• «La peau blanche d'Albine n'était que la blancheur de la peau brune de Serge. Ils passaient lentement, vêtus de soleil ; ils étaient le soleil lui-même. Les fleurs, penchées, les adoraient. »

    La Faute de l'Abbé Mouret ; Emile Zola

    Publié en 1985

    Date de parution originale : 1875

    Editions Le Livre de Poche (collection Les Classiques de Poche)

    386 pages

    Cinquième tome de la série Les Rougon-Macquart

     

    Résumé :  

    Serge Mouret est le prêtre d'un village pauvre, quelque part sur les plateaux désolés et brûlés du Midi de la France. Barricadé dans sa petite église, muré dans les certitudes émerveillées de sa foi, assujetti avec ravissement au rituel de sa fonction et aux horaires maniaques que lui impose sa vieille servante, il vit plus en ermite qu'en prêtre. A la suite d'une maladie, suivie d'une amnésie, il découvre dans un grand parc, le Paradou, à la fois l'amour de la femme et la luxuriance du monde. Une seconde naissance, que suivra un nouvel exil loin du jardin d'Eden.
    Avec cette réécriture naturaliste de la Genèse, avec ce dialogue de l'ombre et du soleil, des forces de vie et des forces de mort, du végétal et du minéral, Zola écrit certainement l'un des livres les plus riches, stylistiquement et symboliquement, de sa série des Rougon-Macquart.

     

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

     Mon Avis :

    La Faute de l'Abbé Mouret, cinquième volume des Rougon-Macquart s'ouvre quelques années après la fin du quatrième, La Conquête de Plassans et présente une continuité linéaire avec celui-ci puisque le héros au centre du récit sera le cadet de Marthe et François Mouret, que l'on a vu évoluer de bien tragique manière dans La Conquête de Plassans. Avant de retrouver Octave, leur aîné, dans Pot-Bouille et au Bonheur des Dames, c'est donc à Serge qu'est consacré La Faute de l'Abbé Mouret.
    Rentré au séminaire avant vingt ans, dans La Conquête de Plassans, au grand dam de son père, d'ailleurs, Serge a aujourd'hui vingt-six ans et il est en charge de la cure des Artaud, un petit village désolé non loin de Plassans. Il y vit seul, entouré uniquement de la vieille servante de la paroisse, la Teuse et de sa sœur Désirée, vingt-deux ans, restée innocente et qui n'a donc aucune chance de se marier jamais. Dans ce petit village loin de tout, où l'on s'est marié dans la même famille de générations en générations et où tous les habitants portent le même nom, le prêtre doit lutter pour imposer Dieu et les préceptes de la religion catholique à des gens qui vivent et poussent comme les herbes dans leurs champs, sans se soucier d'aller se marier à l'église avant de concevoir des enfants...
    Mais l'abbé, tout jeune encore, est fragile. On retrouve chez lui, avec plus ou moins de force, l'hérédité de ses parents, cette folie latente qui a précipité Marthe et François dans leur destin tragique. Chez Serge, la fragilité psychique se traduit par un mysticisme effréné -mysticisme déjà rencontré chez sa mère-, une croyance exacerbée qui l'a poussé à se faire ordonner. Mais il existe déjà chez lui une faille, cette faille, c'est l'amour sans borne, l'adoration qu'il porte à la Sainte Vierge, Marie, qui est pour lui mère, femme et amante. C'est cet amour irréfléchi, ces désirs de mortifications et de flagellations mentales qui vont faire tomber l'abbé malade. Soigné par son oncle, le docteur Pascal -le frère de sa mère Marthe-, l'abbé est amené, sur le souhait du scientifique, dans un endroit isolé non loin des Artaud, le Paradou. Ancien domaine, aménagé au XVIIIème siècle dans le goût de l'époque mais abandonné depuis, le Paradou est revenu à l'état sauvage. L'ancien château a disparu et ne restent que quelques pavillons, perdus dans une nature qui a retrouvé ses droits et transformé le parc en luxuriant jardin d'Eden.

    La Faute de l'Abbé Mouret ; Emile Zola

    Serge Mouret, incarné par Francis Huster dans le film de George Franju (1970)


    Au Paradou vivent Jeanbernat, libre penseur, surnommé le Philosophe et sa jeune nièce, Albine, seize ans. Élevée dans le monde, elle a été confiée à son oncle encore gamine et est revenue, si l'on peut dire, à l'état sauvage, courant le Paradou et se saoulant de nature. C'est dans cet écrin perdu et immaculé que le docteur Pascal emmène son neveu afin qu'il se rétablisse. Mais ce qu'il ne peut prévoir c'est que la jeune Albine, devenue garde-malade et le prêtre, vont réécrire à leur façon le mythe d'Adam et Ève et du péché originel...
    Comme dans La Conquête de Plassans, Zola écrit ici une violente diatribe contre la religion, adoucie cependant par le baume de la sublime histoire d'amour qui en est le prétexte. Oui, la sublime histoire d'amour, n'ayons pas peur des mots. A mon sens, l'histoire entre Serge et Albine, aussi peu conventionnelle soit-elle, est l'une des plus sublimes histoires d'amour jamais écrites et le roman, l'un des meilleurs classiques français de cette époque. Il faut dire aussi que j'ai toujours eu une énorme faiblesse pour La Faute de l'Abbé Mouret : seconde relecture et troisième coup de coeur, on ne se refait pas !
    Ici, après dénoncé la manipulation de prêtres sans scrupule sur des âmes faibles -l'abbé Faujas sur l'âme de Marthe Mouret-, Zola s'élève ici contre les rigoureuses restrictions que la religion impose à ses ministres, le muselage de leurs désirs les plus profonds et le plus instinctifs à coup de prières, de macérations et de punitions auto-infligées. C'est la négation de leur essence humaine que l'on impose aux religieux et aux clercs que l'auteur, en homme du XIXème siècle très ancré dans son époque, dénonce. Et c'est donc par la faute de l'un de ces ministres du culte, un de ces hommes mariés à la toute- puissance de Dieu parce qu'ils sont ordonnés et tonsurés, que Zola réécrit l'un des mythes fondateurs de notre société judéo-chrétienne : la Genèse, avec la faute d'Adam et Ève dans le jardin d'Eden et la chute du genre humain à la suite de ce péché commis par le premier homme et la première femme.
    Dans La Faute de l'Abbé Mouret, Serge campe le rôle d'Adam tandis que la jeune Albine, la nièce d'un libre penseur, affranchie elle-même des carcans religieux, devient une Ève tentatrice, la femme qui pousse au péché mais aussi la femme qui aime, trop entière pour rendre Serge à l'Eglise et qui commettra pour cela un acte radical et sans remède. Albine, c'est aussi, par son prénom -albus en latin signifie blanc-, la personnification d'une autre femme, cette Vierge que Serge aime tant dans la première partie du roman, une allusion virginale qui ramène irrémédiablement à la mère de Dieu comme si, au travers de la jeune sauvageonne, Serge accomplissait son destin qui est celui, au grand dam du Frère Archangias, d'ailleurs, d'aimer Marie.

    La Faute de l'Abbé Mouret ; Emile Zola

    Francis Huster (Serge) et Gillian Hills (Albine) 


    L'autre personnage du roman, et qui a toute son importance, c'est la nature. La nature par le jardin. Ce Paradou, ancien domaine domestiqué à l'instar des jardins à la française mais qui, peu à peu, s'est échappé de la main humaine pour redevenir un endroit sauvage dans lequel les derniers témoins de la civilisation sont peu à peu engloutis par une débauche de feuilles et de feuillages. Le Paradou, c'est le troisième protagoniste, celui qui rapproche et éloigne le couple, celui qui lui apprend à se connaître et à s'apprivoiser, qui aide Albine à renouer avec le genre humain et qui apprivoise Serge aux douceurs et aux tentations du corps féminin. C'est lui encore qui leur souffle comment s'aimer et devient le secret complice de leur amour. Mais, comme dans Roméo et Juliette, là où la nature est l'alliée des amants dans la félicité, elle est aussi leur adversaire le plus farouche dans l'adversité. Ainsi, dans la première partie du roman, le Paradou est un écrin protecteur pour Serge et Albine, un endroit inviolable dans lequel ils peuvent vivre loin de tout, mais, après l'accomplissement du péché, de l'acte de chair, le jardin, qui les a pourtant poussés à cela, devient l'ennemi, celui qui se laisse violer par une main vengeresse -celle de Frère Archangias- et qui assiste, passif, à la chute de Serge et d'Albine, le retour du jeune homme à son état immuable de prêtre et au désespoir de la jeune fille. Le rythme des saisons accompagne ce lent changement, ce lent basculement de la félicité au désespoir et si Serge et Albine s'apprivoisent dans la luxuriance et les formidables senteurs du printemps et de l'été, ils sont séparés pour toujours dans la tristesse de l'automne, alors que le jardin se prépare à s'endormir pour un long hiver. C'est dans les senteurs âcres et passées des dernières fleurs de la saison que Serge s'arrache à tout jamais des bras de son amante. Le frère Archangias -dont le nom rappelle aussi celui des ces anges vengeurs, les archanges-, est la personnification de l'intransigeance religieuse, intransigeance qui, pourtant, tourne chez lui en une certaine obsession sexuelle voire pédophile et qui est encore un prétexte pour l'auteur qui souhaite justement dénoncer cet empêchement, cette impuissance imposée aux hommes d'Eglise, avec tous les débordements que cela peut comporter par la suite. La Teuse, servante de l'abbé, est la tolérance, croyante mais sans intransigeance, tandis que l'oncle d'Albine, lui, est le symbole de la déchristianisation symptomatique du XIXème siècle.
    Roman riche et intense, bien documenté et subtilement écrit, La Faute de l'Abbé Mouret est l'un des romans les plus aboutis de la saga, l'un des plus beaux et l'un des plus touchants. Une lecture superbe, qu'il faut prendre le temps de savourer, pour ce qu'elle est. Car au-delà de la dénonciation religieuse, c'est aussi l'histoire d'amour qui fait toute la profondeur de ce roman. Un classique particulièrement efficace.

    En Bref :

    Les + : un roman subtil et particulièrement bien écrit, une super histoire d'amour...
    Les - :
    Aucun ! ! 

     

    Coup de cœur

     


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  • « Elle était ravie à la terre, agonisant sans souffrance devenant une pure flamme qui se consumait d'amour. »

    La Conquête de Plassans

    Publié en 2009

    Date de parution originale : 1874

    Editions Le Livre de Poche (collection Les Classiques de Poche)

    512 pages

    Quatrième tome de la série Les Rougon-Macquart

     

    Résumé :

    « Il détachait son cheval, dont il avait noué les guides à une persienne, lorsque l'abbé Faujas, qui rentrait, passa au milieu du groupe, avec un léger salut. On eût dit une ombre noire filant sans bruit. Félicité se tourna lentement, le poursuivit du regard jusque dans l'escalier, n'ayant pas eu le temps de le dévisager. Macquart, muet de surprise, hochait la tête, murmurant :                               - Comment, mon garçon, tu loges des curés chez toi, maintenant ? Et il un œil singulier, cet homme. Prends garde : les soutanes, ça porte malheur. »                                                                         La conquête de Plassans qui donne son titre au quatrième roman des Rougon-Macquart est l'ambition que s'est fixée Faujas, prêtre bonapartiste et sans scrupules, de s'assujettir la ville légitimiste, première étape de l'ascension à laquelle il aspire. Par son pouvoir sur les esprits et sur les âmes;, il met en oeuvre une stratégie satanique couronnée de succès - avant la catastrophe. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Ce quatrième tome des Rougon-Macquart s'ouvre en 1858 à Plassans. Après deux intrigues prenant corps dans le Paris du Second Empire, nous revenons donc dans la ville-berceau des Rougon-Macquart, afin de faire connaissance avec une nouvelle famille : les Mouret. L'épouse, Marthe, est une Rougon : c'est la dernière fille de Pierre et Félicité, par ailleurs soeur d'Aristide, l'un des personnages principaux de La Curée. Le mari, François, est un Mouret, fils d'Ursule Macquart, demi-soeur de Pierre Rougon et du chapelier Mouret. Originaire de Marseille, où sa mère s'est mariée, fuyant sa ville natale, François est en quelque sorte recueilli par ses oncle et tante, Pierre et Félicité, à la mort de ses deux parents et, malgré leur ressemblance physique très flagrante, on fait en sorte de pousser Marthe et François dans les bras l'un de l'autre. Ils auront trois enfants : Octave, que l'on retrouve par la suite dans Pot-Bouille et Au Bonheur des Dames, Serge, jeune homme torturé et tourmenté, futur héros de La Faute de l'Abbé Mouret et Désirée, pauvre innocente d'une quinzaine d'années qui n'a pas grandi et continue de se comporter comme une enfant.
    Installés à Marseille après leur mariage, les Mouret, qui tenaient un commerce d'huiles, vins et amandes, viennent de se réinstaller à Plassans après qu'à quarante-trois ans, le père de famille ait décidé de prendre sa retraite. Les voilà donc de nouveau dans cette ville d'où tout est parti est qui est désormais fermement tenue par les ambitieux parents de Marthe, ces opportunistes de Rougon qui ont profité du Coup d'Etat du 2 décembre 1851 pour enfin faire fortune et prendre revanche de leur pauvreté.
    Marthe et François sont des petits bourgeois, pas forcément très riches mais qui ont les moyens de faire faire des études à leurs enfants, tout du moins à leurs deux fils et ayant les moyens de vivre correctement. Ils ne font pas vraiment parler d'eux même si les opinions et idées politiques de Mouret peuvent parfois gêner un peu sa belle-mère, Félicité.
    En cette année 1858, François a décidé de louer le second étage de la demeure qu'il occupe avec sa famille rue Balande, derrière la sous-préfecture de Plassans. Et le quotidien des Mouret, qui n'aiment rien tant que profiter de leur jardin, Marthe brodant et reprisant sur la terrasse pendant que son époux prend soin de ses salades et de ses bordures de buis, pourrait bien se trouver complètement bouleversé par l'arrivé des deux locataires : l'abbé Faujas et sa mère, arrivés de Besançon. Des personnages qui ne payent pas de mine au premier abord, mais vont grandir, grossir, telles de diaboliques ombres et oeuvrer à la conquête insidieuse des Mouret, à force de persuasion dissimulée sous de fausses bonnes manières et, par là même, la conquête d'une ville entière...
    Ce quatrième volume de la série n'est pas le plus palpitant et pourtant, j'ai toujours eu une affection assez prononcée pour ce roman, je ne sais pas pourquoi. En tous cas, la bonne impression que j'avais eue à ma première lecture qui remonte à exactement six ans, s'est confirmée lors de cette redécouverte. J'ai vraiment pris mon temps pour lire ce roman, l'entrecoupant même de lectures parallèles, sans que jamais je ne perde le fil. C'est le genre de classique irréprochable, bien écrit et qui se lit avec une facilité déconcertante même si l'action n'y est pas forcément présente. Finalement, ce qui est intéressant dans ce livre, c'est la déchéance. La déchéance qui arrive petit à petit, insidieusement et parvient à se loger dans une famille qui, jusqu'ici, n'avait pas eu de tracas autre que ceux, bénins du quotidien. La déchéance, qui rapprocherait d'ailleurs La Conquête de Plassans de La Curée. Dans ce dernier, Renée déchoit petit à petit à cause de l'amour incestueux qu'elle entretient avec son beau-fils. Dans La Conquête de Plassans, c'est par la religion -la bête noire de Zola- que Marthe, héroïne à la tête déjà un peu fragile, va glisser lentement sur la pente la plus noire, y entraînant avec elle son époux qui présente, comme, elle des prédispositions à la folie -n'oublions pas que Marthe et Mouret ont la même grand-mère, tante Dide, internée aux Tulettes depuis de nombreuses années à cause de sa démence-, mais aussi toute sa famille, jusqu'au drame final. Dans les deux romans, c'est dans le domaine où les deux héroïnes, au début, trouvaient le plus de réconfort, qu'elles finissent par se perdre, sans espoir d'en revenir un jour...
    Bien sûr, la religion est aussi très présente dans le roman, puisque ce sera elle, finalement, le déclencheur du drame personnel des Mouret. Comme beaucoup de gens de l'époque, ce sont des croyants peu fervents et Mouret se lamente même de voir son cadet, Serge, si versé dans le spirituel et sera même particulièrement affligé de le voir souhaitant entrer au séminaire. Même Marthe n'est pas pratiquante et ne fréquente pas les églises. Et puis, lorsque cet abbé vient loger chez eux, aussi peu religieux soit-il, cet homme va jeter Marthe dans les transes du mysticisme, mysticisme qui est là poussé à outrance et pourrait bien s'apparenter à une sorte de fanatisme et, par extension, d'aliénation. La religion est tournée en dérision au travers de personnages comme l'abbé Bourrette, pleurnichard et naïf, l'évêque, monseigneur Rousselot, pantin des politiques ou son secrétaire, l'abbé Surin, jeune homme qui préfère jouer au volant avec les demoiselles de la bonne société de Plassans que de fréquenter les églises...et puis il y'a la figure centrale de l'abbé Faujas, homme au passé trouble, qui fait jaser...grand, fort, il ressemble plus à un paysan qu'à un médecin des âmes, c'est un homme dur et brutal qui va parvenir, à force de dissimulation savamment dosée, à embrigader complètement Marthe, au point de la faire verser dans une démence qui la guettait depuis longtemps, démence que l'on imputera d'ailleurs à son mari, le pauvre Mouret, qui se retrouve enfermé dans le même asile d'aliénés que sa grand-mère. Ce personnage d'homme que l'on brise, sciemment, méchamment, avec une méthode qui frise le sadisme, ne peut qu'attiser chez le lecteur une certaine pitié. On plaint aussi Marthe, héroïne que l'on sent douce et bonne et qui bascule doucement dans un calvaire qu'elle se forge elle-même avec l'aide patiente et obstinée du prêtre qui parfait ainsi sa conquête de la ville légitimiste...on rejette par contre Faujas et sa famille, des rapaces, présentés dès le début comme des personnages singuliers et suscitant la méfiance. En tous cas, dans ce personnage-là, Zola a mis toute la méfiance et la colère qu'il nourrit à propos des choses sacrées et de la pratique religieuse...Finalement, après le Second Empire qui n'est pas épargné dans les premiers tomes, c'est la religion qui en prend pour son grade et on peut dire qu'il n'y va pas de main morte. On sent d'ailleurs dans ces textes percutants, résolument incisifs et dénonciateurs des années 1870, la graine de J'Accuse ! qui sera publié près de trente ans plus tard...on sent que Zola fait partie de ces hommes cultivés, qui connaissent à fond leur époque, vices et vertus confondus, sachant dénoncer ce qui ne va pas, sachant exalter ceux qui sont pour eux des héros -on pensera aux mineurs, au peuple travailleur chez Zola, en bon auteur naturaliste.
    La Conquête de Plassans reste un bon roman, que j'ai pris plaisir à découvrir une seconde fois et qui m'a, de nouveau, complètement captivée. Pas mon préféré mais assurément l'un des meilleurs.

     

    En Bref :

    Les + : un roman pas vraiment palpitant mais bien mené ; un beau tableau d'une époque et d'une classe sociale, la bourgeoisie provinciale.
    Les - : beaucoup de considérations politiques par moments, quelques longueurs mais rien de bien grave dans l'ensemble.

     


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  • « Avant que j'accède à votre désir, il me faut avoir trois robes, une dorée comme le soleil, une argentée comme la lune, et une brillante comme les étoiles : en outre j'exige un manteau fait de mille peaux et de mille fourrures, pour lequel chaque animal de votre royaume devra donner un morceau de sa peau... » (Peaux-de-Mille-Bêtes)

    Contes ; Jacob et Wilhelm Grimm

    Publié en 1976

    Date de publication originale en Allemagne : 1812

    Date de publication originale en France : ?

    Titre d'origine : Kinder und Hausmärchen

    Editions Folio (collection Classique) 

    404 pages 

    Résumé :

    Des contes de Grimm, on ne connait guère en France que les plus célèbres, encore est-ce la faveur d'une confusion, puisque, pour le grand public, ils appartiennent bien plus au monde du dessin animé qu'aux deux savants allemands qui les ont révélés pour les sauver de l'oubli.
    Pourtant, tels que les frères Grimm les ont patiemment recueillis et transcrit, ils sont une des sources les plus profondes du romantisme allemand et ont droit à une place de choix dans la littérature universelle. Si humbles soient-ils à l'origine, ils lui ont en effet fourni non seulement le "il était une fois" qui est le début de tout roman, mais d'inépuisables sujets de réflexion sur ces commencements et ses fins : les contes de Kafka seraient pour une part inconcevables sans ce qu'ils doivent aux Märchen, et Brecht avait de très bonne raisons d'imiter Grimm dans l'un de ses plus beaux poèmes.

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Rien ne prédestinait ces deux frères, scientifiques de formation, à devenir auteurs -ou collecteurs- de contes. Et puis il y'a eu la volonté de sauver et pérenniser des œuvres de folklore de leur pays. Cela dit, bibliothécaires, philologues, mythographes et linguistes de formation, leur métier les portait finalement vers les légendes et les mythes divers et variés. Nés en 1785 et 1786 à Hanau, en Allemagne, Jacob et Wilhelm commencèrent vers l'âge de trente ans, au début du XIXème siècle la collecte de contes ancestraux qu'ils mirent par écrit -car bien souvent, les contes sont des légendes orales que l'on se raconte aux veillées, pour se faire peur ou bien pour édifier. Ils les publièrent sous le titre de Kinder und Hausmärchen (Contes de l'Enfance et du Foyer), une première fois en 1812 puis, l'édition qui devait être celle des Contes sera finalement publiée en 1857. 
    Tous les pays, toutes les régions, ont leurs mythes et leurs légendes propres. Ainsi, entre la France et l'Allemagne, le folklore ne diffère pas beaucoup et l'on retrouve donc pas mal de similitudes entre les Contes des frères Grimm et les Contes de Perrault : le Petit Chaperon Rouge, Cendrillon, Peau d'Âne, la Belle au Bois Dormant sont ainsi des sujets d'inspirations communs à l'auteur français et aux auteurs germaniques. 

    Aujourd'hui, tous ces contes sont encore édités mais on les connaît surtout grâce à l'industrie du cinéma, qui s'en empara au XXème siècle pour en faire des dessins animés à succès. Et si nous sommes finalement si familiers des personnages encore de nos jours -qui ne connaît pas Cendrillon ? Blanche-Neige ?-, c'est certainement grâce à ces films d'animation, certes édulcorés, pour correspondre à un jeune public mais qui n'ont pas moins permis de conserver encore d'une autre manière ces histoires merveilleuses dont l'origine remonte, pour certaines, au Moyen Âge. 
    Bien évidemment, dans ces contes, le merveilleux est partout : princesses belles comme le jour, jeunes princes intrépides, princesses emprisonnées dans le corps de différentes bêtes à cause de charmes, hommes sauvages, géants, roi aux pouvoirs immenses, riches et pauvres, dont les mondes se télescopent sans cesse. Porteurs de morales ou pas, ces contes servent bien sûr à édifier mais aussi à raconter de jolies histoires, même si elles ne sont jamais de tout repos et que le héros, avant d'arriver à son but -qui est bien souvent le mariage avec la belle princesse, conte oblige-, va devoir traverser bien des embûches qui prennent bien souvent la forme d'une quête initiatique. Les contes, c'est aussi un affrontement incessant entre le Bien et le Mal et même si ce dernier semble parfois gagner, c'est le Bien, à force de ruses, qui va réussir à le terrasser. 
    Manichéisme assumé et pressenti de toute façon par le lecteur, mais qui ne choque pas, car nous sommes ici dans des récits merveilleux qui s'y prêtent et permettent aussi d'une certaine façon, à ceux qui les lisent ou qui les écoutent, de comprendre quels sont les avantages d'être attiré par le Bien et les inconvénients à l'être par le Mal, car, même si ce dernier peut s'avérer particulièrement tentant, ceux qui ont l'âme noire finissent toujours par être punis par ceux qui sont restés purs : ainsi de la vilaine et jalouse reine de Blanche-Neige, des deux sœurs cupides et méchantes dans Cendrillon, des parents ingrats qui préfèrent abandonner leur progéniture ou la punisse trop sévèrement, ceux qui sont par trop ambitieux...A l'inverse, les jolies princesses sacrifiées et amoureuses se voient finalement ouvrir devant elles des destins certes tous tracés mais heureux, avec l'élu de leur cœur, dans un beau château et régnant sur un royaume prospère. 
    Les Contes, c'est finalement un bon moyen de retomber en enfance même si nous avons ici, en quelque sorte, des contes pour adultes, qui ne sont pas édulcorés et peuvent paraître parfois un peu violents et sombres, comme la fin de Blanche-Neige, par exemple, qui n'est pas celle de Disney. Mais, en même temps, l'enfance est intimement liée à ces récits en tous genre qui nous bercent pendant de nombreuses années et flirtent toujours plus ou moins avec le merveilleux. Les Contes, que ce soient ceux-ci ou ceux de Perrault, sont indémodables et se laissent lire avec un plaisir certain.

    Contes ; Jacob et Wilhelm Grimm 

    Blanche-Neige tentée par les marchandises de la méchante sorcière grimée en commerçante

    En Bref :

    Les + : des classiques oniriques, qui font voyage et retomber en enfance. Indémodables.
    Les - :
    des redondances (mais cela fait aussi partie du jeu).

     


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  • « Les natures honnêtes ont cette grâce merveilleuse de mettre de leur honnêteté dans tout ce qu'elles touchent. »

    Le Ventre de Paris ; Emile Zola

    Publié en 2002

    Date de parution originale : 1873

    Editions Folio (collection Classiques) 

    480 pages

    Troisième tome de la série Les Rougon-Macquart

     

    Résumé :

    Le Ventre de Paris, ce sont les Halles, avec leur « souffle colossal épais encore de l'indigestion de la veille », leurs montagnes de mangeailles, de viandes saignantes, « de choses fondantes, de choses grasses », de « gredins de légumes » d'où monte « le râle de tous les potagers de la banlieue ». « L'idée générale, écrit Zola, est le ventre, la bourgeoisie digérant, ruminant, la bête broyant le foin au râtelier, la bedaine pleine et heureuse se ballonnant au soleil ». Aux « Gras » s'opposent les « Maigres » : Florent, un proscrit du 2-Décembre revenu à Paris, qui fomente un complot contre le régime et sera dénoncé par Lisa, sa belle-sœur, une charcutière au grand calme repu. Florent retourne en prison et c'est à son ami Claude Lantier, le futur héros de L'Oeuvre, que revient, que revient le mot de la fin : Quels gredins que les honnêtes gens !

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Le Ventre de Paris est le troisième volume des Rougon-Macquart, après La Fortune des Rougon et La Curée. C'est le second à se passer à Paris, mais c'est surtout le premier à traiter de ces classes populaires que Zola n'a pas cessé de dépeindre, ensuite, dans le reste de sa série. Avant les mineurs de Germinal, les paysans de La Terre, les soldats de La Débâcle, les cheminots de La Bête Humaine, Le Ventre de Paris brosse, lui, un portrait de ces commerçants des Halles de Paris. Les Halles, qui furent réaménagées et modernisées sous le Second Empire, notamment grâce aux pavillons de verre et de fer de Victor Baltard. C'est dans ce monde grouillant de nourriture que dégringole Florent, proscrit du 2-Décembre 1851. Ancien professeur, peinant à joindre les deux bouts et ayant à sa charge son jeune frère, venu du Midi après la mort de leur mère, Florent se trouvait, comme on dit, au mauvais endroit et au mauvais moment. Attrapé dans les rues de Paris après des émeutes en ayant le sang d'une jeune femme sur les mains, il est arrêté manu militari et envoyé au bagne à Cayenne. Le bagne, dont il parvient à s'échapper après sept années. C'est là qu'il tombe dans ce Paris qui change tout doucement, sous l'impulsion de Napoléon III, qui cherche à moderniser mais aussi à assainir sa ville, en faisant tracer de grands boulevards et avenues. Aux Halles se vendent tout un tas de choses, venues de la proche banlieue, encore très rurale à l'époque ou de plus loin encore : ainsi, on y trouve des fleurs, mais aussi des fruits et des légumes, du beurre, des fromages, des gibiers à poils et à plumes, des volailles, des poissons d'eau douce ou de mer. Près des Halles, des commerces se sont développés et c'est là que Florent retrouve son frère, Quenu, devenu un charcutier prospère. Ce Quenu, aussi gras et repu que son frère est maigre et affamé possède une belle boutique, une belle demeure, une clientèle fidèle et, surtout, une famille qui fait sa fierté : il est marié à la belle Lisa, mère de sa fille Pauline.

    Le Ventre de Paris ; Emile Zola

    « [...] et il aperçut une femme, sur le seuil de la boutique, dans le soleil. Elle mettait un bonheur de plus, une plénitude solide et heureuse, au milieu de toutes ces gaietés grasses. » (Chapitre I)


    C'est par Lisa, bien que Florent soit le personnage principal du roman, que nous faisons le lien avec les Rougon-Macquart. En effet, après avoir découvert, dans La Fortune des Rougon et dans La Curée, les personnages de la famille Rougon, c'est au tour maintenant des Macquart, la branche bâtarde. Lisa est la fille d'Antoine, qui est, lui, le fils d'Adélaïde Fouque et du contrebandier Macquart et le demi-frère de Pierre Rougon qui, à la faveur du coup d'état de Napoléon III pour restaurer l'Empire, parvient à se faire une place au soleil, à Plassans, la petite ville du Midi dont la famille est originaire. Dans La Curée, c'était le cousin de Lisa, le fils de Pierre, Aristide, financier véreux, qui était au centre du récit. Ici, nous faisons donc connaissance avec la branche plutôt infortunée de la famille, même si, finalement, la vie a plutôt souri à Lisa, soustraite très jeune à l'influence familiale pour monter à Paris. Elle est la soeur de Gervaise, la pauvre lingère de L'Assommoir et de Jean, que l'on retrouvera dans La Terre et La Débâcle. En effet, alors que son frère et sa soeur connaîtront un destin plutôt difficile voire malheureux, Lisa, elle, est heureuse dans sa vie et a été surnommée, dans le quartier, « la belle Lisa », pour sa beauté grasse et tranquille de femme honnête. Tranquillité et honnêteté qui ne vont, bien sûr, pas sans quelques jalousies et commérages...
    Installé chez les Quenu, Florent trouve une place aux Halles, devient inspecteur mais une haine farouche envers le régime qui l'a envoyé au bagne, le ronge encore. C'est alors que, progressivement, il va glisser vers l'insurrection, vers le complot, se réunissant dans un café du quartier des Halles avec une bande d'énervés ou d'inconscients qui rappelle un peu -sur certains points mais pas tous cependant-, la société du salon jaune dans La Fortune des Rougon. Et Lisa, qui craint pour l'intégrité de sa famille, sa prospérité, l'avenir de sa charcuterie et qui semble un peu plus clairvoyante que son époux, va dénoncer son beau-frère aux autorités...
    Le Ventre de Paris m'avait fait forte impression lors de ma première lecture, impression très positive qui s'est confirmée lors de cette relecture. J'ai toujours préféré aux romans, disons « bourgeois » de Zola, ceux qu'on pourrait qualifier de « populaires », même si lors de ces relectures, j'ai trouvé à La Curée des qualités indéniables que je n'avais pas su forcément percevoir la première fois que je l'ai lu. J'avais trouvé cette peinture du peuple des Halles tout à fait réussie, grâce à force descriptions exhaustives qui nous permettraient presque de toucher du doigt le soyeux des fleurs et des fruits et sentir les odeurs fortes des fromages et de la marée. Aux Halles se côtoient des marchands prospères et d'autres qui le sont moins et les clients sont soit des commerçants du quartier -les Quenu, les Taboureau- ou bien des gens avec moins de moyens comme la sournoise --mais au fond, touchante- Mlle Saget.
    Le Ventre de Paris, c'est aussi le roman de l'abondance opposé à la restriction, la lutte latente entre les Gras et les Maigres, les Gras méprisant les Maigres, les Maigres jalousant les Gras. C'est le roman de la nourriture, elle y est au centre et occupe la place d'un personnage à part entière, déterminant fatalement les relations humaines. C'est le roman de la prospérité qui s'oppose à la déchéance et, finalement, on en revient à cette lutte immémoriale des pauvres contre les riches et des riches contre les pauvres. A travers des personnages truculents Zola s'emploie encore une fois, après avoir montré la décadence de la société impériale dans La Curée, à dénoncer le régime dont il fut tout sauf un fervent défenseur en montrant les inégalités sociales dans toute leur crudité, inégalités qui le révoltent et qu'il n'aura finalement de cesse de dénoncer, lui le romancier à succès mais qui n'oublia pas ses origines modestes.

    Le Ventre de Paris ; Emile Zola

    Les Halles de Paris en 1895 par Léon Augustin Lhermitte

     

    En Bref :

    Les + : les personnages très travaillés, le cadre bien décrit, l'intrigue en elle-même.
    Les - :
    Aucun. 

     

    Adieu, mon Unique ; Antoine Audouard

     

    Coup de cœur 


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  • « Ses baisers fleurissaient et se fanaient, comme les fleurs rouges de la grande mauve, qui durent à peine quelques heures, et qui renaissent sans cesse, pareilles aux lèvres meurtries et insatiables d'une Messaline géante. »

    La Curée ; Emile Zola

    Publié en 2009 

    Date de parution originale : 1872

    Editions Le Livre de Poche ( collection Les Classiques de Poche) 

    416 pages

    Deuxième tome de la série Les Rougon-Macquart

     

    Résumé :

    A la fin d'une chasse, pendant la curée, les chiens dévorent les entrailles de la bête tuée. Pour le jeune Zola, qui déteste son époque, c'est le cœur de Paris, entaillé par les larges avenues de Napoléon III, que des spéculateurs véreux s'arrachent. Ce deuxième volume des Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire, est l'un des plus violents. Zola ne pardonne pas ces fortunes rapides qui inondent les allées du Bois d'attelages élégants, de toilette de Worms et de bijoux éclatants. Aristide Saccard a réussi. Mais tout s'est dénaturé autour de lui : son épouse, Renée, la femme qui se conduit en homme, si belle et désœuvrée ; son fils, Maxime, l'amant efféminé de sa belle-mère. On accusa Zola d'obscénité. Il répliqua : « Une société n'est forte que lorsqu'elle met la vérité sous la grande lumière du soleil. »

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Après la pose des fondations dans La Fortune des Rougon, premier tome de la série et qui montre la lente ascension, à Plassans, de la famille Rougon au détriment de sa branche bâtarde, les Macquart, nous voici maintenant à Paris, quelques mois, quelques années après ce fameux coup d'Etat de Napoléon III qui se trouvait au centre du récit dans le premier tome. Aristide Rougon, fils de Pierre et Félicité -qui ont profité des troubles dans leur ville provençale pour se tailler une belle part dans la nouvelle administration et, ainsi, s'assurer une belle petite fortune-, est arrivé à Paris avec femme et enfants. Frère d'un ministre de Napoléon III, cela ne l'empêche pas pour autant de...galérer pas mal à son arrivée dans la capitale. Et puis, doucement, la roue va tourner parce qu'Aristide, qui se rebaptise en Saccard, un nom qui sent l'argent, que dis-je, la fortune - « il y a de l’argent dans ce nom là ; on dirait que l’on compte les pièces de cent sous » -, perd sa première femme, Angèle Sicardot, Provençale comme lui et mère de ses deux enfants, Maxime, resté au collège à Plassans et la petite Clotilde, toute jeune encore et qui va être confiée à son oncle, le docteur Pascal -on la retrouvera, adulte, dans Le Docteur Pascal, le dernier tome de la série. C'est alors que sa sœur Sidonie va lui parler des Béraud du Châtel...Le père, veuf depuis de nombreuses années, a deux filles, Renée et Christine. Il se trouve que l'aînée, la jeune Renée a été, aux portes de l'âge adulte, outragée par un homme et laissée enceinte de ses oeuvres. L'homme, marié, ne peut réparer et c'est finalement le rôle de doublure que Sidonie Rougon propose à son frère. Aristide va endosser le rôle de l'agresseur et épouser la jeune Renée : non seulement il la sauve, elle, du déshonneur, mais fait une affaire car les Béraud du Châtel sont fort riches. Commence alors une vie de spéculations et de magouilles financières pour Saccard, qui poursuit son vieux rêve de devenir riche, immensément riche. Et, pendant qu'il court la capitale, ce vieux Paris qui n'en a plus pour longtemps et qu'il va joyeusement dépecer pour s'y tailler, comme ses parents l'ont fait à Plassans, la part du lion, sa jeune épouse, Renée, jeune femme à la tête un peu fragile et qui s'ennuie, va tomber entre les bras du fils de Saccard, Maxime, arrivé de sa province et qui devient bientôt la coqueluche de ces dames, marquises, comtesses ou cocottes qui peuplent le Paris du Second Empire et les entours du couple impérial. Mais surtout, Maxime, avec son tempérament de fille languissante, va devenir l'amant de sa belle-mère, à peine plus vieille que lui, très belle mais qui se conduit exactement comme le ferait un homme.

    La Curée ; Emile Zola

    Une réception aux Tuileries sous le Second Empire


    C'est l'histoire de cet inceste, mais aussi celle des dernières années du vieux Paris que Zola se propose de nous raconter dans ce roman. La Curée est, et restera, parmi les romans de la série, de ceux qui m'ont le moins emballée lors de ma première lecture et qui ne fait pas partie de mes préférés de la série. Mais attention, je ne dirais pas que je ne l'ai pas aimé car ce n'est pas le cas, bien au contraire, et, rien que pour le style, c'est toujours un plaisir que de se plonger dans un roman de Zola. Si je veux être juste, je dois dire que j'ai même pris plus de plaisir à cette seconde lecture mais il est vrai que je préfère ses romans plus populaires -si je puis dire-, comme Le Ventre de Paris, L'Assommoir, Germinal ou bien encore La Terre, des romans forts, percutants, qui m'ont complètement happée lorsque je les ai lus et dont j'ai encore des images bien imprimées dans ma mémoire. Zola excelle en effet dans la description du peuple et je pense que c'est pour cela que je garde encore de très forts souvenirs de ces romans-là. Pour autant, j'ai pris cette fois le temps de redécouvrir La Curée voire de découvrir certains aspects qui auraient pu m'échapper lors de cette première lecture que j'avais effectuée alors que j'étais beaucoup plus jeune. Il est sûr que ce roman est particulièrement complexe et assez difficile à analyser...la notion de déchéance, de fin, y est très présente, ce qui peut parfois déranger, dans le sens où cela donne au récit une lourdeur quelque peu sinistre -mais qui, paradoxalement, fait aussi son charme. Dérangeant aussi, l'inceste qui unit Renée et Maxime même si, à mon sens, Zola décrit là l'une des plus fortes histoires d'amour de notre répertoire littéraire. Histoire amoureuse qui n'a pas peur d'être charnelle, même si l'acte sexuel en lui-même n'est pas vraiment décrit mais que l'on voit transparaître à travers les lignes. Dérangeante, cette histoire, pour nous, lecteurs du XXIème siècle car l'inceste est un acte que nous condamnons fermement -à raison bien sûr-, mais il ne faut pas perdre de vue que ce ne fut pas toujours le cas et, en cela, l'histoire entre la belle-mère et son beau-fils s'inscrit dans une sorte d'intemporalité, d'universalité qui rapproche ces amants du Second Empire des affres des protagonistes de Phèdre ou d'autres tragédies antiques. Les deux personnages principaux, Renée et Maxime, sont finalement très complexes, malgré leur superficialité de façade. Renée s'avère être un personnage particulièrement tourmenté, fragile, presque fou, qui se dissimule sous les froufrous et les crinolines d'une dame de la bonne société tandis que Maxime, sous ses airs efféminés, s'avère être un personnage très fin, qui sait ce qu'il fait et n'agit jamais vraiment au hasard, cherchant toujours son intérêt. Sur la quatrième de couverture de cette édition, il est dit que La Curée est l'un des romans les plus violents de la série...Rien à voir avec la violence physique que l'on peut retrouver dans Germinal ou dans La Terre, un peu plus loin dans la série, mais une violence latente, une violence psychologique, oui, peut-être, en effet. Les personnages se détruisent en s'aimant, se détruisent à force de chercher la fortune et, par là, détruisent aussi leur ville, perçant dans ses anciennes rues des grands boulevards et avenues...Période de destruction que ce Second Empire sous la plume de Zola et qui est bien plus efficace, à mon avis, qu'une diatribe enflammée contre le régime. Zola s'indigne, pas directement mais au contraire avec beaucoup de pudeur, il s'indigne de la déréliction de la société dans laquelle il vit et dont il est un spectateur objectif et plutôt éclairé, il s'indigne de ce que Napoléon III a fait de son pays, de sa capitale, il s'en inquiète aussi, certainement et c'est comme si, dans La Curée, le pressentiment de la chute honteuse de l'Empire, advenue un avant la publication du roman, prenait corps dans cette société pervertie et qui se dévore et se consume lentement. Zola n'en livre un roman que plus fort et percutant qui peut, aujourd'hui, résonner encore à nos oreilles contemporaines et nous amener à nous interroger sur la fragilité de la civilisation et donc, de la société.

     

    La Curée ; Emile Zola

    Percement d'une nouvelle artère entre la Rue de l'Echelle et la Rue Saint-Augustin 

    En Bref :

    Les + : un récit complexe, des descriptions riches, un style inimitable.
    Les - :
    je cherche...et même si La Curée ne fait pas partie de mes favoris, je n'en ai pas trouvé.

     


    2 commentaires


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