• #41 Portraits de quatre épouses d'Henry VIII : Catherine d'Aragon, Jane Seymour, Anne de Clèves et Catherine Parr

     

    I. La princesse espagnole : Catherine d'Aragon 

    #41 Portraits de quatre épouses d'Henry VIII : Catherine d'Aragon, Jane Seymour, Anne de Clèves et Catherine Parr

    Fille cadette des Rois Catholiques, Catherine naît à Alcala de Henares en décembre 1485. Lorsqu'elle voit le jour, ses parents, les célèbres Isabelle la Catholique et Ferdinand d'Aragon ont quasiment achevé la reconquête de l'Espagne sur les musulmans qui l'occupent depuis le VIIème siècle. Seule une enclave dans le sud leur résiste encore : Grenade. Dès se naissance, Catherine est considérée comme un bon parti à marier avantageusement. Il est vrai que la petite princesse a une ascendance illustre et, tandis que sa soeur Jeanne épousera le fils de Maximilien de Hasbourg Philippe, donnant ainsi naissance à la puissante lignée qui règnera sur une partie de l'Europe dès le XVIème siècle, Catherine elle, fera souche dans les brumes de l'Angleterre...mais penchons-nous d'abord un peu sur l'illustre famille de la princesse : par sa mère Isabelle de Castille, elle est apparentée à la famille du Portugal et on retrouve même une lointaine ascendance anglaise, une princesse Plantagenêt ayant épousé le roi du Portugal au XIVème siècle. Par ses deux parents, elle est issue de l'illustre maison de Trastamare, qui régna sur la Castille, l'Aragon et le Léon, mais aussi la Navarre, Naples et la Sicile.
    Très vite donc, on songe à marier la jeune princesse à des fins politiques et diplomatiques. En effet, ses parents doivent sceller l'alliance entre leur royaume et celui d'Angleterre où les Tudors viennent de s'emparer du trône, laissé vacant par les Lancastre (descendants des Plantagenêt) à l'issue de la mort du roi Richard III, qui met un terme à la Guerre des Deux-Roses. La petite Catherine, dès l'âge de deux ans, est promise au fils aîné du roi Henry VII Tudor, Arthur, même si les rois espagnols ont tout de même émis quelques réserves quant à ce mariage...la situation politique en Angleterre est en effet tendue et le pouvoir des Tudors menacé...des descendants de la branche légitime sont encore en vie et pourraient menacer le trône malgré la fin de la guerre civile. Isabelle et Ferdinand craignent donc, à juste titre, de marier leur fille à un roi susceptible d'être renversé. Par contre, pour le roi anglais, l'alliance avec l'Espagne contribuerait à reserrer les liens qui existent déjà entre les deux royaumes et à faire ainsi front commun contre la France, ennemie naturelle des deux pays. Catherine va donc épouser Arthur Tudor.
    Elle arrive en 1501 en Angleterre pour rencontrer sa future famille mais surtout, son promis. Arthur est le fils aîné d'Henry VII Tudor et Elizabeth d'York. Il est né en 1486, il doit succéder à son père et faire donc de sa future épouse espagnole une reine d'Angleterre. En arrivant, la jeune princesse a reçu l'ordre de garder son visage voilé, ce qui va perturber le roi Henry VII lorsqu'il vient rencontrer sa future belle-fille. La jeune fille était couchée et ne pouvait pas le recevoir, il ordonna donc qu'on la réveille pour qu'elle se montre à lui mais elle garda obstinément son voile sur le visage ce qui contraria fort le souverain anglais qui craignit de s'être fait duper. Il eut peur que la jeune princesse garde un voile pour cacher une difformité ou une laideur que ses ambassadeurs lui auraient caché, par souci de ménagement.
    Mais lorsque Catherine enlève enfin son voile, son beau-père comme son futur époux sont charmés par elle. Il faut dire que la jeune Espagnole a en effet beaucoup de charme et de grâce. Son mariage est célébré rapidement, le 14 novembre 1501 en la cathédrale Saint-Paul de Londres. Ce sera pour une très courte durée puisque à Ludlow Castle, en Pays de Galles, les deux jeunes époux tombent soudainement et gravement malades. Si Catherine s'en sort, il n'en va pas de même d'Arthur, qui meurt, le 2 avril 1502, très probablement de la suette. Arthur a quinze ans à peine lors de sa mort...par la suite, on dira que son mariage n'a pas été consommé, ce que Catherine d'Aragon va confirmer elle aussi par la suite.
    Veuve, Catherine aurait pu rentrer dans son pays, l'Espagne, d'autant que son mariage n'a très certainement pas été consommé. Mais Henry VII ne souhaite pas ce retour de la princesse dans son pays natal car il se verrait en effet dans l'obligation de rendre au couple royal espagnol l'importante dot de Catherine et cela ne lui plaît guère. Après avoir caressé un temps l'idée d'épouser lui-même la jeune princesse - la reine Elizabeth d'York étant décédée en couches en février 1503 - ce qu'elle aurait refusé avec hauteur, préférant plutôt l'état de pauvreté dans lequel elle est alors gardée, Henry VII a l'idée d'arranger un nouveau mariage entre la jeune veuve et le frère cadet d'Arthur, Henry, devenu le nouvel héritier du trône d'Angleterre, qui a six ans de moins que Catherine mais semble observer cette belle-sœur d'un œil appréciateur. Or, les canons de l’Église interdisent formellement un remariage avec un beau-frère. Alors, que faire ? Pour pouvoir passer outre, il faut absolument prouver que le premier mariage n'a pas été consommé et que la mariée est encore vierge. Pour des raisons obscures -voudrait-on cacher quelque chose ?- une demande de dispense du constat de virginité, examen visant à prouver que la mariée est intacte, est demandée au pape Jules II qui, compréhensif, accepte de la délivrer sans examen préalable. Il délie ainsi Henry et Catherine du « lien d'affinité ». Le remariage est donc désormais possible puisque avalisé par le pape lui-même. Henry épouse son ex belle-sœur le 11 juin 1509, après la mort de Henry VII. Catherine a épousé le nouveau roi, qui va régner jusqu'en 1547 sur le royaume d'Angleterre, sous le nom de Henry VIII. Elle est donc, de fait, reine d'Angleterre.
    De leur mariage vont naître plusieurs enfants, six précisément, mais seule une fille surviendra et parviendra à l'âge adulte. Il s'agit de Marie, qui règnera de 1553 à 1558, sous le nom de Marie Ière Tudor. Au début, le couple semble connaître un certain bonheur conjugal ou, tout du moins, une certaine harmonie. Catherine et Henry s'entendent bien...Mais, dès 1514, des rumeurs se propagent : le roi voudrait se séparer de son épouse en la répudiant parce qu'elle ne lui a pas donné le fils qu'il désire tant pour asseoir sa succession. En 1519, sa maîtresse Elizabeth Blount accouche d'un petit garçon que le roi prénommé Henri FitzRoy, ce qui est tout à fait révélateur...Et, en 1525, il confère même le titre de duc de Richmond à son bâtard !!
    C'est vraisemblablement à cette époque-là que le roi remarque l'une des suivante de la reine, une certaine Anne Boleyn, dont il va tomber fou amoureux. Un an plus tard, en 1527, le roi n'ayant toujours pas d'héritier légitime mâle -d'un point de vue de la succession, Henry FitzRoy, le fils de lady Blount ne compte pas-, se voit dans l'obligation d'entamer une procédure de répudiation, qui verra son mariage avec Catherine d'Aragon purement annulé : cette union va devenir nulle et non avenue. On a souvent dit que la rencontre avec Anne Boleyn avait était à l'origine la décision du roi : en réalité, il semble qu'Henry pense depuis un moment déjà à se séparer de Catherine, qui ne parvient pas à lui donner de fils. Sa rencontre avec la jeune aristocrate du Kent, qui a passé sa jeunesse en France et dans les Pays-Bas espagnols, ne fait probablement que précipiter les choses mais ne les conditionne pas. Commence alors la Grande Affaire du roi, c'est-à-dire la procédure qui doit instruire son divorce et qui amènera le roi jusqu'au point du rupture : non seulement le divorce d'avec sa femme mais aussi avec la papauté. Car le moins que l'on puisse dire, c'est que l'instruction traîne : les juristes seront occupés pendant pas moins de six années de cette affaire dans laquelle le roi se heurte à fortes parties - non seulement le Saint-Siège mais aussi le neveu de Catherine, le puissant Charles-Quint qui voit d'un mauvais œil le traitement réservé à sa tante et à sa jeune cousine Marie.
    Voyant que les choses n'avancent pas, notamment du côté de la papauté, Henry prend les devants. En 1532, il répudie Catherine, contre l'avis du pape, mais aussi des sujets d'Angleterre, qui aiment énormément leur reine, pieuse et charitable avec eux. Cette répudiation va être à l'origine du Schisme d'Angleterre et de la création de l’Église d'Angleterre ou Église Anglicane, le roi Henry VIII se proclamant chef suprême de l’Église tandis que la papauté ne reconnaît ni ce nouvel état de fait, ni la répudiation de la reine Catherine et donc, le nouveau mariage d'Henry avec Anne Boleyn, qui est parvenue à ses fins. Le roi estimant qu'il n'a plus à en référer au pape pour quoi que ce soit, charge le nouvel archevêque de Canterbury, Thomas Cranmer, de prononcer l'annulation de son mariage avec Catherine. Le 25 Janvier 1533, Henry VIII épouse secrètement Anne Boleyn, probablement déjà enceinte de la princesse Elizabeth qui verra le jour au moins de septembre suivant.
    Catherine d'Aragon, reine déchue, est tout d'abord traitée avec les égards dus à son rang, d'autant plus qu'elle est la tante de l'un des plus grands alliés d'Henry VIII, Charles-Quint, qu'il est prudent de ménager. Mais comme elle n'accepte pas la situation et ne s'y soumet pas comme le souhaiterait Henry, il lui retire bien vite tous les avantages qu'il lui avait octroyés jusque ici. Catherine d'Aragon est alors reléguée au château de Kimbolton, dans le Cambridgeshire. Elle y meurt le 7 Janvier 1536, après de longues semaines de maladie, abandonnée de tous puisqu'elle on ne lui a pas même donné le droit de revoir une dernière fois sa fille, lady Marie. A la cour, l'astre de sa rivale Anne Boleyn - qui se réjouit de la mort de l'ancienne reine - commence cependant à pâlir : ce même mois de janvier, le roi fait une lourde chute lors d'une joute, dont il ne se remettra jamais vraiment. Choquée, Anne perd son enfant, un fœtus de sexe masculin, à la fin du mois de janvier, précipitant sa disgrâce. Quatre mois après Catherine, Anne meurt à son tour, exécutée à la Tour de Londres.
    Très rapidement, des rumeurs courent : et si l'ancienne reine, dont la popularité qui ne s'est jamais démentie gêne le roi et sa nouvelle épouse, avait été empoisonnée ? Aujourd'hui, des examens récents suggèrent plutôt que Catherine d'Aragon aurait succombé à un cancer. Catherine d'Aragon est enterrée dans la cathédrale de Peterborough, dans le Cambridgeshire : même dans la mort, on lui refuse les honneurs, puisqu'elle ne sera pas inhumée en tant que reine, mais en tant que princesse de Galles.

     

    II. La douce épouse : Jane Seymour 

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    Jane Seymour, parfois appelée Jeanne en français, est née vers 1508, mais sa date de naissance exacte n'est pas connue. Troisième épouse d'Henry VIII, elle sera la mère de son héritier, le jeune prince Édouard qui deviendra le roi Édouard VI d'Angleterre. Il sera le seul garçon survivant du roi, lui qui souhaitait tant un fils, à tel point que cette question de succession était devenue une véritable obsession.
    Issue d'une famille plutôt modeste, Jane est la fille de Sir John Seymour de Wiltshire et de Margaret Wentworth. Ils possèdent le manoir de Wolf Hall, où Henry VIII fera plusieurs séjours au début de la faveur de leur fille Jane. Ses deux frères, Édouard et Thomas Seymour occuperont tous deux une place particulièrement importante dans l'entourage du petit roi Édouard VI après la mort du roi, en 1547 : Thomas Seymour fut même désigné comme Lord Protecteur de son neveu durant sa minorité et Édouard, réputé à la Cour pour son charme, épousera la veuve du roi, Catherine Parr. On dit même qu'il aurait tenté de séduire la jeune princesse Elisabeth, alors âgée d'une quinzaine d'années. Mais ceci est une autre histoire....
    On ne connaît pas la date de naissance exacte de Jane Seymour mais les historiens la situent généralement vers 1508 ou 1509. Dans son roman The Six Wives of Henry VIII, Alison Weir, romancière et historienne britannique, mentionne que le cortège funéraire de Jane Seymour était composé de 29 femmes : la coutume voulant que l'on marque par là l'âge de la défunte, Jane aurait eu 29 ans lors de sa mort en 1537, ce qui situe sa naissance, selon elle, en 1508.
    Jane n'a pas reçu une aussi bonne éducation que Catherine d'Aragon ou Anne Boleyn, élevée à la Cour de France, très cultivée et ouverte aux nouvelles idées du temps. Sachant à peine lire et écrire, on mentionne cependant que Jane avait reçu une éducation religieuse soignée et savait tenir une maison : il s'agissait souvent des seuls enseignements que l'on considérait comme importants pour les femmes. En 1532, elle arrive à la Cour, devenant fille d'honneur de la reine Catherine, dont le règne est alors sur le point de se terminer. Jane conserve sa place lorsqu'Anne Boleyn succède à Catherine. Les relations entre Henry VIII et sa nouvelle épouse sont orageuses : Anne est connue pour avoir un tempérament volcanique et elle n'hésite pas à tenir tête au roi, ce que celui-ci supporte mal. Les murs des palais royaux résonnent souvent de leurs disputes. De plus, Henry qui avait répudié Catherine pour avoir un fils, s'impatiente : en 1533, Anne a donné naissance à une fille, Élisabeth, causant la déception du roi. Même s'il a octroyé à sa fille le titre qu'il refuse à son aînée, Lady Marie et lui a constitué une maison selon son rang, Élisabeth n'est qu'un pis-aller. Henry VIII veut un fils et vite, seulement Anne comme Catherine, ne parvient pas à lui donner de fils vivant. Selon certaines sources, le roi aurait souhaité se séparer d'Anne relativement tôt, peut-être dès la fin de l'année 1533 ou 1534. Il recommence à entretenir des liaisons, dont la rumeur parvient à Anne, qui lui fait des scènes. Il semblerait que la relation du roi avec Jane Seymour commence en 1535 : à cette date, il rend visite plusieurs fois à John Seymour à Wolf Hall. La cour bruisse de questions : le temps des Boleyn serait-il révolu pour laisser la place aux Seymour ? Une chose est sûre, c'est que si le clan de la reine Anne s'est montré ambitieux et rapace, à commencer par son oncle et son père, le duc de Norfolk et Thomas Boleyn, la famille de Jane Seymour n'est pas en reste et voit bien évidemment dans la faveur naissante de la douce Jane une carte à jouer. Anne surprit-elle un jour Jane et Henry en pénétrant sans s'annoncer dans les appartements du roi ? Toujours est-il qu'elle entre dans une folle colère lorsqu'elle apprend que son époux la trompe avec sa fille d'honneur, qui fait elle aussi les frais de la colère de sa maîtresse. Mais les jours d'Anne Boleyn sont comptés : après une dernière fausse couche, le ciel s'effondre sur sa tête au printemps 1536 quand elle est arrêtée pour trahison, adultère et sorcellerie et est conduite à la Tour de Londres. Le 19 mai 1536, devant le peuple assemblée, la reine déchue, monte à l'échafaud. Henry VIII est libéré de cette femme qu'il a beaucoup aimée mais dont il s'est lassé tout aussi vite. Il n'est pas question pour lui de porter le deuil de la mère de sa fille - Élisabeth va d'ailleurs, comme son aînée Marie, être privée de toutes ses prérogatives après la mort de sa mère. Le 20 mai, Henry se fiance officiellement avec Jane Seymour et l'épouse dix jours plus tard. Le 4 juin, Jane est proclamée reine d'Angleterre mais elle ne sera jamais couronnée car la ville de Londres est alors en proie à une épidémie de peste. Il se pourrait également que le roi, échaudé par son expérience avec Anne Boleyn, ait choisi de ne la faire couronner qu'à la suite de la naissance de l'héritier tant attendu.
    L'attitude de Jane contraste avec celle d'Anne Boleyn : on dit la reine assez discrète, effacée même tout en étant relativement stricte. Elle garde une certaine distance avec ses dames d'honneur, à l'exception de sa propre sœur et de sa belle-sœur Anne Stanhope, avec lesquelles elle entretient des relations un peu plus informelles. Les fastes extravagants du temps d'Anne Boleyn n'ont plus le droit de cité et Jane s'enferme dans une ambiance plus terne et austère, qui surprend cette Cour délurée par essence. Un exemple est assez éloquent : la reine fait édicter un véritable code vestimentaire pour les femmes, allant jusqu'à détailler le nombre de perles qu'il leur est permis de porter sur leurs tenues et la mode à la française, très prisée d'Anne Boleyn qui avait été élevée à la Cour des Valois, est tout simplement bannie.
    Finalement, on peut dire que la nouvelle reine est plutôt conservatrice, là où Anne Boleyn, peut-être plus curieuse et intelligente, savait se montrer ouverte à la modernité. La seule intervention politique notoire de Jane a lieu en 1536 lorsqu'elle demande au roi la grâce des personnes impliquées dans la Révolte du Pèlerinage de Grâce, un soulèvement religieux contre les nouvelles réformes décidées par le roi qui avaient abouti à la création de l'Eglise d'Angleterre. Le roi refusa tout net cette grâce et, agacé, rappela simplement à la reine ce qui était arrivé à la précédente lorsqu'elle avait voulu se mêler de ses affaires. Jane se le tint pour dit. Cependant, le roi aimait sa femme, ou, tout du moins, il lui vouait une grande affection, accrue d'autant lorsque Jane tombe enceinte au début de l'année 1537. Enfin, le fils tant attendu est peut-être en route. Prudente, la reine se retire de la Cour. Le roi se montre empressé envers elle, lui passant ses caprices de femme enceinte : par exemple, lorsqu'elle se prend soudainement de passion pour les colombes, Henry n'hésite pas à en faire venir de Calais ou même des Flandres. Entrée en confinement à l'automne 1537, le 12 octobre, la reine accouche enfin de cet enfant mâle tant espéré. Le petit garçon est vigoureux et en bonne santé, causant une joie immense à son père. Le 15 octobre, le petit garçon est baptisé à Édouard et devient officiellement l'héritier du trône, devant ses demi-sœurs dont les prérogatives et les prétentions sont considérées comme nulles depuis que le roi s'est séparé de leur mère respective.
    Mais si le petit garçon se porte bien, ça n'est pas le cas de la reine, dont l'état de santé se détériore assez vite après son accouchement. Certains historiens avancent l'hypothèse d'une mauvaise hygiène des sages-femmes à l'époque qui auraient pu transmettre à leur patiente une infection. La reine souffre d'une fièvre puerpérale : le roi comprend très vite que l'état de Jane est désespéré car c'est de cette même affection que sa mère, la reine Elizabeth d'York était morte en 1503. Cette affection existe encore de nos jours même si elle est très rare dans les pays développés : historiquement, c'est l'une des complications de l'accouchement les plus répandues. L'infection était causée par des bactéries qui pénétraient l'utérus après la naissance puis se diffusaient ensuite à tous les organes abdominaux. L'infection s'accompagne d'un état fébrile qui évolue très souvent en septicémie mortelle. Chez les femmes qui survivent, on constate bien souvent une stérilité, conséquence de l'infection. Faute de traitement adapté, Jane Seymour ne peut être sauvée : l'infection gagne du terrain et, douze jours après la naissance de son fils, elle meurt, le 24 octobre 1537 à Hampton Court. Éploré, Henry VIII lui réserve des funérailles somptueuses : elle est inhumée à la chapelle Saint-Georges de Windsor. Le roi revêt le deuil pendant trois mois après la mort de son épouse. Mais le deuil n'est pas l'apanage des rois : après tout, la succession du roi reste fragile, avec un seul enfant mâle vivant. Un remariage est très vite évoqué. Pourtant, ce n'est que trois ans plus tard qu'Henry se remarie de nouveau - il est vrai que sa réputation le précède et que les princesses européennes se montrent frileuses à épouser cet homme qui a répudié une épouse et en a conduite une autre à l'échafaud. Toutefois, on peut noter qu'à sa mort dix ans plus tard, c'est près de Jane que le Barbe-Bleu anglais, peut-être sentimental envers cette femme qui lui avait donné ce qu'il attendait tant, décidera d'être inhumé.

     

    III. « Ma très chère sœur » : Anne de Clèves 

    #41 Portraits de quatre épouses d'Henry VIII : Catherine d'Aragon, Jane Seymour, Anne de Clèves et Catherine Parr

    Trois ans après la mort de Jane Seymour, il est temps pour Henry de se remarier. Ce ne sera jamais que sa quatrième épouse. Mais voilà, les tractations sont laborieuses, les princesses européennes ne se bousculant pas au portillon. On dit que la princesse Marie de Guise aurait dit qu'elle n'avait pas un cou assez long pour devenir reine d'Angleterre, référence à la mort par décapitation d'Anne Boleyn ! La princesse Catherine de Danemark, veuve de François Sforza, considérée un temps comme une prétendante sérieuse, aurait elle aussi décliné : Si j'avais eu deux têtes, j'en aurais volontiers mis une au service du roi d'Angleterre, aurait-elle dit avec esprit.
    Les regards se tournent vers la petite principauté de Clèves, en Allemagne. Le duc de Clèves a deux soeurs : Anne (Anna en allemand) et Amélie. Ils sont les enfants de Jean III de Clèves, comte de Mark et de Ravensberg et de son épouse Marie de Jüdlich-Berg. Anne est née le 22 septembre 1515 à Dusselfdorf. Au moment de la Réforme, la famille se scinde, le père et le fils se convertissant au protestantisme, tandis que la mère et les filles restent fidèles au catholicisme. A l'âge de douze ans, Anne est pressentie pour épouser François, le futur duc de Lorraine mais ces fiançailles sont rompues en 1535, du fait du trop jeune âge du garçon, qui n'avait que dix ans lorsque son mariage fut arrangé par sa famille.
    Anne est donc entièrement libre lorsque les ambassadeurs anglais tournent leurs yeux vers Clèves. Le conseiller d'Henry VIII, Cromwell, n'est pas hostile à une alliance entre l'Angleterre et cette principauté protestante et fait part de ses vues à Henry VIII qui semble le suivre. Le peintre Holbein est envoyé à Clèves, avec pour mission de réaliser le portrait des deux sœurs du duc, Amélie et Anne. Le peintre a-t-il enjolivé ses peintures ? Toujours est-il que la curiosité du roi est piquée par le portrait d'Anne et celui-ci emporte les suffrages. C'est décidé, Henry va épouser Anne de Clèves et en faire sa reine ! Menées par Cromwell, les tractations en vue du mariage s'intensifient à partir de 1539 et ces négociations se soldent, le 4 octobre, par l'établissement d'un traité officialisant le mariage. Il est temps pour Anne de quitter Clèves pour rejoindre l'Angleterre. Impatient de découvrir enfin la jeune femme, dont il ne connaît que le portrait, le roi se porte à sa rencontre et la rejoint à Rochester. Et là, c'est la douche froide : Anne ne parle pas l'anglais et surtout...elle ne plaît pas du tout au roi, qui se sent lesé. L'a-t-on trompé ? Non, Anne de Clèves n'est assurément pas la jeune personne charmante représentée par Holbein et dont les atouts étaient chaleureusement vantés par Cromwell. Le point de vue du roi pourrait s'avérer subjectif mais il semble que la jeune femme n'ait pas fait une grande impression générale, puisque l'ambassadeur de France en Angleterre écrire qu'Anne de Clèves est une « beauté moyenne d'une contenance assurée et résolue ». La mauvaise maîtrise de la langue anglaise d'Anne et le fait qu'Henry ne parle pas allemand rendent aussi les échanges du couple difficiles. Henry aura ce jugement lapidaire : Elle ne me plaît pas. Il ne pourrait pas être plus éloquent.
    Henry se trouve dans une impasse : casser les fiançailles ? Certes, mais cela signifie aussi renoncer à l'alliance avec Clèves. Le roi se résout donc, la mort dans l'âme, à épouser cette homme qu'il a aussitôt prise en grippe. Le mariage a lieu le 6 janvier 1640 au palais londonien de Placentia, après qu'Anne se fut convertie à l'anglicanisme, conformément au souhait de Henry. Mais leur mariage n'est valide que sur le papier puisque le roi ne le consommera jamais. Le 24 juin 1640, six mois après son mariage et après de nombreux mois d'incertitude et d'angoisse pour Anne, elle est sommée de quitter la Cour. Moins d'un mois plus tard, on lui annonce que Henry a décidé de faire annuler leur union. Sans hésiter, la jeune femme consent à tout et l'annulation est officielle le 9 juillet. Pour que cette annulation soit acceptée, Henry invoquera la non consommation ainsi que le précédent contrat de fiançailles unissant Anne à François de Lorraine. Le roi ira même jusqu'à insinuer que la jeune femme n'était pas vierge au moment de son mariage avec lui...
    Comme Anne, docile et peut-être échaudée par le sort précédent des épouses d'Henry VIII, ne fait pas de difficultés, le roi se montre plutôt clément envers elle : on lui octroie le palais de Richmond ainsi que le château de Hever, demeure d'enfance d'Anne Boleyn. Si le roi n'avait aucune affinité amoureuse avec Anne, pour autant il se montrera par la suite amicale avec elle, la faisant revenir régulièrement à la Cour où elle fait des séjours comme n'importe quel membre de la famille. Le roi l'appelle même avec familiarité ma chère sœur et il ne semble pas qu'Anne ait eu envie de rentrer à Clèves, ce à quoi l'annulation de son mariage l'autorisait. Cette appellation chaleureuse et informelle devient même un titre à part entière puisque désormais, Anne de Clèves n'est plus connue que comme Sœur aimée du Roi. Pour autant, l'échec de ce mariage, imputé à Cromwell vaudra à ce dernier une disgrâce brutale et une exécution pour trahison en 1540.
    Le 28 juillet 1540, moins de trois semaines après l'annulation de son mariage avec Anne de Clèves, Henry VIII prend une cinquième épouse : elle est très jeune, espiègle et volubile et se nomme Catherine Howard. Cousine d'Anne Boleyn, la jeune fille connaît une faveur aussi éclatante qu'éphémère et le même destin tragique : reconnue coupable d'adultère et donc de trahison - là où les doutes demeurent concernant Anne Boleyn, il semble que Catherine Howard ait bien entretenu une liaison avec un jeune homme du nom de Thomas Culpeper -, elle est exécutée en février 1542.
    Une nouvelle union entre Anne de Clèves et le roi, voulue en sous-main par le frère de cette dernière, aurait alors été évoquée mais Henry VIII l'aurait refusée. Sa dernière épouse sera Catherine Parr, qui survit au roi avant de mourir à son tour en 1548. Anne de Clèves reste donc la seule des six épouses à avoir survécu au roi.
    A la mort du roi Henry en janvier 1547, le Conseil Privé du nouveau roi Édouard VI demande à Anne de Clèves de céder sa demeure de Bletchingley et de s'installer à Penshurst, la maison étant réquisitionnée pour Thomas Cawarden, maître des cérémonies du roi. En 1553, à la mort du jeune roi à l'âge de seize ans, Anne assiste à Londres à l'entrée des filles du roi, Marie et Élisabeth. Elle est présente pour les y accueillir et elle assiste également au couronnement de Marie Tudor à Westminster. C'est sa dernière apparition publique. Connue pour son catholicisme fervent, à l'instar de sa mère Catherine d'Aragon, Marie Ière rétablit la foi catholique comme religion d'Etat. Anne de Clèves se convertit sans hésiter. Elle ne manque pas d'adresser une lettre de félicitations à la nouvelle reine lorsque cette dernière épouse Philippe II d'Espagne. Mais Anne reste finalement discrète et ne fréquente plus guère la Cour sous le règne de Marie Tudor.
    Lorsque celle-ci est informée de la santé chancelante d'Anne, elle l'autorise à emménager à Chelsea Manor, la maison où Catherine Parr avait vécu après son remariage et où elle était morte en 1548. C'est là qu'en juillet 1557, Anne dicte son testament et fait part de ses dernières volontés. Dans ce testament sont cités son frère le duc de Clèves mais aussi sa sœur Amélie, tout comme Élisabeth, la fille d'Henry VIII, la duchesse de Norfolk et la comtesse d'Arundel. Elle laisse une somme d'argent à partager entre ses serviteurs et demande à Marie et Elisabeth de les employer dans leurs propres maisons après sa disparition.
    Anne meurt à Chelsea Manor le 16 juillet 1557, quelques semaines seulement avant son quarante-deuxième anniversaire. Il est probable qu'elle ait été atteinte d'un cancer. Le 3 août, elle est enterrée à Londres, en l'abbaye de Westminster. Seule des six épouses d'Henry VIII inhumée à Westminster, elle est aussi la dernière à mourir, après Catherine Parr disparue neuf ans plus tôt.

    IV. La survivante : Catherine Parr 

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    A la fin de sa vie, Henry VIII est un homme usé, bien loin de l'image du jeune homme athlétique, sportif et séduisant de sa jeunesse. Pesant près de 178 kilos, souffrant de la goutte et affligé d'ulcères purulents aux jambes, au roi et tyrannique avec son entourage, Henry VIII est devenu un roi obsessionnel et violent. Pas de quoi vraiment faire rêver une jeune femme, à plus forte raison lorsqu'on est amoureuse d'un autre...pourtant, Catherine Parr n'aura pas le choix et c'est la mort dans l'âme qu'elle épousera Henry VIII en 1543.
    Elle est née vers 1512 : sa date de naissance n'est pas connue. Catherine est la fille d'un contrôleur de la Maison Royale, un certain sir Thomas Parr de Kendal. En premières noces en 1527 - elle a alors quinze ans -, elle se marie avec le second baron Bouroug of Gainsborough puis épouse en 1534 John Neville, baron Latymer. Très instruite et intelligente, Catherine s'intéresse à beaucoup de sujets et notamment à la religion. Or, c'est un domaine dangereux sous le règne d'Henry VIII et la jeune femme s'attire ses foudres. Le roi songea même un temps à la faire arrêter et exécuter avant de se raviser. Sa mort en janvier 1547 sauvera Catherine d'une mort certaine mais malheureusement pas d'un destin tragique sur lequel nous allons revenir.
    Nous sommes en juillet 1543, au château de Hampton Court. Henry VIII convole en justes noces pour la dernière fois. Comment a-t-il rencontré Catherine Parr ? On ne le sait pas exactement mais il est certain que, pour Catherine, ce mariage est un mariage forcé et probablement douloureux car la jeune femme, amoureuse de Thomas Seymour, souhaitait se marier avec lui avant que les volontés du roi ne soient connues. Elle va cependant faire face avec courage, essayant d'aimer son nouveau mari comme elle le peut.
    Ses premiers pas de reine se font dans une atmosphère lugubre de fin de règne : Henry VIII souffre sans cesse, sa santé ne cesse de se dégrader et son caractère est au diapason de sa déliquescence physique. Le roi fait vivre un véritable calvaire psychologique à ses proches, qui se tiennent sur leurs gardes pour ne pas subir les foudres du vieux tyran. Il semble que la première chose à laquelle Catherine, en tant que nouvelle reine, va s'atteler, est la réconciliation véritable d'Henry avec ses deux filles. Déclarées bâtardes après la disgrâce de leurs mères, les deux princesses entretiennent des relations assez complexes avec leur père. Elle favorisa une meilleure entente entre le roi et les deux jeunes femmes et se montra aussi attentive à Édouard, tout jeune encore et orphelin de mère. Catherine sera également nommée régente du royaume pendant trois mois, à l'été 1544, tandis que le roi participait à une énième et infructueuse campagne contre la France. Entourée de Thomas Seymour et de l'évêque Thomas Cranmer, elle sut diriger efficacement le royaume et tint avec fermeté les rênes du pouvoir, contrôlant les provisions nécessaires pour les troupes comme les finances. Elle signa de sa main cinq proclamations royales et sut garder un oeil avisé et prudent sur la menaçante Écosse. On dit que les actions de Catherine Parr en tant que régente influencèrent beaucoup par la suite sa belle-fille, Élisabeth, dont elle était proche.
    Mais le sujet, ô combien dangereux, qui passionne la reine est la religion. Nous l'avons dit, Catherine est fine, dotée d'une grande intelligence et d'une riche instruction. Levée dans la foi catholique, elle s'intéresse assez rapidement à la Nouvelle Foi, autrement dit, la foi protestante. S'est-elle convertie ? Si tel est le cas, elle le fait dans le courant des années 1540. Elle a aussi entretenu des liens avec la protestante Anne Askew, brûlée vive pour avoir renié publiquement le principe de la transsubstantiation. Lors de son interrogatoire, Anne Askew refuse de dire quoi que ce soit qui puisse incriminer la reine. Plutôt discrète, Catherine Parr ne se dévoile pas mais ce n'est bientôt un secret pour personne que la reine aspirerait à une traduction en anglais de la Bible, afin de la rendre accessible au plus grand nombre, ce qui n'est pas le cas de la Bible en latin. Peut-être désireux de perdre la reine dans l'opinion du roi, des conseillers de ce dernier, comme l'évêque Gardiner ou encore, le chancelier Thomas Wriothesley, répandent des rumeurs sur Catherine et ses liens étroits avec Anne Askew ne jouent pas en sa faveur. Après tout, cette femme a professé publiquement une hérésie contre la doctrine catholique, on peut donc supposer que la reine a aussi quelque chose à se reprocher. Cette dernière se retrouve alors dans une position complexe : son intérêt un peu trop dangereux pour la religion et notamment pour le protestantisme, a suscité la colère du roi. Catherine vit alors plusieurs semaines d'angoisse et d'incertitude. Henry VIII aurait songé un temps à la faire arrêter et peut-être exécuter mais Catherine, plaidant sa cause, parvient à faire revenir le roi à plus de clémence. Ils se réconcilieront même après cet épisode qui a valu bien de la frayeur à la reine.
    Le 31 janvier 1547, Henry meurt, le corps usé et fatigué. Si elle ne le montra pas, on peut supposer que Catherine fut soulagée par la disparition du roi. Soulagée et délivrée, car elle peut désormais épouser qui elle veut et...la veuve est toujours amoureuse de Thomas Seymour. Lord Haut Amiral et premier baron Seymour de Sudeley, Thomas Seymour est le frère de Jane Seymour et par conséquent, oncle d'Edouard VI dont il est proche. Elle s'installe dans un premier temps à Chelsea Manor, demeure qui lui avait été accordée à vie en 1544. Remariée rapidement, Catherine a la surprise, à trente-cinq ans, de tomber enceinte, alors que ses précédents mariages sont restés stériles. Éprise de son époux, remarque-t-elle l'attention un peu trop soutenue de ce dernier envers la jeune princesse Élisabeth que Catherine, après la mort du roi, a pris sous son toit ? Peut-être pas.
    Le 30 août 1548, Catherine met au monde une petite fille, Marie Seymour, au château de Sudeley. Elle meurt le 5 septembre suivant, six jours seulement après son accouchement, probablement d'une fièvre puerpérale, comme la défunte reine Jane Seymour. Catherine ne verra pas mourir son époux Thomas, décapité moins d'un mois plus tard pour trahison, laissant ainsi leur petite fille totalement orpheline. On sait peu de choses de Marie Seymour, il semble qu'elle disparaisse assez jeune, après avoir été recueillie par une amie proche de Catherine, la duchesse douairière de Suffolk.
    Son cercueil est redécouvert en 1782 dans les ruines de la chapelle du château de Sudeley, où elle avait été inhumée. L'homme qui redécouvre le corps de Catherine Parr, John Locust, a la surprise de se trouver face à un corps très bien conservé. Après avoir prélevé quelques cheveux de la reine, Locust fit refermer le cercueil et le replaça dans la tombe. Mais dans les années qui suivent, le cercueil de Catherine est ouvert plusieurs fois et probablement si mal réenterré qu'en 1817, lorsqu'on rouvre la sépulture, il n'y a plus qu'un squelette. On fit alors déplacer définitivement les restes de la dernière reine d'Henry VIII vers la tombe familiale de Lord Chandos, propriétaire du château de Sudeley à ce moment-là. Un monument et un gisant furent érigés pour marquer l'emplacement de la tombe de Catherine Parr.

     © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour aller plus loin : 

    - La princesse espagnole, Philippa Gregory. Roman.
    - L'héritage Boleyn, Philippa Gregory. Roman.
    - Les Tudors, Liliane Crété. Essai historique.
    - Les Tudors : la naissance de l'Angleterre, Jane Bingham. Essai historique.
    - Les Reines Maudites, tome 1, Catherine d'Aragon, Alison Weir. Roman historique.
    - The Six Wives of Henry VIII, Alison Weir. Essai historique.


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  • « A quoi bon combattre l'inévitable ? Mon chemin était de me glisser dans votre gloire, d'être une ombre d'où jaillirait de temps à autre une étincelle de fantaisie et d'amusement. »

     

     

     

         Publié en 2024

      Éditions Robert Laffont 

      352 pages

     

     

     

     

     

    Résumé :

    « J'entends grincer la plume de mes détracteurs, je sens le parfum empoisonné de leur encre, je devine que leurs bouches se tordent de plaisir à l'idée de commettre bientôt ma nécrologie - car elle sera impitoyable. Rien ne me sera épargné. On écrira que je fus mou de corps et d'esprit, on se moquera de la préciosité de mes mœurs à rebours du caractère viril du Quatorzième, le Soleil éblouissant du puissant royaume de France. Jusqu'à ce jour, je me suis tu. Désormais, il est temps de dire la vérité. Et d'obtenir ce qui m'est dû. »

    Alors qu'il se sent mourir, Monsieur, cadet de Louis XIV, vient réclamer le prix de sa fidélité sans faille à son frère. Dans une confession captivante, il raconte sans concession ce qu'il vécut dans l'ombre écrasante de son aîné, lui, le témoin le plus intime des secrets d'un règne éblouissant.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

     Au printemps 1701, alors qu’il sent ses forces l’abandonner, Monsieur décide de se lancer dans la rédaction d’une longue confession dont le destinataire sera son frère, le roi Louis XIV. Alors que la mort est proche, Philippe d’Orléans tient une dernière fois, non pas à se justifier, mais à montrer une image tout autre de celle véhiculée par ses contemporains – à commencer par Saint-Simon – et qui, malheureusement, restera pendant bien longtemps la seule vision historique – et par conséquent biaisé – de ce Fils de France trop souvent réduit à sa seule homosexualité et à sa vie faite supposément de débauches et de plaisirs.
    Né en septembre 1640, soit un peu plus de deux ans après son aîné Louis-Dieudonné, Philippe, titré duc d’Anjou puis duc d’Orléans à la mort de son oncle Gaston, est condamné dès sa naissance à n’être qu’un éternel second, un faire-valoir. S’il devait monter sur le trône, ce serait au prix d’un drame familial terrible, celui de la disparition de son frère aîné ou de ses enfants. Et si Anne d’Autriche se défend de préférer son fils aîné au détriment de son cadet, ses actes parlent pour elle : la plupart des attentions et la protection vont à Louis, devenu roi à cinq ans et qui devra affronter dans sa prime jeunesse les fragilités d’un royaume en période de régence puis les troubles de la Fronde. Philippe sera condamné, toute sa vie, à marcher dans l’ombre de ce frère avec lequel les relations ne sont pas simples, entre admiration, tendresse et rivalité.
    Marqué par le caractère comploteur de Gaston d’Orléans, Louis XIV ne fera jamais entièrement confiance à son frère, craignant de reproduire ce que Louis XIII avait connu avec son cadet, de tous les complots, de toutes les cabales du règne, s’opposant ouvertement à son frère ou au pouvoir du cardinal de Richelieu. Malgré le souhait de Philippe de travailler à la gloire de son frère, de marcher côte à côte avec lui sans avoir jamais la volonté de le trahir ou de le doubler, il ne sera jamais exaucé et le passé déchirera un fossé de plus en plus infranchissable entre les deux frères qui, effectivement, ne peuvent être plus dissemblables.
    Souvent, on a réduit Philippe d’Orléans à son orientation sexuelle, lui qui ne cachait pas son homosexualité et ses relations avec des hommes, dans un siècle où cela est encore mal accepté et mal compris. A-t-on forcé la nature du jeune garçon, que sa mère se plaisait parfois à grimer en fille et à appeler, d’ailleurs « ma petite fille » ? Dressant le portrait d’un prince efféminé, entouré d’hommes et menant la vie dure à ses deux épouses successives – Henriette d’Angleterre puis Elisabeth-Charlotte du Palatinat –, inféodé à ses favoris comme le duc de Guiche ou plus tard, le chevalier de Lorraine, on a opposé dos à dos deux frères qui, pourtant dans leur jeunesse, n’étaient pas si différents l’un de l’autre. Et qu’aurait pu faire Philippe si on l’avait autorisé à mener son rôle de prince du sang ? Certainement de grandes choses car quand on est le frère du Roi-Soleil, on n’est pas un « incapable » comme Saint-Simon avait jugé lapidairement Monsieur.

    La famille de France sur l'Olympe par Jean Nocret : Philippe se trouve à gauche du tableau avec l'une de ses premières filles, née de son union avec Henriette d'Angleterre


    C’est côte à côte sinon main dans la main que les deux jeunes princes traversent une enfance bousculée par la mort précoce de leur père, Louis XIII, alors que Philippe n’a que trois ans et Louis, cinq. Ce dernier devient roi à un âge bien trop tendre pour régner et ce sont sa mère et Mazarin, créature de Richelieu, qui prennent les rênes du pouvoir. Enfance protégée, parfois livrée à elle-même : Louis XIV et son cadet sont des enfants comme les autres, qui aiment faire des bêtises, se chamailler, échapper à la surveillance de leur mère ou des femmes chargées de leur éducation. Parfois aussi, ils tombent malades ou se mettent en danger, comme Louis XIV qui manquera se noyer dans une fontaine du Palais-Royal. Mais l’enfance d’un petit roi ne peut pas être normale bien longtemps, même si, dans les premières années, il ne fait qu’acte de présence et que ce sont les autres qui prennent les décisions à sa place. Louis XIV sera profondément marqué par l’épisode de la Fronde et par la trahison de princes du sang, comme Condé, son frère Conti ou encore, Gaston d’Orléans, dont ce sera le dernier fait d’armes. On le sait, la Fronde sera un déclencheur de l’absolutisme de Louis XIV, qui musèlera sa noblesse pour l’empêcher de se révolter. On oublie surtout que cette volonté vient d’un traumatisme profond d’enfant, un choc profond qui marqua pareillement le petit Philippe, qui percevra la peine et l’angoisse de sa mère, l’incertitude et la colère impuissante de son frère. La Fronde et l’ultime trahison de leur oncle Gaston marqueront aussi son destin, car elles l’empêcheront toutes deux de pouvoir occuper une vraie place près de son frère, le conseillant, l’aidant, l’influençant parfois – dans le bon sens du terme.
    Dans cette longue confession écrite, où Philippe se confie à cœur ouvert à son frère, le duc d’Orléans souhaite rétablir la vérité et, en revenant sur leur longue histoire commune, livrer ses propres sentiments. Lorsque Monsieur mourut en juin 1701, à l’âge de soixante-et-un ans, probablement après plusieurs repas riches et arrosés, c’est surtout après une altercation violente avec le roi au sujet de son fils, le duc de Chartres, Philippe – le futur Régent – qu’il ressentit les premiers malaises qui devaient conduire à une mort prématurée. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les relations entre les deux frères, l’âge aidant, ne s’étaient pas améliorées et Philippe souhaite faire entendre une dernière fois sa vérité.

    Louis XIV et Philippe d'Orléans immortalisés par les frères Beaubrun vers 1645 : Louis XIV a sept ans, Philippe en a cinq


    Dans ce roman, on découvre la figure nuancée d’un prince amoureux des arts, marqué comme son jeune frère par une enfance chaotique puis par une jeunesse passée dans l’ombre alors qu’il ne rêvait que de champs de bataille, non pas pour sa propre gloire mais uniquement pour celle de son frère et de la France. Un homme soucieux de ses épouses malgré les discordes, sincèrement éploré à la mort d’Henriette d’Angleterre, malgré l’humiliation de l’idylle publique de cette dernière avec le roi, un bon père pour qui l’amour de ses enfants et l’attention portée à sa progéniture passaient avant tout. Concepteur de Saint-Cloud, un domaine qui lui ressemblait, où il pensionna Mignard ou encore Hardouin-Mansart, Philippe d’Orléans est un homme de son temps et bien plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord.
    J’ai aimé cette vision différente du règne de Louis XIV, sur lequel on a beaucoup écrit et sur lequel on le sentiment d’avoir tout lu. Eh bien, ce n’est pas le cas ! Voir le Roi-Soleil à travers les yeux de son frère cadet, partagé entre admiration, affection et hostilité permet d’en apprendre beaucoup, tant sur l’un que sur l’autre et sur leur conception respective du pouvoir.
    J’avoue que la forme de longue confession écrite à la première personne du singulier et adressée directement au roi – tantôt vouvoyé, tantôt tutoyé – m’a moyennement convaincue et j’ai trouvé que le roman manquait un peu de rythme. Selon moi, s’il avait été raconté tout du long, comme c’est le cas dans les derniers chapitres, par un narrateur omniscient, cela aurait été un peu moins monotone. Mais j’ai vraiment apprécié découvrir la « version des faits » si je puis dire de Monsieur, soucieux non pas de se dédouaner mais de laisser à la postérité une image un peu moins caricaturale que celle qui lui avait été forgée : une image d’homme faible, sans honneur et peu digne de son aîné, peu de digne de confiance également, alors qu’il fut surtout un homme aux mains liées toute sa vie par la peur irrationnelle de la trahison et de la sédition qui habita Louis XIV jusqu’au bout. Un homme à qui l’on refusa d’exercer ses talents militaires et que l’on humilia, parfois sans le vouloir, mais les blessures restèrent. Est-ce ainsi le sort de tous les seconds, de tous les suppléants ? Peut-être. Mais il est parfois important aussi de retourner le prisme et de regarder les choses autrement.

    Portrait de Philippe d'Orléans portant une armure fleurdelisée, vers 1660 par Michel Corneille l'Ancien

     

    COLLABORATION COMMERCIALE NON RÉMUNÉRÉE - LIVRE OFFERT (MERCI AUX ÉDITIONS ROBERT LAFFONT POUR CET ENVOI)

    En Bref :

    Les + : une autre vision du règne de Louis XIV à travers le regard de son frère cadet, tantôt admiratif, tantôt hostile mais trop souvent blessé par l'hostilité d'un frère qu'il admirait.
    Les - : la forme de confession m'a moyennement convaincue par moments.

     


     

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle  


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  • « Ah le cyanure... dit le vieux professeur en souriant. Un grand classique. Vous savez que c'était l'un des préférés d'Agatha Christie ? Elle l'a utilisé dans dix de ses romans, de toutes sortes de manières inventives ; par injection, dans des boissons, des sels odorants, et même dans une cigarette. »

     

     

         Publié en 2016 en Australie

      En 2022 en France (pour la présente édition)

      Titre original : Oxford Tearoom Mysteries, book 2,    Tea with Milk and Murder

      Éditions City

      299 pages

      Deuxième tome de la saga Les Thés meurtriers          d'Oxford

     

     

    Résumé :

    Qu’est-ce qui a bien pu passer par la tête de Gemma d’aller au vernissage d’une exposition d’art contemporain d’Oxford ? Elle déteste toutes ces toiles prétentieuses et elle s’ennuie ferme… Jusqu’à ce que l’une des invitées, après avoir avalé une tasse de thé, se mette à convulser et tombe raide morte. Empoisonnée. Shocking! Voilà qui fait tache dans cette galerie chic à l’ambiance minimaliste et feutrée. Dare-dare, Gemma flaire l’assassinat. D’autant qu’il y a une ombre au tableau : le propriétaire de la galerie ne pouvait pas voir la victime en peinture ! Aidée d’un charmant inspecteur et de quatre vieilles commères, Gemma plonge dans un mystère plus complexe qu’un plum pudding. Et surtout plus dangereux, car elle pourrait bien être la prochaine sur la liste du tueur…

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

     Mais dans quelle galère est encore allée se fourrer Gemma en acceptant une invitation pour un ennuyeux – et pompeux – vernissage à Oxford, qui plus est un samedi soir ? Entendre parler d’art contemporain au milieu de pseudo connaisseurs, la barbe. Seulement, l’une des exposantes est sa meilleure amie, Cassie et que ne ferait-on pas pour sa meilleure amie ?
    Mais tout bascule quand Gemma, sortie prendre l’air dans la cour, surprend une conversation étrange puis voit s’effondrer sous ses yeux l’une des invitées de la réception, arrivée passablement éméchée et qui a fait un scandale au propriétaire de la galerie. Et la douche est plus que froide quand les témoins s’aperçoivent très vite que la jeune femme est…morte, peut-être empoisonnée, après avoir consommé une tasse de thé.
    Commence alors pour Gemma une enquête informelle, même si la police d’Oxford est sur le coup et fait très bien son travail – surtout le séduisant inspecteur Devlin O’Connor, ancien compagnon de la jeune femme avant son départ en Australie.
    Qui pouvait en vouloir à cette jeune femme au point d’attenter à ses jours en l’empoisonnant ? Lors de ses investigations, Gemma se rend compte que, non seulement elles étaient voisines mais surtout, que Sarah, la victime, avait plus d’ennemis que d’amis et que de nombreuses personnes à Oxford auraient pu avoir un mobile pour la supprimer, de l’une de ses camarades de fac en passant par son ancienne gouvernante, remerciée du jour au lendemain.
    Que s’est-il donc passé et comment a-t-elle été empoisonnée ? Gemma se met en quête d’indices et son amitié avec Cassie pourrait bien en pâtir car le petit ami de cette dernière, qui est aussi le propriétaire de la galerie, semble très impliqué dans cette nouvelle affaire…mais Gemma ne se laisserait-elle pas entraîner par son antipathie naturelle pour le compagnon un peu trop prétentieux de Cassie ? Seulement, est-ce aussi facile et prévisible ? Et en se dévoilant, Gemma n'est-elle pas en train de se mettre en danger en prenant le risque de mettre le tueur sur sa piste ?
    Ce deuxième tome des Thés meurtriers d’Oxford étoffe la série et lui donne de la teneur, du relief même s'il est dans la veine du premier. Certes, l’enquête est assez légère mais c’est plaisant de retrouver le personnage de Gemma, déjà rencontrée dans le premier tome et qui a quitté sa vie en Australie pour revenir dans sa région natale et qui a ouvert un salon de thé dans un petit village pittoresque et touristiques des Cotswolds. D’ailleurs, si je devais émettre un seul petit regret, c’est que le salon de thé et toutes ses gourmandises passent un peu au second plan dans ce tome, puisqu’il est essentiellement concentré à Oxford. Mais cela est aussi un point fort car on découvre le fonctionnement de l’une des plus anciennes universités d’Angleterre et ses traditions bien ancrées.
    H.Y Hanna utilise avec habileté les codes du cosy mystery pour imaginer une série so british, gourmande et sucrée qui est plutôt séduisante. Des personnages déjà rencontrés dans le premier tome sont en train de prendre de l’importance, comme les « vieilles chouettes », ces trois vieilles dames de Meadowford-on-Smythe qui ne peuvent pas s’empêcher de mettre leur nez partout et qui se retrouvent parfois dans des situations des plus cocasses ! La relation entre Gemma et sa mère est aussi un peu moins cliché et ce n’est pas dommage, je trouve que cette évolution est sympa et j’espère vraiment qu’elle va perdurer dans les tomes suivants. Quant à Muesli, la petite chatte de Gemma, elle est un véritable alter ego de sa maîtresse et une mascotte très attachante. Franchement, que serait un cosy mystery sans gourmandises, sans Angleterre et sans animal ?
    J’ai passé un excellent moment avec ce deuxième tome et j’ai suivi l’enquête avec plaisir : elle est simple, sans énorme rebondissements mais c’est très sympa et il me tarde donc de découvrir la suite de la série, même si en soi, elle n’est ni prévisible, ni révolutionnaire. Et j’espère évidemment retrouver sur le devant de la scène le beau et chaleureux salon de thé de Gemma, niché dans un petit village des plus anglais.

    Les Cotswolds, région touristique et pittoresque d'Angleterre, ont inspiré l'autrice H.Y Hanna pour sa saga gourmande et cosy

    En Bref :

    Les + : j'ai vraiment apprécié retrouver Gemma mais aussi Mabel et ses amies ainsi que la petite chatte Muesli, toujours aussi attachante. L'univers s'étoffe et l'enquête est plaisante à suivre.
    Les - : ce n'est pas révolutionnaire et c'est même parfois un peu prévisible mais...c'est un cosy mystery et il faut accepter de jouer le jeu !


    Les thés meurtriers d'Oxford, tome 2, Beau thé fatal ; H.Y Hanna

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle 

     

     

    • Découvrez une autre enquête gourmande de Gemma Rose avec sa première aventure :

     

    - Chou à la crim'

     

     


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  • « C'est notre boulot, même quand ça paraît injuste. Parce que si  nous ne faisons pas éclater la vérité au grand jour, quelqu'un d'autre en pâtira. »

     

        Publié en 2023 en Angleterre

      En 2023 en France (pour la présente édition)

      Titre original : The Dales Detective Series, book      9,Date with Justice

      Éditions Robert Laffont (collection La Bête Noire)

      416 pages

      Neuvième tome de la saga Les Détectives du Yorkshire

     

     

     

    Résumé :

    La mort rattrape ceux qui la fuient.

    La découverte du cadavre d'un écologiste fait souffler un vent de panique sur les Vallons. Tout accuse Will Metcalfe, le frère de Delilah. Mais Delilah ne peut croire à la culpabilité de son frère, et Samson non plus.
    Déterminés à prouver l'innocence de Will, les deux détectives mènent l'enquête. Mais la justice se paiera au prix fort...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Les Détectives du Yorkshire, c’est comme un bon vin : ça se bonifie avec le temps. A mesure que la série avance, s’étoffe, elle devient plus savoureuse.
    Déjà neuf tomes et pourtant, la magie opère toujours autant et surtout, toujours aussi bien. C’est parfois difficile de tenir dans la durée mais quand l’enthousiasme du lecteur, au bout de neuf intrigues, neuf enquêtes, continue d’être entier, force est de constater que ça fonctionne.
    Pourtant, comme beaucoup de lecteurs des Détectives, j’avais peur qu’après la résolution de l’enquête en forme de fil rouge qui nous occupait déjà depuis plusieurs tomes et qui a trouvé son dénouement dans le huitième opus (Rendez-vous avec le diable), ça retombe un petit peu. Cette neuvième enquête allait, en quelque sorte, faire peau neuve et se distinguer des précédentes…et finalement ça marche parfaitement bien ! C’est bien simple, ce tome fait même partie de ceux que j’ai préféré, si tant est que j’en ai préféré un parmi tous ceux déjà publiés (j’avoue que c’est difficile de faire mon choix tant j’aime cette série dans sa globalité).
    Lorsque Rendez-vous avec la justice s’ouvre, nous sommes en août et tout Bruncliffe est invité à un mariage. Mais le temps ne reste pas à la fête bien longtemps puisque dès le lendemain, le corps d’un écologue, travaillant depuis quelque temps pour un fermier du coin, est retrouvé mort dans les fours à chaux sur les hauteurs de la ville. Et le gros problème, c’est que très vite, le principal suspect est Will Metcalfe, le frère de Delilah : tous les soupçons convergent vers lui et il n’a pas d’alibi. Pour couronner le tout, les invités du mariage ont été témoins d’une altercation assez violente entre lui et la victime, Ross Irwin. De là à ce que le fermier, un peu sanguin, ait eu un geste malheureux…c’est en tout cas ce dont la police de Leeds est convaincue.
    Mais Delilah ne peut pas croire que son frère soit un assassin. Alors, aidée de Samson – fraîchement revenu de Londres – de son neveu Nathan, d’Ida Capstick et de tous les habitants de Bruncliffe qui ne veulent qu’une chose, disculper Will Metcalfe, elle va remuer ciel et terre pour prouver à la police qu’elle fait fausse route et que son frère n’est pas un meurtrier. A mesure que Samson et Delilah enquêtent, ils découvrent le passé trouble de Ross Irwin mais aussi ses méthodes plus que douteuses, qui pourraient être à l’origine de différends et peut-être bien d’un suffisamment violent pour conduire au meurtre. Mais leur temps est compté car aucune preuve ne venant infirmer la culpabilité de Will, ce dernier est sur le point d’être inculpé pour meurtre ! Il faudra donc toute la détermination de nos deux détectives pour trouver la solution…mais une solution qui risque malgré tout de bouleverser Bruncliffe à jamais.
    Comme je l’ai déjà dit plus haut, j’ai vraiment apprécié ce tome, je m’en suis délectée de la première jusqu’à la dernière page. Rebondissements, retournement de situation, conjectures diverses…Rendez-vous avec la justice ne nous laisse pas de répit et on reste suspendu, retenant notre souffle, aux différentes hypothèses de nos deux fins limiers, toujours aidés de leur mascotte, Calimero.
    Même si Bruncliffe a une propension assez importante à attirer les meurtres et les affaires criminelles, cette petite communauté du Yorkshire a quelque chose de profondément authentique et chaleureux : on se sent bien avec ces personnages que l’on a appris à connaître depuis le premier tome et on les retrouve à chaque fois comme de vieux amis : le salon de thé La Pâtisserie des Monts, l’étude du notaire, l’Agence de Recherche des Vallons, la Taverne de Troy Murgatroyd ou encore, les retraités attachants de Fellside Court…l’univers ne fait que gagner en authenticité et en réalité de tome en tome, on découvre à mesure de nouveaux protagonistes ou de nouveaux lieux et c’est vraiment sympa.
    L’autre point fort de cette série, pour moi, c’est que c’est une série de cosy mystery certes, mais qui n’est pas aussi légère que ça et n’est pas non plus cliché, alors que c’est le cas des Thés meurtriers d’Oxford par exemple, qui est très légère et un peu clichée sur les bords (tout en étant agréable et divertissante malgré tout). Julia Chapman n’a pas peur d’aborder des sujets parfois assez compliqués et d’orienter ses enquêtes sur des thèmes qu’on ne s’attend pas forcément à retrouver dans des enquêtes dites « cosy ». Mais ça marche ! Ça marche parce que cela donne un véritable relief, une véritable teneur à une saga qui n’en manquait déjà pas mais qui de fait, acquiert une valeur ajoutée réelle.
    Je crois que c’est vraiment ça qui emporte tous mes suffrages, outre bien évidemment le duo Samson-Delilah qui fonctionne à merveille et dont on scrute avec attention l’évolution des relations depuis plusieurs tomes. Même si souvent on cherche le divertissement et la légèreté en lisant des cosy mysteries qui sont censés ne pas être « prise de tête », cela fait du bien aussi de lire des enquêtes qui tiennent la route et qui peuvent parler de prédation sexuelle, de trafics d’êtres humains et de réseaux de crime organisé parce que malheureusement, ça fait partie de la vraie vie et du quotidien de notre époque et que tout édulcorer n’est pas salutaire non plus. C’est sûrement ça aussi qui fait de Bruncliffe un lieu dans lequel on peut se projeter : car l’entraide, la solidarité, l’amitié sont contrebalancées aussi par des zones plus sombres où évoluent des personnages plus louches et qui ne sont pas animés de très bonnes intentions. Et Julia Chapman arrive vraiment à bien équilibrer, entre le cosy mystery ultra léger et des enquêtes un peu plus noires qui nous ramènent vers le roman policier pur et donc, pas léger du tout pour le coup.
    Bref, Rendez-vous avec la justice est encore une fois une très bonne mouture, un tome qui n’a pas à rougir face à ses prédécesseurs, qui nous donne souvent l’occasion de rire, de sourire, de s’attendrir mais aussi de retenir notre souffle et d’espérer…si je devais résumer ce tome en quelques mots je dirais : toujours au top ! Et ce n’est pas peu dire. Un seul conseil, si vous n’avez pas encore lu Les Détectives du Yorkshire, lancez-vous, vous ne serez pas déçu !

    En Bref :

    Les + : toujours au top ! C'était une joie de revenir à Bruncliffe et de retrouver les personnages et la petite communauté, chaleureuse et attachante. J'ai toujours un pincement au cœur en me disant qu'on s'approche de la fin et du dernier tome tant cet univers a su me convaincre et me séduire.
    Les - : Aucun, comme toujours ! 


    Les Détectives du Yorkshire, tome 9, Rendez-vous avec la justice

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      • Retrouvez ci-dessous mes avis sur les sept premiers tomes :

    Rendez-vous avec le crime

    Rendez-vous avec le mal (pour un cosy murder 100% Noël)

    Rendez-vous avec le mystère

    Rendez-vous avec le poison

    Rendez-vous avec le danger

    Rendez-vous avec la ruse

    Rendez-vous avec la menace

    Rendez-vous avec le diable 


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  • « C'est pourquoi la roue de la Fortune dont parlaient les poètes, cette roue qui n'était jamais qu'une vulgaire loterie, offrait ceci de particulier que les numéros n'y étaient pas tous perdants : la vraie chance - richesse, amour ou gloire - y sortait aussi fréquemment, et sans plus de raisons, que le désastre et la ruine. »

     

     

     Publié en 2021

     Éditions Albin Michel

     432 pages

     Troisième tome de la saga La Reine oubliée

     

     

     

     

    Résumé :

    Un port qui ressemble à celui d'Alexandrie, un phare bâti sur le modèle de Pharos, et, au premier plan, un palais royal aux colonnades de marbre grec : Séléné, la fille de Cléopâtre, peut se croire revenue chez elle, dans cette Égypte dont les Romains l'ont arrachée à l'âge de dix ans. Mais Césarée, où elle vient d'aborder, n'est pas Alexandrie, et si Auguste a libéré sa prisonnière, c'est pour s'en débarrasser en la mariant au prince barbare qui gouverne la Maurétanie, immense pays formé par le Maroc et l'Algérie d'aujourd'hui.
    A la surprise de Séléné, ce roi berbère se révèle aussi beau et cultivé qu'il est riche et puissant. Mais pour la fille des Pharaons, traumatisée par son passé, la nuit de noces tourne au cauchemar...avant que les jeunes époux, tous deux orphelins et issus de lignées détruites par Rome, ne parviennent peu à peu à s'apprivoiser, à faire de leur capitale un haut lieu de la culture grecque, et à tenter de fonder ensemble une dynastie capable de venger un jour leurs familles. Mais peut-on renouer la chaîne des temps ?

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

     La petite Cléopâtre-Séléné naît dans les ors des palais alexandrins dans les années 40 avant notre ère. Elle a un frère aîné : Césarion, né des amours de sa mère avec Jules César, un jumeau, le petit Alexandre-Hélios et un jeune frère, Ptolémée-Philadelphe. Tous trois sont les enfants de la reine d’Egypte et de Marc-Antoine. Par ses deux parents, Séléné est apparentée aux meilleures familles de l’époque : son père fait partie de la « gens » Antonii, il est aux premières loges à Rome, politiquement et militairement. Sa mère, d’origine grecque, est la reine Cléopâtre VII Philopator, la dernière reine d’Egypte et dernière représentante de la dynastie des Lagides.
    Les dix premières années de la vie de la petite princesse se passent dans l’opulence, la richesse et la facilité. Certes, ses parents sont peu présents et l’enfant grandit surtout entourée de nourrices et de précepteurs, mais sa vie est facile : n’est-elle pas promise à un mariage avec son demi-frère et au trône d’Égypte ?
    Mais rien ne va se passer comme cela : Séléné a une dizaine d’années quand ses parents sont battus lors de la bataille d’Actium, par le nouvel homme fort de Rome, Octavien, le futur empereur Auguste. Afin de ne pas être pris vivants, Cléopâtre et Marc-Antoine se suicident à Alexandrie. Et leurs trois enfants, Séléné et ses deux frères, vont vivre une expérience tragique : ce sont eux qui, faits prisonniers, vont être exposés lors du Triomphe d’Octavien à Rome. Les trois enfants vont payer pour eux : terrible expérience que de devoir vivre à la place de ses parents un châtiment pour des fautes que l’on n’a pas commises.
    A Rome, le plus jeune des enfants, Ptolémée-Philadelphe, meurt assez rapidement après le Triomphe, probablement de maladie. Alexandre-Hélios disparaît également peu de temps après : on ne sait pas s’il s’agit d’une mort naturelle ou si le futur Auguste le fait disparaître. Séléné reste la seule survivante d’une famille dorée mais désormais déchue et totalement décimée : son demi-frère et fiancé depuis l’enfance, a été assassiné en Égypte, l’un de ses demi-frères romains également. Morts aussi, les deux parents, puis les deux frères…A dix ans, Séléné est seule au monde, dans une ville étrangère, dont elle ne connaît pas les codes ni la culture. Elle sera élevée dans la maison d’Octavie, la sœur d’Octavien et seconde épouse de son père Marc-Antoine. Là, Séléné se recrée une famille de bric et de broc, découvre des demi-sœurs et des demi-frères, des cousins…mais il manquera toujours quelque chose à la jeune fille qui, après une fin d’enfance et une adolescence mouvementée, fragile, découvre qu’on se prépare à lui faire épouser un jeune roi client de Rome : Juba II, roi de Maurétanie.

    Juba II de Maurétanie, l'époux de Séléné


    La Maurétanie est un grand empire d’Afrique du Nord, correspondant à peu près au Maroc et à l’Algérie d’aujourd’hui. Le roi Juba II est issu de la dynastie numide, c’est un descendant de Jugurtha et Massinissa, deux célèbres rois de Numidie des IIIème et IIème siècles av. J-C. Lui-même a connu une enfance heurtée, chahutée : comme les parents de Séléné, le père de Juba a fait un mauvais choix – celui de Pompée – qui lui a coûté la vie. Le petit prince Juba a été lui aussi emmené à Rome, présenté lors du Triomphe du César puis a été élevé dans la maison de ce dernier. Pétri d’une culture éclectique, romaine, grecque, numide et carthaginoise, Juba est un jeune homme érudit, instruit, qui écrit et fait œuvre d’historien.
    C’est dans sa modeste capitale de Césarée – l’actuelle Cherchell en Algérie – que Séléné débarque : a-t-elle rencontré Juba à Rome, où ils auraient pu se côtoyer au milieu de tous ces petits princes barbares et otages qui grandissent dans la grande capitale de l’Empire ? Ou bien fait-elle sa connaissance lorsqu’elle arrive dans son nouveau royaume ? Nous ne le saurons jamais.
    Mais le mariage de la jeune Égyptienne est un fiasco : le soir de sa nuit de noces, des peurs enfouies depuis l’enfance ressurgissent dans le noir de ce palais inconnu. Il faudra beaucoup de patience et de prudence à Juba pour apprivoiser Séléné.
    Car Séléné souffre probablement de ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui un stress post-traumatique. Comment supporter et affronter l’effondrement de son monde, la mort des siens, le déracinement ? Comment vivre avec le souvenir de la violence vécue, subie, avec la peur aussi qui sera celle de Séléné à Rome ? Et pourtant, peu à peu, la jeune reine de Maurétanie s’habitue à sa nouvelle vie, s’attache à son beau mari et n’aspire plus qu’à une chose : lui donner des enfants, des enfants dans le sang desquels coulerait celui des Lagides, ce sang égyptien que Séléné n’a jamais pu oublier et qu’elle veut venger.
    Ce troisième tome amorce un tournant dans la saga : après l’Égypte et Rome, nous voici dans un nouvel endroit, la Maurétanie, terre numide et berbère où Séléné va devoir faire sa vie d’adulte. Mais comment se construire, devenir une femme équilibrée, une épouse aimante et une mère dévouée quand l’on est cassée de l’intérieur, aussi fragilisée qu’elle ?
    Séléné est fuyante, étrange, déroutante par moments. Secrète et silencieuse, mais aussi pleine de colère, même si elle semble un peu plus apaisée dans ce tome, où elle expérimente une vie plus libre, moins angoissante, dans un État certes client de Rome, mais relativement autonome. Séléné n’est plus sous la tutelle du vainqueur de ses parents, l’empereur Auguste. Elle est désormais une reine – peut-être même régente lors des absences du roi, même si nous n’en avons aucune certitude –, une femme mariée, elle devient une mère. Elle peut s’émanciper, regarder enfin sereinement vers l’avenir mais les horreurs vécues dans son passé sont mal réglées. Aujourd’hui, Séléné serait prise en charge médicalement, probablement suivie par un psychiatre…mais à cette époque-là, on doit vivre avec ses traumatismes, avec ses peurs, avec son passé et on doit tenter de se construire comme on peut. Pas étonnant dans ce cas, que la jeune femme nous paraisse parfois si surprenante.
    Non, Séléné n’est pas des plus attachantes. Pour autant, on prend plaisir à mettre nos pas dans ceux de Françoise Chandernagor et de partir à sa rencontre. On a presque envie de tendre la main vers elle, comme vers un petit animal tremblant et mal apprivoisé.
    Dans ce troisième tome, le voile se déchire un peu. Séléné nous apparaît plus proche et on la découvre dans ses premiers pas de femme adulte puis de femme mâture, épouse et mère. La jeune femme est encore confrontée à des peines, des déceptions et des deuils, mais le bonheur aussi refait surface. Avec sa famille romaine, les relations sont apaisées : la jeune femme s’entend bien avec ses deux sœurs, elle les fréquente avec plaisir lorsqu’elle revient à Rome, se mêle à la bonne société dorée de la ville, à Césarée il lui prend des envies d’architecte et de mécène. Elle embellit la ville, la modernise, demande la construction d’un temple d’Isis, la divinité égyptienne et féminine la plus importante, auprès de laquelle Séléné trouve réconfort et apaisement.
    Je sais que la saga La reine oubliée n’a pas récolté que de bons avis. La forme notamment, a pu gêner certains lecteurs : il est vrai que nous ne sommes pas dans un roman historique classique ici et que cette série est bien différente de L’allée du roi, le roman magistral où Françoise Chandernagor était allée jusqu’à écrire comme au XVIIème siècle pour donner encore plus de véracité à son récit. Pour autant, il m’est difficile de ne pas vous la recommander : c’est bien simple, pour moi cette série rend vivante l’Antiquité. Et nous la rend peut-être plus accessible aussi, même si les mœurs et les façons de penser sont bien différentes entre notre époque et ces siècles lointains. Cette saga m’a fait penser à un péplum qui serait débarrassé de tous ses clichés et où l’autrice, faisant preuve de transparence, nous explique toujours quand la romancière surpasse l’historienne, venant combler les trous que les textes et les sources ont laissés.
    Comme lors de ma lecture, puis de ma relecture des Enfants d’Alexandrie et des Dames de Rome, je me suis régalée avec L’homme de Césarée, j’ai vraiment passé un excellent moment et je sais d’ores et déjà que je vais laisser derrière moi Séléné avec un pincement au cœur à l’issue de ma lecture du quatrième tome…Séléné, aussi mystérieuse et insaisissable que saisissante.

    Monnaies émises par le royaume de Maurétanie, représentant le roi Juba II et la reine Cléopâtre Séléné

     

    En Bref :

    Les + : toujours aussi passionnant, je me suis régalée avec ce troisième tome qui nous transporte de Rome jusque dans l'ancien royaume de Maurétanie,
    Les - : Aucun.


    La Reine oubliée, tome 3, L'homme de Césarée ; Françoise Chandernagor

     Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle  

     

    • Pour découvrir mon avis sur les deux premiers tomes, c'est par ici :

    - Les enfants d'Alexandrie

    - Les dames de Rome

     


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