• « Chaque fois qu'elle pensait aux mots que Jonathan avait écrits, elle éprouvait une bouffée de profond chagrin, furieuse et indignée que le monde se soit révélé aussi laid et aussi cruel, alors qu'Alice lui avait appris à penser qu'il était juste et beau. C'était un sentiment froid et écrasant.   »

    La Vérité à propos d'Alice ; Katherine Webb

     

    Publié en 2013 en Angleterre ; en 2016 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Misbegotten

    Editions Pocket

    667 pages 

    Résumé :

    Angleterre, 1821. En épousant Richard, Rachel Crofton croyait enfin échapper à son destin de gouvernante. Mais derrière le commerçant affable se cache un homme colérique et opportuniste...Pour tromper l'ennui, Rachel accepte la proposition de lady Alleyn de lui faire rencontrer son fils reclus, Jonathan, vétéran de la guerre d'Espagne. Dès sa première visite, Rachel comprend que les apparences masquent de profondes failles : pourquoi Jonathan réagit-il si vivement à sa vue ? Qui était Alice, sa fiancée disparue et à qui Rachel ressemble si fortement ? 
    Décidée à percer le secret de la maison Alleyn, Rachel n'a bientôt plus qu'une idée en tête : découvrir la vérité à propos d'Alice...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1821, à Bath, Rachel Crofton épouse Richard Weekes. Mal mariée, la jeune femme s'ennuie rapidement, d'autant plus que son époux s'avère colérique et un peu trop porté sur la boisson...
    Présentée à Mrs Alleyn, dont le fils Jonathan, est revenu extrêmement diminué de la campagne en Espagne en 1808-1809, Rachel fait un effet étrange à cette famille... Qui est cette Alice dont personne ne veut parler -hormis la servante, Starling, qui a passé son enfance avec elle- et à qui Rachel ressemble étrangement, au point que tous ceux qu'elle rencontre et qui ont connu Alice sont troublés ? Quel secret entoure la disparition de cette jeune femme, au point de faire voler en éclats les vies de ceux qui l'ont connue et aimée et cherchent à savoir ce qui lui est arrivé ? A-t-elle quitté la région ? Ou bien est-elle est morte ?
    Quant à Rachel, le mystère qui entoure la disparition d'Alice lui ramène à l'esprit un événement bien triste, survenu dans son enfance et qui menace de la submerger de nouveau. En devenant lectrice de Jonathan Alleyn, Rachel parviendra-t-elle à en apprendre un peu plus sur Alice et cela lui permettra-t-il aussi de trouver la paix de son côté ?
    Dans une Angleterre géorgienne pleine de préjugés, encore marquée par la désastreuse campagne d'Espagne de 1812, évoluent des personnage bien plus torturés et hantés par leurs secrets et leurs agissements passés qu'on ne le croit au premier abord, pour donner finalement une intrigue parfaitement ficelée, haletante et qui monte en puissance jusqu'à la révélation finale qui balaye tout sur son passage, les morts comme les vivants...
    Ce roman m'a fait l'effet d'être un savant mélange entre Jane Austen et Emily ou Charlotte Brontë. Jane Austen pour l'univers : les salons, les bals, les réceptions, les tenues des dames, les demeures... On est dans Orgueil et Préjugés, dans Persuasion, dans Lady Susan... Et j'évoque les soeurs Brontë parce que l'ambiance que l'auteure applique à son intrigue et très sombre par moments et on a d’ailleurs l'impression de naviguer dans un brouillard opaque et noir, qui met mal à l'aise.
    D'ailleurs, j'ai trouvé intéressant que l'auteure choisisse cette époque - là pour situer son intrigue parce que, finalement, hormis dans les classiques du XIXème siècle, l'époque victorienne est souvent préférée à l'époque géorgienne alors que celle-ci est finalement très intéressante aussi, à bien des égards...
    Par certains aspects, le roman de Katherine Webb m'a aussi rappelé Belgravia, de Julian Fellowes : les personnages, l'intrigue, articulée autour d'une secret, se ressemblent un peu.
    La Vérité à propos d'Alice n'est pas un récit extrêmement optimiste et la mort n'est jamais loin, que ce soit celle, possible, d'Alice ou celles qui, comme Jonathan Alleyn, hantent les soldats depuis la guerre d'Espagne, dix ans plus tôt...
    Et pourtant, il est difficile de lâcher le roman une fois qu'on a commencé ! L'envie de connaître la suite et le dénouement final vient très vite et, si j'ai mis du temps à m'attacher aux personnages, même à Rachel, malgré tout mon intérêt n'a jamais flanché... Moi aussi j'ai cherché à comprendre ce qui avait pu arriver à Alice, cette mystérieuse jeune femme sur laquelle on ne sait que peu de choses mais qui semble profondément aimable et gentille... Qui est-elle réellement, cette fameuse Alice ? Rapidement, on comprend qu'elle a peut-être une importance qu'elle - même ne soupçonne pas et un passé peu évident, malgré son jeune âge.
    Au-delà de ça, Katherine Webb nous livre une description fine, une analyse presque psychologique de ses personnages qui, on s'en rend compte vite, ont tous quelque chose à cacher ou des secrets qui les rongent... Aucun n'est serein, pour différentes raisons mais celles-ci, quelles qu'elles soient dépeignent bien la fragilité et les limites humaines.
    J'ai trouvé aussi que La Vérité à propos d'Alice était un roman violent à bien des égards : violence physique, violence psychologique mais aussi violence de la vie, tout simplement, car à Bath au début des années 1820, cohabitent très riches et très pauvres, vivant dans la misère la plus noire.
    Mais finalement, plus que cela, c'est vraiment l'histoire intime, entre les personnages, qui m'a plu... Je me dis que, finalement, cette histoire aurait pu me plaire située à n'importe quelle époque... Ce qui est intéressant finalement c'est de voir comment chacun des protagonistes va vivre avec ses propres secrets, parfois sa culpabilité ou son désir de vengeance, au point d'être bientôt déterminé et presque piloté par eux, comme Duncan Weekes, le beau - père de Rachel, ravagé par ce qu'il a vu et qu'il n'aurait jamais dû voir, Starling que sa haine et son désir de savoir maintiennent debout et en vie après qu'elle ait tout perdu, Jonathan Alleyn, revenu presque fou d'un conflit qu'il ne peut oublier et dont les images le rongent au plus profond de lui.
    La Vérité à propos d'Alice est un gros roman, très dense et qui demande une certaine concentration parce qu'il y'a beaucoup de choses à assimiler et parce qu'un même événement peut être vu par les yeux de personnages différents...
    Enfin, le récit ne cesse d'aller et venir dans le temps. Ainsi, on comprend mieux aussi comment on en est arrivé là, on pressent ce qui va arriver, presque inéluctablement... On découvre Alice encore adolescente, alors que sa passion fulgurante de jeunesse, à laquelle elle ne veut renoncer est en train de transformer son destin, pour son malheur. On découvre Starling, mystérieuse petite fille dont on ne sait rien et qui est recueillie par Alice. On suit Jonathan Alleyn dans l'horreur complète du conflit espagnol...
    Il y'a beaucoup de choses à assimiler dans ce roman et il faut prendre son temps mais au final, on ne le voit pas passer !
    C'est le troisième Katherine Webb que je lis, après L'Héritage et Pressentiments, qui m'avaient un peu rappelé les romans de Kate Morton...Là on est dans quelque chose de légèrement différent même si on retrouve le secret en colonne vertébrale du récit... Je crois pouvoir dire que La Vérité à propos d'Alice est le roman de l'auteure qui m'a le plus plu et m'a paru peut-être le plus abouti, le plus maîtrisé. L'intrigue est bien ficelée, cohérente, compliquée... Elle nous perd en tours et détours pour finalement mieux nous retrouver et fait naître chez le lecteur tout un tas de sentiments et émotions divers.
    Ma première lecture de 2019 n'est pas un coup de cœur mais il s'en est fallu de peu. C'est une excellente découverte.

    En Bref :

    Les + :  une intrigue bien ficelée, originale, intéressante, où le drame n'est jamais loin mais la romance aussi...Une belle histoire. 
    Les - : 
    peut-être le début, que j'ai trouvé légèrement trop lent, m'a-t-il fait passer près du coup de cœur sans me le faire toucher du doigt. A part ça, rien à reprocher à ce roman.


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  • « Entre complots, exécutions et maladie, la Cour n'était plus que l'ombre d'elle-même. »

    Mademoiselle de Pâquelin ; Jocelyne Barthel

     

    Publié en 2017

    Editions Pocket

    1052 pages 

    Résumé :

    1571. Demoiselle d'honneur de la reine mère ! Pour une jeune aristocrate de province, le privilège est de taille. N'emportant dans ses malles que son bichon maltais et toute la naïveté de ses dix-huit ans, Corine de Pâquelin découvre ainsi la Cour - ses fastes et ses mensonges, ses splendeurs et ses ombres. Car auprès de la perfide Catherine de Médicis, catholiques et huguenots se livrent d'obscures luttes d'influence...On annonce, avant peu, le mariage de Margot et d'Henri de Navarre. Pour Corine, l'amour prend les yeux d'un gentilhomme protestant. Leur lune de miel sera rouge, du sang versé sur les pavés du Louvre...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1571, la jeune Corine de Pâquelin, fraîchement débarquée de sa ville natale de Mons, devient fille d'honneur de la reine-mère, Catherine de Médicis. A dix-huit ans à peine, elle découvre la plus florissante des Cours d'Europe, celle des Valois. Jeune, dynamique, avide de plaisirs, c'est une Cour pleine d'attraits pour une jeune provinciale mais aussi pleine de dangers et de pièges, entre lesquels Corine va devoir louvoyer... Car en ce début des années 1570, si les conflits religieux semblent en sommeil, ils n'en existent pas moins pour autant et catholiques et protestants se méfient les uns des autres. A la Cour, la reine-mère tente, par un subtil jeu des alliances, de maintenir comme elle peut l'équilibre du pays, tandis que l'amiral de Coligny, chef de file des huguenots, a de plus en plus l'oreille du roi. En 1571, enfin, il est question d'un mariage sans précédent, celui d'une princesse catholique avec un prince protestant : Marguerite de Valois avec Henri de Navarre.
    Entre les châteaux du Val de Loire et Paris, Corine apprend petit à petit les rouages et le protocole de la Cour de France... Et, alors que la reine de Navarre Jeanne d'Albret arrive auprès de Catherine de Médicis, les regards de Corine sont attirés par un jeune noble béarnais, Quentin de Gayrand. Seulement, elle est une catholique fervente et le jeune homme, un farouche calviniste. Et alors que l'Histoire s'accélère et que la France vacille de plus en plus au bord du gouffre, les deux jeunes gens parlent avenir... Mais quel avenir y'a-t-il pour eux dans un royaume où les mariage mixtes sont mal vus voire pas reconnus du tout ? Vers quelles embûches avancent-ils de concert ?
    Même si le schéma de départ n'est, en soi, pas forcément spectaculaire avec cette histoire d'amour compliquée entre deux personnes qui ne devraient pas s'aimer (c'est Roméo et Juliette, Scarlett O'hara et Rhett Butler, Arletty et Soehring), Mademoiselle de Pâquelin est un grand roman historique, une grande fresque qui nous emmène, sur plusieurs années, des prémices de la Saint-Barthélémy jusqu'à la fin des années 1570 et même plus loin, si on compte l'épilogue où, en quelques pages, l'auteure nous brosse un portrait des décennies suivantes et des destinées des personnages historiques authentiques. Plusieurs années qui vont changer à jamais le visage de la royauté française et laisser une trace indélébile sur son Histoire.

    Description de cette image, également commentée ci-après

    Le massacre de la Saint-Barthélémy, par François Dubois (XVIème siècle)


    Très dense, le roman fait un peu plus de mille pages, c'est donc un bon pavé. Si le début commence avec assez de dynamisme, malheureusement je dirais que le roman a les défauts de ses qualités et, avec un tel nombre de pages il est difficile de ne pas déceler quelques longueurs de temps en temps... Ou alors il faut s'appeler Tim Willocks, qui vous embarque dans des intrigues ultra-denses et qui n'ennuient jamais mais, justement, tout le monde ne s'appelle pas Tim Willocks !
    Bref... A part ça, j'ai été très agréablement surprise par l'impeccable restitution du contexte ! On s'y croirait et on sent derrière le roman des recherches en béton en amont... Mais Jocelyne Barthel est archiviste, elle a dû être donc, au cours de sa carrière, en contact avec l'Histoire et ses témoins : les sources. Du coup même si Mademoiselle de Pâquelin est son premier roman, on sent une certaine assurance de sa part et j'ai vraiment beaucoup aimé ! Même si le roman est surtout basé sur la romance entre Corine et Quentin, le fait qu'elle soit étayée par un contexte parfaitement décrit ne gâche rien, au contraire ! Et Jocelyne Barthel n'oublie rien : les rivalités fraternelles entre les fils de la toute puissante Italienne, Catherine de Médicis qui continue de tenir le royaume sous sa coupe, les rivalités amicales et amoureuses aussi, la fragilité de Charles IX, les ambitions du duc d'Anjou, futur Henri III, chef du parti catholique et soutenu par sa mère, les heurts avec la jolie Margot, qui a un caractère bien trempé, les subtiles et sournoises politiques de balance pour satisfaire les catholiques comme les huguenots, les alliances qui se font et se défont, les batailles, le massacre de la Saint-Barthélémy...Tout y est ! C'est les films La Reine Margot  et La Princesse de Montpensier mélangés ! C'est très vivant, très visuel en un mot, très agréable à lire.
    Malgré tout, j'ai fini par trouver le roman extrêmement long et je ne sais pas si 1052 pages étaient nécessaires pour raconter cette histoire... Beaucoup de passages sont superflus et, à mon sens, n'apportent pas forcément à l'intrigue. Mademoiselle de Pâquelin est un bon roman historique, je ne peux pas le nier et d'ailleurs j'ai pris grand plaisir à le découvrir et je suis bluffée par la manière dont l'auteure s'est documentée et a intégré un contexte riche à sa romance. Mais c'est un roman un peu inégal par moments et qui a su me captiver autant qu'il m'a ennuyée parfois. Cette plongée en pleine Renaissance a été passionnante à bien des égards et même si je sors de cette lecture légèrement mitigée, je ne la regrette pas et la conseille aux amateurs de romance un peu compliquée sur fond historique... Si vous n'avez pas peur des happy end et que vous aimez l'Histoire alors cette lecture pourra assurément vous convenir

    Résultat de recherche d'images pour "tableau fête à la cour d'henri III"

     La Cour de France sous le règne d'Henri III (peinture de l'école flamande, 1581)

    En Bref : 

    Les + : une réelle plongée dans la France du XVIème siècle, entre fastes, magnificence et chausse-trappes, dans le sillage d'un personnage féminin intéressant et attachant...
    Les : 
    ...mais un roman malgré tout très long et un peu inégal. En ce qui me concerne, j'ai alterné entre intérêt et ennui et ma lecture en a pâti. 

     

    Thème de janvier « All you need is love », 1/12


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  • « Le hasard, c'est un coup de pied dans le cul que la vie te donne pour te faire avancer. Le hasard, dans le monde des adultes, c’est une possibilité qu’il ne faut pas gâcher. »

    Publié en 2008 en Italie ; en 2017 en France (pour la présente édition)

    Titre original : La Gang dei Sogni

    Editions Pocket

    945 pages

    Résumé :

    New York ! En ces tumultueuses années 1920, pour des milliers d'Européens, la ville est synonyme de « rêve américain ». C'est le cas pour Cetta Luminita, une Italienne qui, du haut de son jeune âge, compte bien se tailler une place au soleil avec Christmas, son fils. Dans une cité en plein essor où la radio débute à peine et le cinéma se met à parler, Christmas grandit entre gangs adverses, violence et pauvreté, avec ses rêves et sa gouaille comme planche de salut. L'espoir d'une nouvelle existence s'esquisse lorsqu'il rencontre la belle et riche Ruth. Et si, à ses côtés, Christmas trouvait la liberté, et dans ses bras, l'amour ? 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Best seller ces deux dernières années en France et sorti depuis dix ans déjà en Italie, Le Gang des Rêves a hissé son auteur au rang des écrivains qui comptent. Aujourd'hui, la littérature italienne est consubstantielle avec l'oeuvre d'Elena Ferrante mais pas que ; elle l'est aussi de celle de Luca Di Fulvio.
    Il a été comparé à Scorcese et son roman à Gangs of New York, c'est dire ! Il a été encensé par la critique, les lecteurs du monde entier et les blogueurs.
    Pour moi, c'est la définition même du phénomène, qui devient viral, grâce à internet et les réseaux sociaux... Je vais être honnête, je n'aurais pas autant croisé Le Gang des Rêves il y'a un peu plus d'un an et demi sur Instagram, peut-être ne m'y serais-je jamais intéressée. Certainement, même.
    J'ai ceci dit beaucoup hésité avant de me lancer... Et même après avoir acheté le roman, il a dormi un bon moment dans mes bibliothèques. Pourquoi ? Parce que je me méfie du phénomène, en général. Parfois, je suis la tendance et le coup de cœur est au rendez-vous pour moi aussi : ça a été le cas avec La Voleuse de Livres en 2015. Mais il m'est arrivé aussi d'être légèrement déçue alors que j'étais fermement convaincue d'être séduite : c'est ce qui s'est passé avec La Part des Flammes, qui est un très bon roman historique, bien écrit mais qui pour moi, manque de souffle et a peiné à me convaincre alors que les premiers chapitres m'avaient enchantée.
    Avec Le Gang des Rêves, qui, je le savais avant même de commencer, est un roman particulier, je ne savais pas où j'allais... Certes, le contexte avait tout pour me plaire : le New York des années 20, en pleine Prohibition, tandis que les gangs rivaux tiennent la ville et ensanglantent ses rues, une ambiance à la Gatsby le Magnifique ou digne des films de Coppola, le rêve américain de ces milliers d'européens qui n'avaient rien et quittaient tout sans hésiter pour une vie qu'ils espéraient meilleure alors que la plupart ne trouvèrent rien de plus que ce qu'ils avaient quitté sur le Vieux Continent (« C'est vraiment un pays de merde...et le rêve américain, c'est vraiment une connerie! Si t'es pas l'un d'eux, le rêve, tu peux te le mettre au cul...» ; « Et tous ces regards de vaincus, ces dos courbés par la misère et la résignation, et ces poches toujours vides qui criaient la faim, grandes ouvertes comme les bouches hurlantes de leurs enfants mal nourris [...] Et il entendait aussi toutes leurs rengaines sur l'Amérique, l'extraordinaire nation qui promettait tout mais qui, à eux, ne donnait rien. »
    La jeune Cetta Luminita est de ceux-là... Née au début du siècle à Aspromonte en Italie, elle a à peine quatorze ans quand elle quitte tout, avec juste une valise et son enfant sous le bras, pour tenter sa chance en Amérique. Comme tous les Européens qui entreprennent ce grand voyage souvent sans retour, elle débarque à Ellis Island, la porte de l'« american dream ». La porte de tous les possibles. Et quand on est la fille un peu trop belle de pauvres paysans italiens, soumise presque encore enfant à la concupiscence libidineuse des hommes, rien ne peut être plus beau. Et rien ne doit être trop beau pour ce bébé qu'elle emmène avec elle, le petit Natale, âgé de quelques mois et que les gratte-papiers américains rebaptiseront d'un nom qui sonnera plus anglo-saxon : Christmas. Christmas que l'on va suivre jusqu'à la fin des années 20, dans un tourbillon où se mêlent guerres des gangs et trafics en tous genres, prostitution et pauvreté... Un tunnel sombre et crasseux à l'image de cette ville de New York des années 20, incroyablement vivante mais aussi très sale et violente. Une ville cosmopolite où se côtoient les plus grandes fortunes -ceux qui sont nés ou qui ont réussi- et les plus indigents -ceux qui ont raté le coche et sont passés sous ses roues.
    Voilà. Sur le papier, Le Gang des Rêves avait tout pour me plaire.
    Alors qu'en est-il ? C'est justement de ça qu'on va parler maintenant. Tout d'abord, je vous dirais que je n'ai pas éprouvé le coup de cœur presque général qui crie son amour au roman de Luca Di Fulvio depuis presque deux ans. Ce coup de cœur manqué, je l'ai senti dès le début. Dès les premières pages, j'ai su qu'il ne serait pas au rendez-vous et cette intuition s'est confirmée par la suite.
    Malgré ça, je ne peux que vous conseiller de hisser le torchon, intégrer les Diamond Dogs et de crier bien fort : Bonsoir, New York !
    Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé cette lecture et je recommande chaleureusement le roman. Après un début un poil difficile et qui m'a presque dissuadée de continuer, les choses se sont dénouées toutes seules et j'ai pris grand plaisir à découvrir ce roman.
    C'est violent, c'est sale, c'est grand. C'est grandiose. Et le style de l'auteur, hyper visuel, n'y est pas pour rien. Si je n'ai pas eu le coup de cœur escompté pour le roman, assurément j'en ai eu un pour le style de Luca Di Fulvio, que je découvrais. C'est un auteur que je n'avais jamais lu, que je ne connais pas du tout. Et j'ai découvert un auteur extrêmement talentueux, qui joue et jongle avec les mots comme d'autres avec des balles. J'ai découvert un style irréprochable, des mots qui savent se faire doux et réconfortants, blessants et percutants, tendres et douloureux. J'ai eu l'impression de baigner dans leur volupté, d'être entourée de la chaleur des mots d'un auteur talentueux et qui écrit tellement bien.
    Pour cette raison, je dirais que Le Gang des Rêves a été une lecture formidable ! Je ne serais pas honnête si je vous disais que, vers la fin, certains passages m'ont un peu ennuyée. Je ne le serais pas non plus si je ne vous parlais pas de mon ressenti initial... Oui, je n'y ai pas tout aimé et oui, j'ai même failli abandonner. Mais dans sa globalité, Le Gang des Rêves est un roman parfait, travaillé et bourré du talent de son auteur.
    C'est un roman historique comme je les aime, qui a su me dégoûter mais aussi me captiver, me faire peur comme me faire espérer, me donner envie de pleurer comme de rire. Incroyablement universel et actuel, Le Gang des Rêves est un hymne à ceux qui n'ont rien mais n'en possèdent que plus de dignité ; un hymne aux riches qui savent garder un cœur derrière l'argent ; un hymne à ceux qui, jamais, ne cesseront d'espérer, peu importe les origines, les positions sociales et les barrières que les êtres humains aiment à dresser entre eux.
    Le Gang des Rêves est un film... Alors oui, peut-être Luca Di Fulvio est-il le digne descendant de Martin Scorcese... Pour vous en rendre compte, il ne vous reste plus qu'une chose à faire : le lire à votre tour.

    En Bref :

    Les + : un style parfait, superbe, tendre et percutant à la fois, qui sert parfaitement l'intrigue harmonieuse du roman. 
    Les - : 
    un début un poil rude qui m'a fait un peu peur...


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  • «  Si la situation devient trop pénible ou si tu as trop peur essaie de t'échapper en pensées : sors de ton corps et vole vers d'autres lieux. »

    Audrey et Anne ; Jolien Janzing

     

    Publié en 2017 aux Pays-Bas ; en 2018 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Audrey en Anne

    Editions de l'Archipel 

    345 pages

    Résumé :

    Automne 1957. Douze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Otto, le père d'Anne Frank, rend visite en Suisse à une étoile montante du cinéma, Audrey Hepburn. Il veut la persuader d'interpréter le rôle de sa fille dans un film qui va lui être consacré.

    Printemps 1929. Deux filles voient le jour, Audrey à Bruxelles, Anne à Francfort. Toutes les deux marqueront l'histoire. 

    Les deux adolescentes partagent bien des points communs. Toutes deux ont été contraintes de quitter très jeunes leur pays natal. Audrey, issue de la haute société européenne, est envoyée dans un pensionnat anglais. Juifs, Anne et sa famille fuient aux Pays-Bas. 

    Toutes deux sont délaissées par leur mère et trouve refuge dans la danse pour l'une, dans l'écriture pour l'autre. 

    La demande d'Otto réveille en Audrey de douloureux souvenirs. Ses parents, sa mère en particulier, ne frayaient-ils pas avec de hauts dignitaires nazis ? 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    A première vue, tout oppose Anne Frank, morte à seize ans à Bergen-Belsen, connue de manière posthume après la publication de son fameux journal rédigé pendant la réclusion dans l'Annexe, à Amsterdam et Audrey Hepburn, étoile montante du cinéma dans les années 1950-1960...
    Et pourtant... Elles ont bien plus en commun qu'on ne le pense. A l'exception d'une année de naissance, 1929 et d'une même initiale, c'est surtout deux enfances semblables que les deux filles vont vivre, dans les Pays-Bas des années 1940.
    Cela dit, le roman de Jolien Janzing démarre en 1957, douze ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale : Audrey a vingt-huit ans, elle est actrice. Un jour d'hiver, à Suisse, elle rencontre Otto Frank et sa deuxième épouse, Fritzi. Rescapés tous deux des camps, ils y ont tous deux perdu leurs proches : son fils et son mari pour Fritzi, ses deux filles, Margot et Anne et son épouse Édith, pour Otto. Depuis plusieurs années, le père de celle qui deviendra une célébrité mondiale se bat pour faire connaître les écrits de sa fille. En 1957, il rencontre Audrey dans l'idée de lui faire interpréter Anne dans une adaptation cinématographique du fameux journal - cette rencontre est véridique mais n'aboutira pas : s'estimant trop concernée, Audrey refusera le rôle.
    Cette requête est pour Audrey un assez pénible retour en arrière quand, après l'invasion des Pays-Bas en mai 1940, sa mère frayait avec les hauts dignitaires nazis et son père avec les partisans de Hitler en Angleterre. 

    Alors en parallèle, l'auteure déroule les destins des deux jeunes filles jusqu'en 1945Audrey, née Audrey Ruston à Bruxelles est britannique par son père, Joseph Ruston, néerlandaise par sa mère, Ella van Heemstra. Elle est encore petite quand ses parents, qui ne s'entendent plus, divorcent et se disputent leur enfant. Audrey passera une enfance relativement solitaire et ballottée entre plusieurs pays avant de se découvrir une passion pour la danse puis la comédie
    Anne, elle, naît à Francfort. Cadette de sa sœur Margot, elle est la fille d'Otto Frank, un industriel allemand et de Édith Holländer. Ses parents sont juifs, sa mère plutôt pieuse, son père pas plus que ça. Malgré tout, un jour, leur judéité leur sera reprochée, leur coûtera leur liberté et, pour les deux filles et leur mère, la vie
    C'est aux Pays-Bas que Audrey et Anne vont être confrontées aux violences et aux horreurs d'une guerre hors du commun : après que la neutralité du pays ait été violée en mai 1940 et que le gouvernement soit parti en exil, les Pays-Bas deviennent un satellite du Reich. Au final, ce qui est arrivé en France ressemble beaucoup à ce qui s'est passé en Belgique et en Hollande : l'occupation, la collaboration d'une partie de la population, l'entrée en résistance de l'autre, la peur, le froid, le manque de nourriture... 
    Découvrir autrement un conflit qu'on observe et qu'on analyse surtout à travers le prisme de son propre pays est intéressant. Surtout quand c'est par les yeux de deux fillettes qui deviennent adolescentes : à cet âge, les avis sont tranchés, parfois exprimés avec violence, le manque de liberté est vécu cruellement mais il n'y a qu'à lire le journal d'Anne pour se rendre compte que, chez elles, l'espoir est toujours là, quelque part, bien caché mais toujours prêt à refaire surface. 
    J'ai apprécié aussi que l'auteure choisisse pour héroïnes deux jeunes filles qui ont existé : cela donne beaucoup d'authenticité au récit romanesque dans lequel elles évoluent et qui est, bien sûr, de la fiction. On se dit que malgré tout, c'est certainement comme cela, à quelques détails près, qu'elles ont vécu la Seconde Guerre Mondiale. 

    Image associée

    Otto et Fritzi Frank photographiés à Bürgenstock (Suisse) aux côtés d'Audrey Hepburn en 1957


    Que Jolien Janzing fasse en plus d'Anne Frank la deuxième héroïne de son roman est un bel hommage à cette jeune fille au destin foudroyé et tellement triste : Anne est montée dans le dernier convoi partant pour Auschwitz, en septembre 1944. Elle est morte de maladie quelques jours seulement avant la libération du camp de Bergen-Belsen au printemps 1945. Elle a eu la liberté et l'espoir à portée de main mais le destin les lui a refusés. J'ai toujours trouvé malheureux qu'Anne Frank ait perdu la vie au moment où l'espoir était de nouveau au rendez-vous, juste avant la libération...
    Quant à Audrey, pour moi, elle est une relative inconnue. Je ne suis absolument pas cinéphile et c'est une actrice parmi d'autres en ce qui me concerne. Elle est restée assez figée dans mon esprit telle qu'on la voit quand elle a tourné dans Diamants sur canapé ou Breakfast at Tiffany's : une jeune femme longiligne, coiffée et habillée comme les pin-up des 50's.
    Je ne savais rien d'elle ni de son enfance du coup, j'ai apprécié de la découvrir dans ce roman, petite fille un peu négligée par les siens ( « Ils n'avaient guère de temps pour moi. Et je suppose que, dans une certaine mesure, cette attention du premier âge m'a fait défaut toute ma vie. » dira-t-elle bien plus tard, à propos de ses parents) et qui court inconsciemment après la reconnaissance et le regard des autres, une petite fille qui se révèle dans la pratique de la danse.
    Audrey et Anne sont finalement assez complémentaires. Elles ont vécu une enfance presque similaire, dans un même contexte. Sauf que l'une était juive et l'autre, la fille d'une baronne hollandaise compromise par ses relations avec l'occupant. L'une en sortira marquée par des souvenirs difficiles mais en vie ; l'autre mourra avant d'avoir être pu secourue. 
    Elles connaîtront cela dit toutes les deux la célébrité : Audrey avec ses films et Anne avec son journal qui continue d'être lu par des milliers d'enfants dans le monde mais aussi des adultes
    Si l'idée de départ de Jolien Janzing n'est pas forcément très évidente -on se demande quel peut bien être le lien entre ces deux filles-, on comprend rapidement où l'auteure a voulu en venir. 
    Je ne regrette qu'une chose, c'est que le roman n'ait pas été plus long ! Il aurait pu être plus développé -et aurait mérité de l'être, à mon avis- sans risquer l'ennui du lecteur parce que c'est vraiment une belle histoire que nous raconte l'auteure, avec deux petites héroïnes attachantes, pour des raisons différentes mais qui parviennent toutes deux à susciter un réel intérêt chez le lecteur. Il y'avait longtemps que je n'avais pas lu un roman se passant pendant la Seconde guerre et je ne regrette pas d'avoir jeté mon dévolu sur celui-ci. Une belle histoire servie par le style tendre et presque maternel de l'auteure

     

    Je remercie les éditions de l'Archipel pour l'envoi de ce livre et leur confiance ! 

    En Bref :

    Les + : une belle histoire qui, si elle n'est pas à première vue évidente, s'avère bien écrite et cohérente. Anne Frank et Audrey Hepburn, aussi opposées qu'elles soient, avaient malgré tout beaucoup plus en commun qu'on ne croit. 
    Les - : que le roman n'ait pas été un peu plus long. Certains chapitres auraient mérité d'être plus développés, je pense. 

     


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  • « L'inconvénient de faire appel aux gens habiles est qu'ils vous percent à jour. »

    Les Chroniques d'Edward Holmes et Gower Watson, tome 2, Le Chien des Basqueville ; Jean d'Aillon

     

    Publié en 2016

    Editions 10/18 (collection Grands Détectives)

    493 pages

    Deuxième tome de la saga Les Chroniques d'Edward Holmes et Gower Watson

     

    Résumé :

    Au printemps de l'an de grâce 1422, durant la maudite guerre entre les Armagnacs et les Bourguignons, Isabeau de Bavière charge le clerc anglais Edward Holmes de conduire une de ses demoiselles d'honneur au château de Basqueville, afin qu'elle puisse prier sur le gisant de son époux. Mais rien ne se passe comme prévu et, malgré sa sagacité, Holmes se fera berner. Peu après, la reine Isabeau découvre avec terreur qu'un inconnu la menace de révéler le contenu de missives susceptibles de remettre en question la succession au trône de France... 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Le titre de la deuxième enquête du clerc Edward Holmes dans les Paris des années 1420 ne vous est peut-être pas inconnu et pour cause : il s'inspire directement d'un roman de Sir Arthur Conan Doyle, Le Chien des Baskerville. Dans ce dernier, un animal mystérieux et terrifiant sème la désolation dans les inquiétantes landes du Dartmoor. Dans une ambiance étrange, alourdie par le brouillard anglais, Conan Doyle nous fait frissonner et on se surprend à se demander par où arrivera le danger.
    C'est un peu différent chez Jean d'Aillon, mais nous y reviendrons. D'abord, pourquoi un titre aussi directement inspiré d'un autre roman ? Parce que, si vous connaissez Jean d'Aillon, vous savez peut-être que ses principales sources d'inspiration sont Conan Doyle et Alexandre Dumas. Il voue une véritable admiration à ces deux auteurs et, en s'inspirant du fameux détective, Sherlock Holmes, il n'a pas voulu, comme certains l'ont insinué, plagier l'oeuvre de Conan Doyle mais, au contraire, lui rendre hommage.
    Personnellement, dès ma lecture de Une Etude en Écarlate, qui précède Le Chien des Basqueville, j'ai refusé de m'intéresser à cette polémique qui me laisse assez indifférente : je lis Jean d'Aillon depuis suffisamment longtemps pour savoir qu'il n'a pas besoin de vulgairement plagier un autre auteur pour avoir de l'inspiration, au contraire. Passionné d'Histoire et très inspiré par elle, il est un auteur peu connu mais que j'apprécie, pour la variété de ses intrigues, les époques traitées dans ses différentes sagas -de l'Antiquité à l'époque contemporaine en passant par la Révolution, le XVIIème siècle ou encore le Moyen Âge- et surtout la rigueur et la méthode qui ressortent de ses écrits. 
    Dans Les Chroniques d'Edward Holmes et Gower Watson, j'ai retrouvé ce que j'aime en général chez l'auteur. Peut-on parler d'un pâle succédané de l'oeuvre de Conan Doyle ? N'ayant pas lu ce dernier, je me refuserais à apporter un quelconque jugement. Mais ce que je peux vous dire avec certitude c'est que, dans ces romans, les personnages ont beau porter des noms familiers et les titres s'inspirer de ceux du fameux auteur de romans policiers anglais, la patte de Jean d'Aillon est reconnaissable dès le départ ! Edward et Gower sont peut-être les lointains cousins de Sherlock et du docteur Watson, ils ne s'en inscrivent pas moins dans le reste de l'oeuvre de Jean d'Aillon et, pour moi, ils se rapprochent d'ailleurs beaucoup de Louis Fronsac, héros des enquêtes éponymes et de son complice Gaston de Tilly, ses enquêteurs du XVIIème siècle !
    Ce que j'ai aussi tout de suite beaucoup aimé dans cette saga, c'est l'époque choisie par l'auteur : la Guerre de Cent Ans et le début du XVème siècle, finalement peu traités dans les romans historiques. C'est une époque riche mais pas forcément évidente à comprendre et à aborder. Pourtant, quand on s'y penche sérieusement, c'est passionnant. La fin du règne du roi Charles VI est marqué par de violentes rivalités entre les partisans de son fils, le Dauphin Charles et ceux du roi anglais Henry V, proclamé régent de France après la signature du traité de Troyes, en 1420, qui déshérite le Dauphin, à la suite de l'assassinat du duc de Bourgogne Jean sans Peur, en 1419.
    Dans Le Chien des Basqueville, l'intrigue démarre au printemps 1422. Paris est alors aux mains des Anglais et la misère dans la capitale du royaume de France atteint des sommets, tandis que la campagne environnante est régulièrement ravagée par des bandes de routiers commandées par les Armagnacs. Signé deux ans plus tôt, le traité de Troyes a écarté de la succession le dernier fils de la reine Isabeau de Bavière et du roi Charles VI, Charles, retiré dans ses terres au sud de la Loire. C'est Henry V de Lancastre, le roi d'Angleterre et époux de Catherine de Valois, qui doit ceindre la couronne après la mort de Charles VI et, ainsi, unir les couronnes des lys et des léopards sur une même tête ce qui, évidemment, ne se fait pas sans mal, beaucoup, en France, se refusant à voir les Anglais prendre le contrôle du royaume. Jeunes parents d'un petit garçon, Henry, qui deviendra un jour lui aussi le roi d'Angleterre et de France, Henry et Catherine incarnent l'avenir, face au roi Charles VI, vieilli prématurément et complètement fou et la reine Isabeau, qui n'est plus rien : après la signature du traité de Troyes, la reine de France n'a jamais été plus décriée ni détestée et certains n'hésitent pas à affirmer que ses derniers enfants ne sont que des bâtards, certainement issus de sa liaison coupable avec son beau-frère, Louis d'Orléans.
    Or, justement, voilà que l'on fait chanter la reine de France ! Un mystérieux corbeau lui fait dire qu'il possède un coffre dans lequel est serrée une correspondante compromettante, signée de sa main. Pour la récupérer, elle doit payer une certaine somme, sinon, l'inconnu menace de tout révéler, ce qui pourrait avoir des conséquences particulièrement funestes pour le royaume de France ! Un coffre qui était jusqu'ici dissimulé dans un château normand appartenant à un ancien fidèle du duc d'Orléans, Guillaume Martel de Basqueville, mort à Azincourt et que Edward va devoir chercher, au péril de sa propre vie, pour ramener à la reine les documents sensibles qui pourraient lui valoir le même sort que les brus du roi Philippe le Bel : l'enfermement dans un cachot jusqu'à ce que mort s'ensuive, pour adultère.
    Ce Guillaume de Basqueville a bien existé : ancien serviteur de Charles VI, il se trouvait près de lui dans la forêt du Mans lorsque le jeune homme, en août 1392, éprouva les premiers symptômes de la folie qui devait l'aliéner complètement dans les dernières décennies de sa vie. Par la suite passé au service du duc d'Orléans, il était porte-oriflamme à Azincourt, où il trouva la mort. En Normandie, dans le pays de Caux existe encore aujourd'hui un village : Bacqueville-en-Caux, qui rappelle cette fameuse famille dont une branche se transporta outre-Manche au moment de la conquête normande et qui devint la famille de...Baskerville.
    Concernant Isabeau de Bavière, la plupart des biographes de la reine et des historiens rejettent le fait que la souveraine aurait eu des amants et, parmi eux, son beau-frère, Louis d'Orléans. Non, le traité de Troyes n'est pas un aveu dissimulé de cette infidélité mais une riposte normale à l'assassinat du duc Jean sans Peur par les gens du Dauphin Charles, en septembre 1419. Non, le dernier enfant d'Isabeau, Philippe, né et mort en 1407 n'a pas survécu et n'est pas, comme certains ont pu l'affirmer, Jeanne d'Arc, Jeanne d'Arc qui, donc, serait un homme !
    Evidemment, on ne peut rien affirmer avec certitude mais, dans un contexte troublé, violent, où la royauté n'était plus représentée que par une femme, étrangère de surcroît, il est presque évident que l'on s'en soit pris à la reine, comme on s'en prendra plus tard à Catherine et Marie de Médicis ou encore, Anne d'Autriche.
    Cela dit, partisan de Dumas, on peut supposer que Jean d'Aillon a fait sien cet adage du fameux romancier : « On peut violer l'Histoire à condition de lui faire de beaux enfants. » Personnellement, je ne suis pas contre quelques petites libertés dans un roman historique, tant qu'elles servent le propos et sont expliquées par l'auteur. Après tout, le roman reste une fiction où l'auteur peut laisser libre court à son imagination. Tant que ça reste cohérent et vraisemblable, je ne vois pas où est le problème.
    Ici, Jean d'Aillon fait donc d'une légende une vérité. Disons que, comme Dumas en son temps, qui a exploité à fond la légende noire des derniers Valois, par exemple, ici, Jean d'Aillon force un peu le trait, en nous laissant voir d'Isabeau un côté sombre, calculateur, machiavélique et un brin sensuel qu'elle n'avait peut-être pas, historiquement. Ou alors, pas autant. Même si ce n'est pas cette image-là que j'ai de la reine, j'avoue ne pas avoir été gênée et j'ai même beaucoup aimé cette chasse aux documents compromettants dans les rues sales et sinueuses du Paris du début du XVème siècle.
    Hormis cela, comme d'habitude, on retrouve les grandes précisions historiques dont Jean d'Aillon est coutumier, notamment en ce qui concerne les cours monétaires ou encore, la géographie des différentes villes visitées, à commencer par Paris, dont l'aspect médiéval revit sous nos yeux. L'auteur s'inspire aussi beaucoup des textes d'époque (ici, le Journal d'un Bourgeois de Paris, par exemple, contemporain des événements) et nous déniche parfois des anecdotes complètement enfouies dans les limbes de l'Histoire et c'est ce que j'aime chez lui : on sent les recherches solides effectuées avant de se lancer dans le travail d'écriture et c'est très important.
    Malgré tout, j'ai décelé, dans ce roman, quelques petites maladresses qui, à mon sens, auraient pu être évitées : le duc de Bedford est appelé successivement Belfort et Bedford, le duc d'Exeter, oncle du roi Henry V devient, au détour d'un chapitre, son frère. Enfin, dans la postface où l'auteur nous explique ses choix et différents partis pris, deux des filles de Charles VI ont été confondues : c'est bien Michelle, la duchesse de Bourgogne, qui est morte en juillet 1422 et non pas Catherine, qui meurt en Angleterre en 1437, non sans avoir eu le temps de se remarier après son veuvage et d'être à l'origine, par cette deuxième union, de la dynastie des Tudors (mais ceci est une autre histoire). Je pense que, plus que de réelles erreurs historiques, ce sont surtout des fautes d'étourderie. L'erreur est humaine et je suis sûre que cela vous est aussi arrivé d'écrire un jour un mot pour un autre. Mais je trouve quand même dommage que ces petites coquilles soient passées entre les mailles du filet de la correction.
    Pour le reste, c'est une intrigue policière de qualité, bien ficelée, cohérente et compliquée à souhait que l'auteur nous livre là. J'ai pris grand plaisir à suivre Edward dans ses pérégrinations qui l'amènent à découvrir les tenants et aboutissants d'une véritable affaire d'Etat dans laquelle, bien sûr, la reine est impliquée en premier lieu mais aussi le Dauphin son fils, le roi d'Angleterre son gendre et même sa cousine et rivale, la redoutable duchesse Yolande d'Anjou !
    C'est un Moyen Âge fantasmé mais en même temps nuancé que l'auteur fait revivre dans son roman, un Moyen Âge vraisemblable, mâtiné de légendes et de superstitions mais pas que... En ce début de XVème siècle, doucement, l'époque médiévale commence à laisser sa place à la Renaissance, même si le conflit entre la France et l'Angleterre s'éternise et retarde l'arrivée de cette nouvelle ère qui fleurit déjà en Italie.
    Vous l'aurez sûrement compris, j'ai apprécié cette deuxième enquête, peut-être plus encore que Une Etude en Écarlate. Certes, le fameux chien de Basqueville est beaucoup moins effrayant que son cousin anglais du Dartmoor, mais j'ai apprécié de retrouver ce dernier comme un personnage à part entière du roman et qu'il soit présenté comme un second d'Edward et Gower, qui n'hésitent pas à se servir du chien et de son intuition très...olfactive ! Une intuition de chien, quoi et qui, souvent, ne trompe pas ! 
    Voilà encore une fois un roman historique comme je les aime, dynamique et enlevé, bien écrit et où l'on croise un savant mélange de personnages authentiques et imaginaires. Encore une fois, Jean d'Aillon ne m'a pas déçue, bien au contraire !

    En Bref :

    Les + : L'enquête policière est, encore une fois et comme toujours chez Jean d'Aillon, particulièrement intéressante. En mélangeant légende et véracité historiques, l'auteur nous emmène dans un Moyen Âge certes un peu fantasmé mais attrayant.
    Les - :  J'ai décelé ici ou là quelques petites maladresses qui, à mon avis, auraient pu être évitées.


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