine saxon, Eadulf, de religion catholique. Ce sera donc l'occasion, pour l'un comme pour l'autre, de se heurter mais aussi de s'intéresser à des coutumes et des traditions qui diffèrent fortement de ce qu'ils ont toujours connu.
    Leur enquête sera cependant menée avec assez de brio pour que, quelques mois plus tard, à Rome, leur duo se reforme pour enquêter cette fois sur l'assassinat, au cœur même du palais pontifical du Latran, à Rome, de l'archevêque de Canterbury, Wighard. Le nouvel archevêque, ayant succédé à Deusdedit, mort pendant le concile de Whitby, s'achemine vers l'ancienne capitale impériale pour présenter au pape les cadeaux rassemblés par les royaumes saxons, désireux de montrer au Saint-Père leur toute nouvelle bonne volonté mais aussi pour recevoir de ses mais son intronisation. Mais il est retrouvé un peu plus tard, étranglé dans sa chambre par sa corde de prières et si tout semble accuser un moine irlandais, Fidelma, secondée par Eadulf, va creuser jusqu'à trouver que le nouvel archevêque de Canterbury avait bien des secrets, qui pourraient expliquer sa mort violente...

    Abbaye de Whitby ou de Streoneshalh où se tint l'important concile de 664


    La réunion des deux premières enquêtes de la foisonnante saga de Peter Tremayne -elle compte à ce jour plus de vingt volumes-, permet de se familiariser longuement avec une enquêtrice pas comme les autres et un contexte histoire qui ne l'est pas moins et peut même parfois s'avérer un peu déroutant. On est loin des sagas victoriennes d'Anne Perry et Ann Granger par exemple ou encore, des aventures en tricorne de notre héros national, Nicolas Le Floch ! ! Peter Tremayne, lui, a choisi de se focaliser sur une époque de bouleversements tant sociétaux que religieux, dans un pays, l'Angleterre, qui n'en est encore qu'à un stade embryonnaire -comme beaucoup d'autres pays européens, d'ailleurs. Les luttes pour le pouvoir sont âpres et violentes, la vie du peuple n'est pas facile et s'est même considérablement assombrie depuis la chute de l'Empire romain, qui n'a eu lieu que quelques deux cents ans plus tôt...toute la société est obligée de se réorganiser doucement, de changer et, même si l'héritage romain est encore fort dans les régions anciennement romanisées, le poids des traditions, notamment celtiques, ne le sont pas moins et ce début du Moyen Âge, loin encore de la renaissance culturelle carolingienne ou, après, de la flamboyance du Moyen Âge central et du Bas Moyen-Âge, est agité et compliqué. On peut donc porter à l'honneur de l'auteur de s'être énormément renseigné et d'avoir basé son récit sur des recherches qui tiennent la route. Il doit pourtant être difficile de s'y retrouver, entre tous les peuples, les royaumes, les courants religieux qui font alors la société de la future Angleterre. Mais on sent que Peter Tremayne connaît son sujet, tant politique, que religieux ou même juridique, puisque son héroïne, Fidelma est avocate dans son pays, l'Irlande.
    Justement, parlons de ce personnage avec lequel nous faisons connaissance dans ces premiers tomes et que nous continuerons à fréquenter au fil de la saga. Fidelma est donc une sœur irlandaise, suivant l'obédience traditionnelle irlandaise -l'Eglise celtique de Saint-Colomba dont le centre névralgique se situe sur la sainte île d'Iona, au large des Highlands- qui arrive du couvent de Kildare pour assister, justement en tant qu'avocate, au concile de Witebia, où elle a été sollicitée pour, éventuellement, apporter ses lumières sur quelques points juridiques. Jeune femme érudite et cultivée de vingt-huit ans, elle a étudié pendant neuf ans le droit brehon, c'est-à-dire l'ancien droit celte, à l'école de Tara. Formée tant en droit civil (Leabhar Acaill) qu'en droit criminel (Senchus Mor), elle a atteint le grade d'anruth, le dernier avant la plus haute distinction juridique d'Irlande. Elle est issue d'une famille royale irlandaise, son frère étant le roi de Munster mais elle est avant tout une fille de Dieu, fervente partisane de la foi celtique et jalouse des prérogatives que le droit irlandais lui procure et qui ne manquera pas, d'ailleurs, de créer quelques frictions avec l'adjoint qu'on lui impose pour la résolution de l'enquête de la mort d'Etain et qu'elle retrouvera ensuite, à Rome, pour élucider le mystère de la mort de l'archevêque de Canterbury. Cet adjoint est aussi éloigné d'elle, par les croyances comme par l'éducation, qu'elle l'est de lui. Alors que Fidelma se considère comme l'égale des hommes et légitime parce qu'elle a étudié et travaillé dur -en cela, elle a donc une vision plutôt moderne de la femme et de ses droits-, les Saxons, eux, et comme beaucoup d'autres peuples à l'époque et bien après, n'accordent aux femmes qu'une place mineure dans leur société ce qui n'est pas sans créer une réelle surprise quand ils assistent à cette enquête menée par une femme. Eadulf a cependant une bonne connaissance des droits et de la religion irlandais et il a même étudié, dans ce pays, la médecine, en l'école réputée de Tuaim Breccain. La collaboration, bien que tendue, va donc se passer relativement bien entre Fidelma et Eadulf et même si l'incompréhension domine parfois, on peut dire que le duo fonctionne plutôt bien.

    Le pape Vitalien pour le compte duquel Fidelma et Eadulf vont tenter d'élucider le meurtre de Wighard de Canterbury dans Le Suaire de l'Archevêque


    Je dois dire que le personnage de frère Eadulf m'a d'ailleurs emballée bien plus rapidement que Fidelma. Ces personnages qui ne doutent de rien et dont l'assurance peut parfois frôler l'arrogance me dérangent en général et j'ai donc du mal à les apprécier. La chose s'était passée, par exemple, avec Lizzie Martin, l'héroïne victorienne d'Ann Granger, que j'ai eu du mal à apprécier dès le début -il m'a fallu trois tomes pour cela. Ici, c'est presque pareil : il aura fallu que j'arrive au bout du second tome pour commencer à sentir un certain attachement poindre envers Fidelma, notamment quand le personnage a suffisamment de sincérité envers lui-même pour se rendre compte et de certaines choses et se les avouer. Et même si Fidelma, d'emblée, m'a plu notamment de part sa défense fervente des droits des femmes, je n'ai pas forcément eu d'affection pour elle, ce qui est dommage et je dois même dire qu'elle m'a parfois sérieusement tapé sur les nerfs ! ! Ceci dit, c'est avec brio qu'elle résout des énigmes compliquées et son intuition toujours juste force le respect. Finalement, au fil de ma lecture, je me suis sentie de plus en plus investie, tenue en haleine...je me suis habituée au caractère un peu hautain voire carrément désagréable de Fidelma comprenant que, pour elle, qui occupe dans une société fortement misogyne une place de premier plan, son attitude était peut-être aussi une façon de se défendre.
    Pour ce qui est ensuite des enquêtes, je dois dire que leur côté fortement religieux ne m'a pas dérangée plus que ça, au contraire, car on est surtout dans l'histoire, la discussion des dogmes et des doctrines, ce qui s'avère plutôt intéressant. Je ne connaissais rien de l'église celtique, du moins à l'église celtique primitive qui précéda notamment le monachisme irlandais des VIIIème et IXème siècles, et j'ai donc appris ce qu'elle était avec plaisir. J'ai trouvé les sociétés saxonnes et romaines de cette époque-charnière bien décrites par l'auteur et suffisamment vivantes pour y immerger le lecteur.
    Bref, au final, ces deux premières enquêtes de sœur Fidelma m'ont vraiment plu et m'ont donné envie de poursuivre mon incursion dans cette saga prometteuse et originale ! ! Le style de l'auteur, simple mais efficace, y est aussi pour quelque chose.
    Une bonne lecture.

    En Bref :

    Les + : des enquêtes originales situées dans un contexte historique qui ne l'est pas moins mais s'avère aussi très intéressant !
    Les - : deux, trois longueurs, mais rien de grave ! ! 

     


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  • « Nous savons peu de choses sur le coeur des autres. Nous avons déjà assez de mal à comprendre le nôtre. »

    Lizzie Martin, tome 3, Un assassinat de qualité ; Ann Granger

    Publié en 2010 en Angleterre ; en 2015 en France (pour la présente édition)

    Titre original : A Better Quality of Murder

    Editions 10/18 (collection Grands Détectives)

    Troisième tome de la saga Lizzie Martin

    Résumé :

    Londres, 1867. Un soir d'octobre, alors que l'inspecteur Ben Ross de Scotland Yard rentre chez lui, le fog tourbillonne et l'enveloppe telle une créature vivante. Lorsque le brouillard se lève le lendemain, une femme gît assassinée dans Green Park. Allegra Benedict était la belle épouse italienne d'un marchant d'art de Piccadilly. Qu'avait-elle été faire à Londres cet après-midi ? Pourquoi avait-elle vendu sa broche dans Burlington Arcade quelques heures avant sa mort ? Alors que Ben poursuit son enquête, son épouse Lizzie se penche sur la vie privée d'Allegra et découvre plus d'une raison pour laquelle quelqu'un aurait voulu sa mort. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Nous sommes en 1867...Lizzie Martin et Ben Ross se sont enfin mariés et habitent, avec leur bonne Bessie Newman, une petite maison d'un quartier calme de Londres, non loin de la gare de Waterloo. Un soir, alors que Ben rentre chez lui dans un brouillard épais, à couper au couteau (le fameux fog ou smog londonien), il heurte une jeune femme paniquée ; une jeune prostituée qui lui avoue avoir été poursuivie par un personnage étrange qui épouvante les filles : le spectre du fleuve, vêtu d'un grand linceul et qui erre dans les rues de Londres à la recherche de filles de joie qu'il terrifie en enserrant leur cou de ses mains. Ben écoute l'inconnue sans forcément croire à l'existence d'une créature spectrale sortie de la Tamise, mais voilà que, le lendemain matin, alors que le brouillard s'est enfin dissipé, un corps sans vie est retrouvé dans Green Park. Un corps de femme, étranglé. La victime n'est cependant pas une prostituée mais une femme de la bonne société, une certaine Allegra Benedict, très jolie épouse d'un galeriste réputé de Piccadilly.
    L'enquête, pleine de tâtonnements et d'embûches va alors commencer pour Ben et les autres enquêteurs de Scotland Yard. De son côté, Lizzie, la perspicace épouse de l'inspecteur, va se pencher sur le côté plus intime et privé de l'existence de l'épouse italienne de Sebastian Benedict, qui s'avère finalement être une femme plus sombre et complexe qu'elle n'y paraissait au premier abord. Et quand la dame de compagnie de la morte trouve la mort à son tour, nul doute qu'Allegra Benedict n'a pas été prise pour une autre et a bien été assassinée sciemment par quelqu'un qui avait des raisons de la faire taire à tout jamais.
    Je dois dire que ce troisième tome des enquêtes de Lizzie Martin m'a emballée, tout comme les deux premiers avant lui ! ! Ici, un changement majeur -et quel changement !- s'est opéré : Lizzie, qui a retrouvé Ben au cours de son enquête dans le premier tome, Un Intérêt Particulier pour les Morts, lui a enfin dit oui. La fille de médecin du Derbyshire et l'ancien petit mineur se sont unis pour la vie et c'est vraiment une très bonne nouvelle, d'autant plus que le mariage semble avoir bonifié le personnage de Lizzie Martin, bien moins insupportable et plus attachante que dans les tomes précédents. Bien sûr, l'état de mariage n'a pas non plus de la jeune femme une personne timorée, bien au contraire. Lizzie est toujours une femme vive, franche et qui n'a pas sa langue dans sa poche. Mais le personnage est peut-être un peu plus nuancé qu'auparavant, plus complexe également. De nouvelles facettes de Lizzie Martin apparaissent progressivement pour le plus grand bonheur du lecteur assidu.
    Quant au personnage de Ben Ross, que j'avais beaucoup aimé dès son apparition, on le retrouve un peu plus présent dans ce troisième tome. Normal, me direz-vous, puisque devenu l'époux de Lizzie, il est plus présent dans la vie de l'héroïne et donc, plus présent de fait sous les yeux du lecteur. Certes. Mais nous le suivons aussi beaucoup plus dans son enquête, ses raisonnements et c'est aussi très agréable d'avoir cette présence masculine et plus calme, qui tempère un peu la fougue toute féminine de Lizzie.
    Un assassinat de qualité est aussi un roman très social, caractère que l'on retrouve en fait dès le début de la saga...Ann Granger ne manque jamais de pointer du doigt les inégalités de cette époque victorienne souvent présentée, peut-être pas comme un âge d'or mais comme une époque importante pour le Royaume-Uni. Certes, c'est l'époque de l'industrialisation galopante du pays : les usines font des progrès énormes, la mécanisation de même. Toute la société connaît un véritable essor mais en laisse aussi beaucoup sur le bord de la route, dans le plus grand dénuement. Dès le premier tome, notamment à travers les ouvriers des chantiers de la gare de St Pancras, l'auteure dénonçait les conditions de vie du peuple et surtout du peuple des villes, qui se paupérise aussi vite que les industries prennent leur envol. Dans le second tome, elle pointait du doigt les trafics d'enfants, courants à l'époque et ici, nous retrouvons au centre du récit, l'un de ces peuples interlopes de la capitale anglaise, aussi riche dans ses beaux quartiers que pauvre et sordide dans ses faubourgs et ses quartiers les plus populeux : c'est toute cette population de prostituées, qui grouille dans les pubs et les bars louche et qui se déploie, la nuit venue, sur tous les trottoirs de la cité. Ces prostituées qui seront, un jour, sous le feu des projecteurs, avec les assassinats affreux de Jack l'Eventreur, vingt ans plus tard. Ann Granger dénonce, à travers le personnage de Ben, compatissant et à travers le regard d'autres personnages du roman, plus enclins à la condamnation, l'existence de ces filles, parfois échappées aux sinistres workhouses -les hospices, qui ne disparaîtront que dans les années 1930- et qui n'ont plus pour moyens de subsistance que la rue et le commerce de leurs charmes avec tous les risques que cela implique : maladies, rencontres malheureuses, souteneurs violents. Au centre du récit également, la boisson, sévèrement dénoncée par les prédicateurs...l'alcool fut en effet, à cette époque-là, et partout dans les pays qui s'industrialisent de façon extraordinaire, un fléau terrible de la société...il n'y a qu'à se souvenir de L'Assommoir de Zola qui dépeignait aussi avec crudité mais vérité, les ravages de l'alcoolisme chez les ouvriers.
    Je trouve que cette dénonciation sociale, bien présente dans les Lizzie Martin est cependant bien dosée, suffisamment en tous cas pour ne pas devenir redondante ou maladroite. C'est avec beaucoup de subtilité qu'Ann Granger met en exergue les inégalités et les injustices d'une société considérée pourtant et à juste titre, comme florissante. Au-delà de ça, elle nous montre aussi la corruption des franges plus aisées de la société qui, si elles ne sont pas soumises aux mêmes tentations et aux mêmes déboires que les ouvriers et les plus pauvres n'en est pas moins pourrie jusqu'à la moelle, n'hésitant pas à s'abandonner à de bas instincts. Et le meurtre de la jolie Allegra Benedict pourrait d'ailleurs bien être une conséquence de ce désœuvrement des plus chanceux.
    Bref, ce troisième tome de Lizzie Martin m'a absolument captivée !! J'ai été très vite emballée par l'ambiance, l'histoire du spectre du fleuve qui chevauche l'enquête plus cartésienne et semble s'y mêler parfois étroitement. Les romans d'Ann Granger ont de grandes qualités, narratives et littéraires en général. Je vous conseille cette saga et, pour ma part, je n'ai qu'une hâte, continuer...en espérant que l'auteure accorde une longue vie et encore plein d'enquêtes et d'aventures à Lizzie qui me devient de plus en plus sympathique.

    En Bref :

    Les + : une enquête maîtrisée, un contexte historique intéressant et bien dépeint par l'auteure, des personnages de plus en plus attachants.
    Les - : Aucun ! 


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  • « Le cœur d'un homme vaut tout l'or d'un pays. » Garin Le Lorrain (chanson de geste du XIIème siècle)

    Les Aventures de Guilhem d'Ussel, chevalier troubadour, tome 6, Rouen, 1203 ; Jean d'Aillon

    Publié en 2015

    Editions J'ai Lu

    512 pages

    Sixième tome de la saga Les Aventures de Guilhem d'Ussel, chevalier troubadour

    Résumé :

    Saint-Jean-d'Acre, 1203. Une nef génoise arrive à Marseille. Elle débarque un templier infidèle, une jeune veuve, un arbalétrier et un clerc en mission pour Aliénor d'Aquitaine. Cette dernière veut voir le saint linceul du Christ avant de mourir. Cette précieuse relique est très convoitée. Certains souhaitent la posséder pour son caractère sacré, d'autres veulent s'en servir pour asseoir leur pouvoir perdu. 

    Guilhem d'Ussel se retrouve, malgré lui et pour venger les siens, emporté dans ce combat. Les destins se croisent à Rouen, où Arthur, le jeune duc de Bretagne, est retenu prisonnier par son oncle Jean sans Terre. 

    Qui obtiendra la sainte relique ? Arthur sera-t-il délivré par ses fidèles ? 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Nous voici donc en 1203. Juste rentrés de Rome, où ils ont connu maintes aventures, Guilhem d'Ussel, Robert de Locksley, son épouse, Anna Maria et le frère de cette dernière, Bartolomeo, font étape à Marseille, avant de repartir vers leurs fiefs respectifs : Lamaguère, dans le Toulousain, pour Guilhem et ses gens et son château d'Ile-de-France, donné par le roi, pour Robert et Anna Maria.
    Marseille est alors un port important où accostent toutes sortes de bateaux et, alors que notre joyeuse troupe se trouve encore dans la cité phocéenne, voilà qu'une nef génoise, arrivant tout droit de Terre Sainte, débarque dans le port un contingent d'hommes d'armes mais aussi de personnages qui auront leur importance pour la suite du récit : un chevalier musulman se faisant passer pour un chrétien, un clerc au service d'Aliénor d'Aquitaine, une jeune veuve, un Templier qui semble cacher quelque chose...l'intrigue du roman se noue ici, sur les quais du port de Marseille, avant de se transporter vers la ville de Rouen, capitale du duc de Normandie -qui est aussi le roi d'Angleterre...et, en ce début de XIIIème siècle, le roi d'Angleterre est le triste sire Jean sans Terre, dernier fils d'Aliénor et d'Henri II Plantagênet, homme fourbe et violent qui n'a rien trouvé de mieux que d'emprisonner sévèrement son neveu qui s'est révolté, se mettant ainsi à dos une bonne partie de ses sujets continentaux, fidèles au jeune duc Arthur de Bretagne et revendiquant avec lui, et pour lui, la couronne anglaise qu'ils estiment injustement posée sur la tête du dernier frère du Cœur-de-Lion.
    Rien ne prédestinait Guilhem à se trouver ainsi mêlé à une querelle de famille ne le concernant pas. Mais voilà qu'à peine revenu à Lamaguère, accompagné de quelques hommes d'armes recrutés à Marseille et de cette jeune veuve dont il ne sait rien, il trouve meurtris, dans leur demeure, un de ses hommes, sa femme et leur bébé, ainsi que Thomas, le templier mystérieux, débarqué lui aussi à Marseille et qui a accepté de faire route avec Guilhem vers le Toulousain et, de là, vers le nord...que s'est-il passé ? Lancé à la poursuite de ceux dont il pense qu'ils sont coupables, Guilhem va finalement, en essayant de venger les siens, se trouver étroitement mêlé aux remous qui agitent les possessions anglaises en France...
    Ce sixième tome est un peu plus long à démarrer et nécessite un appui solide dès le début pour que le lecteur comprenne bien les tenants et aboutissants de toutes les histoires particulières qui se mêlent pour former ensuite l'intrigue aventureuse de Rouen, 1203. Ainsi le roman débute-t-il réellement en 1201, avec la présentation de plusieurs personnages qui auront un rôle à jouer dans la suite du récit : c'est ainsi le cas de Thomas, templier de Terre Sainte, embarqué à Acre vers le royaume de France et porteur d'un trésor inestimable -pense-t-il-, pour la Chrétienté entière ; Flore, jeune veuve d'un serf de l'abbaye de Tiron, parti en Terre Sainte dans l'espoir d'échapper définitivement à sa condition servile et qui n'y a trouvé que la mort, Flore, dont un homme d'armes de Guilhem va s'éprendre follement ; Marc de Saint-Jean, faux chevalier croisé qui répond en fait au nom de Ali-i Sabah et fait partie du courant musulman des ismaéliens et se trouve en mission pour son peuple en France ; Ferrière, un homme qui cache bien des secrets à l'instar de Gregorio, neveu du capitaine de la nef génoise et qui n'a débarqué à Marseille que pour des raisons bien occultes ; Le Maçon, enfin, clerc à Fontrevault mais qui aspire à une toute autre et bien plus violente destinée...
    Tous ces personnages vont être amenés à rencontrer Guilhem, en 1203, dans sa quête des assassins de son homme lige, Godefroi, de son épouse Jeanne et de leur nourrisson. Certains vont emporter une aide non négligeable au chevalier troubadour, d'autres, au contraire, vont s'employer à lui mettre des bâtons dans les roues, car, suite à ses retrouvailles fortuites avec l'un de ses amis, Thomas de Furnais, Guilhem se retrouve finalement enfoncé jusqu'au cou dans les querelles de succession qui opposent Jean sans Terre et son neveu, Arthur de Bretagne.
    Ainsi, malgré un début un peu plus long à démarrer que pour les autres tomes, nous entrons avec toutes les clés en main dans l'intrigue policière et d'aventures proprement dite. On comprend ainsi beaucoup mieux qui est tel ou tel personnage et ce qu'il fait là. L'intrigue se déroule ensuite de façon plutôt fluide, ce qui n'était pas forcément le cas dans les autres tomes, où j'avais parfois relevé quelques incohérences. Ici, la bonne préparation du lecteur lui permet ainsi de bien tout comprendre, sans forcément revenir en arrière en ayant la sensation d'avoir loupé un passage important. J'ai en tous cas été emballée par cette intrigue, un peu différente des précédentes, avec plus de personnages, plus d'histoires parallèles qui se mêlent, s'entremêlent et s'imbriquent parfaitement. Quelques lourdeurs de style encore, parfois, mais dans l'ensemble, le roman est bon, bien documenté...j'ai relevé une ou deux petites erreurs mais rien de catastrophique non plus. Le voyage en Terre Sainte donne également à la série -ce qu'elle n'avait pas jusque-là-, un côté exotique et oriental plutôt bienvenu.
    Le roman est dynamique, enlevé, mené tambour battant. Dommage qu'Anna Maria et son époux, Robert de Locksley, soient moins présents, depuis Londres, 1200 mais à part ça, ce sixième tome est à la hauteur des premiers ! La saga ne s'essouffle pas et c'est tant mieux.

    En Bref :

    Les + : une intrigue solide et enlevée, des personnages qu'on est toujours heureux de retrouver.
    Les - : deux trois petites erreurs, une ou deux incohérences, mais rien de grave.


    2 commentaires
  • « Brassez les éléments et puis juxtaposez vos esquisses. La solution vous apparaîtra. C'est peu de commencer, il faut finir. »

    Les Enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet, tome 12, La Pyramide de Glace ; Jean-François Parot

    Publié en 2015

    Editions 10/18 (collection Grands Détectives) 

    471 pages

    Douzième tome de la saga Les Enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire de police au Châtelet

    Résumé :

    1784 : l'un des plus rudes hivers du siècle accable Paris. Le peuple érige des monuments de glace en reconnaissance des actes de charité des souverains. Au dégel, l'une de ces pyramides révèle le corps dénudé d'une femme, parfait sosie de la reine. Pour Nicolas Le Floch, c'et le début d'une enquête haletante qui, à partir de maigres indices, le conduira à soupçonner une machination ourdie contre la réputation de Marie-Antoinette par un prince du sang. Entouré par ses amis, investi de la confiance de Louis XVI, aidé par les informations de Restif de la Bretonne, il remontera peu à peu la chaîne des présomptions, allant de surprise en surprise. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Entre 1783 et 1784, la France traverse un hiver très rude, semblable à bien des égards à celui qui accabla le royaume en 1709. A Paris, pour montrer sa reconnaissance au roi et à la reine qui ont fait preuve de charité, la population décide d'élever dans les rues des monuments de neige et de glace. Mais au dégel, voilà que ces pyramides et autres obélisques éphémères se mettent à fondre et l'un d'eux va révéler une bien macabre découverte : le corps d'une femme, entièrement prisonnier des glaces. La victime semble avoir été tuée bien avant d'y être placée et présente deux étranges blessures au cou. Mais ce qui laisse perplexes les enquêtes, Nicolas le premier, c'est que cette femme est un sosie parfait de la reine Marie-Antoinette...est-ce un hasard ? La présence redondante, à chaque étape de l'enquête, d'un prince du sang, j'ai nommé le duc de Chartres fait dangereusement pencher la balance vers un hasard qui n'en serait certainement pas un.
    C'est la douzième fois que nous retrouvons Nicolas Le Floch, commissaire aux affaires extraordinaires au Châtelet, pour une enquête criminelle qui ensanglante le Paris des Lumières et cette enquête-là, de part la ressemblance frappante de la victime avec la souveraine et la présence gênante du duc de Chartres, cousin du roi et chef de file de l'opposition au gouvernement, promet d'être ardue à démêler car c'est en effet sur des charbons ardents que les policiers doivent marcher afin de ne froisser ni la Couronne ni les vanités princières. Car, même si la même justice pour tous est censée être un droit au XVIIIème siècle, on se rend vite compte que ce n'est pas aussi facile à dire qu'à faire dans la pratique, surtout quand un prince, qui plus est apparenté à la famille royale, se retrouve mêlé de près ou de loin à une enquête criminelle. Mais c'est justement en s'affranchissant de tous préjugé et idée reçue que Nicolas, qui a acquis un véritable savoir-faire dans les résolutions d'enquêtes depuis ses débuts en 1761, va parvenir à démêler l'écheveau de cette nouvelle affaire qui se présente à lui. 
    Nous sommes en 1784, à un an de l'Affaire du Collier, à cinq ans seulement de la convocation des Etats Généraux. La situation politique et économique en France est instable, notamment à cause du déficit causé par la Guerre d'Indépendance américaine. Le peuple est pauvre, miséreux parfois et afflue dans les grandes villes pour espérer y trouver un logement et un travail ; les hommes y finissent bien souvent mendiants, relégués à l'hospice et les femmes, prostituées. La mortalité infantile est encore forte et les plus chanceux, si on peut dire, s'entassent dans des grabats et des taudis puants. Voilà un peu à quoi ressemble le Paris des années 1780 et on ne peut pas dire que le pays des Lumières soit forcément bien loti. Et, de fait, la colère gronde. Pour couronner le tout, le trône est éclaboussé de scandales et de pamphlets en tous genre, qui ternissent surtout l'image de la reine, aussi haïe qu'elle a pu être adulée par le peuple en son arrivée quatorze ans plus tôt. Mais Nicolas, en tant que commissaire de police mais aussi en tant que marquis de Ranreuil, deux casquettes qui ne font parfois pas bon ménage mais qui ont pu aussi lui servir en bien des occasions, est déterminé à protéger, à son échelle, avec ses maigres moyens, une couronne qu'il sert depuis le début des années 1760, par fidélité pour le souvenir de feu Louis XV, qui fut le premier à le recevoir à Versailles, mais aussi par fidélité et estime pour son successeur. 



    La situation, cependant, devient de plus en plus compliquée pour notre enquêteur préféré, qui se heurte à des préjugés hors d'âge mais aussi à des discours novateurs qui peuvent mettre à mal sa vision des choses. Si Nicolas reste attaché à l'ordre ancien des choses, à sa fidélité sans borne -et sans questionnement- à la couronne et à ceux qui se trouvent en-dessous, issue bien sûr de sa fonction mais aussi de son éducation auprès du marquis de Ranreuil, son père, voilà que son fidèle bras droit, l'inspecteur Bourdeau, issu lui du peuple, se met à prôner des idées philosophiques et rousseauistes qui ne manquent pas de se télescoper violemment avec les idées, non pas plus réactionnaires, mais disons plus surannées, plus traditionnelles, de Nicolas. Le commissaire doit donc s'accommoder de ces désaccords qui naissent de plus en plus souvent avec son subordonné, désaccords qui leur heurtent bien sûr à cause de l'amitié qu'il porte à Bourdeau, mais aussi au nom de la fidélité viscérale qu'il ne peut s'empêcher d'éprouver pour la monarchie, malgré toutes les injustices et irrégularités qu'il ne manque pas de constater de part sa fonction de policier. 

    Hormis cela, Nicolas commence également, non pas à être âgé, mais du moins à entrer dans l'âge mûr. Âgé d'environ quarante-quatre ou cinq ans en 1784, il est amené, et cela de plus en plus régulièrement, à se questionner sur sa propre existence, sur la société dans laquelle elle prend corps mais aussi sur l'avenir de son fils Louis, pour l'heure au service de Monsieur, frère du roi mais aussi sur le devenir de sa relation amoureuse et charnelle avec la jolie et fougueuse Aimée d'Arranet -qui est aussi un des signes de la modernité et de l'émancipation qui caractérisent la fin du XVIIIème siècle puisque Nicolas et Aimée, qui se fréquentent depuis de longues années, ne sont pas mariés pour autant. L'enquête qu'il mène également sur la mort de cette jolie femme qui ressemble si fort à une reine à qui il a promis aides et services ainsi que sa fidélité la plus entière, et qui le mène dans des entours noirs et sordides, ne sont pas non plus pour le rassurer sur la société des hommes et sur la moralité de ces derniers. En plus de vingt ans d'expérience, le commissaire à en effet pu prendre la mesure de la laideur, de la corruption et de la violence humaines, notions malheureusement universelles et intemporelles. On sent chez lui comme une certaine lassitude, une envie de retraite, qui peut être consécutive tant de son âge qui avance doucement mais aussi d'une certaine prescience de l'avenir, car en serviteur zélé de la couronne, Nicolas, qui côtoie aussi bien la Ville que la Cour peut-il encore s'illusionner sur le devenir de la royauté versaillaise, colosse aux pieds d'argile qui s'achemine lentement mais sûrement vers sa ruine 
    Pour autant, l'intrigue policière reste d'une qualité certaine. Jean-François Parot nous livre encore une fois et comme bien souvent, un très bon cru, car je dirais que, comme le bon vin, Nicolas tend à se bonifier avec le temps, malgré le spleen et la mélancolie qui commencent à caractériser, depuis quelques volumes, ses réflexions les plus intimes. Cette enquête-là, qui implique autant des bourgeois que des devineresses et même un prince de sang royal nous livre un large éventail de cette société de la fin du XVIIIème siècle, toute pétrie de nouveautés et de modernisme mais encore fortement engluée dans ses anciens principes et coutumes. Mêlant avec subtilité enquête, recettes de cuisine -qui sont en un peu la marque de fabrique de la saga- et humour, l'auteur, ancien diplomate mais aussi historien averti du XVIIIème siècle, nous laisse entre les mains un roman vraiment réussi, dans lequel on se plonge comme on ferait un voyage dans le temps. Car on la voit, cette ville de Paris de 1784, elle s'étend et prend vie sous nos yeux comme si nous avions été brutalement ramenés. La Pyramide de Glace est le douzième tome de cette saga hors-pair mais certainement pas lassant pour autant. C'est toujours un plaisir que de se plonger dans une enquête de Nicolas.

    En Bref :

    Les + : une enquête bien menée, toujours de qualité, des personnages que l'on prend plaisir à retrouver au fil des volumes.
    Les - :
    mais aucun ! 


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